Il y a quelques billets de ça, j’expliquais que j’ai profité du temps libre que m’accordait mon chômage de 2021-2022 afin d’écrire un essai intitulé Le sucre rouge de Duplessis. Délaissant la fiction pour l’Histoire du Québec, j’y raconte la naissance, les débuts difficiles et le sabotage de l’industrie du sucre québécois de 1936 à 1960 sous le règne des Bleus, c’est-à-dire les Conservateurs de l’Union Nationale de Maurice Duplessis. Et si dans le titre le sucre est rouge, c’est justement parce que cette industrie a été créée par les Rouges, les Libéraux, le Parti Libéral d’Adélard Godbout.
Non seulement suis-je le premier à écrire un livre au sujet de l’histoire de l’industrie du sucre québécois, j’ai déterré un scandale duplessiste que l’Union Nationale avait réussi à faire oublier pendant 70 ans. Aussi bien dire que mon livre écrit une page inédite de l’Histoire du Québec.
Une page que, à mon grand étonnement, je n’avais toujours pas réussi à placer chez un éditeur un an et demi plus tard. J’avais pourtant tout pour qu’ils se l’arrachent : C’est de la politique. C’est de l’Histoire du Québec. C’est une biographie d’un politicien. C’est un sujet inédit. ÇA PARLE DE DUPLESSIS, BOUD’VIARGE ! Et pourtant…
Le plus difficile lorsque l’on reçoit ces lettres génériques pré-écrites des éditeurs qui nous refusent, c’est que l’on reste dans l’ignorance des raisons de ce refus. Est-ce que mon texte est mal écrit ? Est-ce que ce sujet ne présente aucun intérêt ? Est-ce parce que cette maison en particulier a déjà atteint son quota de publications historique / politique / biographique pour cette année-là ? Est-ce que ces éditeurs ont un parti-pris politique que mon livre offense? Je veux bien corriger la situation. Mais pour ça, il faut d’abord que je sache où se situe le problème avec mon manuscrit.
Que je n’arrive pas à placer mes fictions, soit ! Mon style personnel, mes histoires et les thèmes que j’y aborde ne plaisent qu’à peu de gens. Dans de telles conditions, je peux comprendre pourquoi pas un de mes récits de fiction ne fut accepté pour publications. Mais pour celui-là ?
J’ai fini par trouver moi-même où se situait le problème. Au lieu de ne me limiter qu’aux détails importants afin de créer un récit fluide, j’avais placé dans le livre tous les résultats de mes recherches. Incluant la biographie quasi-complète de Louis Pasquier, gérant de la raffinerie de sucre de Mont-Saint-Hilaire de 1946 à 1951. À cause de ça, ce n’est qu’à la 72e page que l’on arrivait enfin au sujet principal. Tout ça pour des détails qui n’intéresseront pas le lectorat québécois. J’ai donc fait le ménage dans mon manuscrit, élaguant 64 pages de détails inutiles. J’ai changé le titre original trop long, L’industrie du sucre au Québec sous le règne de Maurice Duplessis, pour quelque chose de plus court, plus punché, et qui attire même la curiosité.
Je me trouvé ensuite une maison d’éditions qui existe depuis 2009, et qui a dans son catalogue des ouvrages sur l’Histoire du Québec. Je lui ai envoyé cette nouvelle version. J’ai rapidement reçu son acceptation de me publier, et deux jours plus tard je signais le contrat. Et aujourd’hui j’ai en main des copies de mon premier livre fraîchement sorti de l’imprimerie.
Avant même qu’il ne soit publié, il était déjà annoncé sur les sites des chaines de librairies Renaud-Bray et Archambault. Au dire de mon éditeur, il est très difficile pour un nouvel auteur d’être accepté par ces deux chaines, à moins que celles-ci croient que le sujet du livre a le potentiel d’être un best-seller.
Donc avais-je raison de croire en mon produit ? Puisqu’au moment d’écrire ces lignes, le livre est chez le distributeur et prend le chemin des librairies, seul le temps le dira. En attendant, depuis que mon entourage a appris que j’avais écrit un livre qui allait être publié, j’ai eu droit aux sept réactions suivantes.
RÉACTION 1 : On te donne des conseils irréalistes, propres à tuer ta carrière dans l’œuf.
Dès le départ, on me demande des détails au sujet de mon contrat. J’explique donc que la première édition sera de 3000 exemplaires, que je recevrai 10% du prix de vente qui sera de $29.95 pour 250 pages, et que ça montera à 15% si on doit en imprimer d’autres éditions. Que le format sera de 9 X 6 pouces, ce qui est un format standard pour un livre à couverture souple avec un tel nombre de pages.
Scandalisés, ces gens me disent que 10% ce n’est pas assez. Que je mérite au moins 40% pour tout le travail que j’ai fait. Et que si mon éditeur veut que mon livre se vende, alors il devra prendre mon œuvre au sérieux. C’est à dire en faire un beau livre, format 8.5 X 11, et avec couverture rigide avec jacket contour. Et que je ferais mieux de prendre un avocat afin de faire valoir mes droits auprès de cet éditeur qui est, de toute évidence, un arnaqueur de première.
Bref, de bons conseils, si le but ici est de me mettre les éditeurs à dos et m’assurer que je ne serai jamais publié nulle part pour le reste de ma vie. Sans compter que si le livre était publié selon leurs suggestions, il devrait coûter $60 pour être rentable. Qui voudrait payer ça? J’ai déjà de la misère à croire qu’on voudra payer $29.95 + taxes.
Si ces gens connaissaient le monde de l’édition, ils sauraient qu’au contraire j’ai eu droit à un très bon contrat avec des avantages qui ne sont pas donnés à tous. Surtout pour un auteur inconnu. Car oui, je signe sous mon vrai nom plutôt que Steve Requin. Et j’ai beau avoir été publié dans divers journaux et magazines pendant vingt ans ans (1988-2008), je n’ai encore jamais fait mes preuves en tant qu’auteur de livres. Et nous sommes en pleine crise de la presse écrite, alors qu’internet a contribué à faire disparaître un nombre incroyable de magazines, journaux et maisons d’éditions parce que trop de gens ont remplacé le papier par l’écran. Alors soyons réalistes : en m’acceptant comme nouvel auteur, ils prennent un risque.
RÉACTION 2 : On fait appel à ta conscience environementale.
« Est-ce que tu te rends compte du nombre d’arbres qui devront être sacrifiés pour publier ton livre ? Et l’essence qui polluera l’atmosphère, provenant des camions de livraison des distributeurs ? Et quand les gens l’auront lu, il ne leur servira plus à rien. Il va se retrouver dans les poubelles. Et même s’ils le mettent à recycler, ça se retrouvera dans les sites d’enfouissements, parce que l’industrie du recyclage est bidon. »
D’accord, celle-là date d’il y a une douzaine d’années, alors que j’écrivais un roman de fiction intitulé Les Forces Occultes du Mont-Saint-Hilaire. Mais comment oublier une telle opinion qui exprime qu’écrire un livre fait de son auteur un Hitler écologique?
RÉACTION 3 : On se prend soi-même pour un écrivain.
Parce que la nouvelle version de mon manuscrit a été acceptée du premier coup au premier éditeur à qui je l’ai envoyé, il y en a qui se sont mis en tête que ça signifie qu’il est extrêmement facile de devenir auteur : tu écris un livre, tu l’envoie, il est publié, et tu deviens plus riche et célèbre que Stephen King et JK Rowling réunis.
Je la trouve un peu rabaissante, cette mentalité à la « si TOI tu as réussi dans cette discipline que tu as pratiqué toute ta vie adulte, alors ça signifie que tout le monde peut faire aussi bien que toi et même mieux, plus rapidement, et en improvisant.«
Trois d’entre eux se sont aussitôt mis à l’écriture de leurs projets de roman et ils me textaient quotidiennement pour me dire le nombre de pages où ils étaient rendus. Ils ont tous abandonnés au bout de deux semaines, après avoir écrit 26, 31 et 32 pages.
J’avais un autre ami comme ça il y a une quinzaine d’années. Il a passé quelques semaines à écrire (et s’en vanter quotidiennement sur Facebook) un roman d’horreur, qu’il a transformé à mi-chemin en scénario de film… Pour s’arrêter au bout de 50 pages, en demandant sur Facebook s’il y avait parmi ses contacts des gens qui ont eux-mêmes des contacts avec l’industrie du cinéma. « Parce que je ne vais pas perdre mon temps à écrire un scénario de film si personne n’est intéressé à le tourner », écrivit-il.
Ça fait ses premiers pas dans une discipline où ça ne connait rien, ça n’a pas fait ses preuves, et ça exige un traitement meilleur que ce que reçoivent les professionnels chevronnés et reconnus dans le milieu. Pas surprenant que leur reconversion en auteur ne dépasse jamais trois semaines.
RÉACTION 4 : On te demande de te sacrifier par conscience sociale.
Il y a parmi mes connaissances des gens qui ont des tendances Social Justice Warriors. Ils m’ont expliqué que l’une des chaines où mon livre sera vendu a déjà refusé de vendre des livres écrit par des gens trans. Ce qui veut automatiquement dire que cette chaine fait la promotion de la transphobie. Et qu’en acceptant d’être vendu chez eux, je fais partie du problème en encourageant ce régime d’oppression.
Il y a des centaines, des milliers d’auteurs, dont les livres sont vendus à cette chaine. Mais c’est à moi que l’on demande de torpiller ma carrière naissante d’auteur, comme si ça allait régler le problème (si tel est vraiment le problème pour commencer), sous peine d’être jugé comme étant transphobe.
RÉACTION 5 : On cherche tes vraies motivations cachées.
Dialogue entre un collègue de travail et moi datant d’il y a quelques jours.
LUI : « De tous les premiers ministres du Québec, pourquoi avoir écrit sur Duplessis ? »
MOI : « Un jour, un homme nommé Michel Cormier m’a contacté pour me montrer des documents provenant de son grand-père, Louis Pasquier, qui était gérant de la raffinerie de sucre de Saint-Hilaire. Il voulait en savoir plus sur son rôle dans l’industrie du sucre au Québec. Mes recherches m’ont démontré que Maurice Duplessis y était étroitement lié. »
LUI : « Ouais, mais pourquoi Duplessis ? Il y a eu plein d’autres premiers ministres au Québec. Ce sont tes convictions politiques ? Tu es anti-conservateurs ? »
MOI : « Je n’ai aucun parti-pris politique. C’est juste qu’il avait rapport à la création de la raffinerie de sucre, et… »
LUI : « Oui, mais pourquoi parler de LUI en particulier ? »
Qu’est-ce qu’il y a de si difficile à comprendre dans la phrase « l’industrie du sucre québécois a été créée sous le régime de Duplessis » ?
Il y a une question qui me fait particulièrement tiquer et que j’ai reçu presque à chaque fois que j’étais en train d’écrire un projet de livre : « À qui est-ce que ton livre s’adresse? » À ça, j’ai rapidement trouvé une réponse à la mesure de cette question: « Mon livre s’adresse aux gens qui sont intéressé par le sujet sur lequel j’écris. » Cette réponse n’a jamais été appréciée par ceux qui l’ont reçue. Mais c’est normal. Personne n’aime se faire démontrer qu’il a posé une question stupide.
RÉACTION 6: On exige que tu (re)devienne artiste à temps plein.
Pendant deux décennies, j’étais en effet artiste à temps plein, publié dans de nombreux périodiques. Durant cette période, j’ai toujours vécu avec un revenu me permettant à peine de vivre seul. Et ça ne s’est pas arrangé avec l’arrivée d’internet qui a précipité la disparition de nombreux journaux et magazines. Ce qui eut comme conséquence qu’en 2010, je ne me trouvais plus de travail du tout.
Comme je m’en suis souvent vanté sur ce blog, en partant de rien, j’ai mis dix ans à grimper les échelons de carrière et de salaire. J’ai commencé à faire du ménage dans un garage de bus avant de devenir concierge dans un édifice construit en 1964, puis concierge en chef dans une tour à condos, surintendant dans une usine de portes et fenêtres, support technique pour BMO. Et enfin, préposé aux bénéficiaires, malgré une pause-chômage d’un an entre deux contrats. Et à toujours avoir cette soif de monter plus haut, je songe maintenant à poursuivre mes études pour devenir infirmier auxiliaire.
Mais voilà, maintenant que j’ai un livre publié, tout le monde tente de m’encourager à lâcher ma carrière stable qui paie très bien pour retourner exercer celle qui me laissait dans la misère et sans véhicule. Bizarrement, dans la têtes des gens, un auteur, c’est forcément riche. C’est parce que les gens pensent que si un livre se vend $20, alors ce $20 va dans la poche de son auteur. En réalité, un auteur ne touche que 10% à 15% du prix de vente avant les taxes, ce qui signifie de $2.00 à $2.50. Et si un auteur Américain ou Français peut en vivre confortablement, ce n’est pas le cas au Québec. Comparons:
- Population des États-Unis: 316 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 316 000 copies de vendues, ce qui te rapporte $790 000.00.
- Population de la France: 66 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 66 000 copies de vendues, ce qui te rapporte $165 000.00.
- Population du Québec: 8 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 8 000 vendus, ça te rapporte $20 000 dollars. Soit $2 720 en dessous du seuil de la pauvreté.
Et ce n’est pas non plus comme si ton livre allait vendre 8 000 nouvelles copies à chaque année.
RÉACTION 7 : On te prend pour un con.
Dialogue arrivé pas plus tard qu’hier entre une madame de 81 ans et moi.
ELLE : « Combien tu le vend, ton livre ? »
MOI : « En librairies, il est $29.95 plus taxes. »
ELLE : « Hey ! Tu vas devenir riche. »
MOI : « Non ! Je reçois 10% sur chaque copie vendue, c’est-à-dire $2.99. »
ELLE : « Hein !? Comment ça ? »
MOI : « Parce qu’il faut payer l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur et les librairies. »
ELLE : « De qué-c’est qu’y’ont d’affaire à prendre ton argent, eux-autres ? C’est des maudits voleurs. Laisse-toé pas faire. Porte plainte, ma grand’foi. »
MOI : « Mais non ! Créer un livre, ce n’est pas gratuit. Il faut donner un salaire à ceux qui ont travaillé dessus pour l’éditer, l’imprimer, le distribuer et le vendre. »
ELLE : « Pis combien de temps t’as travaillé dessus, toi ? »
MOI : « Ben, avec mes recherches pis l’écriture, ça m’a pris un bon trois ans. »
ELLE : « T’as travaillé trois ans pour que ça te rapporte trois piastres ? Pourquoi tu perds ton temps de même ? T’es donc ben niaiseux ! »
Alors voilà ! Nous, les auteurs, sommes tous des cons qui perdent leur temps. Si c’est une sage madame de 81 ans qui le dit, alors ça doit être vrai. C’est fou ce que l’on peut apprendre sur soi-même lorsque l’on débute dans une nouvelle carrière.
Et c’est justement ça, la source du problème: je débute dans une nouvelle carrière. Oui, d’accord, j’ai déjà écrit quelques romans, certains que je laisse en ligne faute d’éditeurs intéressés, comme Un été à Saint-Ignace-de-Montrouge, ou bien Riverstock, le concert du siècle, et aussi Les Forces Occultes du Mont-Saint-Hilaire dont je parle plus haut. Mais à 54 ans, je suis au début de ma carrière d’auteur de livre publié par un vrai éditeur. Il est donc normal que jusqu’à ce point-ci de ma vie, je ne fréquentais nullement des gens du monde de l’édition. Et mon entourage non plus. Puisqu’ils ne connaissent rien à ce milieu, ils peuvent seulement s’imaginer comment ça marche. Or, l’imagination et la réalité, c’est deux choses bien différentes.
Les auteurs de métier, eux, ne vivent pas ce genre de situations. Et c’est parce qu’ils évoluent entre gens qui fréquentent ce milieu, donc qui se comprennent.
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Y’a liens là:
En juin 2015, j’écrivais ce billet de blog dont le titre dit tout: 20 raisons pourquoi je ne publierai jamais de livres. Bien que certains détails soient un peu dépassés aujourd’hui (le plus évident étant que j’ai fini par en publier un), ce billet décrit toujours plusieurs réalités du monde de l’édition que ne peuvent connaitre la population générale.