Le sexisme et la misogynie existent… Mais peut-être pas de la façon que l’on croit.

Bien que je sois un homme, j’ai déjà vécu le harcèlement sexuel intense au travail.  C’était de la part d’un jeune gai qui se croyait tellement irrésistible qu’il s’imaginait être capable de convertir n’importe quel homme à la gaieté.  On peut en lire l’histoire juste ici, c’est le billet précédent.  Voici en gros ce à quoi j’ai eu droit de sa part: 

  • Il commence par me faire des compliments.
  • Commence à me faire des commentaires grivois.
  • Augmente de plus en plus la fréquence et la quantité de ces commentaires.
  • Me drague en sous-entendus.
  • Devant mon manque de réaction, me fait des avances directes, que je décline.
  • Commence à exprimer qu’il met en doute mon intelligence.
  • Vole mon talon de paie.
  • Se présente chez moi sans y avoir jamais été invité, pour me le rendre.
  • Vole mon savon dans les douches au travail. Se présente chez moi sans y avoir jamais été invité, pour me le rendre.
  • Me fait des commentaires gratuits de plus en plus rabaissants.
  • Trouve mon numéro de téléphone et appelle sans cesse.
  • Me dérange constamment dans mon travail afin de mettre ma compétence en doute
  • Commence à m’humilier publiquement au travail en tentant de planter le doute sur ma compétence dans l’esprit de nos collègues.

 Le comportement qu’il avait envers moi avait trois facettes:

1) L’infantilisation:  Tout le long, il a agi non pas comme si j’étais un adulte responsable mais bien un enfant qu’il avait décidé de prendre en charge: Il s’impose dans ma vie, et se comporte envers mes possessions avec la même liberté qu’un adulte, en se permettant de confisquer mon bordereau de chèque de paie, en se permettant d’enlever mon savon des douches au travail pour le ramener chez moi, comme un parent qui ramène dans la chambre de son enfant un jouet oublié dans une autre pièce en lui disant de ramasser ses affaires. De plus, il n’accordait aucune crédibilité à mes paroles.  Je lui dis non?  C’est comme si je n’avais rien dit.  J’affirme être hétérosexuel?  C’est comme s’il savait mieux que moi si je l’étais ou non.  Ce qui nous amène au point suivant qui est:

2) La sexualisation: Au travail, les seules paroles positives à mon sujet qui sortaient de sa bouche, c’était l’expression de son désir pour moi.  Tout le reste était dénigré. Ce qui signifie qu’à ses yeux, la seule valeur que j’avais était sexuelle. Et puisque je refusais de lui donner ce qu’il voulait de moi, c’est comme si j’étais un enfant indiscipliné qui refuse d’obéir: Il faut le punir.  Ce qui va de pair avec… :

3) La dévalorisation:  D’où sa tentative de m’humilier publiquement.  D’où sa tentative pour saboter ma réputation, voire ma carrière, en plantant le doute sur ma compétence dans l’esprit de nos collègues.  Mais cette attitude, il l’avait bien avant ça.  Lorsqu’il a commencé à travailler, non seulement avais-je déjà un an d’expérience dans la place, c’est moi qui lui ai appris le boulot.  En fait, ça faisait au moins neuf mois que j’entraînais chaque nouveau qui entrait.   Il se permettait pourtant de me corriger, me réprimander, me rabaisser.  Comme si, à ses yeux, mes compétences, mon expérience, mes connaissances, n’avaient aucune valeur.  

C’est en relisant ce texte pour correction que j’ai constaté quelque chose qui ne m’avait pas frappé jusque-là: Tout ce que ce gars-là m’a fait subir, c’est exactement le genre d’attitude et de comportement sexiste et misogyne dont les femmes se plaignent de la part des hommes.  

Mais voilà, dans mon cas particulier, c’était un homme envers un autre homme.  Ça ne pouvait donc être ni du sexisme ni de la misogynie.  On ne peut pourtant pas nier que c’était exactement le même comportement.

Et c’est là que j’ai eu une illumination: Le sexisme et la misogynie, ça n’existe pas.  Ou du moins, peut-être pas de la façon que l’on croit.  Parce que toute cette attitude, tous ces comportements, ce n’est que la façon instinctive d’agir envers une personne que l’on désire, ou du moins toute personne qui fait partie du groupe visé par notre orientation sexuelle.  C’est la seule explication pourquoi un homosexuel aurait envers un homme exactement la même attitude misogyne et déplorable qu’un homme hétéro envers les femmes.

Oui, je sais, hétéro ou homo, « Ils ne sont pas tous comme ça! »   Ça ne change rien au fait que, tous sexes et orientations confondus, il y a un assez grand nombre de gens  qui sont portés à rabaisser ceux qu’ils désirent sexuellement pour que ça pose un problème de société. 

Mais pourquoi sont-ils portés à rabaisser ceux qu’ils désirent sexuellement?  C’est que de tous les temps, le désir sexuel n’a jamais été relié à la notion d’égalité.  Bien au contraire, il l’est avec la notion de propriété via domination.  L‘homme parle de conquérir une femme, d’en prendre possession.  Et c’est ce sentiment possessif qui conduit aux abus.

Ça fait longtemps que la société le sait, que le sexe, la possession et l’abus ne font trop souvent qu’un.  Juste dans notre langage, lorsque l’on a été victime d’une arnaque, qu’est-ce qu’on dit?  « Il m’a bien possédé.  je me suis fait baiser. »   Variante québécoise: « Il m’a bien eu!  Je me suis fait fourrer. »   Vous voyez le parallèle?  Mon collègue voulait me baiser.  Il voulait quelque chose de moi que je ne voulais pas lui donner.  Il a donc tenté de se l’approprier contre mon gré.  Comme le fait un arnaqueur.  Il s’emparait de mes possessions.  Il niait mon identité.  Non pas mon nom, mais mon identité sexuelle d’hétéro.  Et comme un conquérant qui envahit un pays, il a tenté de me conquérir en envahissant mon logement.  Bref, il ne me traitait pas en égal mais bien en inférieur.  Lui en vainqueur, moi en (futur) vaincu.

Parce qu’à la base, le sexe, ça reste une personne qui manifeste sa supériorité et son contrôle sur l’autre.  Même entre deux partenaires sexuels hétéros qui se respectent et se voient en égaux, il reste que la nature oblige que pendant l’acte sexuel, l’un a une position dominante sur l’autre.  Quand on parle de faire l’amour, quelles sont les deux premières positions qui nous viennent en tête? Le missionnaire et la levrette.  L’homme est en position supérieure donc dominante, la femme est dessous, couchée ou penchée, position dominée.  L’homme pénètre, la femme se fait pénétrer.  L’homme est actif, la femme est passive.  Et s’il s’agit de leur première fois, l’homme doit défoncer la barrière qu’est l’hymen. Bref s’introduire de force.  Alors qu’on le veuille ou non, la nature fait en sorte de donner aux hommes l’impression que lorsqu’ils désirent sexuellement une personne, il doit la conquérir et ne pas se laisser arrêter par les obstacles.  Bref, comme on dit en bon français, lui rentrer dedans, dans tous les sens du terme.

Et c’est normal.  Le but premier de la nature étant la survie, il n’est pas difficile d’imaginer qu’à l’aube de l’humanité, on ne pouvait pas toujours se permettre d’attendre le consentement sexuel de l’autre.  Aussi, chez certains hommes, le cerveau était programmé avec une forte libido, mais sans la capacité de ressentir du respect et de l’empathie.  Aujourd’hui, lorsque nait un tel homme, son désir sexuel combiné à ce manque de respect peut aller de la simple frustration jusqu’au viol.  Dans mon cas, mon harceleur n’aurait pas pu se rendre jusque-là car j’avais la capacité physique de lui résister s’il avait osé me toucher.  N’empêche que tous les autres comportements que les femmes étiquettent comme sexiste et misogyne lorsque c’est un homme qui l’a envers une femme, lui les avait envers moi.  Ça démontre que si une grande partie des femmes reçoivent un tel traitement de la part des hommes, ce n’est pas parce que ce sont des femmes.  C’est tout simplement parce que… :

  1. Le désir sexuel est relié à la testostérone. 
  2. Les hommes produisent plus de testostérone que les femmes.
  3. Les hommes ont donc une plus grande libido que les femmes.
  4. La population est majoritairement hétérosexuelle.
  5. Par conséquent, ce sont majoritairement les femmes qui sont victimes de cette attitude de la part des hommes. 

Et comme je l’ai constaté personnellement, ça n’empêche pas les non-hétéros d’avoir exactement les mêmes comportement envers ceux qu’ils désirent sexuellement.  Et voilà pourquoi je dis que la misogynie et le sexisme n’existent (peut-être) pas. Si certains hommes agissent ainsi envers les femme, ce n’est pas parce que c’est une femme. C’est parce que la nature a programmé l’être humain de manière à ce qu’il se croit instinctivement supérieur aux gens visés par ses pulsions sexuelles.  Et personne n’est porté à accorder de respect, de crédibilité ou de pertinence à quelqu’un qu’il croit dominer.  

Même en anglais, qu’est-ce que l’on dit d’une personne ou d’une chose que l’on veut dévaloriser?  Fuck him! Fuck that! Fuck you!  N’avoir aucune valeur du tout = n’avoir qu’une utilité sexuelle.

Ça pourrait même donner deux raisons pourquoi, à compétences égales, un candidat homme est favorisé à l’embauche plutôt qu’une femme:
Raison 1) Le recruteur est un homme hétéro. Il se croit donc d’instinct supérieur à la candidate femme, tout en se voyant sur un pied d’égalité avec le candidat homme.  L’homme commence donc avec une longueur d’avance.
Raison 2) Le recruteur peut très bien ne pas être influencé personnellement par le sexe de la candidate. Cependant, il sait que la présence de cette dernière au sein de l’entreprise pourrait ralentir la performance des employés mâles qui dirigeraient leur attention sur elle plutôt que sur leur travail.  Ce n’est pas farfelu comme croyance, car comme je le raconte dans le billet, tout ce que faisait mon harceleur pour attirer mon attention au travail nous faisait perdre de une à deux heures quotidiennement.  Pour un employeur, ces pertes de temps, ça équivaut annuellement à arrêter le travail pendant un mois et demi.  On parle de centaines de milliers de dollars perdus pour l’entreprise, pour un problème qu’il peut éviter facilement s’il embauche un homme hétéro plutôt qu’une femme qui deviendrait aussitôt objet de convoitise par les employés hétéros masculins. 

Alors entre investir temps et argent dans les ateliers de prévention dans le but d’éduquer, ou juste s’abstenir d’embaucher une femme, beaucoup d’employeurs iront vers la solution facile.

Puisque l’attitude dominante et méprisante envers la cible de nos désirs est reliée au désir sexuel, donc au sexe, je suppose qu’on peut toujours parler de sexisme.  Et tant qu’à faire, misogynie peut continuer de  décrire les cas particulier dans lequel ce sont des hommes hétéros qui font subir ça aux femmes.  Mais je tenais quand même à faire prendre conscience que cette attitude n’est pas une question de discrimination volontaire contre un sexe en particulier.  C’est une question de désirs sexuels naturels, et des comportements que ceux-ci engendrent chez ceux qui les ressentent.  

Ceci étant dit, la raison pourquoi j’explique la logique derrière ce comportement, ce n’est pas dans le but de l’approuver.   C’est pour comprendre pourquoi il existe, de façon à mieux pouvoir le contrer, tout simplement.  Parce que même si un tel comportement est voulu par la nature, nous ne sommes pas dans la nature, nous sommes dans une civilisation.  Et dans la civilisation, il n’y a pas de place pour un tel comportement.  Par conséquent, cette attitude est, et sera toujours, inacceptable.

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Y’a liens là:

La même situation, mais plus classique, où c’est la femme qui subit ça au travail: Ingrid; Cinq jours parmi les loups.
Dans Comment nait la culture du viol, j’explique comment, dès son plus jeune âge, le garçon est conditionnés à se croire supérieur aux filles, ce qui l’amène plus tard à ne les voir que comme un sexe à posséder, sans plus.
Dans 11 illusions fallacieuses qu’essaient de nous vendre les guides de séduction, on peut voir comment ces bouquins contribuent à garder vivante l’idée que toute femme peut être conquise, pour peu que l’on possède les couilles d’aller s’en emparer.

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Il se croyait irrésistible.

Ceci est un témoignage de fait vécu de harcèlement masculin en milieu de travail.

Subir le harcèlement sexuel d’un collègue de travail, ça m’est arrivé à moi aussi.  Je n’oublierai jamais ma première fois. Il était jeune.  Il était beau.  Il se croyait irrésistible.  Il était le fils de mon supérieur immédiat. Et dès qu’il a commencé à travailler, il a eu l’œil sur moi, chose qui n’était pas réciproque.  Tous les éléments étaient en place pour une belle catastrophe.

Les premières semaines, il restait à distance respectueuse.  Puis, ça a commencé doucement.  Un compliment anodin par-ci.  Une remarque coquine isolée par-là.  Je n’en faisais pas de cas.  Ça semblait juste être son humour particulier.  

Au fil des semaines, ses commentaires devinrent libidineux.  Ceux-ci devinrent ensuite de plus en plus nombreux.  Il prenait bien soin de toujours les dire à la blague, pour que ça passe mieux.  Je les ignorais délibérément.  J’espérais qu’en ne me voyant pas embarquer dans son jeu, il finisse par se lasser.  En attendant, je devais juste faire preuve de patience.  

Est-ce que ça a fonctionné?  Eh non!  

Ne pouvant concevoir que je ne succombe point à ses avances, il en arriva à la conclusion que mon manque de réaction signifiait que j’étais juste trop stupide pour me rendre compte que l’on me drague.  Il a donc opté pour me déclarer sa flamme de façon directe, en m’expliquant que quand un homme agit comme lui l’a fait envers moi, c’est parce qu’on l’intéresse.  Alors c’est ça, le mansplaining?  Je l’ai trouvée bien malvenue, cette façon condescendante de mettre en doute mon intelligence.

Ceci dit, j’avais quelques raisons de décliner ses avances.  D’abord, nous n’avions pas la même orientation sexuelle. Déjà là, c’est un obstacle assez incontournable.  Et ensuite, il était déjà en couple, imaginez.  Et même s’il n’y avait pas eu ces deux faits, ce n’est pas avec une personnalité aussi désagréable que la sienne qu’il aurait réussi à me séduire.  Je lui ai fait part des deux premières raisons.  Pas de la troisième.  Il faut bien garder une ambiance harmonieuse en milieu de travail.  Mais qu’importe, mon message était passé.  Nous pouvions maintenant tourner la page et passer à autre chose.  

Deux fois par mois, tandis que nos chèques étaient envoyés automatiquement à la banque, on nous distribuait nos bordereaux de paie (aussi appelés talons de chèque) personnellement. Ce jour-là, je n’ai pas reçu le mien.  J’ai compris pourquoi, quelques heures plus tard, lorsque l’on frappa à la porte chez moi.  J’ai regardé par le judas de porte.  Surprise!  C’était lui, mon collègue dragueur, avec mon bordereau en main.  Il l’avait volé au bureau afin d’y trouver mon adresse.  Je n’en croyais pas mon œil.  J’ai reculé doucement pour éviter que le plancher craque et trahisse ainsi ma présence.  Après dix minutes à cogner périodiquement sans que j’ouvre, il abandonna.

Bien que ressentant du soulagement de le voir partir, je trouvais aberrant qu’il ait osé poser de tels gestes.  J’osais espérer qu’il ne s’agirait que d’un incident isolé.

À cette époque, j’étais dans une situation économique précaire dans laquelle chaque sou comptait. Un jour, après le boulot, j’ai décidé d’utiliser la cabine de douche disponible au travail, une option dont aucun autre employé ne se prévalait.  Ceci fait, plutôt que de remettre mon savon humide dans mon sac, je l’ai laissé sur place.  De retour chez moi, j’ai pu éteindre mon réservoir d’eau chaude.

Quelques heures plus tard, il frappait encore à ma porte.  Cette fois, c’est mon savon qu’il avait en main.  Je n’ai pas répondu.  Après ce coup-là, je n’ai plus osé utiliser la douche au travail.

Avoir été à sa place, si j’avais essuyé deux échecs après m’être présenté deux fois chez une personne sans invitations, j’aurais compris le message et laissé tomber.  Surtout si elle m’aurait dit clairement ne pas être intéressée.  Mais voilà, je ne suis pas le genre de personne qui va aller s’imposer chez autrui.  Aussi, l’idée qu’il puisse persévérer n’a pas pu m’effleurer l’esprit.  

Un soir, il a commencé à me téléphoner.  Je suppose qu’il a trouvé mon numéro sur le cellulaire de son père. Je n’ai pas répondu.  Il a rappelé à toutes les quinze à vingt minutes.  J’ai laissé sonner, en espérant qu’il finisse par se lasser.  J’ai attendu en vain. À une heure du matin, il a fallu que je déconnecte le téléphone afin de pouvoir dormir.  C’est que je n’avais pas de cellulaire.  Mon budget ne me le permettait pas.  Je n’avais qu’une ligne de terre classique.  Une où je ne pouvais pas bloquer un numéro entrant.

Il m’empêchait d’épargner sur l’eau chaude.  Je risquais de manquer un appel important si je laissais le téléphone débranché.  Je ne pouvais plus sortir sans craindre qu’il passe « par hasard » sur ma rue au même moment.  Endurer le harcèlement au travail, c’est une chose.  Mais me faire perturber ma vie privée à répétition dans mon propre logement, ça, non. 

Il existe une option légale recommandée dans ces cas-là.  C’est de prendre un collègue de travail comme témoin, aller voir la personne fautive, lui demander de cesser son comportement harcelant, et conclure par un avertissement comme quoi toute insistance de sa part lui vaudra plainte et poursuite.

En théorie c’est bien joli, mais c’est plus facile à dire qu’à faire.  De un, ça m’étonnerait qu’un collègue accepte d’être témoin d’une situation qui causera un malaise entre eux.  Ensuite, en étant dans l’obligation d’expliquer à chaque témoin potentiel pourquoi j’en ai besoin, plus j’essuierais de refus, plus de collègues sauraient l’histoire, et plus grand serait le risque qu’on m’accuse de porter atteinte à la réputation du fils de notre supérieur immédiat.  Bref, aucune issue qui ne me donnait pas le mauvais rôle.  Il valait mieux y renoncer.

J’ai décidé de lui accorder le bénéfice du doute.   Il sait qu’il ne m’intéresse pas.  Il a bien vu qu’aucune de ses tentatives pour se rapprocher de moi ne fonctionne. C’est une cause qu’il sait perdue d’avance.  Le gars n’est sûrement pas idiot. Selon le bon sens, il devrait arrêter.

Mais voilà, je lui créditais trop de bon sens.  C’était un idiot.  Il n’a pas arrêté. 

Puis, un jour, devant nos collègues, il me lança un reproche sarcastique au sujet d’une erreur sans importance dans mon travail.  En un éclair, j’ai compris ce qui était en train de se passer.  Probablement frustré par ses échecs à me séduire, il allait désormais tenter de m’humilier publiquement, voire de saboter ma carrière, en commençant à sous-entendre mon incompétence à nos collègues. 

Je me doutais qu’il ne s’agirait pas d’un incident isolé. 
Je connaissais trop bien sa persistance. 
Je savais qu’il ne s’arrêterait pas là.   

Trop c’est trop.  C’était la proverbiale goutte d’eau.  J’ai craqué.

De tels récits, vous en avez déjà entendu par dizaines, de la part de filles et de femmes qui se font harceler de cette manière depuis qu’elles sont en âge de travailler.  Cependant, mon histoire à moi se démarque sur un point important.

Ce point est : Je suis un homme.  

Homme, blanc, hétéro, de quarante-deux ans, catholique, cisgenre, et d’environ 35 kg de plus massif que mon harceleur.  Je n’ai pas eu à fuir.  Je n’ai pas eu à donner ma démission.  Je n’ai pas eu à me terrer chez moi sans plus jamais oser sortir jusqu’à ce que je sois obligé de changer d’adresse et de numéro de téléphone. 

Oh que non!  

Je l’ai confronté!  Là!  Immédiatement!  Debout!  Face à lui!  Je l’ai engueulé sans retenue, avec comme témoin nos collègues, ces mêmes collègues devant qui il venait d’essayer de me discréditer.  J’ai dénoncé son harcèlement au travail, son harcèlement chez moi, son harcèlement téléphonique.  Ses commentaires, ses avances, ses insistances, ses  sarcasmes, son vol de mon bordereau de chèque de paie, ses visites, ses appels.  J’ai tout étalé, là, en public.  Et j’ai conclu en lui lançant cet ultimatum devant tous ces témoins: Ou bien il arrête, ou bien je le fais arrêter.  

Il n’a pas répliqué.  Il a juste baissé le regard, tourné les talons, et il a calmement quitté la pièce.  Comme le veut le cliché, j’avais mis le malaise dans la place, et le silence qui suivit était à trancher au couteau.  Il fut cependant rompu par un collègue qui, autant admiratif que fier de moi, m’a mis la main sur l’épaule, m’a fait un sourire, et d’un signe du pouce en l’air m’a dit: « Like a boss! »

J’entends parfois des femmes raconter comment, après en avoir eu assez, elles ont réagi exactement comme je l’ai fait.  Mais la suite de leurs histoires me montre à chaque fois que le fait d’être un homme, ça ne m’a pas seulement servi qu’à intimider physiquement mon harceleur.  Ça m’a aussi évité de me faire dire que je l’avais peut-être provoqué.  Ça m’a épargné les théories comme quoi je m’habillais possiblement trop sexy.  En racontant cette histoire, personne n’a utilisé de termes comme hystérique, mal baisé ou SPM pour expliquer ma réaction.  Mieux encore, je n’ai même pas eu à aller me plaindre aux patrons, ni à être convoqué aux ressources humaines.  La nouvelle de notre confrontation leur est juste parvenue aux oreilles.  Ce fut suffisant pour qu’ils prennent la chose au sérieux.  Ils l’ont aussitôt déplacé vers un autre quart de travail.  Oui, ils l’ont déplacé LUI et non moi, et je ne l’ai plus jamais revu.  Et bien qu’il soit le fils de mon supérieur immédiat, je n’en ai subi aucune conséquence. 

Avoir été une femme, ça ne se serait certainement pas aussi bien passé. Mais voilà; Je suis un homme, moi!   N’empêche que cette expérience fut l’une des plus désagréables, des plus malaisantes et des plus angoissantes que j’ai vécues de toute ma vie.  

Puisque je suis un homme, je sais que ne repasserai probablement plus jamais à travers ça.  Ça me permet de comprendre que je ne vivrai jamais ce qu’est l’ambiance au travail pour une femme.  Je comprends qu’on ne me fera jamais vivre les choses de la même façon que si j’étais une femme  Donc, je comprends que je ne pourrai jamais comprendre à 100% le quotidien d’une femme en milieu de travail.

Mais pendant une courte période, j’en ai eu un aperçu.  Et cet aperçu, je l’ai trouvé terrifiant.   

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Y’a liens là:

Ici, il y a la première fois que j’ai écrit au sujet de ce gars-là.
Notre relation de travail m’a amené à croire que Le sexisme et la misogynie (n’)existent (peut-être) pas de la façon dont que l’on croit.

Plus classique, la femme victime de harcèlement au travail: Ingrid; 5 jours parmi les loups.
Sans oublier comment, sur une période de 25 ans, j’ai subi Le harcèlement sexuel au travail… Au féminin.

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