Tomber et rebondir pour monter plus haut.

De 1988 à 2008, j’ai travaillé dans le domaine des arts et de la publication. Or, la crise de la presse écrite fit que les contrats se firent de plus en plus rares, et je n’arrivais plus à gagner ma vie convenablement.

Qu’est-ce qu’on fait quand on a passé sa vie à être artiste et que l’on ne sait rien faire d’autre? Simple : On part à zéro, en commençant en bas de l’échelle. C’est ce que j’ai fait.

De 2008 à 2011, je me suis mis à l’activité physique.  Gym, course à pied, vélo, poids et haltères, histoire de perdre du gras et prendre du muscle. C’est que si je dois me recycler dans le travail manuel, il faut que mon physique, dès le premier coup d’oeil, montre à l’employeur potentiel que je suis vaillant.

2011-2013. Je travaille comme homme de ménage pour un garage de bus.
2013-2015. Cette expérience me permet de devenir concierge résident dans un édifice de 22 étages. J’y apprends la menuiserie, la plomberie et l’électricité.
2015. Cette expérience me permet de devenir surintendant résident dans une tour à condos de luxe de 34 étages. Je ne prolonge cependant pas mon premier contrat de six mois, les conditions de travail étant abusives.
2016-2018. Cette expérience me permet de devenir surintendant dans une usine de portes et fenêtres.

Le 15 février 2018, une chute dans un escalier verglacé me brise la vertèbre T5, juste entre les omoplates. Un coup à paralyser un homme pour la vie. Je m’en sors par miracle, mais la douleur m’empêche de travailler. Les médecins me recommandent de huit à dix mois de repos. Au bout de deux mois, l’inactivité commence à me rendre dingo. Et puis, le chômage ne me donne que 50% de mon salaire.  J’ai beau être économe, mon budget est trop serré pour être confortable.

Ma vertèbre ne m’empêche pas de travailler assis.  Je décide donc de me recycler dans le travail de bureau. Je cherche sur Google les pages de grandes compagnies situées à Montréal, et je m’abonne à leurs newslists.  Trois semaines plus tard, j’y apprend qu’une firme ouvre un bureau à Sherbrooke.  Ils recrutent à Montréal car ils n’arrivent pas à trouver le personnel qualifié là-bas. À l’entrevue, je leur explique combien mon ancien boulot de concierge et surintendant avait en commun avec le service à la clientèle et le support technique. Si j’accepte de déménager à Sherbrooke, ils m’embauchent, formation incluse et payée. J’accepte. Donc :

2018-2020. Cette expérience me permet de décrocher un boulot en support technique, payé une fois et demie le salaire minimum.  Mon meilleur revenu à vie.  Le coût de la vie à Sherbrooke est le plus économique du Québec.  Ça me permet de vivre seul dans un 5½, payer mes obligations, et investir l’excédent.

Le 4 janvier 2020, je réalise que n’eut été de mon accident de vertèbre, j’aurais continué à vivre de mon boulot de surintendant. Donc, que si je n’y avais pas été obligé, je n’aurais jamais évolué au-delà de ce travail manuel à salaire modeste. Je me rend compte que je suis en train de faire exactement la même chose ici: Me complaire dans ma zone de confort, stagner au lieu d’évoluer.

Je décide donc d’utiliser mon expérience à La Firme pour monter encore plus haut, et  continuer à améliorer mon sort.

Il y a quelques années, j’ai créé une page nostalgique nommée Autour du Mont-Saint-Hilaire d’autrefois. Et comme son nom l’indique, j’y parle des six municipalités qui entourent la montagne, c’est à dire McMasterville, Beloeil, St-Hilaire, Otterburn Park, St-Jean-Baptiste et Ste-Madeleine. Au moment où j’écris ces lignes, il y a 4 915 abonnés.

Depuis juin 2019, la popularité grandissante de ma page m’a apporté beaucoup de contacts, ainsi que plusieurs contrats et projets.

Marylin Nadeau, Mairesse de St-Jean-Baptiste, m’a contacté afin de m’offrir un contrat pour animer une soirée d’autrefois pour la semaine des ainés.
La Coopérative d’Électricité de St-Jean-Baptiste m’a contacté pour que je leur monte un petit magazine commémoratif pour les 75 ans de la coop.
• Rédaction d’un livre historique et biographique au sujet de Louis Pasquier, le premier directeur de la Raffinerie de Sucre de St-Hilaire, en collaboration avec ses petits-fils, François et Michel Cormier.
• Collaboration avec Sonia et Laurent Bonet, enfants de Jordi Bonet, pour une exposition pour le 40e anniversaire du décès de leur père.
• Pourparlers sur la possibilité de faire une exposition du Mont-Saint-Hilaire d’autrefois au centre culturel de St-Hilaire.
Je suis devenu membre, contributeur et auteur pour la Société d’Histoire et de généalogie de Beloeil / Mont-Saint-Hilaire.
• Je devais même souper chez M. Yves Corriveau, le maire de Mont-Saint-Hilaire, le 10 avril 2020.

Lorsque j’ai quitté St-Hilaire en 1990 à l’âge de 21 ans, c’était en tant que fils du BS du village, méprisé de tous. Et là, grâce à ma page, j’étais maintenant l’historien du citoyen, apprécié de tous. Ceci me décide de revenir dans ma ville d’origine après exactement 30 ans d’exil.

1er février 2020. Je quitte La Firme, je quitte Sherbrooke et je redeviens officiellement hilairemontais. Je travaille sur les contrats et projets mentionnés plus haut, en attendant de décrocher le travail honorable à temps plein qui m’assurera respect et prospérité. Idéalement, je vise un boulot à l’Hôtel de Ville.  Avec tous les bons contacts que je me fais, ça ne devrait être qu’une question de semaines.

Et c’est là qu’arrive le Vendredi 13 mars 2020. Le genre de vendredi 13 qui donne si mauvaise réputation à cette date. Ce fut le début de la pandémie.

Mes contrats:  Annulés.
Mes projets: Annulés.
Mes rencontres:  Annulées.
Mes chances de décrocher un emploi pour la Ville: Annulées.

Puisque j’ai quitté moi-même La Firme à Sherbrooke, il s’agit d’un départ volontaire. Je n’ai donc pas droit aux prestations gouvernementales versées aux salariés qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie. Et voilà comment je me retrouve sans emploi et sans revenus. Je vis de mes économies.  Je vend mes placements.  Et j’ai une excellente marge de crédit.  Mais je ne pourrai pas en vivre éternellement.

Une amie hilairememontaise est téléphoniste pour Urgence Santé. Puisque son travail est un besoin essentiel, elle peut travailler de la maison.  Hélas, elle a quatre problèmes.  De un, elle a un fils handicapé.  De deux, l’école est fermée depuis le 13 mars.  De trois, la pandémie interdit aux grands-parents de faire du babysitting.  Et de quatre, elle est mère célibataire.  Il lui est impossible de travailler tout en s’occupant de son fils.

Elle m’apprend que justement, étant donné sa situation, elle a le droit de demander une subvention afin d’engager une gouvernante pour s’occuper de la maison et de son fils.  J’ai été moi-même père quatre fois, et deux d’entre eux souffraient de troubles du comportement.  Et en tant que concierge, je sais parfaitement tenir maison.  Je saisis l’opportunité au vol.

Je passe une entrevue téléphonique.

Ils vérifient mes antécédents judiciaires.  Tout est Ok.
Ils vérifient mes anciens employeurs.  Tout est Ok.
Ils vérifient mes antécédents médicaux.  Ils découvrent que j’ai été soigné à l’Hôpital Douglas en 2000 pour une dépression.  Celle-ci ayant été causée par deux ans de harcèlement psychologique au travail, la cause ne venait pas de moi.  Donc, je suis un être sain et équilibré.  Ils trouvent cependant dans mon dossier un diagnostic de TDAH.  Problème: Je ne peux pas obtenir le poste si ce n’est pas soigné.

À l’époque, j’avais essayé d’avoir la médication appropriée pour traiter mon problème.  Hélas, lorsque c’est un adulte qui le demande pour lui-même, c’est refusé.  Ça prend un papier d’un médecin de famille, ce que je n’avais pas.  Et toutes mes tentatives pour en obtenir un furent vaines.

Mais cette-fois, c’est différent.  Cette fois, c’est le système de santé qui a besoin de moi.  Alors six jours plus tard, j’avais un médecin de famille, et une prescription de Vyvanse renouvelable pour deux ans.  Comme quoi ça paie, d’être du bon côté du système.

J’ai donc obtenu le boulot.  Et à ma bonne surprise, à 50¢ de plus l’heure que ce que je gagnais à la firme.

Juin 2020. Dans quelques semaines commencent les camps de jour pour enfants handicapés, signifiant que j’allais perdre mon emploi.

Et c’est là qu’arrive le Ministre Legault avec son plan de réforme du système de santé lourdement surtaxé par la Covid-19. On demande 10 000 personnes pour devenir préposés aux bénéficiaires, formation de trois mois gratuite avec une bourse faramineuse, et un contrat de travail garanti d’un an dans un CHSLD, payé le double du salaire minimum.  C’est une opportunité qui ne se présente qu’une seule fois dans une vie.  Une à ne surtout pas laisser passer.

Je me suis inscrit. J’ai passé deux entrevues téléphoniques, puis une en personne.  Je leur ai expliqué que, ayant été support technique et surintendant, je suis habitué à faire du service à la clientèle aussi bien au téléphone qu’en personne. Ayant été père quatre fois ainsi que concierge, je n’ai aucun problème à travailler avec tous les fluides corporels imaginables. Et étant un habitué des gyms, j’ai la force physique et l’endurance dont ils ont besoin.  Qui plus est, mes enfants sont tous adultes et partis, et je suis célibataire.  Je suis donc disponible pour eux 24/7.

Parmi les 70 000 à 90 000 candidatures qu’ils ont reçu (le chiffre varie selon la source), j’ai été l’un des 10 000 à être retenu.

Depuis le 15 juin, je suis en formation. Et à la fin de mes études, j’irai travailler dansun centre pour personnes âgées, là où il n’y a pas (encore) de cas de Covid-19.

Ces études, cet emploi et ce revenu s’inscrivent parfaitement dans mon programme d’évolution personnel et professionnel que j’ai amorcé il y a neuf ans.  Car rien de ceci ne me serait arrivé si je n’avais pas décidé, en janvier dernier, de quitter mon emploi et ma ville pour partir à la recherche d’un meilleur sort dans ma ville d’origine.

Il est important de bien planifier sa vie. Cependant, il arrive que même les meilleurs plans se cassent la gueule. Ce fut le cas ici, alors que la pandémie rendit obsolète les domaines dans lesquels j’avais appris à travailler. Mais quand on arrive à se ressaisir, à attraper les opportunités au vol, et que l’on possède la souplesse, la capacité d’adaptation et le désir d’aller plus loin, alors on peut transformer une catastrophe en meilleure chose qui puisse nous arriver. Et le fait de travailler dur pour passer d’artiste à homme de ménage, à concierge, à surintendant et à support technique, ça n’a pas été inutile. Car même si je ne peux plus me trouver du travail dans ces domaines, ça m’a apporté le meilleur atout qui soit : l’expérience.

Une expérience sans laquelle je n’aurais pas pu décrocher la carrière honorable bien rémunérée que j’amorce aujourd’hui.