Fin des années 90, résidences étudiantes de mon cégep. Ça frappe à la porte. J’ouvre. Deux résidents me donnent une liste de signatures et un stylo.
« Ouais, c’est une pétition pour que le propriétaire baisse le prix d’la laveuse pis d’la sécheuse. C’est ben qu’trop cher! »
Face à pareille ignorance, je décide de leur expliquer quelques petits faits de la vie :
« Ok, je vois! Je suppose que les résidences étudiantes, c’est votre premier appartement? Vous êtes habitués à avoir votre lavage gratis chez vos parents, c’est ça? Vous n’avez jamais eu à faire votre lavage dans une buanderie publique, hm? Eux-autres, ils chargent $1.75 par lavage alors qu’ici c’est $1.25. Et c’est $1.25 par séchage contre 1$ ici. Et savez-vous seulement combien ça coûte, trois laveuses et trois sécheuses? Ça va de 400$ à 600$ par appareil. Ça veut dire que le propriétaire a payé environs $3 000.00 pour que l’on aille ces machines-là à notre disposition. Et c’est pas comme si ça fonctionnait gratuitement. L’électricité pour faire marcher le moteur de la laveuse, pour l’eau chaude, et surtout pour la sécheuse… Hydro Québec, c’est pas gratuit. C’est pas comme si le propriétaire faisait du profit en nous chargeant $2.25 par brassée. En fait, il est probablement en déficit. Fa que non, désolé, mais le prix qu’il nous charge, c’est pas cher pantoute. Au contraire, on a probablement la buanderie la moins chère en ville. »
Les deux gars restent silencieux quelques secondes, ayant l’air de peser mes paroles. Puis, ils reprennent leur liste et leur stylo en disant :
« Ouais, ok! Bonne journée!”
Et ils repartent. Alors que je referme la porte, je les entends cogner à celle d’en face. J’ouvre la porte et je vois les mêmes deux gars devant le voisin qui leur ouvre. Ils lui donnent la liste de signatures et le stylo.
« Ouais, c’est une pétition pour que le propriétaire baisse le prix d’la laveuse pis d’la sécheuse. C’est ben qu’trop cher! »
Ils n’ont même pas pris une seconde pour remettre en question leur démarche. Je referme la porte, en aberration devant ce qui vient de se passer.
Mais pourquoi est-ce qu’ils continuent de faire ça, alors que je viens tout juste de leur expliquer clairement qu’ils sont dans l’erreur? Qu’est-ce qu’ils n’ont pas compris dans mon explication? Tout ce que je leur ai dit est pourtant la plus stricte vérité. Pourquoi font-ils comme si ce n’était pas le cas?
Comment peut-on faire preuve d’une telle mauvaise foi?
C’est que certaines personnes sont tellement orgueilleuses qu’elle supportent très mal l’idée de faire erreur. Dans ce temps-là, savoir que quelqu’un d’autre sache qu’elle fait erreur, ça leur est insupportablement humiliant. Juste en m’ignorant dès que je fermais ma porte, ça réglait mon cas. N’empêche qu’à partir de ce moment-là, ils connaissaient la vérité. Ils ont délibérément choisi de l’ignorer pour faire comme s’ils avaient toujours raison.
Dès le départ, je comprends, leur cause était noble. Ils croyaient que le proprio était un exploiteur. Ils ont décidé de prendre les choses en main. De devenir les chevaliers sauveteurs des résidences étudiantes. Ça leur donnait une cause sociale, une fonction. Ils avaient enfin l’occasion d’améliorer la société en combattant les injustices et les abus. Ils sont heureux et fiers, car même s’ils n’ont pas pris le temps de vérifier les faits, ils croient très fort avoir raison.
… Et dès qu’ils cognent à ma porte, je leur apprends qu’ils sont dans l’erreur, qu’ils ne connaissent rien sur le sujet, que leur cause n’a aucune raison d’être. Bref, qu’ils sont aussi ignorants qu’insignifiants. Et en exigeant que le proprio diminue le coût des appareils, alors qu’il a tant dépensé pour eux, ça fait d’eux les abuseurs, et ça fait du proprio l’abusé. Bref, ça fait d’eux exactement ce qu’ils prétendent combattre. Ça inverse les rôles, leur donnant celui du méchant.
Il y a des vérités que l’orgueil est incapable de reconnaître. Ceci, pour eux, en était une. Ils ont donc fait comme si je n’avais rien dit, pour continuer de vivre leur illusion de justiciers sociaux.
Ceci dit, ce n’était pas la première fois que j’étais témoin de ce genre de situation. Par exemple, dans les années 90 et dans la première moitié des années 2000, lorsque j’habitais encore à Montréal, j’ai vécu par trois fois le genre de situation qui m’a inspiré pour mon récent billet Les 12 risques d’avoir une relation en milieu de travail.
J’occupe un emploi. Je ne drague jamais au travail, mais il m’arrive de devenir bon ami avec une collègue. En général, elle est déjà en couple, alors il n’y a pas d’ambiguïté entre nous. Et le gars n’a aucun problème avec notre relation d’amitié. On se voit en dehors des heures de bureau, on s’appelle, on fait des activités sociales avec des amis et des collègues.
Puis, il y a rupture, son couple prend fin. Et c’est là que je me rend compte que c’est le genre de fille qui prendrait n’importe qui, tellement elle est incapable de vivre sans avoir de relation, car pour les trois semaines suivante, elle enchaîne les relations courtes les unes après les autres. Jusqu’au jour où elle me confie qu’elle a l’oeil sur un de nos collègues.
D’habitude, je ne me mêle pas de ses relations. Mais pour celle-là, je lui fait la liste des risques auquel elle s’expose: Le fait que c’est impossible de garder ça secret, les collègues jaloux, le fait que ça ne durera pas (Normal, quand on prend n’importe qui plutôt qu’une personne avec qui on est vraiment compatibles), et, à la fin de la relation, les problèmes que ça lui causera au travail, d’être obligé de revoir son ex cinq jours par semaine, etc.
À chaque fois, la fille n’en faisait qu’à sa tête, en me disant qu’elle sait ce qu’elle fait. Alors elle commence à sortir avec lui. Dès le départ, le gars n’aime pas trop voir que sa nouvelle blonde a un ami masculin proche, surtout au travail. Inévitablement, elle lui dit que je l’ai mise en garde de sortir avec lui. Il la convainc alors qu’il vaut mieux s’éloigner de moi car je suis « celui qui qui essaye de l’empêcher d’être heureuse ». À partir de là, je ne suis plus invité à rien. Ni sorties ni party ni la moindre activité en groupe. Et puisque mes amis sont ses amis, ça détruit totalement ma vie sociale.
Éventuellement, les problèmes que j’avais prédit (tels que listés ici) commencent à arriver. Plutôt de reconnaître que j’avais raison, ces filles faisaient exprès pour faire tout le contraire de ce que je leur conseillais. Parce que pour elles, tout faire pour essayer de prouver que je me trompais, c’était plus important que de s’épargner des ennuis en entendant raison.
Je peux comprendre pourquoi elles ne voulaient pas m’écouter: Lorsqu’elles m’ont annoncé leurs futures relations, ces filles étaient joyeuses, sur un nuage. Alors quand je leur faisait mes avertissements, en soulignant bien que je parlais par expérience et observation, elle ne voyaient pas que je voulais les aider. Elle voyaient juste que… :
- Je pète leurs bulles, je gâche leurs joies, je détruis leurs rêves. Bref, je leur dis quelque chose qu’elle n’avaient vraiment pas envie d’entendre.
- Lorsque je leur disais qu’agir ainsi, c’était faire erreur, elle prenaient ça comme une insulte. Comme si j’affirmais qu’elles étaient irréfléchies, ignorantes, stupides… Vont-elle vouloir écouter une personne qui les fait sentir comme ça? Oh que non! Elles vont donc faire tout le contraire.
- Et à chaque fois qu’arrivait l’un des problèmes que je leurs avais prédit, ça les enrageaient. Car elles ne voulaient PAS que j’aille raison.
- Alors elles se forçaient à rester dans cette relation catastrophique, pour me pas m’accorder la victoire. Mais en faisant ça, elle prolongeaient leurs problèmes. Des problèmes qu’elles ne subiraient plus si elle mettaient fin à la relation.
Eh oui, elles me jugeaient en m’accusant mensongèrement de les juger. Ça avait beau n’être que dans leurs imaginations, elles réagissaient tout de même envers moi comme si ça avait été le cas pour de vrai.
À partir de ce point, peu importe l’issue de leurs relations, une chose était certaine : Pour avoir commis le crime d’avoir voulu les aider à éviter tous ces ennuis, j’avais transformé de bonnes amies proches en ennemies acharnées qui ont tout fait pour me rabaisser aux yeux de notre entourage, détruisant du même coup ma vie sociale. Et, dans un cas, ma carrière, car il a fallu que je démissionne, tellement je n’en pouvais plus du harcèlement constant dont j’étais victime.
Pour sauver leur orgueil, ces filles pouvaient faire semblant d’ignorer la vérité. Elles pouvaient cacher la vérité aux autres. Mais moi, je la savais, la vérité, depuis le tout début. Voilà pourquoi j’étais pour elles l’homme à abattre. Car comme le dit le cliché : J’en savais trop.
Allez, un dernier exemple:
Il y a quelques années, j’avais écrit une série de billets au sujet des gens conflictuodépendants, soit ceux qui ne peuvent s’empêcher de rechercher le conflit. Et je citais souvent en exemple une certaine Maryse Aubry, nom fictif, qui représentait parfaitement ce genre de personnalité. Tôt ou tard, tous les gens constituant son entourage font les frais de sa personnalité. Aussi, il est inévitable qu’avec le temps, elle reçoive de plus en plus de commentaires au sujet de son comportement désagréable et/ou que le nombre de gens avec qui elle se met en froid augmente. Éventuellement, même si elle continue d’essayer de se le nier à elle-même, il est impossible qu’elle ne s’en rende pas compte. Dans ce temps-là, il se produit parfois un miracle: Elle donne l’impression qu’elle puisse être prête à avoir l’esprit ouvert sur le sujet :
… Mais ce n’était qu’une illusion.
Tous ces gens-là ne voulaient pas connaitre la vérité. Ils voulaient juste avoir raison. Et à défaut d’avoir raison, leur orgueil les a poussé à tout faire pour au moins se maintenir dans l’illusion qu’ils étaient dans le vrai. C’est le genre de situation pour laquelle existe la question « Qui est-ce que vous essayez de convaincre ici, les autres ou bien vous-mêmes? »
Pour beaucoup trop de gens, la seule vérité qui importe, c’est celle qui va dans le sens de leurs intérêts. Parce que sinon, la vérité, ils n’en ont rien à faire. Et dans ce temps-là, malheur à celui qui, dans leur entourage, la connait, la vérité.