Camping Chez Roger, jour 5 de 5

RÉSUMÉ:  Été 1995.  J’ai 26 ans et je passe une semaine sur un terrain de camping en compagnie de ma conjointe Kim qui souffre de jalousie maladive, ainsi que sa meilleure amie, Linda, qui n’a que du mépris pour moi.  Plus je passe de temps ici, et moins je me trouve d’affinités avec les campeurs, que je ne vois que comme étant des rednecks attardés.  De plus, je ne cesse d’accumuler les expériences négatives et les blessures.  Cependant, depuis 24 heures, les choses semblent être (enfin) revenues à la normale. 

En ce 5e jour au Camping Chez Roger, tout va bien.  La fin de semaine du Grand Don étant terminée, il m’a fait grand plaisir d’expédier mon bandeau mauve dans la première poubelle venue.  Aucune raison de garder ce souvenir négatif.  

Le matin a été sans histoires.  Le midi totalement sans événement marquant.  Et là, aux alentours de 14:00, Kim et moi profitons du bel après-midi ensoleillé.    Et cette fois, j’ai bien pris soin d’acheter de la crème solaire et de m’en enduire.  Si les choses peuvent continuer de bien aller pour les deux autres jours qu’il nous reste à passer ici, notre séjour devrait me laisser un souvenir somme toute agréable.  

Nous sommes installés, Kim et moi, sur une grande table de pique-nique entre la plage et la la longue bâtisse qui sert à la fois de douches, toilettes publiques, cantine-resto, salle de danse, magasin général et bureaux de l’administration.  Nous sommes en compagnie d’une mémé qu’on ne connait pas du tout, et qui est venue s’asseoir à notre table sans y être invitée.  Elle a été attirée par le fait que nous sommes en train de mettre des photos de nos enfants dans un nouvel album photo.  Tout le monde sait que les mémés virent gagas lorsqu’il est question de bébés, et celle-là ne fait pas exception.  Kim est en grande conversation avec elle.  Moi, je n’y participe que si on me pose des questions.  Appelez-moi antisocial si ça vous chante, n’empêche que j’ai horreur des inconnus qui m’imposent leur présence sans y avoir été invités.  Surtout lorsque je n’ai rien en commun avec l’inconnu(e) en question.  Sérieux, là, qu’est-ce que vous voulez qu’un gars de 26 ans et une mémé qui en a trois fois le double peuvent bien trouver à se raconter?  Mais bon, puisque sa présence ne semble pas déranger Kim, je la tolère.  Aussi, pendant qu’elles parlent, je m’occupe en continuant de monter seul l’album photo.

Du coin de ma vision périphérique, je vois un quatuor de douchebags dans la mi-vingtaine qui se rapproche de nous.  Je crois d’abord qu’ils vont juste passer leur chemin.  Mais non! Ils s’approchent, et s’arrêtent tous les quatre à côté de moi en me regardant silencieusement, avec au visage un air irrité.  Je me demande ce qu’ils peuvent bien me vouloir.  Après tout, je ne les connais pas, moi, ces gars-là.

« Oui ? Je peux-tu vous aider? »
« Le monde comme toé, on n’en veut pas icite! »

Ces paroles nous mettent bouche bée tous les trois. Je sens la tension qui monte, mais je n’ai pas la moindre idée du comment et du pourquoi.  Kim leur demande

« Euh… C’est quoi, votre problème? »
« Toé, on t’a rien d’mandé, mêle-toé de c’qui te r’garde! »

Aussitôt, la mémé intervient.

« Voyons Luc! Franchement!  C’est quoi qu’y s’passe? »
« Y s’passe que l’monde comme lui, y’ont pas leu’place icite. »
« Ben voyons donc, Luc!  Tu dois te tromper de personne.  Monsieur, y’é ben correct! 
  Ça fait une heure que sa femme pis lui sont avec moi, pis qu’y me montrent des photos de leurs enfants. »

En entendant ça, les gars se regardent entre eux, l’air surpris et hésitants. Deux d’entre eux jettent un oeil aux photos sur la table. L’un me dit:

« C’est tes enfants? »
« Bah ouais!  Lui, c’est mon plus vieux, William.  Pis celui-là c’est Alexandre, qui a quatre mois.  Pis leur mère, c’est ma femme, juste ici. »

Ils nous regardent, puis se regardent entre eux.  J’entends l’un dire « Oh shit! », et un autre lui chuchoter « Ta yeule! »  Leur air d’abord déterminé et frustré a fait place à un air de confusion.  Je me hasarde à demander:

« J’peux-tu savoir de quoi qu’y s’agit? »

Celui qui semble être leur chef me dit:

« Non, c’est beau!  On t’as pris pour un autre. S’cusez! »

Les quatre gars repartent, en s’échangeant des phrases à voix basse, dont je ne distinguent que « Ça veut dire que tantôt… » suivi d’un impatient « Mais ta yeule, tabarnak! »  Décidément, je ne comprends rien à rien dans ce camping de fous.

Plus tard, Kim et moi retournons vers notre terrain. À mesure qu’on s’y rapproche, on y remarque un léger attroupement.  On peut distinctement entendre Roger gueuler comme un enragé. Kim et moi, on se regarde en se demandant bien ce qui se passe.  On se fraye un chemin à travers les curieux, et on constate avec stupeur que notre terrain a été saccagé.  Nos tentes sont écrasées, la table a pique-nique renversée, la radio de Linda brisée, et sur la toile d’une des tentes, il y a une inscription faite à la peinture en aérosol qui dit DEHOR LES TAPETTE (sic).

Tandis que Roger engueule un des dirigeant du camping au sujet de dommages, intérêts et remboursement, je reste là, à observer les dégâts, sans rien comprendre.  Et c’est là que, parmi les curieux qui observent la scène, se trouvent deux ados qui discutent à voix basse.

« Pourquoi que Luc pis sa gang y’on faite ça? »

Luc?  N’étais-ce pas le nom du douchebag-en-chef qui est venu m’apostropher tout à l’heure?  

« C’t’à cause qu’un gars qui campe su’ c’te terrain-là a fait royalement chier Carole hier soir. »

Et Carole, n’était-ce pas la fille au chapeau de cowboy qui m’a invité à danser hier soir?

En associant ces informations avec le graffiti sur la tente, je déduis aussitôt ce qui vient de se passer: Hier, Carole a commencé la soirée dansante à être joyeuse.  Et elle a commencé à faire la grosse baboune après que j’ai décliné de danser avec elle.  Je suppose qu’après mon départ, ses amis masculins ont constaté le changement dans son humeur et lui ont demandé pourquoi.  D’après ce que j’ai pu voir hier, Carole m’a l’air d’être le genre de fille qui est tellement convaincue d’être irrésistible, il lui est probablement inconcevable qu’un gars hétéro puisse refuser de danser avec elle.  Je suppose qu’elle en est arrivée à la conclusion que j’étais gai.  Elle leur a donc probablement répondu qu’un gai venait de la faire royalement chier.  Et s’il y a une chose que les mâles rednecks détestent plus qu’un hétéro qui risque de leur ravir une fille, c’est un homo qui ne risque pas de leur ravir une fille. Voilà pourquoi, aujourd’hui, ils sont partis à ma recherche.  Ils ont dû se renseigner jusqu’à ce qu’on leur désigne le terrain où je campais.  Ne m’y ayant pas trouvé, ils l’ont saccagé avant de repartir à ma recherche.  Et quand ils m’ont trouvé, ils ont vus que j’étais en couple hétéro et père de deux enfants.  Eux qui s’attendaient à trouver un gai, ça les a déstabilisés, et ils ont cru faire erreur sur la personne.

Je réalise soudain la chance incroyable que j’ai eue cet après-midi.  Parce que si ça n’avait pas été du fait que j’étais en situation prouvant mon hétérosexualité, je me serais mérité un gay bashing en règle par ces quatre machos. Dire qu’il y a encore quelques minutes, j’étais irrité par le fait que cette mémé inconnue soit venue s’imposer à notre table.  Je réalise maintenant que sa présence a grandement contribué à me sauver la mise, la santé, voire la vie.  

Pendant un instant, je songe à dénoncer Luc à Roger et au responsable avec qui il s’engueule.  Je pourrais citer comme témoin les deux ados et ce qu’ils viennent de dire, ainsi que Kim et la mémé qui étaient là lorsqu’il est venu me menacer.  Malheureusement, s’ils l’attrapent et qu’il s’explique, ça risque de confirmer ma théorie expliquant pourquoi j’ai été la cible de cette haine.  Avec Linda qui cherche toujours à me rendre responsable de tout ce qui nous arrive de négatif, et Kim qui m’accuse toujours de provoquer les désagréments, je comprends qu’il vaut mieux que je ferme ma gueule sur ce que je viens de déduire.  Je me contente de les aider à ramasser nos choses, les remballer et les mettre dans le véhicule de Roger.  

C’est quand même aberrant quand on y pense.  D’un côté, si j’acceptais l’invitation de Carole pour danser, alors je me serais mérité une scène de jalousie de la part de Kim qui m’aurait accusé de vouloir coucher avec.  Et de l’autre côté, en refusant de danser avec Carole, alors là je me suis mérité la haine violente d’un groupe de tarés qui m’accusent d’être gai.  Puisque c’est à moi que Kim aurait fait la scène, et puisque c’est à moi que Carole et ses amis en voulaient, d’une façon comme d’une autre, c’était moi la cible.  Et puisque dans les deux cas, ces désagréments étaient en conséquences de mes agissements, alors c’est moi qui serait tenu responsable de toute cette merde.  Peu importe ce que je fais, même quand je fais tout pour éviter les problèmes, non seulement ce sont les problèmes qui me courent après, il n’y a jamais moyen pour moi de m’en tirer.

La mégère du terrain d’à côté exprime sa satisfaction de nous voir partir deux jours plus tôt que prévu.  

« J’ai pas payé pour me faire gâcher ma semaine à devoir endurer les disputes des autres. »

Vingt minutes plus tard, les roues du Station Wagon de Roger tournent furieusement dans la garnote.  C’est pour toujours que nous quittons ce terrain de camping peuplé d’abrutis.  Un terrain de camping où il est normal de menotter un inconnu à l’aube et le lancer dans la boite d’un pick-up.  Un terrain de camping où décliner une invitation à danser de la part d’une fille est un crime.  Un terrain de camping où on peut se faire lyncher si on est (soupçonné d’être) gai.

Comme bien des gens, je me pose parfois des questions existentielles quant à savoir où se trouve ma place dans l’univers.  À ce jour, je ne peux pas dire que j’ai trouvé la réponse.  Mais une chose reste sûre, cependant : Ce n’est certainement pas au Camping Chez Roger.

_____
FIN

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Camping Chez Roger, jour 4 de 5

RÉSUMÉ:  Été 1995.  J’ai 26 ans et je passe une semaine sur un terrain de camping en compagnie de ma conjointe qui souffre de jalousie maladive, ainsi que sa meilleure amie, Linda, qui n’a que du mépris pour moi.  Plus je passe de temps ici, et moins je me trouve d’affinités avec les campeurs, que je ne vois que comme étant des rednecks attardés.  De plus, je ne cesse d’accumuler les expériences négatives et les blessures. 

En ce matin du 4e jour, je me réveille en pleine forme.  Mon coup de soleil de l’avant-veille ne paraît plus.  Je n’ai plus mal à la mâchoire ni aux poignets.  Mes blessures à la bouche et au mollet sont refermées et sèches. 

Je regarde ma montre.  Il n’est pas tout à fait six heures.  Je regarde Kim qui dort.  J’ai bien l’impression qu’elle ne se lèvera pas avant encore trois ou quatre heures.  Tout comme Linda et Roger, d’ailleurs.  Je me souviens que je me suis fait réveiller quelques fois pendant la nuit, alors que Linda s’amusait à lancer des bouteilles de bière vides, en riant, sur la tente qu’elle partage avec Roger.  Juste à voir le haut niveau intellectuel de cette activité, je devine qu’ils se sont couchés très tard et saouls comme des cochons. Je suis peut-être un BS, je suis fier de ne pas agir comme tel.  Kim a beau me trouver snob à cause de ça, je m’en fous.  Moi, au moins, j’ai un comportement qui ne dérange personne.  

Comme d’habitude, je mets dans mon sac mon kit à verres de contact, des vêtements de rechange, mon savon et une serviette.  Je compte profiter de l’heure matinale afin d’aller me laver, puis de me promener tandis que tout est encore calme et silencieux.  C’est le bon côté de se lever avant tout le monde.  Et cette fois, je porte mon bandeau bien en vue, autour de ma tête.  je ne tiens pas à revivre ma mésaventure de la veille.

À peine sorti de la tente, je me fais apostropher par la mégère qui a loué le terrain voisin.  Non seulement est-elle réveillée, elle est en beau joual vert.  Elle me pointe du doigt plusieurs bouteilles de bière vides sur son terrain.  Ce sont des O’Keefe.  Autrement dit, la bière de Roger.  Je comprends donc qu’il s’agit de celles que Linda a lancées sur sa tente la nuit dernière.     

« J’ai pas payé pour me faire gâcher ma semaine à devoir endurer les vidanges des autres. »

Cette fois, je refuse de prendre le blâme.  Je dis à la dame d’attendre un instant, le temps que je réveille la responsable.  Je viens pour ouvrir la tente de Linda et Roger, mais la fermeture éclair n’ouvre pas.  J’ai beau tirer, rien à faire.  Apparemment, il existe des tentes avec des ouvertures à verrous.  Je ne m’attendais pas à ça. 

Je tape sur la toile du plat de ma main, en appelant Linda.  C’est Roger qui me répond, et il n’a pas l’air content-content de se faire réveiller.

« Que-c’est qu’tu veux? »
« Linda a pitché des bouteilles su’l’terrain d’à côté hier.  Pis là, la madame qui a loué le terrain voudrait qu’elle aille les ramasser. »
« Christ, t’es-tu infirme?  Fa-moé pas accrère que t’es pas capable des ramasser toé-même. »
« Mais c’est pas moi qui les a envoyées là. »

« Kôlisse! On t’amène passer une semaine su not’ terrain pis t’es même pas capab’ de nous rende c’te service-là?  C’est-tu si dur que ça, pour toé, de ramasser 2-3 bouteilles? »

Je soupire!  Décidément, avec ces gens-là, il n’y a jamais moyen d’échapper aux injustices qu’ils me font subir.  Résigné, je me rends sur le terrain voisin.  J’y ramasse les quatre O’Keefe vides.  Ne sachant pas trop où les mettre, je décide de commettre un geste passif-agressif en les déposant directement devant l’entrée de la tente de Linda et Roger.  À peine ais-je déposé la 4e que le ton irrité de Roger monte :

« HEILLE!  C’est pas là que ça va!  La caisse de 24 est dans l’char. »

J’aurais dû être plus silencieux en les déposants.  Je les reprends donc, je me dirige vers l’auto de Roger.  J’y vois la caisse de bières sur le siège arrière, j’ouvre la portière, j’y mets les bouteilles, et je referme.  Puis, je prends la route, sac à dos à la main, avec un sentiment de frustration qui me mettra de mauvaise humeur pour les heures à venir. Je commence vraiment à m’ennuyer de mon appartement.  À mon retour, Kim est debout.  Je lui raconte ce qui vient de se passer.  Sa réponse:

« Ben là, c’est toé qui est cave!  T’avais jusse à l’envoyer chier, la vieille chialeuse. »

Je ne sais pas comment j’ai pu imaginer que j’aurais pu obtenir la moindre compassion de sa part.

Le reste de la matinée se déroule sans histoire.  L’après-midi également.  Puis, arrive le soir.  Comme prévu, nous allons souper de l’autre côté du lac, alors que les hot-dogs seront à un dollar pièce, à l’occasion du party en l’honneur du Grand Don.  C’est d’ailleurs déjà commencé, si j’en crois la musique de I Saw You Dancing qui se rend jusqu’à nous.

Comme d’habitude, Roger préfère passer la soirée en compagnie de ses amis plutôt qu’avec nous.  C’est donc avec Kim et Linda que je contourne le lac, en direction de la longue bâtisse qui sert à la fois de douches, toilettes publiques, cantine-resto, salle de danse, magasin général et bureaux de l’administration. C’est entre cet endroit et la plage qu’ils ont installé la discothèque mobile encadrée de boites de son géantes d’une puissance que j’estime à vingt millions de watts.  Déjà, quelques campeurs s’amusent à danser les mouvements du Macarena sous la chanson du même nom.  


Heeeey, Macarena! ♫

La musique change pour Trouble du duo Shampoo.  La foule est de plus en plus nombreuses de minute en minute, un détail qui n’échappe pas à Linda qui nous empresse de s’installer à une table de pique-nique pendant qu’il y en a encore de libre.  Nous nous installons tous les trois du même côté, histoire de laisser d’autres gens s’installer face à nous.  Bientôt, la bière et les hot-dogs sont omniprésents.  Je décline le premier, tout en abusant joyeusement du second.  Je me suis fait tellement chier depuis que je suis ici, je ne vais certainement pas me priver des plaisirs de la gourmandise.  Kim et Linda m’envoient leur en chercher d’autres.  Je fais bien attention d’éviter les coups de pieds de ceux qui dansent sur Cotton Eye Joe.  Je souris en me disant que ça prend bien des rednecks pour apprécier la musique d’un groupe nommé Rednex

La nuit tombe. Les lampions s’allument. La musique devient plus forte et les danseurs plus nombreux. Certaines filles s’amusent à faire du lip-synch sur la chanson Short Dicked Man en s’adressant à un gars de leur choix.  À notre table, Kim et Linda sont en grande conversations avec des inconnus dans la vingtaine.  Quant à moi, je me contente d’observer et d’écouter.  Il est vrai que je ne trouve rien à dire dans ces conversations au sujet de moteur V8, de fumage de pot et de filles qui ont hâte que leur chums sortent de prison.

Parmi la gang avec qui on partage la table, il y a une fille nommée Carole.  Carole a une attitude et un look qui la rend remarquable.  Dans la fin de la vingtaine, elle n’a pas changé de look depuis son adolescence dans les années 80. Un peu grassette, long cheveux noirs frisés rendus figés par le spray-net, bustier noir, jupe courte blanche, veston blanc avec manches retroussées aux coude, et chapeau de cowboy blanc. Tout le long de notre présence à cette table, elle n’a cessé de jouer à la très-amicale avec les gars, flirtant les uns, dansant avec les autres, se faisant offrir des consommations toute la soirée.  Le genre de fille qui s’amuse à allumer tous les gars sans jamais finir avec personne.  Bref, la typique agace que l’on retrouve trop souvent dans ce genre de foule.

Kim se lève pour aller aux toilettes. Comme de raison, Linda la suit, car pour une raison que je ne comprendrai jamais, il faut toujours que, en sortie, les filles aillent aux toilettes deux par deux.  Je suppose que c’est pour s’échanger leurs impressions sur les gars qu’elles rencontrent.

Constatant probablement qu’il était difficile de danser langoureusement sur The Scatman, Carole revient s’asseoir.  Elle passe le reste de la toune à jaser avec le gars assis à côté d’elle.  Il finit par lui-même partir aux toilettes, gallons de bière consommées oblige.  Alors que la musique change pour What is Love (Baby don’t hurt me), Carole se retourne vers moi en souriant.  Puis, elle me tend la main.

« Viens-tu danser ? »

Oh shit!  D’abord, elle n’est pas du tout le genre de fille que j’aime fréquenter. Ensuite, Kim me pique des crises de jalousies extrêmes à chaque fois qu’elle s’imagine que je puisse m’intéresser à une autre.  Alors la dernière chose que j’ai envie, c’est d’en provoquer une.   Aussi, avec un sourire poli, je réponds:

« Non, ça va, merci! »

Carole me regarde avec un air à la fois désemparé et incrédule. 

« Hein? »
« C’est beau, ça va aller, merci! »

Elle n’a vraiment pas l’air de comprendre mon refus.  Aussi, elle insiste.

« Voyons! J’ai pas dit Draguer, j’ai dit Danser. »
« Oui-oui, j’avais compris.  Mais non, ça va, merci. »

Elle me regarde avec de grands yeux ronds en disant « Ah! »  Puis, avec un air au visage démontrant qu’elle semble ressentir un malaise, elle tourne doucement la tête et regarde ailleurs.  Moi-même, pour éviter qu’il y ait le moindre malentendu sur mon manque d’intentions envers elle, je fais un 180 degrés sur mon siège et je me place face aux toilettes, tournant le dos à Carole.  Juste à temps d’ailleurs, car en revoilà Kim et Linda.  

Durant les vingt minutes qui suivent, Carole resté plantée là, sans parler, sans broncher.  Elle qui avait été joyeuse et agitée toute la soirée, voilà qu’elle avait l’air de quelqu’un qui vient de perdre sa joie de vivre.  J’avais de la difficulté à croire que mon refus de danser avec elle puisse la désemparer à ce point.  Je me fais cette réflexion:

« Tsss…  Regardez-moi ça!  Tellement habituée d’avoir tous les gars à ses pieds, que quand il y en a un qui lui dit non, elle ne comprends plus rien.  C’est quand même idiot, quand on y pense.  Quand une fille dit non à un gars, il faut l’accepter et trouver ça normal.  Mais quand c’est l’inverse, c’est le gros drame et la remise en question.  Pathétique! »

Et c’est ainsi que, pour la première fois, je constate que lorsqu’une fille n’a que peu d’estime de soi, il arrive qu’elle se définisse par sa capacité d’utiliser le sexe afin de séduire.  Par conséquent, si elle rencontre un gars qui est insensible à ses charmes, alors c’est comme si elle ne valait plus rien à ses propres yeux.  Je dois avouer qu’à ce moment-là, en 1995, à 26 ans, je ne comptais plus les trop nombreuses fois où les filles m’avaient repoussé.  Aussi, de voir qu’une fille si populaire prenne aussi mal le fait que moi je la repousse, je trouve ça étrangement apaisant.  Voire même satisfaisant.

De retour dans notre tente, après avoir laissé Linda au party, je me jette sauvagement sur Kim et lui arrache ses vêtements.  D’abord surprise par ma fougue, elle s’y met elle aussi.  En un rien de temps, me voilà par terre, sur elle et en elle.  Je ne sais pas si c’est mon anecdote avec Carole qui me procure un sentiment de puissance, ou bien du fait que j’ai réussi à éviter toute désagréabilité entre Kim et moi aujourd’hui.  Toujours est-il que je la baise avec une rare virilité pendant l’heure et demie qui suit.  Et elle ne se gène pas pour exprimer, une fois nos ébats finis, combien elle a apprécié.  Tellement, qu’elle ne gâche même pas l’atmosphère en me soupçonnant d’avoir été allumé par une autre.

Enfin, une journée qui finit bien. 

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FIN DE LA QUATRIÈME JOURNÉE
Demain: La suite et fin.

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Camping Chez Roger, jour 3 de 5

RÉSUMÉ:  Été 1995.  J’ai 26 ans et je passe une semaine sur un terrain de camping en compagnie de ma conjointe qui souffre de jalousie maladive, ainsi que sa meilleure amie, Linda, qui n’a que du mépris pour moi.  Plus je passe de temps ici, et moins je me trouve d’affinités avec les campeurs. 

Matin du 3e jour.  Comme d’habitude, je suis le premier réveillé.  Je sors de la tente en premier, à moitié abruti car j’ai très mal dormi.  Aucune idée pourquoi, d’ailleurs.  Je ne porte qu’un gilet et des petits caleçons. Avec mon savon, je me lave les mains sous le jet d’eau du robinet du terrain.  Puis, je m’installe à la table de pique nique. J’enlève mes lunettes et je m’apprête à mettre mes verres de contact. 

Au moment où j’ouvre mon contenant à lentilles cornéennes, j’entend un véhicule freiner sauvagement et s’immobiliser devant notre terrain. J’entends un gars dire:

« Hey, en v’là un! »

Je suis très myope, et sans porter lunettes ou lentilles, je ne distingue que des formes floues. Ce sont donc trois formes floues que je vois se diriger vers moi en courant.  L’un d’eux me prends les bras sans ménagement et me les ramène au dos, ce qui m’arrache un cri de douleur, rapport à ma peau encore sensible de mon coup de soleil intégral de la veille.  Un autre me menotte les mains dans le dos. 

« Hein? Vous faites quoi, là? »
« On t’arrête! »
« Quoi?  Comment ça? »
« T’as pas ton bandeau. »
« Mon quoi? »

 Aussitôt, les trois gars m’empoignent vigoureusement, et m’arrachent de mon siège, éraflant mon mollet sur toute sa longueur sur le vieux bois de la table de pique-nique.  Ils me ramènent vers leur véhicule.  Malgré le flou de ma vision, je vois qu’il s’agit d’un vieux pick-up Ford.

« Ben voyons donc!? Qu’est-ce qui se passe? »
« Y s’passe que t’avais jusse à acheter ton bandeau. »

Sur ce, on me soulève de terre par les bras de façon tellement brusque que j’ai l’impression qu’on me les arrache des épaules.  J’atterris disgracieusement, côté du visage en premier, dans la boite arrière du pick-up, où je me cogne violemment le genou droit sur une bouteille de bière vide.  

Le grand confort.

Puis, ils embarquent dans la cabine en riant et démarrent.  

Malgré la douleur cinglante de ma joue, mes épaules, mon mollet et mon genou, et avec les mains attachées derrière mon dos, je réussis tant bien que mal à me mettre en position assise dans le truck qui me bardasse sans bon sens alors qu’ils roulent comme les malades qu’ils sont sur le chemin inégal de terre et de gravier.  À travers le flou de ma vision, je vois que nous roulons en direction de la longue bâtisse qui sert à la fois de douches, toilettes publiques, cantine-resto, salle de danse, magasin général et bureaux de l’administration. Ils s’y arrêtent. On me fait débarquer. J’ai la désagréable sensation du gravier sous mes pieds nus. On m’amène à l’intérieur, dans une grande pièce où je distingue vaguement une personne derrière une table.  L’un de mes ravisseurs annonce ma venue.

« Kiens, on en a pogné un! »

Sur ce, mes kidnappeurs repartent. Je demande à la personne devant moi de quoi il s’agit.  

« T’as pas ton bandeau. »
« Mais QUEL bandeau?  De quoi que vous parlez? »
« Fais pas semblant que tu l’sais pas.  On a passé tout l’après midi à le dire à tout l’monde, hier.  On est même allé sur chacun des terrains, un par un, pour être sûr que chaque personne dans le camping le sache. »

Je veux bien le croire.  Le problème, c’est que moi, hier, dans l’après-midi, j’étais dans le bois, à l’ombre, à cause de mon coup de soleil.  

« Alors s’ils ont passé sur mon terrain tandis que j’étais absent, comment vouliez-vous que je l’apprenne? »

L’homme me dit alors qu’aujourd’hui, vendredi, commence la fin de semaine du Grand Don. Ils récoltent de l’argent pour une oeuvre de charité quelconque. Je me souviens en effet que Kim m’a glissé quelques mots à ce sujet hier.  Sauf que j’étais trop distrait par son hypocrite proposition de ménage à trois pour m’y intéresser davantage.  Bref, la participation au Grand Don est obligatoire pour les campeurs. Il faut acheter un bandeau mauve pour la modique somme d’un dollar.  Et aujourd’hui, il faut le porter, afin de prouver qu’on a fait notre don.

« Fa que, » conclut-il, « Ceux comme toi qui ont refusé de l’acheter, eh ben on les ramène icite pour qu’ils en achètent un. »

Commençant à perdre patience, c’est avec un air particulièrement bête que j’ose répondre:

« Pis comment voulez-vous que je vous l’achète, vot’estie d’bandeau?  Vous vouèyez pas que ch’t’en T-Shirt pis en boxers? J’ai-tu d’l’air d’avoir un portefeuille sur moi, d’après vous? »

Apparemment, lorsque je m’énerve, je reprends l’accent québécois de mon enfance que mon éducation avait par la suite masqué.  L’homme ne me répond rien pour me calmer:

« T’avais juste à pas refuser d’acheter ton bandeau. »
« J’ai jamais refusé de l’acheter! »
« Ben pourquoi tu l’as pas, d’abord? »
« Parce que vos trois tarlas qui m’ont amenés icite m’en ont jamais parlé.  Ils m’ont juste menottés pis crissés dans boite du pick-up, pas d’lunettes, pas d’verres de contact, ce qui fait qu’en plus, j’voué rien! »
« Pourquoi vous les avez pas mis, vos lunettes? »
« Y m’ont pas laissé l’temps, j’viens jusse de me lever.  Pourquoi vous pensez que chus nu-pied pis en bobettes, calice!? »

N’ayant pas le choix de se rendre à l’évidence comme quoi en effet il me serait impossible d’acheter un bandeau dans l’immédiat, il finit par accepter de me libérer de mes menottes.  Il me laisse partir, mais ne manque pas de me rappeler de revenir acheter mon bandeau au plus vite.  

« Pass’que, t’as vu ce qui arrive à ceux qui n’en ont pas.  Chus sûr que ça t’tentes pas de revivre ça. »

Me voilà donc pris à devoir revenir sur mon terrain qui est situé de l’autre côté du lac, à pieds, nu-pieds, sur une route de terre, de boue et de gravier, en chandail et en petit caleçon, myope comme une taupe, sous les regards des autres campeurs.  Ne voyant pas vraiment où je pose les pieds, je ne le fais qu’avec prudence.  La dernière chose que je veux, c’est me couper les pieds sur un morceau de verre brisé.  La rage m’habite, née de ma frustration contre les activités stupides de cette bande d’idiots.  

Sur ce, le pick-up s’immobilise de nouveau à côté de moi.  Les mêmes imbéciles de tantôt me recapturent aussitôt et me menottent de nouveau.  J’ai beau protester, ils me répondent que j’aurais dû apprendre ma leçon de la première fois qu’ils m’ont attrapés, et me procurer un bandeau.  Ils me relancent dans la boite du truck, avant de me ramener au bureau de l’organisateur.

Lorsque je finis enfin par être de retour sur notre terrain, les pieds meurtris et l’humeur massacrante, ça fait une heure et dix minutes que je me suis fait enlever de la table de pique-nique.  Kim y est assise.  En me voyant, elle m’engueule aussitôt.  Pourquoi? Parce que, puisque j’étais parti sans laisser de traces, et que Linda et Roger avaient trop faim pour attendre mon retour, ils sont allés déjeuner, tel que décidé hier, au petit resto du village. Sans nous!

Tout en remettant mes lunettes et en m’habillant, je raconte mes péripéties à Kim. Elle me regarde avec un air d’incrédulité.  Oh, elle me croit. Elle avait bien vu que j’étais parti sans lunettes ni verres de contact.  Et elle a bien vu mon accoutrement lorsque je suis revenu.  Le problème, c’est qu’elle a de la difficulté à croire que ce terrain de camping puisse être fréquenté, et surtout dirigé, par des gens qui font preuve d’un comportement aussi imbécile.  Et surtout, un comportement imbécile sélectif.  Car apparemment, je suis le seul à qui une telle mésaventure est arrivée.  C’est suffisant pour donner à Kim un doute raisonnable comme quoi j’ai probablement ma part de responsabilités dans ce qui m’est arrivé.

« J’veux dire, come on!  Si t’es l’seul à qui y’ont fait ça, y doit ben y avoir une raison.  T’as dû faire de quoi pour les provoquer. »

J’aime mieux garder le silence.

On va déjeuner à la cantine et j’y achète à contre-coeur deux bandeaux mauves que nous portons pour le reste de la journée, Kim au front, moi en guise de bracelet.

Les heures suivantes se déroulent sans rien de spécial à signaler. Éventuellement Linda et Roger reviennent.  Linda a ramené un sac de guimauves du village.  Elle suggère qu’on fasse un feu pour les faire griller. Étant l’expert en feu de camp, je me porte volontaire pour choisir le bois et allumer du feu. je m’enfonce dans la foret.  J’y trouve une longue branche bien sèche.  Je décide de la casser. Pour se faire, je la prend comme on prendrait un bâton de baseball.  Puis, j’en donne un violent coup sur un solide tronc d’arbre. Instantanément, la branche se casse et je la reçois directement sur la gueule, me fendant la lèvre inférieure.  Je reste étendu par terre pendant quelques minutes, en attendant que la douleur passe, en me demandant bien comment est-ce que ça a bien pu arriver.  Aujourd’hui, 21 ans plus tard, je me le demande encore.

Je n’ai pas fait de feu de camp.  Je suis juste rentré, et j’ai passé le reste de la journée étendu sur mon sac de couchage sous la tente.  Je n’ai qu’un seul désir, et c’est que cette journée se termine au plus vite.

FIN DE LA TROISIÈME JOURNÉE
La suite demain.

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Camping Chez Roger, jour 2 de 5.

RÉSUMÉ:  Été 1995.  J’ai 26 ans et je passe une semaine sur un terrain de camping en compagnie de ma conjointe Kim qui souffre de jalousie maladive, ainsi que sa meilleure amie, Linda, qui n’a que du mépris pour moi. 

C’est le matin du second jour. Ayant toujours été un lève-tôt, je me réveille en premier. Je mets mes lunettes.  Je prends mon sac à dos et j’y mets mon savon, une serviette, des vêtements de rechange et mes produits à verres de contact.   Sans réveiller Kim, je sors de la tente. Le soleil est levé. Sa brillance en basse altitude fait de très longues ombres. Le ciel est clair, l’air est frais, et le gazon est imbibé d’eau de la pluie que nous avons eu cette nuit. Au moment où je viens pour enfiler mes souliers pour me diriger vers les toilettes et douches publiques, je me fais engueuler par la mégère du terrain voisin à cause que Linda a laissé sa radio jouer toute la nuit. Et en effet, toujours accroché à sa branche d’arbre, il joue encore.

« J’ai pas payé pour me faire gâcher ma semaine à devoir endurer la musique des autres. »

Je pense que c’est inutile de lui expliquer que ce n’est pas moi le fautif.  Je vais juste éteindre l’appareil. Plutôt que de le décrocher de l’arbre, j’opte pour la solution expéditive qui est de débrancher la prise de courant. À peine ais-je mis les doigts sur le fil électrique que je sens mon bras se raidir sous une douloureuse sensation de choc électrique. Le fil était imbibé d’eau de pluie, toute comme le gazon sur lequel je suis debout pieds nu. Si je l’avais saisi plutôt que de simplement le toucher, je n’aurais probablement pas été capable de le lâcher et je me serais électrocuté. J’emballe ma main dans une serviette sèche avant de saisir le fil pour l’arracher promptement.

De retour des cabines de douches publiques, je m’installe à la table et je mets mes verres de contact. Kim, Linda et Roger se lèvent presque simultanément. Le temps qu’ils s’habillent, on s’en va déjeuner à la cantine du camping, mais le très piètre rapport qualité/prix de ce déjeuner fait que Roger décide que demain, nous irons plutôt déjeuner dans un petit resto qu’il connait, situé dans un village pas loin d’ici.

Je passe une bonne partie de la journée sur la plage de terre sablonneuse.  D’abord, je me baigne avec Kim.  Puis, je m’assois par terre et je sors de mon sac ma tablette à dessin.  Kim me laisse là en me disant qu’elle retourne sur notre terrain.  Je passe les heures suivantes à dessiner le lac, la plage, les terrains, les arbres, les gens…  Mon travail attire l’attention de quelques jeunes de dix à douze ans qui passent par là.  Ils me complimentent sur mon talent.  L’un d’eux me demande:

« Tu me ferais-tu un dessin? »
« Euh… Ok! »
« Fa-moé donc un AK-47. »
« Un quoi? »
« Un genre de mitraillette d’armée.  Ou non, tiens, une Kalaschnikov. »
« Euh… C’est que, j’ai jamais dessiné des armes. »
« Ok! Ben dessine-donc une Lamborghini d’abord. »
« Euh… Chus pas spécialistes des chars non plus.  Je pourrais bien le faire si j’avais un modèle, mais là… »
« C’est quoi que tu sais dessiner, d’abord? »
« La nature, les gens, les visages.  Je peux faire des portraits ou de la caricature. »
« Ok, ben fais-moi donc Paméla Anderson. »
« Euh…  Si j’avais un modèle, je pourrais bien la dessiner.  Mais là, j’peux pas dessiner quelqu’un de mémoire.  Par contre, puisque je vous ai devant moi, je pourrais vous faire vos portraits ou vos caricatures. »
« Naah, laisse faire. »

Sur ce, ils partent, me laissant à mes réflexions.  

« Tsss…  Ils sont entourés des beautés de la nature, et tout ce qui les intéresse, c’est les armes, les bagnoles pis les gros totons. Y’a pas à dire, la prochaine génération de rednecks québécois est assurée.  »  

Les heures passent dans l’insouciance, jusqu’à ce que je me sente envahi par quelque chose que je crois être d’abord une fièvre. Je remets mon matériel à dessin dans mon sac et je retourne à notre terrain où se repose Kim en lisant un roman. En me voyant arriver, elle pousse un cri de surprise.

« Calice! T’es rouge comme un homard! »

Ce n’était pas de la fièvre.  Je venais tout juste de contracter le plus gros et le plus rapide coup de soleil de ma vie jusque-là. Le front, les joues, la nuque, le dos, la poitrine, les cuisses, les bras… Pour la première fois de ma vie, je me rends compte que c’est vrai, tout ce qu’on nous raconte depuis quelques années au sujet de la couche d’ozone qui s’amincit, et du fait que les rayons UV du soleil sont plus dangereux que jamais. Kim a un tube de crème hydratante, ce qui a un peu soulagé le feu de mes brûlures. Quand je pense qu’à l’époque où j’étais enfant, dans les années 70, on pouvait passer la journée entière au soleil en maillot de bain, sans risques. Et il fallait un soleil de plomb particulièrement intense pour brûler. J’ai passé le reste de la journée habillé et à l’ombre, dans le bois, à boire beaucoup d’eau tout en me sentant fiévreux.  Alors que je replace mon col de gilet qui irrite ma nuque écarlate, je constate que, ne serait-ce que physiquement, le soleil aura fait de moi un redneck.

Le soir arrive et le soleil passera ses deux dernières heures caché derrière les nuages, ce qui m’apportera enfin du répit.  Je sors du bois et retourne sur le chemin, où le hasard fait que j’y croise immédiatement Linda.  Avec un sourire malin, elle me dit:

« Kim te cherche.  Elle a què’que chose de ben important à te dire. »
« C’est quoi? »
« Tu vas voir.  Enwèye viens-t’en! »

Je retourne donc sur notre terrain, accompagné de Linda.  Kim y est.  Je l’approche.

« Linda m’a dit que tu voulais me dire un truc? »
« Oui!  On a décidé qu’à soir, après minuit, on pourrait aller sur la plage et aller se baigner tout nus tous les trois. »
« Ah bon!? »

Voilà qui est surprenant comme nouvelle.  Je ne m’attendais pas à ça.  Un truc me tracasse cependant.

« Euh… Tous les trois, tu dis? Pis Roger? »
« Oh, lui il va passer la nuit à jouer aux cartes avec ses chums de gars.  Y rentrera pas avant trois quatre heures du matin. »
« Ah bon!? »

Tandis que mon cerveau essaye tant bien que mal de procéder cette proposition pour le moins insolite, je ne suis pas au bout de mes surprises alors que Linda rajoute:

« Pis on s’est dit comme ça que, tant qu’à faire, en revenant d’aller se baigner, si ça te tente, on pourrais finir la soirée en faisant un trip à trois. »

Je ne sais pas ce que je trouve le plus incroyable en ce moment: Le fait que Linda me fasse une proposition pareille, ou le fait que Kim approuve l’idée avec sourire.  La situation est tellement irréelle que j’en suis complètement désemparé. Je bafouille un:

« Euh… Vous me prenez au dépourvu, là… »
« Ben là! »  Rajoute Linda. « C’est quoi, le problème? Tous les gars rêvent de fourrer deux filles en même temps.  On te le propose, là!  T’es pas content? »
« Euh… Ben, oui, mais… »
« Parfait! La question est réglée! »

Sur ce, Linda, qui dit avoir déjà mangé, décline de souper en notre compagnie.  Je pars donc avec Kim en direction de la longue bâtisse qui sert à la fois de douches, toilettes publiques, cantine-resto, salle de danse, magasin général et bureaux de l’administration.  Kim me parle du fait que des représentants de Direction sont passés sur tous les terrains pour annoncer aux gens qu’il y aura un grand party en fin de semaine près de la plage, histoire de financer un organisme de charité quelconque.  il y aura des jeux, tirages, concours, et les hot-dogs se vendront exceptionnellement au coût de un dollar pièce au lieu des $2.50 habituels.  

« Toi qui adore les hot-dogs, tu vas pouvoir en manger une douzaine si ça te tente.  Ha! ha! »

Tandis que nous nous parlons de ces banalités, mon esprit est hanté par le ménage à trois que Linda et Kim m’ont promis pour ce soir.  C’est vrai, je l’avoue, tout comme Linda l’a affirmé, j’ai toujours rêvé de pouvoir baiser plusieurs filles en même temps.  C’est normal!  Je suis un gars de 26 ans avec une libido à tout casser.  C’est la raison pourquoi je suis en couple avec Kim.  C’était la seule qui avait un appétit sexuel à la mesure du mien.  Et non seulement elle me désire sexuellement, elle n’a pas honte de s’afficher avec moi en public, ni ne tient-elle à garder secret notre statut de couple.  Il est vrai qu’à ce point-ci de mon existence, je ne suis attrayant ni du visage ni du physique.  Avant Kim, des filles qui daignent s’abaisser à avoir une relation avec moi mais qui ont trop honte pour le dire, j’en ai déjà trop eues.  Alors si on se demande pourquoi j’ai accepté de sortir avec quelqu’un avec un physique et une personnalité comme la sienne, c’est très simple: Je n’avais pas le choix.  C’était le mieux que je pouvais faire, et surtout c’était mieux que rien.  Je ne m’attendais juste pas à ce qu’elle lâche un jour la pilule sans m’en parler, juste pour me forcer à rester dans cette relation. 

 Cependant, il y a deux raisons pourquoi je n’ai pas automatiquement répondu « FUCK YEAH! » à cette proposition de baise avec deux filles qui aiment le sexe autant que moi.  La première, c’est bien évidemment Kim.  Elle qui m’a toujours soupçonné à tort de vouloir la tromper, elle qui me fait des crises de jalousie pour des riens, voilà que soudainement elle est d’accord pour me partager sexuellement avec une autre fille?  Elle qui, hier encore, m’a boudé sexuellement car elle délirait comme quoi je m’excitais sur Linda, voilà qu’elle m’encourage à baiser cette même Linda?  Ça n’a aucun sens.  Et puis, si elle pense que Linda m’excite alors que je n’ai jamais voulu coucher avec, qu’est-ce que ça va être par la suite si je le fais?  Je ne tiens pas à ce que Kim s’imagine que j’ai préféré ça avec Linda, et que ça lui serve de base pour ses crises de jalousies irraisonnables à venir.

Et puis, il ne faut pas oublier non plus ma seconde raison pour ne pas être à l’aise avec cette offre.  Cette seconde raison, c’est Linda.  Je ne sais pas pour les autres gars, mais moi, personnellement, quand une fille fait tout pour me causer des problèmes, cherche à me rabaisser et prend plaisir à m’insulter, alors je ressens zéro attirance pour cette personne.  Et ça inclut sexuellement.  Kim est évidemment l’exception puisque nous sommes déjà en couple.  N’empêche que cette attitude est loin d’être bandante.  Mais pour en revenir à Linda, son soudain désir de me baiser ne colle pas du tout au mépris qu’elle a toujours montré à mon égard.  Ça rend la chose incompréhensible, donc encore plus malaisante.  

Et il y a un détail tout de même assez important à considérer ici: À chaque fois que Linda nous raconte ses expériences sexuelles, elle dit que pour elle, une bonne baise, c’est se faire défoncer sans ménagement par une très grosse queue.  Non seulement n’ais-je pas ce format, « défoncer » n’est vraiment pas le mot que j’utiliserais pour décrire ma manière de baiser.  Il m’a donc toujours été évident que Linda et moi sommes incompatibles sexuellement.  Puisque Linda a toujours aimé se moquer de moi et me descendre, il faudrait vraiment que je sois stupide d’aller lui donner encore plus de matériel pour me rabaisser.   

Enfin, je l’ai toujours dit, 75% de mon excitation sexuelle provient du fait que ma partenaire démontre aimer ce que l’on fait, le désirer, en être excitée.  En sachant d’expérience à quel point Kim a en horreur l’idée que je puisse être approché par une autre fille, et en sachant d’avance qu’entre Linda et moi ça va faire patate, l’idée d’un ménage à trois avec ces deux-là n’a rien d’attrayant à mes yeux.  

N’empêche que la situation me pose un problème moral de taille: Comment puis-je refuser?  Et si, après toutes ces années à voir qu’elle me soupçonnait pour rien, Kim avait décidé de m’offrir ce cadeau afin de se faire pardonner?  Pour une fois qu’elle fait l’effort d’être ouverte et compréhensive, ne risque t’elle pas d’être insultée ou bien blessée si je refuse?  Ne serait-ce pas l’équivalant de cracher sur ses efforts?  Si Kim me l’offrait avec une autre fille, je ne dis pas.  Mais avec Linda?  Non!  Je ne le sens juste pas.  

Sur le chemin du retour du resto, à la nuit tombée, Kim relance le sujet.

« Roger devrait partir dans une heure.  À ce moment-là, on va mettre nos maillots pis on va commencer à aller vers la plage. »

Je réalise que je ne peux plus remettre le sujet à plus tard.

« Ouain, euh…  À propos de ça… »
« Oui? »
« Pour être franc, je ne suis vraiment pas à l’aise avec ça. »
« Avec çaaa? »

« Ben, la baignade tout nus avec Linda.  Pis le trip à trois après. »
« Ah non? »

« Non! Vraiment pas! »

Kim garde le silence.  Comme je le craignais, j’ai l’impression que mon refus la déçoit.  Aussi, je m’explique.

« Écoute, je suis sincèrement désolé.  J’apprécie que tu ais essayé de me faire plaisir.  Je suis reconnaissant que tu ais voulu faire cet effort-là.  Je comprends que t’as voulu me combler sexuellement en m’offrant ça.  Mais voilà, moi chus déjà comblé, puisque t’es toujours partante pour baiser. Fa que non, sérieusement, là, chuis juste pas à l’aise avec l’idée de faire ça.  C’était bien gentil mais t’aurais dû me consulter avant.  Ça t’aurais évité d’embarquer Linda là-d’dans. »
« C’est correct!  Y’a jamais été question de baignade tout nus, pis encore moins d’un ménage à trois. »
« Hein? »

Je m’attendais à tout sauf à cette réponse-là.  Kim précise sa pensée.

« C’était juste pour te tester.  Je voulais voir si t’avais envie de fourrer Linda. »

Extérieurement, je reste impassible.  Intérieurement, par contre, je suis scandalisé.  Non seulement parce qu’elle n’a jamais été sincère en m’offrant le rêve sexuel de presque tout homme hétéro, elle ne cherchait qu’à me prendre en défaut.  Et elle l’a fait avec la complicité de Linda.  Ça ne devrait pas me surprendre.  Non seulement Linda cherche toujours à me rabaisser, elle est toujours à essayer de convaincre Kim d’échanger sa vie de couple stable contre une vie libertine comme la sienne.  Alors en sachant à quel point Kim est soupçonneuse, possessive et jalouse à mon égard, quoi de mieux que d’essayer de jouer là-dessus en provoquant elles-mêmes la situation d’adultère.  S’il le faut, en me faisant hypocritement accroire qu’elles sont d’accord.

Et moi, pauvre cave naïf, non seulement y ai-je cru, j’ai sincèrement pensé qu’elle pourrait être blessée de mon refus.  Quand je pense que j’étais à deux doigts de lui dire qu’avec une autre fille que Linda, par contre, je voudrais bien le faire.  Une chance que je n’ai pas eu le temps de lui faire cette précision.  En tout cas, je vois au moins un point positif qui ressort de ce test.

« Ah ben tant mieux!  Comme ça, au moins, maintenant, tu sais que Linda ne m’attire pas. »
« Ça veut rien dire!  Tout c’que ça prouve, c’est que ça t’tentes pas de fourrer Linda en ma présence.  Ça ne me garantit rien pour le reste du temps quand chuis pas là. »

Je ne la crois pas, celle-là.  Même quand je lui donne la preuve ultime de ma fidélité, elle trouve quand même le moyen de tordre les faits afin d’en faire une preuve d’adultère potentiel.

« Pourquoi tu m’as fait passer ce test-là, d’abord, si c’est pour continuer de me soupçonner, même si je l’ai réussi?  Sérieux, là, quand une fille encourage son chum à coucher avec une autre fille, pis que même dans ce temps-là ça ne lui tente toujours pas, ‘me semble que c’est une preuve comme quoi il est fidèle. »
« Un gars fidèle, c’est comme le Père Noël: Quand tu y crois pis qu’t’es un adulte, faut que tu sois attardé mental en tabarnak. »

Mais qu’est-ce que c’est que ce raisonnement aussi haineux qu’irréaliste?

« Euh…  Regarde, là!  Ça fait quatre ans qu’on sort ensemble.  ‘Me semble que si j’avais déjà voulu te tromper, tu t’en serais rendu compte.  Surtout de la façon que t’as à toujours me surveiller.  Veux-tu ben m’dire pourquoi c’est si difficile pour toi de croire que je puisse t’être fidèle? »
« Un gars fidèle, ça n’existe pas.  Les gars se divisent dans deux catégories.  Il y a ceux qui trompent leurs blondes.  Et il y a ceux qui trompent leurs blondes, mais qui cachent bien leurs jeu. »

Je garde le silence, mais intérieurement je soupire.  Décidément, quoi que je dise, quoi que je fasse, rien à faire pour lui faire entendre raison.  On peut seulement raisonner avec des gens raisonnables.

FIN DE LA SECONDE JOURNÉE
La suite demain.

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Camping Chez Roger (1 de 5)

Été 1995. J’ai 26 ans. J’habite avec Kim.  21 ans, 5’2″ (158 cm), blonde, obèse, menton fuyant et dents croches. Nous avons deux enfants, William, 20 mois, et Alexandre, 5 mois. Ni Kim ni moi ne travaillons. Nous sommes sur le BS, ce qui me laisse pas mal de temps pour dessiner. Je viens d’ailleurs de terminer Requin Roll no.4, Spécial Été ‘95, un fanzine de bandes dessinées dont je suis très fier car j’en ai réalisé les 44 pages à moi tout seul, en l’espace de trois mois.

La meilleure amie de Kim se nomme Linda. Elle a 24 ans, mesure 5’7″ (173 cm). Blonde, mince, fumeuse et amatrice de bière tablette. Elle a une fille de 7 ans nommée Sara, dont le père officiel n’est pas le vrai père, ce que tout l’monde sait sauf le pauvre gars en question qui se ruine en pension alimentaire sans avoir le droit de voir celle qu’il croit être sa fille. Linda est célibataire, ou du moins n’a pas de chum officiel. Elle a la réputation bien méritée de coucher avec n’importe qui, et elle incite ses amies à en faire autant, surtout celles qui sont déjà en couple. Je crois comprendre qu’elle essaye souvent de convaincre Kim qu’il est anormal de passer sa vie avec le premier homme avec qui on a couché, donc qu’elle pourrait trouver bien mieux que moi. Puisque Linda est, pour ainsi dire, la seule amie de Kim, je laisse passer sans rien dire ses tentatives de nous séparer. De toute façon, sans vouloir être gratuitement mesquin, je pense bien que Kim se doute qu’avec son physique et sa personnalité, elle aurait bien de la difficulté à trouver un autre gars qui voudrait d’elle. Quand on cesse de prendre la pilule en secret pour tomber enceinte dans le but de coincer un gars dans une relation, ce n’est pas parce qu’on est populaire auprès des hommes. Aussi, je suis confiant que Linda perd son temps.

Un beau jour, Linda vient nous inviter à passer une semaine au terrain de camping avec elle et son Mononc’ Roger. Le titre d’oncle de cet homme est purement symbolique. 45 ans, mince sauf à la taille où il arbore une bedaine de bière, moustache, le haut du crâne dégarni, il est toujours habillé d’un vieux jeans sale et d’un débardeur, il boit de la O’Keefe et fume des Du Maurier en chaîne. Jusqu’au printemps dernier, il était l’amant de la mère de Linda. Maintenant, il est toujours rendu chez Linda.  On se doute bien pourquoi même si on hésite à croire que Linda puisse tomber si bas dans son choix d’amants. 

On a beau dire que les gens qui vivent de prestations de Bien-Être Social sont des paresseux, être parents d’enfants en bas âges tout en tenant maison, c’est du boulot. Aussi, l’idée de passer quelques jours de vacances, strictement entre adultes, n’est pas pour nous déplaire. Nous sommes donc allés déposer les enfants chez leurs grands-parents dans l’avant-midi, nous sommes rentrés, nous avons dinés, nous avons préparés des lunchs pour le souper, nous avons préparés nos bagages, et nous sommes embarqués dans le Station Wagon de Roger que je surnommais à juste titre La RouilleMobile.

Alors que l’on prend la route, je constate un truc qui m’avait échappé jusque-là. Quelques années plus tôt, à l’époque où je travaillais comme pâtissier au Dunkin Donuts, incluant la courte période où j’ai travaillé à deux de leurs succursales simultanément, l’un de jour et l’autre de nuit, jamais je n’aurais eu le temps et encore moins l’argent de me payer ne serait-ce qu’une fin de semaine de vacances dans un terrain de camping. Je me souviens très bien qu’au bout du mois, dès que mes obligations étaient payées, c’est-à-dire le loyer, l’électricité, le chauffage au gaz, le téléphone et la nourriture, il ne me restait que $9.00.  Même pas de quoi se payer un repas pour deux au McDo.

En tombant enceinte, Kim a eu automatiquement le droit de lâcher son travail, puis de demander et obtenir des prestations mensuelles de BS. J’avais donc deux choix :

  • Continuer de travailler comme un malade, donc continuer à ne pas avoir de vie tout en réussissant à tout juste survivre en couvrant mes besoins de base.
  • Ou aller aménager avec Kim en tant que conjoint officiel.  Étant déjà officiellement le père de son enfant, je serais automatiquement accepté dans son dossier et son chèque, et on vivrait sur des prestations gouvernementales. Prestations qui non seulement nous rapportent plus que deux salaires, et plusieurs soins médicaux importants, comme nos traitements dentaires, sont gratuits.

Un gars a beau être vaillant et avoir de l’orgueil, il vient un temps où il n’a pas le choix de constater que la société ne fait rien pour l’encourager à travailler, s’il n’a pas les diplômes requis pour pouvoir occuper un poste qui paie plus que le salaire minimum. J’en arrive donc à l’aberrante-quoique-réaliste conclusion comme quoi dans notre société, si tu veux jouir de ta liberté tout en étant à l’abri du besoin, il faut être ou bien très riche ou bien très pauvre. Ce sont ceux qui sont entre les deux, les gens [tra]vaillants, qui se retrouvent perdants dans ce système. (Ça a probablement changé depuis, mais c’était comme ça en 1995.) 

Après une heure et demie de route, nous sommes arrivés au Camping Chez Roger. Aucun rapport avec l’autre Roger, ce n’était qu’une coïncidence. Il s’agit d’un terrain de camping où l’on retrouve à la fois des gens installés en permanence pour la saison, et des terrains vides pour location. Ils sont répartis tout autour d’un lac artificiel.

On nous loue un terrain de l’autre côté du lac. On s’y rend et on s’y stationne. Le terrain comporte deux arbres, un cercle de pierres pour feu de camp, une table de pique-nique, un robinet d’eau potable et deux prises de courant. On sort nos affaires et on installe nos deux tentes.

Tandis que Roger s’en va sur les terrains voisins afin de renouer avec de vieilles connaissances, Linda, Kim et moi partons explorer l’endroit. Il y a le quartier des tentes où nous sommes installés, suivi du quartier des tentes-roulottes, tous deux réservés pour les vacanciers de passage. Puis il y a le quartier des résidents permanents pour la saison, où s’enlignent bungalows, petits chalets et maisons mobiles. On débouche sur un terrain de jeux avec balançoires, carrés de sable, glissades, cages et autres trucs propres à amuser les enfants et les inciter à s’y casser la gueule par accident. Puis il y a un mini-putt. Deux, en fait : Un pour les touristes et les jeunes, et l’autre pour les vieux et les permanents qui prennent leur jeu au sérieux et ont zéro tolérance pour la présence des touristes et des jeunes.

Puis arrive la partie boisée, qui finit par nous amener de l’autre côté du lac, là où il y a la plage de terre jaune sablonneuse, plusieurs tables de pique-nique, la longue bâtisse qui sert à la fois de douches, toilettes publiques, cantine-resto, salle de danse, magasin général et bureaux de l’administration. Nous y entrons. Linda achète une bière tablette, tout en devant expliquer à la caissière qu’il s’agit tout simplement d’une bière laissée à température pièce. Kim s’en prend une au frigo. Quant à moi, je choisis une canette de Coke Classique. Avec un petit sourire moqueur, Linda me dit :

« Un Coke? Wow! T’as-tu douze ans? Quand-est-ce que tu vas faire un homme de toi? »

Bien que dite sur le ton de la blague, cette remarque n’en exprime pas moins le mépris que Linda porte contre tous ceux qui ne partagent pas ses goûts et son style de vie. Aussi, sur le même ton blagueur, je lui réplique moi-même ma façon de penser :

« Ben, étant donné que je suis père deux fois, et que je n’ai jamais abandonné la mère de mes enfants, je pense que ça fait au moins deux ans que je prouve que j’en suis un. »

J’ai songé à rajouter « Contrairement à la majorité des gars que tu fréquentes, incluant le vrai père de ta fille, qui, EUX, boivent de l’alcool. », mais je crois que ce serait superflu.  Mon message est passé.  Subtilement, en sous-entendu, mais il est passé.  La raison pourquoi je ne réponds pas directement à ses affronts, c’est que notre séjour commence à peine. Il serait donc assez malvenu de ma part de foutre une mauvaise ambiance entre nous dès le départ.  Sans oublier que, techniquement, nous sommes ses invités.  Je me satisfais donc de ma première réplique.

C’est sûr que j’aurais pu lui dire la vérité, c’est-à-dire lui expliquer que non seulement n’ai-je jamais aimé le goût de la bière, ça coûte de deux à trois fois plus cher que toute autre boisson sans alcool. Pourquoi est-ce que je ferais exprès de payer plus cher une consommation qui me serait désagréable au goût? Et puisque je suis ici pour m’amuser, je préfère le stimulant que me procure le sucre du Coke, au relaxant que me procurerait l’alcool. Mais bon, pourquoi est-ce que je devrais me justifier de mon choix de rafraîchissement, surtout s’il n’est ni illégal ni immoral, et surtout à elle?

Nous allons nous installer sur une table de pique-nique près de la plage.  Tandis que Kim et Linda jasent, je regarde les gens autour.  Je constate que les vacanciers, aussi bien permanents que de passage, sont de fiers représentants du Québécois pure-laine dans son terroir: Rien que des blancs.  Presque tous les adultes boivent de la bière et/ou fument, et pas toujours du tabac.  Seuls les moins de 25 ans sont minces, les autres ont un physique qui va de légèrement ventru à obèse morbide.  Beaucoup de gens qui sont dans mon groupe d’âge portent encore la moustache et la coupe Longueuil, comme s’ils ne s’étaient pas rendus compte que la mode avait évoluée ces dix dernières années.   Se berçant plus loin, il y a plusieurs vieilles et grosses madames qui, cigarette à la gueule et bière à la main, se font bronzer dans leurs maillots d’où débordent leurs chairs flasques et tachetées par des années d’exposition au soleil.  

« C’est quelle p’tite salope, que tu regardes fixement d’même? »

Cette question que m’adresse Kim ne me surprends pas.  Elle s’est toujours montrée aussi possessive que soupçonneuse.  De la main, je lui montre la grappe de grands-mères huilées qui bronzent en lui donnant une réponse en mesure de la satisfaire.

« À l’âge qu’elles sont rendues, ça fait ben longtemps qu’elles ne sont plus ni petites ni salopes. »
« Fais attention! »
Dit Linda en s’adressant à Kim. « Ton chum commence à reluquer les p’tites vieilles. »
« Ça m’surprends pas!  Y’é tellement obsédé sexuel que pour lui, un trou, c’t’un trou! »

Commentaire totalement gratuit qui ne reflète en rien mon comportement et encore moins ma personnalité.  Mais s’il fallait que je réplique à chaque fois que Kim dit une vacherie injustifiée à mon sujet en ma présence, on passerait nos journées entières à s’engueuler.  Voilà pourquoi j’endure et me tais.  Il faut dire que l’endroit est joli, les gens ont l’air sympathique, les champs et les bois m’enchantent en me rappelant mon enfance à Saint-Hilaire, loin de la grande ville. Alors si je continue ainsi à contourner les remarques désobligeantes de Kim et Linda, et que je ne fais rien pour provoquer les crises de jalousies possessives de Kim, je sens que je vais passer un séjour agréable.

Alors que le soleil se couche, nous rentrons au terrain.  Roger y est déjà, avec une caisse de 24 bières.  Il nous en offre, je décline poliment.  J’allume un feu tandis que Linda branche sa radio et l’accroche à une branche d’arbre.  Nous nous assoyons autour du feu et commençons à jaser.  Je donne mes impressions sur l’endroit, qui sont toutes positives.  Nous sommes interrompus par la mégère du terrain voisin qui se plaint que notre feu l’enfume.  

« J’ai pas payé pour me faire gâcher ma semaine à devoir endurer la boucane des autres. »

Linda, ne manquant jamais une opportunité de me faire mal paraître, me pointe du doigt en disant:

« Ben là, c’pas d’notre faute.  C’est lui qui tenait à faire du feu. »

Puisque techniquement c’est vrai, j’encaisse l’humiliation en silence. Sans avoir de contenant afin d’amener l’eau du robinet jusqu’au feu, me voilà obligé de devoir l’éteindre en sacrifiant ma réserve de quatre litres d’eau.  J’en serai quitte pour boire au robinet pendant notre séjour.  Sans feu ni distractions ni rien d’autre à faire, on entre chacun dans nos tentes et on se couche.

Kim, qui n’a pas une once de subtilité, m’empoigne aussitôt l’entre-jambe afin de me passer le message comme quoi elle a envie de sexe. On commence donc à se cajoler.  Mais au bout de quelques minutes, en provenance de l’autre tente, on entend des cris et gémissements que l’on pourrait croire être tirés de la trame sonore de films pornos. Sauf que l’on reconnait clairement les voix de Linda et Roger. Voilà qui confirme ce que l’on croyait à leur sujet.  L’image mentale que je me fais de ces deux-là en pleine séance de awignahan me dégoûte un peu, je dois dire. Mais je n’ai pas le temps d’exprimer la chose à Kim qu’elle me lâche et me tourne le dos.

« Euh… Y’a un problème? »
« J’ai pas envie que tu me fourres juste pass’que tu tu bandes à cause des cris de salope à Linda. »

Et voilà! Même sans avoir fait quoi que ce soit pour provoquer la jalousie de Kim, je n’y ai pas échappé. Je pousse un soupir, me retourne et m’endors sous le tap-tap des gouttes de pluies qui commencent à tomber sur la tente.

FIN DE LA PREMIÈRE JOURNÉE
La suite demain.

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