Récemment, l’acteur américain Will Wheaton a raconté comment il a été contacté par le Huffington Post qui voulait republier l’un de ses vieux billets de blog. Will leur a demandé combien ils comptaient le payer. Ils ont répondu qu’ils ne le paieraient pas, mais qu’il pourrait profiter de l’énorme publicité que lui rapportera d’être publié sur leur page. Will les a donc envoyé paitre.
Des histoires comme celles-là, j’en ai vu des dizaines. J’en ai moi-même vécu une personnellement en 2009. À ce moment-là, je vendais mes services comme caricaturiste chibi. Voici un exemple de mon travail :
Puisque c’était facile et rapide à faire, et que ce n’était qu’une image virtuelle, je ne chargeais que $10.00 pour le visage, et $15.00 pour le corps au complet. J’ai eu l’idée de m’associer avec un site de rencontres en leur faisant une proposition d’affaires: J’offre mes services sur leur site, et en échange je leur verse 15% de mes gains. Ce qui suit est un résumé des quelques heures qu’ont duré notre négociation:
EUX: D’accord, on accepte. On va commencer en te faisant nous-mêmes une commande. Peux-tu faire un chibi, corps complet, pour chacun des 20 membres du staff?
MOI: Bien sûr! 20 chibis à $15.00, ça fera $300.00.
EUX: Non! C’est beaucoup trop cher.
MOI: Oh, oui, désolé, j’ai oublié de tenir compte du 15% qui vous revient. Ça fera donc $255.00.
EUX: On ne peut pas payer ça.
MOI: Bon, d’accord, puisque c’est une grosse commande, et que nous allons être collègues, je veux bien vous accorder un rabais. Je vais charger comme si ce n’était que les têtes. 20 chibis à $10.00, ça fera $200.00. Moins votre 15%, ça fait $170.00.
EUX: Nous t’offrons plutôt un compte Membre V.I.P. sur notre site pour un an.
MOI: Merci, mais non merci. Premièrement, je suis heureux en couple, je n’ai donc pas besoin d’être membre d’un site de rencontres. Ensuite, votre tarif pour un an V.I.P. est de $87.00, ce qui est très loin de mes tarifs qui sont pourtant bas. Enfin, soyons franc, faire de moi membre V.I.P. ne vous coûtera que quelques minutes et quelques touches de clavier, donc pas un sou. Mon travail vaut bien plus que ça. Déjà que là, je vous charge presque moitié moins cher qu’à vos membres, je ne peux pas aller plus bas.
EUX: Ok, oublie ça! On va plutôt faire affaire avec un VRAI professionnel. Bonne vie!
Donc, oui, les gens qui tentent de profiter des artistes en les faisant travailler pour rien (et en les insultant lorsque ça ne réussit pas), ça existe. Le Huffington Post et le site de rencontres en sont deux bons exemples. Il est normal de négocier s’il y a divergence entre vos tarifs et leur budget. Mais travailler pour rien? L’artiste professionnel va refuser de telles conditions. Tout travail mérite salaire, et l’art sous toutes ses formes n’est pas une exception.
Hélas, à force de lire ou de vivre de telles histoires, l’artiste a tendance à oublier que les clients potentiels ne sont pas tous des arnaqueurs. Par conséquent, lorsqu’il est sollicité par un client pour un travail, il a tout de suite le réflexe de vouloir découvrir si c’en est un, histoire de l’exposer ensuite comme tel. L’artiste a donc tendance à adopter face au client quatre attitudes totalement non-professionnelles.
ATTITUDE NON-PROFESSIONNELLE No.1: Demander au client combien ça paye.
Imaginez que vous soyez client de McDo, que vous allez au comptoir, et que vous commandez un Trio Big Mac. Est-ce que la personne à la caisse va vous demander « Et combien comptez-vous me payer pour ça? » Non, hein!? Ce ne serait pas très professionnel de sa part. Ben voilà! Un vrai professionnel possède sa propre grille de tarifs pour ses produits et services. Si vous n’en avez pas, comment pouvez-vous prétendre être professionnel?
ATTITUDE NON-PROFESSIONNELLE No.2: Prendre automatiquement le client pour un profiteur, un malhonnête, un con, et le traiter comme tel dès le départ.
Si le client a besoin de vos services, c’est généralement parce qu’il ne connait rien au travail qu’il vous demande. Incluant les prix. Alors ne venez pas vous plaindre s’il vous offre un tarif ridicule, ou « de l’exposition / de la pub gratuite ». C’est normal! Ce n’est pas à lui de savoir ce que votre travail vaut, c’est à vous. Le client n’est ni profiteur ni malhonnête. Il est juste désemparé parce que vous préférez lui poser une question sur un sujet dont il ignore tout plutôt que de le renseigner. Vous lui demandez de créer lui-même votre salaire, pour ensuite en chialer si celui-ci ne répond pas à vos attentes… Des attentes que vous ne lui avez jamais communiquées pour commencer. Comment pouvez-vous agir de la sorte et prétendre être professionnel?
ATTITUDE NON-PROFESSIONNELLE No.3: Faire la leçon au client.
On retrouve sur le net des dizaines de variantes de l’histoire qui suit:
« Un imbécile m’a contacté pour me demander d’être photographe à son mariage. Quand je lui ai demandé combien il comptait me payer, il m’a dit qu’il ne me paierait pas mais que le mariage comptait pas moins de 200 invités, donc que ça allait me donner beaucoup d’exposition auprès de clients potentiels qui allaient voir la qualité de mon travail. Je lui ai demandé ce qu’il faisait dans la vie. Il m’a dit qu’il était propriétaire de restaurant. Je lui ai alors dit que je comptais me marier bientôt et que j’aimerais retenir ses services afin de fournir la nourriture pour mes 200 invités. J’ai rajouté que je ne pourrai pas le payer mais que ça allait lui donner beaucoup d’exposition auprès de clients potentiels qui allaient voir la qualité de son travail. L’imbécile m’a dit que ce n’est pas comme ça que ça marche et que de toutes façons il ne peut pas se permettre de travailler pour rien, ni de donner ses produit gratuitement. Je lui ai répondu EXACTEMENT COMME MOI, IMBÉCILE! »
Excusez-moi, mais… Est-ce que ça ne serait-ce pas plus simple, plus rapide et beaucoup plus efficace de plutôt répondre ceci :
Bonjour.
Je suis photographe professionnel depuis X années.
J’ai déjà de l’exposition. La preuve, c’est que sans d’abord me connaître, vous avez appris que j’en suis un.
Comme tous les professionnels, il m’est illégal de faire concurrence à mes collègues en travaillant gratuitement.
Les tarifs standards dans ma profession vont comme suit :
– X dollars de l’heure pour prendre les photos.
– X heures pour les transférer, choisir, reformater, retoucher.
Voici un contrat standard dans ma profession. Pour toutes autres questions, n’hésitez pas à me recontacter.
(Document joint: ContratPhoto.docx)
Voilà qui donne au client l’opportunité de comprendre, de changer d’avis et de vous payer pour vos services. Agir en professionnel afin de se donner la chance d’avoir des contrats payants, ou bien s’assurer de perdre ces contrats potentiels juste pour le plaisir d’insulter autrui. Choisissez selon votre personnalité. N’empêche que si vous choisissez l’option de l’insulte qui vous ferme automatiquement des portes, comment pouvez-vous prétendre être professionnel?
ATTITUDE NON-PROFESSIONNELLE No.4: Ne pas avoir ses propres contrats.
Des fois, le client est lui-même un professionnel, alors il peut fournir un contrat. Mais pour les autres, il faut avoir le notre.
Et en passant, parlant de contrat: Avant d’envoyer paître un client qui vous offre de vous payer en « publicité devant vous rapporter des clients », sachez que le Conseil des Créateurs Californiens vient de créer un contrat exactement pour ce genre d’offre. Ce contrat lie légalement votre client à sa promesse de vous faire de la publicité et de vous rapporter des clients. S’il ne vous fait pas de pub ou si ça ne vous apporte aucun client, alors il ne respecte pas les termes du contrats. Vous pouvez donc légalement le poursuivre pour qu’il vous paye. Vous pouvez vous le télécharger juste ici! Inspirez vous-en pour écrire une version adaptée à vos besoins. Parce que si vous n’avez pas de contrat à offrir à vos clients, comment pouvez-vous prétendre être professionnel?
C’est sûr que quand on est un acteur hollywoodien comme Will Wheaton, on peut se permettre de cracher sur un contrat à $210.00 dans une discipline artistique qui n’est pas la notre. Mais quand on est un artiste qui vit d’accumulations de ce genre de petits contrats, on ne peut pas se permettre d’agir de façon à se fermer des portes. Si, comme lui, le Huffington Post m’avait proposé de reproduire un de mes billets de blog, je leur aurais envoyé mes tarifs. Comme ça, plus tard, s’ils avaient vraiment voulu de mes textes, ils m’auraient recontactés pour négocier une entente de paiement. Pareil pour le restaurateur qui se cherche un photographe. Normal, puisqu’à leurs yeux je serais « celui qui accepte sous certaines conditions » et non pas « celui qui lui a dit NON, qui l’a insulté et qui tente de l’humilier publiquement en salissant sa réputation. »
AJOUT DU 10 MAI 2016:
Et je pratique ce que je prêche: Le 25 mars 2016, le magazine montréalais Urbania m’a contacté en demandant ma collaboration gratuite pour un article payant. J’ai donné mes conditions, ils ont accepté, j’ai écrit l’article, et j’ai été payé. Tous les détails dans ce billet.