Persévérer –VS– s’acharner.
Dans ma jeunesse, on m’a bourré le crâne de belles phrases préfabriquées qui devaient être les clés du succès :
Quand on veut, on peut.
Il ne faut pas se décourager.
Un gagnant ne lâche jamais, un lâche ne gagne jamais.
Il ne faut jamais abandonner.
Si tout le monde me le disait, ça devait être vrai. J’y ai donc cru. À quinze ans, âge où on est généralement portés à rêver d’un travail qui ne sera qu’un passe-temps qui nous rendra riche, j’ai choisi quel sera mon métier : Humoriste. Si je le voulais, je le pouvais. J’avais juste à ne jamais me décourager ni abandonner car si un gagnant ne lâche jamais, un lâche ne gagne jamais, n’est-ce pas!?
De mes quinze à trente-trois ans, j’ai essayé à d’innombrables reprises de devenir humoriste. Tout y est passé : L’École nationale de l’humour, les Lundis des Ha-Ha, Laval qui Rit, les Mard’hilarants, des émissions de variétés à la télé, des spectacles amateurs, des concours… J’ai écrit je ne sais plus combien de monologues sur divers sujets. Après chaque audition, j’étais refusé.
En fait, ce n’est pas tout à fait exact. Pendant ces dix-huit ans d’essai, j’ai été choisi deux fois pour faire partie de spectacles. La première, c’était dans un spectacle de Noël dans lequel les organisateurs n’avaient pas fait passer d’auditions. Ils auraient dû! J’étais tellement mauvais qu’on m’a coupé le micro sur scène au 2/3 de mon monologue.
La seconde fois où j’ai été pris, c’était à Cégeps en Spectacle, lors de mon retour aux études. Cette fois-là j’avais été habile. J’ai changé totalement mon style d’humour et de numéro. Habillé en Rockabilly et guitare à la main, au lieu de parler aux gens, je chantais un pot-pourri de parodies de chanson des années 50. J’ai eu un grand succès, autant à l’audition que lors du spectacle.
À partir de là, j’aurais pu continuer à persévérer car selon toute apparence, j’avais enfin trouvé la formule gagnante. Mais voilà, ça n’était en effet que ça : Une apparence. J’avais payé des musiciens et un studio pour avoir une musique préenregistrée, car je ne suis pas du tout musicien. Comme chanteur, je suis très moyen, avec une voix baryton-basse monotone. Enfin, pour un numéro dans un spectacle de variété, mon truc pouvait passer. Mais jamais je n’aurais pu faire tout un spectacle juste de ça, et encore moins une carrière. Me rendre compte de ceci m’a enfin permis de remettre les pieds sur terre et de quitter cette voie qui était pour moi sans issue.
Une chose qui a influencé ma décision, c’est qu’au début des années 2000, j’ai vu sur le net l’une des plus pertinentes pensées qu’il m’ait été donnée de lire. C’était en anglais mais je vous la traduis : Un lâcheur ne gagne jamais. Un gagnant ne lâche jamais. Mais quand tu ne gagnes jamais et ne lâches jamais, tu es juste stupide.
Et en effet, dans mon cas, voilà longtemps que c’était rendu de la stupidité. Je n’ai réussi à pondre qu’un seul bon numéro en dix-huit ans de travail. Et pour y parvenir, il a fallu que je prétende être deux choses que je ne suis pas : Musicien et chanteur. Ce qui signifie que non seulement je n’avais pas ce qu’il faut pour réussir, même lorsque j’ai réussi je n’avais toujours pas ce qu’il faut.
Je venais de comprendre qu’il y avait une différence entre persévérer et s’acharner. Persévérer, ça permet de réussir dans un domaine qui est à notre portée. Tandis que s’acharner, c’est perdre son temps sur une cause perdue. Il y a des humoristes qui ont eu le temps de démarrer leur carrière, de l’exercer et de prendre leur retraite, dans le temps que ça m’a pris pour ne pas réussir à commencer la mienne.
Le problème, c’est qu’on ne m’avait jamais appris que pour réussir, il ne suffit pas que de vouloir quelque chose. Il faut d’abord avoir ce qu’il faut pour l’obtenir. Même le travail non-artistique qui ne demande aucun talent spécial est soumis à cette règle. Par exemple, il y a sept ans, si j’avais essayé d’obtenir mon boulot actuel, je n’y serais jamais parvenu. J’ai donc commencé au bas de l’échelle : J’ai passé d’artiste à gars de ménage dans un garage de bus. Cette expérience m’a permis de devenir concierge résident. Cette expérience m’a permis de devenir surintendant. Cette expérience m’a permis de devenir employé de bureau.
La différence entre cette réussite qui m’a pris sept ans, et mes dix-huit ans d’échecs dans l’humour? C’est que cette fois, j’ai mis ma persévérance au bon endroit, c’est-à-dire dans l’apprentissage. Et j’ai appris des choses qui étaient à ma portée. Je ne pouvais pas apprendre à être drôle, par contre je pouvais apprendre la plomberie, l’électricité, la menuiserie, et le travail de bureau.
Être persévérant –VS– être harceleur.
S’il y a un sujet dans lequel la persévérance n’a pas sa place, c’est dans le cliché fort répandu où un homme poursuit une femme qui ne s’intéresse pas à lui. Voilà bien longtemps que je ne suis plus un téléspectateur, mais je me souviens que cette aberration était utilisée beaucoup trop souvent dans les séries, en particulier dans les comédies.
Que ce soit dans Family Matters dans les années 80, Friends dans les années 90 ou The Big Bang Theory dans les années 2000, on nous y montrait sans cesse que pour obtenir la fille, l’homme doit juste faire preuve de persévérance. Ils ont beau ne rien avoir en commun, elle a beau ne pas être attirée par lui, ça n’a aucune importance. Tout ce qui compte, c’est qu’elle soit belle et gentille. Ça fait d’elle le but à obtenir, le prix à gagner, le trophée de la vie de ce gars-là. Peu importe le nombre de saisons qu’il y mettra, il finira par l’avoir à l’usure. Et, chose extrêmement rare dans la vraie vie mais constante à la télé, elle en tombera profondément amoureuse après des années de fréquentation en tant que simples amis platoniques.
Mais voilà, dans la vraie vie, ça ne marche pas comme ça. Une personne, ce n’est pas une chose. Par conséquent, elle ne doit jamais être un but. Et pour être franc, le concept même de la séduction, c’est quelque chose qui n’est pas naturel. Faire l’effort de séduire quelqu’un, c’est utiliser des ruses calculées dans le but de lui donner l’illusion que vous êtes la personne qui lui convient. Tandis que si vous avez de vraies affinités, alors là vous serez attirés l’un par l’autre tout naturellement. Et cette attirance-là ne sera jamais à sens unique.
Évidemment, ça n’empêche en rien de faire les premiers pas quand le rapprochement n’est ni instantané ni mutuel. Par exemple, en 2013, j’ai rencontré Flavie. Mignonne, artiste, ex-mannequin, de 20 ans ma cadette. Nous avions beaucoup en commun alors nous sommes vite devenus amis et on se voyait plusieurs fois par semaine. Plus je la connaissais, plus je la trouvais intéressante. Alors à la fin de la 3e semaine de fréquentation, j’ai tenté ma chance. Devant mes avances, elle a reculé. J’ai alors arrêté et j’ai fait machine arrière. Je lui ai fait mes excuses, lui disant que j’avais cru voir dans ses gestes et paroles quelque chose qui n’y était pas. Mais que c’était mon erreur et non la sienne. Elle a compris et la relation a continué dans la même atmosphère de grande amitié qu’elle avait eue jusque-là.
(Deux semaines plus tard, Flavie changeait d’idée à mon sujet et m’a fait sa déclaration d’amour. Et ça, c’est quelque chose qui ne serait pas arrivé si j’avais persévéré à la harceler.)
Il ne suffit pas de savoir faire la différence entre la persévérance et l’acharnement et/ou le harcèlement. Il faut aussi être capable de faire la différence entre le découragement et le bon sens. Abandonner face à une cause perdue, ce n’est pas un signe de lâcheté. C’est faire preuve d’intelligence et de logique.