C’est au cégep en 1996 que j’ai rencontré Salomé, alors qu’elle était venue porter un article au Vox Populi, le journal étudiant du cégep André Laurendeau.
Salomé, c’était une personnalité chaleureuse, la beauté de Britney Spears à ses débuts, le look neo-gothique de Morticia Addams, et le côté candide de Nathalie Simard à l’époque où elle chantait pour les enfants. Bref, une irrésistible combinaison de charme mystérieux et de simplicité qui fait que l’on recherche sa présence. Elle avait ce don de pouvoir donner à chacun de nous l’impression que l’on est quelqu’un de spécial pour elle.
Comme ce fut le cas pour la majorité de mes relations, ce n’est qu’à partir du moment où je me suis rendu compte que cette fille s’intéressait à moi que je me suis dit pourquoi pas?, et que j’ai commencé à sortir avec. Je venais de terminer une série de relations assez éprouvantes, et bien que je commençais à être blasé du couple, Salomé semblait être une amélioration sur mes ex sur tous les points. Malheureusement, j’ai appris à la dure que ce n’est pas parce qu’elle n’a pas les mêmes défauts que les autres que ça signifie pour autant qu’elle n’en a aucun.
Les deux premières semaines de notre relation de couple, elle était câline et affectueuse. Puis, du jour au lendemain, soit au début de la 3e semaine, elle est soudainement devenue froide et distante. Elle qui insistait pour m’accompagner jusqu’à la porte de ma classe, même quand mon cour était au 6e étage, voila qu’elle ne me suivait plus nulle part. Elle qui était toujours en contact physique avec moi d’une façon ou d’une autre, voila qu’elle prenait maintenant ses distances lorsque l’on était dans la même pièce, en se tenant juste assez loin pour être hors de ma portée, mais pas assez loin pour être obligée de regarder en ma direction. Pour ce qui est des baisers, le visage de porcelaine qu’elle m’offrait quand je l’approchais était loin des gros french-kiss passionnés qu’elle me donnait la veille.
Rendu à la fin du 2e jour de froideur, je me suis rendu à l’évidence. Je suis peut-être naïf mais chu pas cave, quand même. Je sais reconnaître les signes quand quelqu’un se désintéresse de moi. Je me considère comme étant une personne réfléchie et raisonnable. Aussi ais-je décidé que ça ne valait pas la peine de faire un drame avec ça. Je suis donc allé la voir et lui ai dit que j’avais remarqué le changement dans son comportement. Je lui ai dit que j’étais compréhensif et ben open, et que si pour des raisons personnelles elle n’avait plus envie qu’on continue à sortir ensemble, elle avait juste à me le dire. Même pas besoin de se justifier. Elle a juste à dire qu’on peut en rester là, je serais ben cool avec ça, et la relation va juste redevenir aussi amicale qu’avant qu’on sorte ensemble, c’est tout. Elle me rassure que tout va bien entre nous, c’est juste qu’elle est peut-être un peu fatiguée et stressée en rapport à ses travaux de mi-session. Pour le reste, elle me dit que c’est juste dans ma tête. D’accord! Me voilà rassuré.
Cependant, plus les jours passent et plus elle s’éloigne de moi. Alors qu’avant elle me disait que nous irions à un party, une sortie en gang au bar ou au cinéma, voilà qu’elle me disait qu’elle irait à un party, qu‘elle sortira au bar, qu’elle ira au cinéma. Je lui ai de nouveau offert une porte de sortie, mais elle m’a dit de nouveau que j’avais pas à m’inquiéter, qu’elle était bien avec moi.
Et moi je me torturais avec ça, je me demandais comment faire pour améliorer la situation entre elle et moi. Puisqu’elle disait encore m’aimer, je me devais de faire quelque chose pour sauver notre couple. Or, quand je faisais de quoi, je me rendais compte que je lui tapais sur les nerfs, ce qui ne pouvait que l’inciter à s’éloigner. Et quand je ne faisais rien, je la voyais s’éloigner et je craignais qu’elle s’imagine que je me fous d’elle et de notre relation. Quoi que je fasse, j’empirais notre cas. Cette situation sans issue me hantait l’esprit à toute heure du jour, du soir et de la nuit. Vivre sous le stress constant d’être dans une situation qui s’acharnait à vouloir rester brumeuse, c’était rendu invivable. C’est sûr que je pouvais mettre fin à mes tourments en mettant fin à notre relation. Mais elle disait m’aimer encore, je ne pouvais donc pas prendre le risque de ruiner notre bonheur si, comme elle disait, c’était juste dans ma tête. La 3e semaine de ma relation avec elle en fut donc une de souffrance morale, affective et psychologique.
Ce que je ne savais pas, c’est que je me torturais l’esprit absolument pour rien. En vérité, elle n’avait plus aucun amour pour moi. Notre couple n’existait plus. Je me cassais la tête jour et nuit en pure perte à vouloir tout faire pour arranger un problème qui n’existait même pas, tout ça parce qu’elle m’induisait en erreur en me faisant croire que nous étions toujours un couple amoureux.
Vous savez comment j’ai appris que je ne sortais plus avec Salomé, malgré ce qu’elle me disait pour me rassurer du contraire? Une amie commune qui me voyait souffrir et désespérer de trouver une solution a eu pitié de moi. Elle m’a révélé que Salomé sortait avec un gars nommé Jacob depuis une semaine. Elle avait rencontré ce gars là à un party où je n’avais pas pu aller à cause de la présence de Geneviève, ex blonde à moi, et future coloc de l’enfer. Et c’est en effet le lendemain de cette soirée que l’attitude de Salomé envers moi a passé d’un extrême à l’autre.
J’en suis tombé sur le cul. Bouche bée. Atterré. Aberré.
Que Salomé ne veuille plus sortir avec moi, je pouvais vivre avec cette idée. Qu’elle sorte avec un autre gars, passe encore. Mais là, pouvez-vous seulement vous imaginer la frustration que je ressentais? Il y a tellement de gars qui sont jaloux, qui réagissent avec violence, qui s’arrangent pour que la fille se sente mal à l’aise, qu’elle culpabilise, lorsqu’elle veut mettre fin à la relation… Moi, je prends la peine d’être ouvert d’esprit, d’être cool et compréhensif, et même de lui offrir une porte de sortie afin de lui éviter ça, non pas une mais bien deux fois. Et qu’est-ce que ça m’a donné? RIEN! Je continue à me faire mentir dans ma face et induire en erreur. Comprenez-moi, je ne prétends pas être un saint. Comme tout le monde, je n’aime pas le feeling d’être mis de côté. Alors si en plus je fais l’effort d’être raisonnable et compréhensif, c’est extrêmement frustrant de me faire traiter comme si ce n’était pas le cas.
Ayant pris quelques heures pour décompresser, je ne suis souvenu que ce n’est pas la première fois qu’un truc pareil m’arrive. Car en effet, j’ai déjà vécu quelque chose de très semblable avec Nathalie en 1989. Fort de cette expérience et ne voulant pas répéter les mêmes erreurs qu’à l’époque, j’ai pris le temps de réfléchir. J’en suis venu à la conclusion que si Salomé n’a jamais cessé de nier son détachement jusqu’à maintenant, alors même la preuve de son infidélité ne serait pas suffisant pour le lui faire admettre. Je lui ai donc donné ce qu’elle espérait de moi: Une rupture où elle s’en sort clean. Je lui ai écrit une lettre dans lequel j’explique que je ne me sens pas trop bien dans cette relation, probablement parce que je ne me suis pas laissé le temps de récupérer de celle d’avec mon ex, et que j’aimerais mieux en rester là. Elle s’est montrée très compréhensive, me disant que si c’est ce que je veux vraiment, alors elle ne peut pas me forcer à rester en couple avec elle. Trop aimable!
Elle m’a aussi confié qu’avant moi, elle aussi sortait d’une longue relation qui a duré quatre ans avec son premier chum, que les dernières années furent pénibles, et qu’elle aurait aussi besoin de se retrouver seule sans relations pour un bout de temps. Cette séparation ne pourrait donc que nous faire du bien à tous les deux. J’ai passé à deux doigts de lui dire de cesser ses menteries parce que je savais au sujet de Jacob, mais bon, puisqu’on est obligé de se revoir, inutile d’envenimer la situation. J’avais déjà bien assez de Geneviève qui s’était approprié mes amis du Vox et qui s’arrangeait pour m’en isoler en leur disant que comme je suis son ex, elle se sent mal à l’aise en ma présence. Voilà pourquoi je ne suis plus invité dans les partys et autres activités en gang. La dernière chose dont j’ai besoin, c’est d’une ex de plus pour se mettre entre moi et ma vie sociale.
Deux semaines plus tard, j’ai quand même révélé à Salomé que je savais au sujet de son nouveau chum Jacob, du party où elle l’a rencontré, et que c’est pour ça que j’ai cassé avec elle. Je tenais à le lui préciser afin de lui démontrer que quand je lui ai dit que je serais cool et compréhensif advenant une rupture, c’était sincère. Une chose me tracassait cependant: Pourquoi n’a t’elle pas pris les portes de sortie que je lui donnais pour rompre avec moi à ce moment là? Sa réponse:
ELLE: Ben là! Tu présentais ça comme si je voulais casser avec toi.
MOI: Euh… C’était pourtant le cas, non?
ELLE: C’est parce que je ne peux pas supporter d’être celle qui repousse l’autre. Ça me donne le rôle de la méchante. C’est pour ça que je préfère que ce soit le gars qui casse de lui-même.
Eh ben! Ça valait bien la peine d’être patient et compréhensif envers elle. C’est justement à cause de ça que j’endurais de terribles souffrances, au lieu de l’envoyer promener dès le début comme l’aurait fait n’importe quel gars normalement impatient et incompréhensif. Je suppose que des fois ça ne sert à rien d’aller à l’encontre de l’image masculine. Quoi que tu fasses, il y a des filles ne verront jamais autre chose de toi que ce dont elles s’attendent d’un gars. Mon père s’est toujours attendu à ce que je devienne un délinquant comme tous les adolescents, j’ai donc été traité comme tel même si ça n’a jamais été le cas. Mon ex et mère de mes enfants s’attendait à ce que je la trompe comme tous les gars qu’elle avait connu, j’ai donc eu à subir ses crises de jalousie et ses soupçons non-mérités pendant cinq ans. Dois-je être surpris que Salomé ait essayé de prévoir ma réaction en tenant compte du fait que je suis un gars, et non du fait que j’étais moi?
Toujours est-il que, puisque nous nous tenions avec la même gang au cégep, et qu’elle était redevenue avec moi aussi amicale qu’avant notre courte histoire de couple, je n’ai eu aucun problème à devenir bon ami proche avec elle. Ça m’a permis de voir un côté d’elle qui était à des millions de kilomètres de ce qu’elle me disait être, les premiers temps.
Voyez-vous, ma courte relation de deux semaines avec Salomé a été platonique. Elle m’avait confié à ce moment là avoir le sexe en horreur, sous toutes ses formes, et la seule chose qui pourrait peut-être l’allumer, ce serait de faire ça sur l’autel d’une église, ou alors dans un cimetière, sur une tombe fraîchement creusée, à minuit. Encore faudrait-il qu’elle sorte avec un gars pendant quelques années avant de se sentir assez à l’aise pour passer à l’étape sexuelle avec lui. Et encore, pas question de sexe oral ou autres pratiques perverses qui ne seraient pas l’acte en lui-même. Ayant tout de même du respect pour les lieux de culte, j’ai vite mis une croix sur l’église. Quant au cimetière, on était rendu vers la fin de novembre, alors de ce côté là aussi ça semblait mort. Étrangement, malgré tout ça, durant les six mois qui ont suivi notre rupture, elle a sorti et/ou couché avec sept gars sans qu’église ou cimetière n’y soit mêlé, et ne se gênait pas pour m’en parler. Normal: Puisque j’étais le seul de ses ex à lui parler encore, et puisque le côté amour et sexe n’avait rien donné entre nous, j’avais tout ce qu’il faut pour devenir son meilleur ami de gars. Mieux encore: son complice. C’est en tant que tel que j’ai commis l’erreur de l’introduire dans mon univers, celui hors du cégep, en avril 1997.
À l’époque, j’étais auteur de bande dessinée underground, et bien que ma production avait beaucoup ralenti depuis mon retour aux études, j’avais encore de bon contacts avec le milieu. Un de mes amis, Paul, réalisait des vidéoclips pour des bands de musique amateurs en plus d’être auteur de bandes dessinées. Il déplorait le fait qu’il lui était toujours difficile de trouver des filles au look potable qui seraient à la fois naturelles, sexy, sauraient bien danser, ne seraient pas dérangées par l’idée d’embrasser une autre fille devant la caméra, et accepteraient de faire ça gratuitement. Il se trouve que Salomé possédait toutes ces caractéristiques. J’introduis donc Salomé à Paul.
Puisque Paul avait des connections avec plusieurs bands amateurs montréalais, Salomé y a vu une opportunité à exploiter. Elle a fait son numéro de charme à Paul, et moins de quarante-huit heures plus tard, ils sortaient tous les deux ensemble. Le pauvre gars vivait sur un nuage. Jamais, de toute sa vie, il n’aurait pu imaginer qu’une telle fille puisse s’intéresser à un gars comme lui. Leur relation a également duré trois semaines. Durant cette période, tout en restant platonique avec Paul, Salomé à fréquenté et baisé deux autres gars, des musiciens pour lequel Paul travaillait bénévolement à leurs clips. J’étais scandalisé par son attitude, surtout qu’elle me mettait moralement dans une impasse. Devrais-je laisser Paul vivre un mensonge, ce qui équivalait à me rendre complice par mon silence, ou bien risquer mon amitié avec Salomé et ainsi risquer ma relation avec toute ma vie sociale dont elle faisait partie?
Je n’allais pas devoir vivre avec ce dilemme longtemps. En mai 97, l’anniversaire de Salomé approchait à grand pas, et Paul n’était que trop heureux de pouvoir démontrer à Salomé combien il l’appréciait, en lui organisant une super soirée d’anniversaire. D’abord, il l’inviterait au resto, ensuite ils se rendraient au bar Les Deux Poireaux dans le vieux Montréal, où les attendraient une grosse gang composée d’amis musiciens de Paul, de gens du cégep, du monde de la BD underground, ainsi que quelques amis de Salomé. Dès qu’ils furent arrivés, on a tous passé à table et Salomé a reçu ses cadeaux. Paul est celui qui lui en a le plus donné, d’ailleurs.
C’est là qu’elle m’a démontré à quel point elle pouvait être une égoïste ne ressentant pas la moindre décence ni empathie.
Dès que la distribution de cadeaux fut terminée, Salomé, qui était assise à côté de Paul, a complètement ignoré ce dernier et a entreprit de ne faire la conversation qu’à Simon, un bédéiste qui se trouvait assis en face d’elle. Au fil des heures, je me sentais mal en voyant la détresse de Paul qui augmentait à mesure qu’il se rendait compte de l’attitude de Salomé envers lui. Tout le long de la soirée, elle n’a pas lâché Simon, ne parlant qu’avec lui, l’accompagnant partout où il allait, que ce soit à la table de pool, jusque devant la porte des toilettes pour hommes. Pendant ce temps là, ce pauvre Paul ressentait une angoisse qui se traduisait par un malaise physique au niveau de la poitrine, comme si une main géante lui compressait la cage thoracique. Je connaissais trop bien cette douleur morale et physique pour l’avoir moi-même ressentie lors de ma 3e semaine avec Salomé. Qu’elle ne s’intéresse plus à Paul, passe toujours, mais lui faire ce coup-là, en public, le soir même où il avait tant fait pour elle, ça me dégoûtait. Mais voilà, ayant déjà appris à la dure ce qui arrivait lorsque l’on signifiait notre désapprobation sur le comportement immoral d’une fille, je ne voulais pas mettre en jeu le peu de vie sociale que j’avais encore. Je me suis donc mêlé de mes affaires.
Le lendemain, un dimanche, j’ai accepté d’héberger Salomé et Simon chez moi dans mon 1½, aux résidences étudiante. Ils ont passé la soirée ensemble au centre-ville et ils ont tous les deux raté le dernier bus vers chez leurs parents respectifs sur la Rive Nord. De plus, elle avait un cour au cégep le lendemain matin. Le fait que j’habite aux résidences étudiantes était donc très pratique pour elle.
Puisqu’ils étaient maintenant un couple, il me semblait normal de leur laisser mon lit et de m’installer par terre. J’éprouve quelques difficultés à m’endormir rapport à la dureté du plancher. Au bout d’un quart d’heure, à la recherche d’une position confortable, je me retourne, visage face à mon lit. C’est là que j’ai droit à une sacrée surprise: Malgré la pénombre et le fait que j’aie enlevé mes verres de contact, je distingue parfaitement Salomé, à quatre pattes, en train de tailler une pipe à un Simon couché sur le dos. Au bout de quelques minutes, cette chère Salomé qui était tellement dégoûtée à l’idée du sexe oral lorsqu’elle sortait avec moi, n’a pas hésité à le faire jouir dans sa bouche en avalant.
À peine plus de vingt-quatre heures après avoir commencé leur relation.
Dans mon lit.
Avec moi à côté.
Incroyable!
Je referme les yeux, en constatant que c’est une bonne chose que je n’ai jamais eu le temps de vraiment tomber en amour avec cette fille, parce que je crois pas qu’il pourrait exister une situation plus choquante, frustrante et humiliante pour un ex. Bah, en tant que complice, au moins je pouvais me dire que j’étais à l’abri de ses magouilles. De toutes façons, Salomé allait m’avouer candidement les jours suivants qu’elle avait réalisé qu’elle avait peut-être un peu perdu le contrôle de ses relations ces derniers temps, mais que dès qu’elle avait rencontré Simon, elle avait su à ce moment là qu’il était le gars pour lui. L’unique. Le vrai. De son côté, Simon me confia que jamais de toute sa vie il n’aurait pu imaginer qu’une telle fille puisse s’intéresser à un gars comme lui. Avoir su, il ne se serait pas payé une pute pour se débarrasser de sa virginité il y a moins d’un an de ça.
À la fin des années 90, je jouissais d’une bonne réputation en tant qu’un des auteurs les plus populaires de la BD underground montréalaise. Un article nommé Le Phénomène de la BD Alternative publié dans La Presse du dimanche 23 mars 1997 le disait d’ailleurs en ces termes: Les fanzines de BD les plus populaires sont Liliane, Dirty plotte Requin Roll et Longshot Comics […] En février 98, après plus d’un an à travailler dessus sur mes temps libres, j’avais enfin terminé Requin Roll #7, une publication de cinquante-six pages de textes, articles et bandes dessinées de mon cru. Et qu’est-ce que j’avais en photo de page couverture? Salomé qui embrassait goulûment une autre fille. Les deux tenaient dans leur main un vieux numéro de Requin Roll. Salomé y disait: « Lire Requin Roll a fait de moi une vilaine fille. » L’autre répondait: « Moi, j’en étais déjà une. » Une photo qu’elle n’a été que trop heureuse de prendre en sachant quelle allait faire la couverture d’une publication.
Salomé pouvait se montrer très gentille, utile et dévouée. Malheureusement, je me rendais toujours compte plus tard que ça cachait des intentions de gains personnels. Par exemple, pour la sortie de Requin Roll #7, elle m’a proposé d’organiser elle-même un lancement dans un bar, et elle allait s’occuper de tout. J’ai accepté. Une semaine plus tard, elle a le plaisir de m’annoncer qu’elle a contacté plein de médias à ce sujet, et que l’émission de télé La Fin du Monde est à 7 Heures veut en faire un reportage.
Le lendemain, elle me demande si ça me dérange si elle en profite pour lancer son propre fanzine, Le Meurtrier aux Béquilles. Salomé ne sait pas dessiner, alors elle a tout simplement découpé des images d’un photo-roman italien dont elle a changé les paroles, et refait la mise en page. Bah, après le service qu’elle venait de me rendre, je lui devais bien ça. J’accepte.
Le lendemain, elle me demande si ce serait ok avec moi si Simon en profitait pour lancer Professeur Désastre, un petit recueil de vieilles BD à lui, rassemblées sous une nouvelle couverture. Bon, puisque c’est son chum, j’imagine que ça pourrait aller.
Mais le lendemain encore, ce fut Jean, le meilleur ami de Simon qui avait aussi de quoi à lancer, et avant que j’aie eu le temps de me rendre compte de ce qui se passait, nous étions rendus une dizaine à lancer nos fanzines. Mon lancement personnel était devenu un événement collectif où la seule raison pourquoi ma publication et moi étions en tête de l’affiche, c’est parce que j’étais le plus connu, tous les autres n’ayant jamais été publiés ailleurs que dans le journal étudiant du Cégep du Vieux Montréal. … Ça, et le fait que c’est moi qui faisait les affiches.
Je me suis vraiment rendu compte que j’avais été écarté du spotlight lorsque Salomé m’appela pour m’inviter chez Simon, car le reportage se ferait chez lui. Comme c’était elle qui assurait le contact avec le reporter Patrick Masbourian, je suppose que je pouvais me compter chanceux qu’elle daigne m’inclure dans le reportage. Encore heureux que j’avais Salomé en page couverture de ma publication, c’est probablement ça qui m’a permis d’être l’une des trois vedettes du reportage. C’est quand même Simon qui fut traité comme étant le représentant et le sujet principal du lancement. En réalisant ce coup là, Salomé venait de se tailler une jolie place dans le monde de la BD underground en tant que celle qui les faisait sortir de l’ombre. Plus rien ne lui serait refusé de leur part désormais, et elle pourrait jouir d’une grande notoriété parmi eux, en apparaissant dans plusieurs de leurs bandes dessinées pour les années à venir, incluant des apparitions en tant que modèle de personnages pour des comics de Marvel et DC, de la part de ces dessinateurs qui y ont plus tard travaillé.
Il y a cependant des limites à ce que l’on peut tirer d’un milieu de publications où l’impression se fait à la photocopieuse, où la distribution se fait à la main dans une poignée de librairies, et qui ne se rend que rarement au-delà des limites de Montréal. En automne 1998, Salomé mit fin à sa relation avec Simon pour commencer à sortir avec un gars qu’il lui avait présenté, un gars nommé Pierre. Pierre était cofondateur et éditeur du magazine MangaFan, un trimestriel se spécialisant dans la BD et le dessin animé japonais, distribué partout au Canada, aux USA et même dans quelques pays d’Europe. De grande fan et consommatrice de BD underground, Salomé était instantanément devenue grande fan et consommatrice de produits japonais: BD, animés, jouets… Quant à Pierre, ayant trouvé la perle rare qu’il avait toujours espéré, il m’a confié que jamais de toute sa vie il n’aurait pu imaginer qu’une telle fille puisse s’intéresser à un gars comme lui. J’avais comme une sensation de déjà vu.
Pierre n’était que trop heureux de publier des articles de Salomé dans les pages de MangaFan, et de la pavaner à son bras à toutes les conventions, les lancements, les premières, et tout ce que son statut d’éditeur peut rapporter. Cependant, au bout d’un an, elle finit par se rendre compte que toutes les connections de Pierre ne pouvaient pas l’amener plus haut qu’elle était déjà en tant que journaliste pour un magazine diffusé à l’échelle internationale. Malgré la grande popularité de la série Pokémon à ce moment là, le manga n’était encore apprécié que par une minorité de fans à travers le monde. Rien qui puisse permettre à Salomé de sortir de l’ombre. Elle n’avait donc plus aucune raison de rester avec Pierre, hormis le fait qu’elle ne voulait pas retourner habiter chez ses parents hors de Montréal, et que toutes les possessions qu’elle s’était accumulées en logeant chez lui gratos l’obligeraient à se louer un appartement au-dessus de ses moyens pour stocker tout ça.
Se considérant tout de même libre, elle a commencé à faire de l’œil à David. Lui, il connaissait Salomé depuis que je l’avais introduite à la gang de bédéistes qui aidaient Paul à faire ses vidéoclips. David était présent la plupart du temps où Salomé draguait un gars alors qu’elle sortait avec Paul. Il était présent à son party d’anniversaire lorsqu’elle l’a laissé tomber publiquement en draguant Simon. Il l’a vu aussi commencer sa relation avec Pierre, et attendre le moment où elle était sûre de pouvoir aller habiter chez lui avant de partir en coup de vent de chez Simon. Même qu’il lui était arrivé de me dire que les gars sont donc ben naïfs de se laisser prendre aux pièges de Salomé, quand on la voit aller. Pourtant, il n’a fallu à Salomé qu’une conversation, seule avec David chez lui, pour le convaincre qu’elle retrouvait en lui ce qu’elle a toujours recherché chez les autres hommes sans jamais l’avoir trouvé. Lorsque je me suis amusé à rappeler à David ce qu’il me disait de Salomé avant de sortir avec, il m’a répondu un peu gêné:
DAVID: Ben là… Quand j’ai dit ça, c’est parce que que jamais de toute ma vie je n’aurais pu imaginer qu’une telle fille puisse s’intéresser à un gars comme moi.
Ça semble être une constante chez elle. J’avoue que j’ai toujours admiré le fait que Salomé puisse contrôler ses émotions à volonté, comme si son cœur avait un interrupteur on/off. Tant qu’elle pouvait tirer profit d’une relation, elle aimait le gars sans retenue ni modération. Dès qu’il ne pouvait plus rien lui rapporter, elle cessait automatiquement de l’aimer. Avoir eu un tel contrôle sur mes émotions, j’aurais certainement moins souffert dans mes relations.
Étant totalement athée, donc libre de toutes craintes reliées à la punition éternelle, Salomé prenait plaisir à enfreindre toutes les lois de la Bible. Des dix commandements, il n’y en avait qu’un seul qu’elle n’avait encore jamais violé. Tout ce qui lui fallait, c’était une bonne occasion de le faire sans se faire prendre. Le destin allait bientôt lui offrir cette opportunité.
Cette anecdote, je la tiens de la bouche de Pierre lui-même peu de temps après sa rupture avec Salomé. D’abord, il faut savoir que Pierre a un problème cardiaque, donc qu’il a peu d’énergie et s’essouffle rapidement, en plus de souffrir d’embonpoint. Il leur était arrivé par le passé, quand les choses allaient mieux entre eux, de se faire des séances de chatouilles sur leur lit. Salomé en sortait toujours en vainqueur étant donné la faible résistance de Pierre.
Vers la fin de leur relation, après deux semaines à lui faire subir le même genre de torture morale que j’ai eu à subir lors de ma 3e semaine avec elle, elle a décidé de passer à l’action. Après avoir été particulièrement froide avec lui toute une journée, elle est allé le rejoindre au lit et a commencé à le chatouiller. Cette fois, son visage n’était pas enjoué, il était impassible, neutre, sans la moindre émotion, même pas la colère. Cette fois, elle jouait dur. Il avait beau lui dire d’arrêter et d’essayer de la repousser, elle revenait toujours à la charge, jusqu’au moment où elle a réussi à le renverser sur le lit, embarquer sur lui, et lui immobiliser les bras avec ses jambes. Elle a ensuite pris deux oreillers, les a mis sur le visage de Pierre, et a pressé dessus de tout son poids. Malgré sa panique, Pierre était trop épuisé pour se dégager. Il s’est donc forcé à se calmer, s’est ouvert la bouche bien grand et a commencé à respirer à travers les oreillers, le plus doucement possible. Au bout d’une minute, il a même cessé de se débattre. Se concentrant et faisant le vide dans son esprit, il a réussi à relaxer tous ses muscles. Elle est resté comme ça, sur lui, une douzaine de minutes. Puis elle a doucement retiré les oreillers. Prenant une grande bouffée d’air, Pierre a trouvé l’énergie de la projeter en bas du lit. Se levant du lit, il s’adressa à elle avec rage:
PIERRE: « T’as raté ta shot, ma maudite! »
Réalisant qu’il se trouvait dans une situation dangereuse, il a quitté la chambre et la maison. Salomé avait raté l’occasion de vivre le thrill de commettre un meurtre parfait. Les colocataires de Pierre savaient qu’il leur arrivait de faire des séance de lutte-chatouille amicale, et tout le monde connaissait les problèmes cardiaque de Pierre. Elle n’aurait eu qu’à pleurer à chaudes larmes en disant qu’il s’était effondré alors qu’ils jouaient. Qui aurait pu croire qu’elle aurait pu tuer à mains nues un homme qui faisait deux fois et demi son poids? Sans compter que c’était la situation idéale pour elle: En le tuant, elle n’aurait pas eu à casser avec lui, et ainsi n’aurait pas eu le rôle de la méchante qu’elle craint tant d’avoir.
Elle n’a pas eu à s’en faire avec ça longtemps car le lendemain, Pierre envoya plusieurs de ses amis expulser Salomé et ses affaires hors de chez lui. Lui était absent, il craignait de ne pas pouvoir se retenir de la frapper s’il s’en chargeait lui-même, et on sait tous ce qui attend légalement un homme qui oserait lever la main sur une fille, même en état de légitime défense. Il fait dans les 250 lbs, et elle en fait à peine 100. Toutes les apparences seraient contre lui.
Pour le reste, je crois que rien de ce que je puisse raconter entre son expulsion de chez Pierre en 1999, et le moment où je lui ai signifié que je ne la voulais plus dans ma vie et mon entourage en 2004, n’apporterait quelque chose de nouveau à ma description de sa personnalité. Pour la petite histoire, je vous dirai qu’elle est restée deux ans avec David qui était éditeur indépendant. Elle a mis sur pied un projet de livre d’art distribué au Canada et aux USA dont David a fait 60% de la job. Le lendemain de la livraisons des mille exemplaires du bouquin, elle le sacrait là. Ce livre alla engraisser le portfolio de Salomé pour se faire de nouveaux contacts dans différents niveaux des arts et…
Et aux dernières nouvelles, après quelques courtes relations en chaîne, elle s’est trouvé le chum idéal: Un musicien, peintre, photographe et critique de cinéma pour un magazine populaire au Québec. Grâce à lui et à son statut de journaliste, elle est de toutes les premières, profite de toutes les gratuités qui viennent avec la job de son chum, et rencontre tous les gens influents du cinéma et de la musique qui passent à Montréal. Bref, il est l’homme idéal, celui qu’elle pourra aimer et chérir toute sa vie.
… Ou du moins, jusqu’à ce qu’il lui permette de rencontrer mieux que lui.
Et lui qui n’a jamais vraiment eu de chance dans ses expériences de couple avant, il bénit le jour où je lui ai présenté Salomé. Car jamais de toute sa vie il n’aurait pu imaginer qu’une telle fille puisse s’intéresser à un gars comme lui.
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