L’amour ne se mérite pas

À l’époque où j’étais cégépien, un de mes cours s’appelait Cinéma Québécois.
Notre classe y a visionné plusieurs films, mais il y en a un en particulier qui m’a frappé. J’aime, J’aime Pas.  Ça commence quand Winnie, une jeune fille d’environs 18-19 ans est dans la rue, tirant sur un chariot sur lequel elle a empilé tout ce qu’elle possède. Elle emménage dans un nouvel appartement avec son enfant qui doit avoir 2 ou 3 ans. Elle a l’air seule et triste.

Le peu d’argent qu’elle a, elle le gaspille en achetant de gros bouquins remplis de photos couleur au sujet du désert, bouquins qu’elle massacre afin de mettre les images de dunes de sable sur ses murs. On apprend que le père de son enfant les a abandonnés il y a quelques années afin d’aller vivre pleinement son rêve de globetrotter et d’aller traverser les grands déserts. N’ayant aucune photo de lui, elle tapisse les murs de ces photos d’albums.

Winnie se fait remarquer par un jeune homme qui étudie en cinéma. Il a craqué pour son air mélancolique et croit qu’elle ferait un excellent sujet pour un projet de cinéma-vérité. Elle refuse mais finit par se laisser convaincre que ses intentions sont honorables. Il est en amour avec elle mais ne veut pas la brusquer de peur de la faire fuir. Il est patient, gentil, doux, compréhensif et respecte son espace.

Tout le long du film, on le voit peu à peu réussir à lui faire baisser ses barrières une par une. Voyant bien qu’il la traite avec amour et respect, elle craque et lui dit qu’elle l’aime. Il est au paradis, et elle perd enfin son air mélancolique et commence à sourire. Pour la première fois du film, elle semble heureuse. Elle rentre ensuite chez elle. Comme si elle se réveillait enfin en constatant à quel point elle a été stupide de s’accrocher à celui qui l’a abandonnée, elle arrache furieusement toutes les images de désert du mur et les jette aux poubelles. Dans les jours qui suivent, elle est enfin heureuse et commence à s’épanouir dans sa nouvelle relation.

Happy End?
La fille a appris qu’il ne faut pas perdre son temps à aimer celui qui se fout de toi,  l’écoeurant a eu ce qu’il méritait et le bon gars a gagné. On peut maintenant faire jouer la musique de fin en faisant dérouler à l’écran les 8624 noms des gens impliqués dans le film.

… En fait, non, on ne peut pas faire ça tout de suite. C’est que l’histoire n’est pas encore terminée.

Un soir, ça cogne à la porte de l’appartement de Winnie. Elle ouvre. C’est son ex, le père de son enfant, qui se tient là, tout souriant. Après quelques secondes de choc causés par la surprise, elle se jette dans ses bras et ils passent les heures suivantes à baiser fiévreusement. Pour elle, c’est comme si son nouvel amoureux n’existait plus. Comme s’il n’avait jamais existé. Et après la baise, elle fait déjà des plans pour former une vraie famille, maintenant que l’amour de sa vie est revenu. Ils s’endorment ensemble.

Le lendemain matin, elle se réveille seule. Il est parti. Il lui a laissé une note en disant qu’il ne faisait que passer et qu’il n’a pas fini son trip d’aventures autour du monde.

Elle redevient aussitôt la fille déprimée et mélancolique des premiers 2/3 du film. Après quelques heures à lentement digérer ce nouveau coup, son sentiment de honte, de culpabilité et de lâcheté est tel qu’elle se retrouve incapable de faire face à son nouvel univers et à ceux qui en font partie.  Elle empaquette ses affaires sur le chariot et quitte l’appartement pour aller refaire sa vie ailleurs, sans un regard en arrière et sans même contacter celui qui était son nouvel amoureux, qui ne la reverra plus jamais. Fin!

Ce que j’ai pensé de ce film
À ce moment-là, encore dans ma naïve vingtaine, j’ai trouvé ce film franchement révoltant, et ce pour plusieurs raisons. Ces raisons ont affecté le devoir que nous avions à faire à ce sujet en équipe de 2 ou 3 étudiants.

Ma partie était d’écrire deux pages de résumé du film. Dans celui-ci, j’ai décrit les gestes du personnage principal dans ces termes: « C’est alors qu’elle commet l’erreur de reprendre avec son ex. » Ma partenaire de travail m’a alors rappelé que le devoir demandait un résumé objectif du film, sans porter de jugements.

J’ai dit désolé, j’ai effacé et j’ai recommencé: « La fille laisse injustement tomber son ami de coeur en faveur de son ex qui ne la mérite même pas, et… » Et encore une fois, ma partenaire me rappelait que ce devoir devait être un résumé du scénario et non une critique des faits et gestes des personnages.

Ce n’était pas de l’obstination.
Le fait est que je ne comprenais sincèrement pas où était le problème dans mon résumé. Sérieux! Pour moi, dans ma tête, le fait que la fille était injuste de tromper son chum et que son ex ne méritait pas d’avoir du sexe avec elle, ce n’était pas une opinion, c’était un fait. Je ne faisais que décrire de façon objective ce fait que je voyais si clairement. Un fait que tout le monde aurait dû voir aussi clairement que moi. Je ne comprenais pas pourquoi j’étais apparemment le seul à le voir.

Dans ma tête, il n’a avait pas de compromis. Il ne pouvait y avoir que deux buts possible à ce film: Ou bien dénoncer le comportement stupide et les décisions idiotes de la fille. Ou bien les glorifier. C’était l’un ou c’était l’autre. Et le fait que je semblais être le seul à voir que c’était le premier, ça ne pouvait signifier une seule chose: C’était le second! Ça me révoltait.

C’est que le jeune homme que j’étais ne pouvais pas concevoir qu’il puisse y avoir une 3e option: Raconter une histoire, tout simplement, sans autre but ni arrière-pensée que de la raconter.

Je ne saurais compter le nombre de fois où j’ai vu une fille va se plaindre de son chum qui la traite avec très peu ou pas du tout de respect. Et pourtant, elle était délibérément dans une relation avec, elle le baisait, elle l’aimait, et dans beaucoup de cas allait même le marier. Toute ma vie, je n’ai pu accepter les choses que si je pouvais les comprendre. Et pour pouvoir les comprendre, il faut qu’il y ait de la logique derrière les faits et gestes de tout un chacun. Voilà pourquoi, à mes yeux, se plaindre que son chum lui manque de respect et tout de même l’aimer, le baiser et le marier, je ne pouvais pas le comprendre parce que ça n’avait aucun sens. Parce que ce n’était pas logique. Parce qu’aucun abuseur ne devrait être récompensé par sa victime.

Ce n’est qu’il y a quelques années que j’ai enfin compris quelque chose au sujet de l’amour. Quelque chose qui m’a permis de comprendre ce que me disait ma partenaire de travail au sujet de mon résumé du film. J’ai enfin compris que l’amour n’est pas quelque chose que l’on peut comprendre. L’amour n’est pas une décision. C’est un sentiment. C’est quelque chose que l’on vit avec ses tripes et non avec sa tête. L’amour n’est pas quelque chose que l’on donne et/ou que l’on reçoit par mérite. C’est quelque chose que l’on ressent ou bien que l’on ne ressent pas. C’est tout. Malheureusement, j’ai passé la majorité de ma vie à focusser sur le Ça ne devrait pas se passer ainsi, au lieu d’accepter le plus grand des faits qui soit. Le fait que C’est ainsi que ça se passe.

On peut protester et passer sa vie frustré contre cette injustice éternelle, se mettant tout le monde à dos en leur démontrant, preuve à l’appui, pourquoi ils sont cons d’aimer ceux qui ne les méritent pas. Ou bien on peut apprendre à l’accepter, et vivre avec ce fait.

Ça ne devrait pas se passer ainsi. Mais c’est ainsi que ça se passe.

8 réflexions au sujet de « L’amour ne se mérite pas »

  1. Ce qui est intéressant dans cette histoire c’est qu’elle peut-être présenter sous différente forme. J’ai eu une copine qui avait mis fin à une relation de 5 ans d’humiliation, d’insulte,de mépris et de reproche de la part de son premier chum. J’ai joué le rôle du cinéaste de ton histoire, rôle que je considère finalement simplement comme un rebound puisqu’elle est retourné vers lui à la minute ou il est venu pleurer à sa porte. Le fais de m’être fendu en quatre pour elle contrairement au mépris qu’il a toujours eu pour elle , n’a pas sembler peser lourd dans la balance et c’est avec lui qu’elle a choisit de continuer sa route. La raison ressemble aussi étrangement à celle de l’histoire de ton film. Dans le cas du film , elle voulait reconstruire sa famille , élever son enfant avec le père de celui-ci et dans mon cas c’étais plus simple car il fesait déjà partit de son cercle d’amis , de sa famille proche et éloigné et demeurait près de chez elle.Savoir que ca se passe ainsi , c’est d’être réaliste . Par contre, de l’accepter et de trouver que sa fais du sens , c’est triste je trouve. C’est drôle de voir qu’un film a été fait dans les années quoi ? 70 – 80 ? représente encore la réalité au moins 20 ans plus tard. La nature humaine n’évolue que très lentement , malheureusement.

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  2. Ce serais pas parce que l’autre acteur est plutôt no-name ?Mais bon , je comprendrais jamais qu’es-ce qui pousse quelqu’un à se jeter dans des relations compliqués alors qu’ils ou elles ont la chance de vivre quelque chose de plus simple et de plus harmonieux ?……. La tranquilitée est quelque chose d’ennuyeuse ?

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  3. Tu as raison. C’est peut-être un truc du cinéaste, justement, pour renforcer l’image du bel écoeurant plein de charmes -VS- le bon gars qu’on ne remarque pas: Donner le mauvais rôle à une grosse vedette, et le bon rôle à un inconnu.Tu sais, pour les gens qui sont moins réfléchis, donc qui se laissent surtout guider par leur instinct, oui, calme = ennuyeux. Ce doit être la raison pourquoi le cliché veut que les sportifs et/ou les amateurs de sports sont des morons. Plus bas le Q.I, plus grande est la fascination pour les acticités extrèmes. Je suppose que c’est similaire avec les relations.

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  4. dans mes histoires amoureuses je bataille quotidiennement entre la recherche de sens logique, de maîtrise de ce que je vis, et le fait de « simplement vivre » l’histoire. j’en suis venue à la conclusion qu’il n ‘y a pas vraiment de raisonnement en amour, dès lors que l’on s’écoute soi même et que l’on se respecte, on arrive cependant à faire de meilleurs choix… et on evite de se faire influencer par des normes sociales (mariage peu importe le prix, enfants…): au final on y gagne même une certaine liberté! 🙂 très bel article, très bien écrit.

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  5. Je suis plus ou moins d’accord avec votre point de vue sur l’amour. Je pense que tu confonds l’amour et l’attirance physique. L’attirance physique est un aspect important, mais si on suit seulement nos attirances et pas notre tête on va faire n’importe quoi. Absolument n’importe quoi!!! Prendre des décisions qui n’ont pas de sens, foutre sa vie en l’air. Si tu suis seulement des attirances et tes instincts, tu vas changer de blonde chaque 6 mois, tu vas les tromper, tu vas avoir 20 enfants de mères différentes, etc. C’est parce que l’attirance est un instinct qui vient de notre nature animale, et que dans la nature à l’état sauvage, c’est ainsi que ça marche. Les gens qui gèrent leur vie de cette façon sont des losers, qui se foutent tout le temps dans la marde, et sont incapables de gérer leur vie de façon mature. Quelqu’un plus haut parlait de Q.I. Et bien effetivement, plusieurs études américaines ont été faites sur la corrélation entre le bas Q.I. et ce type de comportement, qui mène à la monoparentalité, la pauvreté, la violence conjugagle, l’instabilité familiale, etc. (d’ailleurs la fille dans le film est monoparentale, dépressive, instable et ne semble pas avoir beaucoup de buts dans la vie). Je ne dis pas que l’attirance n’est pas importante, mais je déteste l’idée du NON-CHOIX en amour, comme si on étaient les esclaves de nos hormones et qu’on n’aurait aucun libre-arbitre. En réalité, on a toujours le choix de succomber ou pas à une attiranceé Si on sait que cette relation sera malsaine, on n’est pas obligés d’embarquer dedans. Je ne dis pas que l’attirance n’est pas importante. C’est même très important. Mais si ça marche pas avec un, il faut continuer de chercher. La fille du film n’était pas obligée d’aller se mettre en couple avec l’autre gars qu’elle n’aime pas. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a des milliers de gars dans la ville de Montréal, et qu’elle aurait pû continuer à faire des rencontres si elle n’a pas trouvé ce qui lui convient vraiment. C’est toujours ainsi que j’ai abordée les choses quand j’étais célibataire. Je me suis toujours dit qu’il y avait énormément de possibilités et de choix, et pas besoin de rester bloquée sur une histoire qui va mener nulle part.

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  6. Bonjour,

    Rien à voir avec l’amour, mais c’est le même style « vouloir absolument qu’il y ait une morale à l’histoire » : « Kiwi! » une vidéo d’animation (lien ici https://www.youtube.com/watch?v=sdUUx5FdySs) qui a eu un succès monstre sur Youtube (près de 40 millions de vues, pas mal pour une vidéo dont l’auteur est un illustre inconnu). C’est l’histoire d’un kiwi qui cloue des arbres sur une falaise à pic et qui s’élance pour avoir, l’espace d’un instant, l’illusion de voler. L’oiseau disparaît dans la brume et on entend bruit sourd, signe qu’il s’est probablement écrasé. De l’aveu même du créateur du film, ce n’était rien de plus qu’un devoir à rendre pour ses études en animation, et pourtant, beaucoup on voulu y voir un message derrière et surtout trouvaient la fin intolérable (même si la mort du kiwi n’est pas certaine), au point même de créer des vidéos avec une fin alternative où l’oiseau ne s’écrasait pas.

    Rien dans ce petit animé ne dit quoi que ce soit sur les pensées du kiwi ni sur son devenir après cette scène, qu’il est bien inutile de connaître ou de comprendre pour apprécier l’histoire, originale et sympa. Bref, il ne faut pas trop chercher à comprendre.

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  7. C’est précisément ce que je suis en train de comprendre (dans le sens « me l’approprier, en faire ma vérité ») maintenant, que l’amour n’est pas une accumulation de bons points qui donne ensuite droit à quelque chose (une compagne en l’occurrence). Car cet état d’esprit a aussi des effets délétères pour trouver soi-même l’amour : à force de se persuader qu’il faut « mériter » la fille qui nous intéresse (que le sentiment soit réciproque ou non), on peut passer à côté de bonnes occasions parce qu’on est convaincu de ne pas être à la hauteur ou de ne pas avoir fait ce qu’il faut pour le mériter.

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