Il y a 20 ans, cette année, j’ai appris que dans certaines circonstances, je pouvais, si je le voulais, devenir un agresseur sexuel, et personne ne pourrait jamais m’en condamner au sens légal. Laissez-moi vous raconter comment j’ai fait ce triste constat.
Printemps 1997. J’ai 28 ans. Je suis chez un couple d’amis. Il est passé deux heure du matin. Le party vient de finir. La majorité des invités sont partis, sauf deux ou trois qui ont été invités à passer la nuit, dont moi. Je suis couché au salon, dans le grand divan-lit, que je partage avec Audrey, une demoiselle de 19 ans.
Audrey et moi nous nous sommes rencontrés ici-même il y a quelques heures. Nous avons passé la majorité de la soirée à jaser ensemble, chose que nous continuons de faire maintenant. Puis, décidant qu’il est temps de passer aux choses sérieuses, je passe doucement ma main sur sa joue, l’incitant à tourner son visage vers moi, et je l’embrasse doucement, histoire de tâter le terrain. Elle répond favorablement, en posant sa main sur mon épaule, ouvrant la bouche et glissant sa langue sur la mienne. Après quelques minutes de french-kiss, comme il est de mon habitude dans ces cas-là, je passe à l’étape suivante qui est de commencer à lui caresser les seins, histoire de lui faire comprendre clairement mon désir d’aller plus loin. Audrey comprend. Aussi, elle interrompt nos embrassades pour dire:
« Ben… Là chus dans ma semaine pis j’porte un tampon, fa que ça m’tente pas tellement. Mais si tu y tiens vraiment, je peux toujours te branler. Au pire, je pourrais sucer. »
Ces phrases résonnent dans ma tête. Instantanément, je rejoue mentalement tout ce qu’elle vient de me dire. Et je note certains passages en particulier.
« Ça m’tente pas. »
« Si TU y tiens vraiment. »
» Je peux toujours. »
» Je pourrais. »
« AU PIRE! »
Je ressens aussitôt la malaisante impression je suis à deux doigts de commettre une agression sexuelle. En fait, je me sens comme si je l’avais déjà commencée, cette agression. Ceci me déstabilise moralement. Aussi, c’est d’une voix calme et posée que je lui répond:
« Naah! Merci, mais pas obligée, chuis épuisé. J’ai toute ma journée dans le corps… Aujourd’hui, y’a eu le cégep, le cours d’éducation physique, j’ai aidé une amie à déménager, puis après ça y’a eu le party ici, sans oublier l’alcool… Je remettrais ça à une autre fois, si ça adonne, et si on en a encore envie tous les deux. Ça te va? »
« Ben correct! »
Sur ce, dernier petit baiser rapide, souhaits de bonne nuit, je lui tourne le dos et m’installe pour dormir.
Un an et demi plus tôt, je quittais la plus longue et la plus toxique relation de ma vie avec la mère de mes enfants. J’étais de retour aux études, à 27 ans, au cégep. Puisque j’étais 8-9-10 ans plus âgé que les autres étudiants, je ne m’attendais pas à me faire des amis. Voilà pourquoi j’ai été totalement pris au dépourvu lorsque quelques filles m’ont approché en me désirant comme amoureux et/ou amant. Il faut dire qu’après avoir passé les cinq années précédentes coincé dans une relation dans laquelle j’étais sans cesse rabaissé à tous les niveaux, je ne m’étais jamais rendu compte que j’étais devenu beaucoup plus regardable que la dernière fois que j’étais allé à l’école. Il n’y a qu’à comparer ces deux photos, prises l’une à 16 ans et l’autre à 26.
Cette nouvelle popularité auprès de la gent féminine m’a fait passer à travers quatre étapes:
Étape 1: J’ai subi quelques déboires amoureux et sexuel, puisque je ne savais pas du tout comment réagir aux avances de ces filles. Par conséquent, elles perdaient intérêt devant mon manque de réaction. Ou devant le fait que je réagissais, mais incorrectement
Étape 2: J’ai subi ensuite quelques déboires amoureux et sexuel, puisque cette fois je réagissais positivement à toutes les propositions de toutes les filles. Par conséquent, j’avais de la difficulté à jongler avec le fait d’avoir plusieurs amantes à la fois, me faisant surprendre quelquefois en situation d’adultère.
Étape 3: J’ai ensuite subi quelques déboires amoureux et sexuel, puisque je me laissais choisir par n’importe qui. Disons que quand le désir sexuel est tout ce que nous avons en commun, ça ne fait pas les meilleures relations amicales, encore moins amoureuses.
Aussi, depuis le début de l’année ’97, j’ai décidé de changer complètement mon attitude et de passer à l’étape 4: Agir en Homme, en vrai! From half-a-male to Alpha Male. Puisque le cégep me donne accès à un grand bassin de population féminine qui se renouvelle à chaque session, j’allais en profiter à fond. Et désormais j’allais avoir le contrôle. J’allais choisir moi-même mes amantes, sans retenue. Je me suis même donné comme défi de coucher avec plus de filles en 1997 que durant toute ma vie jusque-là. J’allais être fonceur. Déterminé! Conquérant!
Mais attention; fonceur ne veut pas dire défonceur. J’allais quand même continuer à avoir une certaine retenue et un respect de leurs limites. Voilà comment j’ai créé ma devise: N’attend pas après son OUI, mais respecte son NON.
Après une vie entière à rater de multiples occasions de baiser parce que j’étais trop passif, cette méthode s’est montrée infaillible. Durant les cinq premiers mois de 1997, aucune ne m’a dit non. Mieux encore, ça m’a permis de constater que même les filles qui n’avaient manifesté aucun désir sexuel pour moi étaient capable d’en ressentir à partir du moment où je leur démontrais le mien pour elles. C’est autant de relations sexuelles que je n’aurais jamais eues si, comme avant, j’avais attendu passivement que l’autre me montre son intérêt. Un intérêt que je ne faisais rien pour faire naitre en elle. Ce qui me prouve que j’ai bien fait de l’adopter, cette méthode.
Et là, couché sur ce divan-lit, tournant le dos à Audrey, pour la première fois depuis les cinq mois que j’utilise cette méthode, j’ai un doute au sujet de ma manière de l’appliquer. Jusque-là, j’ai toujours cru qu’elle était irréprochable, puisque quoi qui se passe, les filles sont assurées de mon respect de leurs limites.
Mais, et c’est là où ma méthode fait défaut, encore faut-il que les filles le sachent, que je vais les respecter, leurs limites. Et ce soir, la réponse d’Audrey face à mes avances m’a bien démontré que non, rien dans mon attitude ne pouvait le lui faire savoir.
Et pire encore: Audrey m’a démontré que mon désir pour elle lui faisait peur. Elle n’avait aucune envie sexuelle à mon égard. Mais elle avait tellement peur de ma réaction face à son refus, qu’elle était prête à acheter la paix en m’offrant une compensation sexuelle, en s’offrant de me masturber.
Ou, au pire, me sucer.
« AU PIRE! »
J’ose à peine imaginer les réaction négatives et violentes qu’elle a dû recevoir dans le passé, de la part des gars à qui elle s’est refusée sexuellement, pour considérer aujourd’hui que faire une fellation à un homme qui ne lui plait pas, c’est la moins pénible des deux options.
C’est sûr que techniquement, j’aurais pu l’accepter, sa proposition. D’accord, c’est moi qui a initié le premier contact physique. N’empêche qu’elle a répondu positivement à mes baisers. Et c’est elle qui m’a ensuite offert branlette et pipe, sans que je ne lui demande quoi que ce soit, ni que je lui mette de pression. Je pourrais en profiter. Je pourrais me retourner sur le dos, baisser mon pantalon, et lui dire: « Ok, j’accepte la fellation que tu m’offres. » Je ne ferais que dire oui à sa proposition. Aucun jury ne me condamnerait de l’avoir fait.
N’empêche que la première chose qu’elle m’a dite, c’était qu’elle n’en avait pas envie. Et ses « si tu y tiens vraiment », son « je pourrais », et surtout son « au pire », ça me montre clairement qu’elle le ferait contre sa volonté. Et avoir du sexe contre la volonté de notre partenaire, c’est un viol. Et même si ce viol est consenti, ça reste un viol quand même.
Je l’ai souvent répété: En situation sexuelle, 75% de mon excitation provient du fait que je sais que la fille me désire, qu’elle a envie de moi, qu’elle aime ce que l’on fait. Que ce soit de l’instinct naturel, un réflexe acquis, du respect ou de l’orgueil, peu importe, il reste que c’est comme ça. Dans de telles conditions, après ce qu’elle vient de me dire, il m’est impossible de voir en Audrey quelqu’un avec qui je puisse prendre plaisir à avoir une relation sexuelle. Par conséquent, mon excitation est tombé et mon désir a disparu.
J’aurais pu tenter de la rassurer en lui répondant que j’avais compris son message. Mais j’ai aussi compris que cette fille avait peur. Peur de mon désir sexuel. Peur que j’insiste. Peur de moi. Elle avait donc probablement tout aussi peur que je vois clair dans son bluff, en comprenant qu’en réalité elle ne voulait rien faire de sexuel avec moi. Voilà pourquoi je lui ai répondu la seule chose qui pouvait la rassurer: Lui dire que finalement, je suis trop fatigué pour en avoir envie. Ça lui a évité de devoir faire les activités sexuelles qu’elle m’avait proposé à contrecœur, et ça lui a enlevé la crainte de subir des représailles de ne pas me les avoir fait.
Toute ma vie jusque-là, à force de voir les gars gentils et timides se faire dire non par les filles, et à voir les gars fonceurs se faire dire oui par ces mêmes filles, j’en suis arrivé, comme la majorité des gars, a croire que les filles aiment les gars fonceurs. Eh bien ce soir-là, pour la première fois, j’ai compris que si une fille dit oui à un gars fonceur, ce n’est pas nécessairement parce qu’elle le veut vraiment. C’est parfois parce qu’elle a peur des conséquences de lui dire non.
Ce qui signifie que, de toutes ces filles qui m’ont dit oui depuis que j’utilise cette méthode, il y en a peut-être qui auraient préféré me dire non. Ce qui signifie que sans le savoir, j’aurais été un agresseur sexuel.
Et voilà pourquoi j’ai changé ma méthode d’approche. Depuis ce soir-là, c’est fini, la drague en propositions sexuelles directes. En fait, je ne drague plus. Si je trouve une femme intéressante, je vais lui faire la conversation. À partir de là, de par ses réactions, il sera évident si elle est intéressé ou non. Et s’il y a intérêt, il est facile à voir s’il s’agit d’intérêt amical, amoureux ou sexuel. À ce moment-là, tout dépendant si je suis moi-même intéressé, je vais répondre comme il se doit. Et maintenant, non seulement j’attends son approbation avant d’agir, je suis beaucoup plus attentif aux signes qui pourraient démontrer qu’elle ne m’aurait dit oui que par peur des conséquences de me dire non.
Parce que même lorsqu’un agresseur sexuel reçoit l’autorisation de sa victime, ça ne change rien au fait qu’il est un agresseur sexuel. Et ça, ce n’est pas quelque chose que je veux être.