Une allégation mensongère vaut bien une plainte officielle

Après sept mois à mon travail comme préposé aux bénéficiaires dans un CHSLD, j’ai enfin eu droit à mon premier antagoniste. Julien, mi-trentaine, est infirmier auxiliaire. Comme moi, il fait partie d’une agence qui place des travailleurs de la santé là où il y a grand manque de personnel.

Bien qu’il soit à ce poste depuis seulement deux mois, j’ai pu rapidement voir quel genre de personne est Julien: Un pervers narcissique passif-agressif doublé d’un conflictuodépendant. Le genre à toujours chercher à prendre les autres en défauts, histoire de les rabaisser plus bas que lui.

Son narcissisme se voit jusque dans sa manière de s’habiller. Au travail, nous avons la chance d’avoir un réglement très souple en matière d’uniforme: On porte ce que l’on veut, pourvu que ça soit sobre. 95% de ceux qui travaillent à ce CHSLD choisissent de s’habiller en uniforme, de manière à montrer qu’ils sont des travailleurs du milieu de la santé. Et ça inclut les employés du ménage. Tandis que Julien choisit de s’habiller en T-shirts moulants, de manière à montrer qu’il a un beau corps d’athlète. Déjà là, dans l’image qu’il choisit de projeter autour de lui dans son milieu de travail, on voit où est sa priorité.

À quelques reprises, j’ai vu Julien s’adresser à des collègues préposés en leur posant des questions pièges, dans le but de mettre le doute au sujet de leur vitesse, leur intégrité, leur professionalisme ou leur honnêteté. Et en bon manipulateur irresponsable, jamais il ne va affirmer quoi que ce soit. Toujours, il va poser des questions embêtantes qui retournent tout contre son interlocuteur. Des questions du genre de : « Qu’est-ce qui te fait affirmer que tu es à l’heure dans ton travail? Qu’est-ce que tu perçois là-dedans comme étant un travail bien fait, selon le document officiel? Est-ce que tu as consulté ce document? Qu’est-ce qu’il disait? Pourquoi, selon toi, est-ce que la version que j’ai dans les mains en ce moment diffère de ce que tu viens de me dire? »

Vous voyez le genre de chiant.

Non seulement ai-je l’habitude de ce genre de personnes, j’ai appris avec les années comment leur tenir tête. Et c’est une bonne chose, car tel que je l’avais prévu, il a fini par me prendre pour cible.

Cette lettre que j’ai écrite à la direction du CHSLD est auto-explicative. J’ai seulement changé les noms.

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Samedi le 8 avril 2023

Bonjour.

Mon nom est Stéphane et je suis préposé à ce CHSLD depuis le 1er septembre 2022. Je vous écris cette lettre uniquement parce que je ne connais pas votre emploi du temps, afin de vous permettre de nous fixer une rencontre lorsque ça vous conviendra.

Je veux déposer formellement une plainte contre l’infirmier Julien pour atteinte à ma réputation, intimidation, et harcèlement moral, bien que nous n’en sommes qu’au début dans ce dernier cas.

J’ai pris une semaine afin de consulter des gens et à bien réfléchir afin de ne pas prendre cette décision à la légère.

Alors voici les incidents dont il est question.

Le soir du 1er ou du 2 avril 2023, je travaillais au 2e étage à l’est.  Il était environ 18h30.  Ma collègue Chantal était partie souper.  J’étais dans la chambre de Monsieur Gilles que je venais tout juste de terminer de changer et de coucher.

Alors que je m’apprêtais à sortir de la chambre, l’infirmier Julien est venu m’y rejoindre.  Il m’a demandé si j’étais à l’heure dans mon travail, avec les résidents dont je devais m’occuper.

Par observation autant que par expérience, j’ai pu constater à de nombreuses reprises par le passé que Julien cherche toujours à prendre les préposés en défaut, et qu’il le fait avec des questions pièges de ce genre-là.  Voyant clair dans son jeu, je lui ai calmement répondu que le simple fait qu’il me pose cette question, ça signifie que lui, croit que je suis en retard.

Il me répond qu’en effet, depuis le temps que je travaille ici, il est inacceptable que je prenne autant de temps à faire mon travail.  Voilà une accusation qui me surprend car lorsque je travaille de soir, le dernier résident est toujours couché entre 21h30 et 22h, ce qui est dans les temps. 

Il me demande ensuite quelles sont les personnes que je dois faire après monsieur Gilles.  Je lui réponds que j’en ai écrit la liste avec Chantal avant qu’elle parte souper, que cette liste est sur le comptoir de la cuisine, et que nous pouvons aller la consulter ensemble s’il le veut.  Plutôt que de suivre ma suggestion, il me demande si j’ai pris connaissance des nombreuses plaintes qu’il y a eu à mon sujet, en rapport à la qualité de mon travail de soir la veille.

En désignant monsieur Gilles derrière moi, je lui ai répondu, toujours aussi calme : « Ah bon?  Comme tu peux voir, monsieur est changé, il est couché, abrié, le lit est baissé, le bon nombre de ridelles sont montés, il a sa clochette d’alarme à portée de la main, les lumières sont fermées, la télé est éteinte. Et s’il y avait eu un détecteur de mouvement, je l’aurais allumé.  Alors qu’est-ce que tu perçois comme étant de la mauvaise qualité au travail ? »

Pour toute réponse, il lève la main vers moi en faisant signe de STOP et dit : « Je ressens beaucoup d’agressivité dans tes paroles. Je me vois obligé de te laisser le temps de te calmer, et on pourra poursuivre la discussion plus tard. »

J’étais abasourdi par cette accusation.  En 54 ans d’existence, je vous assure que c’est la première fois de ma vie que l’on m’accuse d’être une personne agressive.

J’insiste tout de même afin qu’il réponde à ma question.  Il me dit alors que l’on aurait observé des chaises bassines dont les roues n’étaient pas sous frein, et des résidents couchés sans jaquettes.  Je me souviens qu’en effet, la veille, au 2e étage, Madame Juliette avait elle-même enlevé sa jaquette au lit.  Mais sinon, à part ceux qui ont leurs propres pyjamas, les seuls résidents qui dorment sans jaquette le font par habitude et à leur propre demande.  Comme monsieur Albert, par exemple.   Quant aux chaises bassines sans frein dans les chambres, il est impossible que j’en sois la cause.  Par préférence personnelle, je les ai toujours déplacées en les soulevant parce que c’est plus rapide que d’enlever et remettre les freins aux quatre roues. Cette accusation de sa part est donc totalement fantaisiste.

Mon premier réflexe fut de lui faire cette précision.  Mais ne voulant pas passer pour un agressif, je suis resté silencieux.

Au retour de Chantal je vais souper. À mon retour de souper, Virginie, l’infirmière auxiliaire, me passe le message comme quoi l’infirmier Julien veut que j’aille coucher Madame Françoise. Or, cette dame, c’est l’équipe du Centre qui s’en occupe, alors que moi je suis à l’Est.  Je me renseigne auprès de Chantal qui me confirme qu’en effet, elle appartient à l’équipe du Centre.

Je vais voir Julien pour le lui dire. Il insiste comme quoi c’est à moi de faire Madame Françoise, et qu’il serait bon que je consulte le plan de travail afin que je sache bien comment faire le mien, depuis le temps que je travaille là.

Ses commentaires sont aussi rabaissants que mensongers.  Mais ne voulant pas passer encore une fois pour un agressif, je ne m’obstine pas et me dirige vers la chambre de Madame Françoise. Une fois arrivé, je vois que Rachid et Tonio, mes deux collègues de la section du Centre, y sont déjà.  Ils me confirment que ce sont bien eux qui doivent s’en occuper.

Je leur ai demandé de venir avec moi confirmer la chose auprès de Julien, ce qu’ils ont fait.  … Ce qui permet maintenant à Julien de dire que je me suis mis en gang contre lui.

Je considère que je suis une personne qui a l’esprit ouvert, en plus d’être un solutionnaire.  J’ai toujours écouté les critiques et les commentaires puisque ça me permet de m’améliorer, autant dans mon comportement que dans la qualité de mon travail.  Aussi, au lieu de rejeter les accusations de l’infirmier Julien, je me suis dit que c’était peut-être vrai, que j’ai un comportement agressif sans m’en rendre compte.  Peut-être que personne n’avait osé me le dire avant lui ?  Aussi, dès le lendemain et pour les jours qui ont suivi, je suis allé consulter, un par un, huit de mes collègues de travail.  Je leur ai demandé si je suis une personne agressive.  Ou bien si mes réponses démontrent de l’agressivité lorsqu’on me corrige dans mon travail.  En sept mois à travailler ici, si tel est le cas, ils ont bien dû le remarquer.

Ces gens sont l’infirmière Barbara, ainsi que les préposés Andréane, Brigitte, Bertrand, Raoul, Annie, Pascale, et Marie-Lise.  Ils étaient tous surpris de cette accusation. Ils m’ont au contraire rassuré que j’étais calme, doux, harmonieux, que l’on ne m’a jamais entendu protester, et que je faisais bien mon travail à partir du moment où on me disait quoi faire. 

Cependant trois d’entre eux m’ont fait réaliser quelque chose.  Lorsque Julien a vu que je ne tombais pas dans le piège de ses abus, il m’a fait miroiter un abus encore pire, en m’accusant d’être une personne agressive.

Ne pas oser protester face à ses abus (mensonges sur mon travail) sous la menace d’être victime d’un encore plus grand abus (atteinte à ma réputation), il y a un terme pour ça : intimidation. Ce qui est illégal.

Et puisqu’il me donne déjà la réputation d’être agressif : Atteinte à la réputation.  Ce qui est illégal.

Enfin son insistance à me chercher des problèmes, quitte à les inventer et à les créer lui-même, et ce à répétition, comme il l’a fait le soir du 1er ou du 2 avril, c’est du harcèlement moral au travail.  Ce qui est illégal.  D’accord, ce n’est qu’à ses débuts.  J’ai eu la chance de ne pas avoir à travailler avec lui depuis ce soir-là, alors ça ne s’est pas reproduit. N’empêche que ça vient de commencer.  Et que je crains que ça se reproduise.  Et craindre quelqu’un, c’est subir de l’intimidation.  Ce qui est illégal.

Je vous assure que ce n’est pas une question d’orgueil blessé de ma part.  Si j’ai commencé par interroger l’infirmière Barbara, c’est parce qu’elle est non seulement directe, elle est brusque. À plusieurs reprises à mes débuts, elle me disait quoi faire en me reprochant de tourner en rond.  Cependant, vous ne me verrez jamais porter plainte contre elle.  Car contrairement à Julien, lorsqu’elle a quelque chose à dire contre moi, c’est la vérité.  Elle me le dit directement au lieu de me poser des questions pièges.  Elle n’essaye pas de me faire passer pour ce que je ne suis pas. Elle ne me fait pas de menace. Elle est sévère mais honnête. C’est quelque chose que j’apprécie chez les gens, puisque ça me permet de m’améliorer. Chose qui n’est pas le cas avec le comportement de Julien envers moi.

Croyez-moi que je suis désolé d’en arriver là.  Mais les abus de Julien, tels que décrits ici, n’ont pas leur place dans ce milieu de travail.

Je suis disponible pour vous rencontrer lorsque cela vous conviendra, afin de pouvoir déposer ma plainte comme il se doit.
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Et j’ai signé. Et j’ai mis le tout dans une enveloppe. Que je suis allé déposer au bureau des ressources humaines. Les conséquences n’ont pas tardé. Le jour suivant, la directrice me dit qu’elle a pris compte de ma lettre et que ma plainte allait être traitée comme il se doit.

Comment tenir tête efficacement à un pervers narcissique en milieu de travail?
Il s’agit de faire comme dans ma lettre. À partir du moment où il commence, il faut lui montrer immédiatement que l’on voit clair dans son jeu. C’est ce que j’ai fait en lui disant « Le simple fait que tu me poses cette question, ça signifie que TOI, tu crois que je suis en retard. » Ceci le désempare car ça détruit immédiatement le plan qu’il s’était monté en tête contre moi.

Ensuite, pour lui enlever le contrôle de la situation, il ne faut ne pas répondre à ses questions. On lui donne plutôt des réponses différentes de ce qu’il cherche à nous faire dire. Comme j’ai fait lorsqu’il m’a demandé de qui est-ce que je devais m’occuper par la suite. Si je lui avais récité ma liste de noms, ça lui aurait donné l’opportunité de m’obstiner sur les gens à faire, ou sur l’ordre dans lequel je devais les faire. En lui répondant plutôt que Chantal m’avait établi une liste, et que cette liste était dans une autre pièce, je lui ai enlevé toute opportunité de me prendre en défaut. La preuve que sa question n’avait pas d’autre but que ça, c’est qu’il a décliné mon invitation d’aller la consulter ensemble.

Enfin, pour déstabiliser complètement le narcisse, on conclut en lui servant une preuve de sa bullshit. Ce que j’ai fait en lui démontrant que je fais bien toutes les étapes de mon travail. Et pour le piquer encore plus, je lui renvoie sa propre tournure de phrase embêtante qu’il aime tant utiliser, soit « Qu’est ce que TOI tu perçois comme étant…? » Pour quelqu’un qui ne veut prendre aucune responsabilité pour ses accusations bidon, être obligé de donner son opinion le place dans une inconfortable position.

Rendu là, le narcisse cherchera aussitôt à faire cesser la situation. Ce qu’il a fait, en me lançant son accusation farfelue d’agressivité. Or, cette pratique a un nom officiel : Gaslighting, une technique qui consiste à déformer la réalité en affirmant mensongèrement à son interlocuteur que ce dernier a eu des comportements répréhensibles. Le gaslighting est reconnu comme étant une tactique très prisée chez le pervers narcissique. En général, il l’utilise dans le but d’invalider la défense de son interlocuteur. Mais ici, c’était surtout dans le but de me faire taire, puisqu’il ne pouvait plus endurer de se faire remettre ses propres travers en face.

Puis, il tentera de fuir cette situation qui a échappé à son contrôle. Chose qu’il a exprimé en disant qu’il reviendra quand je serai calmé. C’est le bon moment de l’en empêcher, en lui rappelant que s’il est venu me voir, c’est parce qu’il avait quelque chose à me dire, alors qu’il le fasse. Trop orgueilleux pour accepter d’être ainsi pris en défaut, mais désemparé et pressé de mettre fin à cette conversation qui le dérange, il dira probablement n’importe quoi avant de se replier. Exactement ce qu’il a fait, avec ses accusations de chaises aux roues non-verrouillées et de jaquettes non-mises.

À partir de ce point, la meilleure stratégie, c’est de (re)devenir passif et le laisser partir digérer cette humiliation. Pour le pervers narcissique, lui exposer que l’on voit clairement que son comportement est aussi prévisible que bidon, il n’y a pas de pire affront pour son orgueil. Il sera envahi par une impulsion incontrôlable de riposter, de se venger. Mais puisque son jugement est obscurci par sa frustration, il commettra des erreurs grossières lorsqu’il appliquera ses abus. Comme ici, alors qu’il me rajoute la tâche de m’occuper de Mme Françoise, sans avoir songé une seule seconde que tous mes autres collègues de l’étage sauraient que c’était Tonio et Rachid qui lui étaient assignés. Et que, par conséquent, ils me feraient d’excellents témoins contre lui.

Rendu à ce point, il serait tentant de continuer de lui mettre de la pression par des commentaires cinglants. Par exemple en lui retournant ses arguments favoris, comme quoi, avant de m’assigner des gens que je n’ai pas à faire, il devrait consulter le plan de travail. En ajoutant que depuis le temps qu’il est à cet emploi, il est supposé connaître son travail, en sachant quel résident est assigné à quel préposé. Or, aussi tentant que ça puisse être, il faut s’en abstenir car ça serait une erreur stratégique. Et voici pourquoi :

Ce qu’il y a de plus risible chez un pervers narcissique, c’est que dès qu’il voit que tu ne le laisse pas faire de toi la victime de ses abus, alors il inverse aussitôt la situation, en déclarant aux autres dans ton dos que c’est lui qui est la victime de tes abus. Aussi, la dernière chose à faire, c’est de lui donner de vraies raisons de se plaindre de toi. En restant passif contre lui, il sera donc obligé de mentir, d’inventer, d’exagérer et de déformer les faits, juste pour avoir quelque chose à te reprocher. Bref, de tenter de gaslighter les autres à ton sujet. Comme ici, lorsqu’il se plaint que je suis agressif et que je me ramasse des gens pour me mettre en gang pour l’intimider.

Or, en agissant ainsi, il m’a m’a donné lui-même les munitions requises pour le descendre, car il m’a permis de l’accuser avec pertinence d’atteinte à la réputation, d’intimidation et de harcèlement moral au travail. Toutes des choses qu’il n’aurait pas faites si je l’avais laissé me rabaisser avec ses questions pièges plutôt que de lui tenir tête dès le départ.

À ce point-ci, on peut quasiment dire que je l’ai influencé, voire même manipulé, à agir envers moi de manière à me donner des raisons pertinentes de déposer ces trois chefs d’accusations graves contre lui à la direction. Possible! Mais il ne faut juste pas oublier que s’il n’était pas un pervers narcissique, alors il n’agirait pas ainsi, peu importe la provoquation. Il ne fait donc que récolter les conséquences bien mérités de ses gestes inacceptables.

Ah, et la raison pour laquelle j’ai déposé plainte par lettre plutôt qu’en prenant rendez-vous pour le faire en personne et de vive voix, c’est parce que les paroles s’envolent mais les écrits restent. En personne, j’en aurais oublié en le racontant. Et la direction en aurait oublié après m’avoir écouté. Et s’ils avaient pris des notes pour mettre à son dossier, celles-ci auraient été bien minces. Tandis que là, il s’agit d’un document clair et exhaustif, déjà imprimé, qu’ils ont simplement mis à son dossier. La Direction apprécie toujours qu’on leur facilite la tâche.

Le plus grand paradoxe du pervers narcissique, c’est qu’autant il a besoin d’un public à qui divulguer vos défauts, autant il a profondément peur que ses propres défauts soient révélés à ce même public. Ce qui signifie, second paradoxe, que plus il intimide sa victime, plus il la craint. Et c’est normal. Personne ne connait mieux le comportement abusif du pervers narcissique que sa victime. Et ceci la rend dangereuse pour lui. Car comme je le répète sans cesse: Le plus grand complice de ton agresseur, c’est ton propre silence. Et face à un tel comportement, je ne suis pas homme à garder le silence.

J’aurais donné gros pour voir sur son visage le choc que ça a dû lui faire, d’apprendre par la Direction que non seulement avais-je porté plainte contre lui, j’ai passé une semaine complète à en discuter avec huit de nos collègues. Et que aucun d’entre eux ne sont d’accord avec l’image qu’il colporte de moi. Ce qui signifie qu’au moment de cette rencontre, il devait bien se douter que les ragots ont eu le temps de faire leur chemin, donc que la majorité du personnel et de l’administration étaient fort probablement au courant de ses agissements. Et il ne peut même pas retourner la situation contre moi en m’accusant d’atteinte à sa réputation, puisqu’il y a eu des témoins pouvant corroborer le trois quart de ce que j’ai dénoncé. Sans oublier les autres préposés qui ont été sa cible, avant que ce soit à mon tour.

Pour l’instant, le CHSLD le garde car il y a grand manque de personnel. Mais puisqu’il est un employé d’une agence, et non un employé du CHSLD, il n’est pas membre du syndicat, et n’a donc personne pour le protéger. Il sait très bien qu’à la prochaine plainte qu’il y aura à son sujet, fut-elle de moi ou d’un autre, il sera renvoyé sans autre forme de procès.

Depuis ce jour, lorsque l’on se croise, il ne me parle pas et il ne me regarde pas. Et s’il arrive que nous sommes dans la même pièce en présence d’autres personnes et qu’il a à prendre la parole, son ton de voix est beaucoup plus doux qu’à son habitude.

S’il a passé de loup à agneau, c’est parce que j’ai su lui démontrer, et ce dès les premiers instants où il a tenté de m’imposer ses abus, que ce comportement ne passait pas avec moi.

C’était son choix de devenir mon agresseur. Mais c’était mon choix de ne pas devenir sa victime.

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Y’A LIENS LÀ

Il y a 15 ans, j’ai écrit un billet de blog intitulé Commettre l’erreur de pardonner. Celui-ci explique clairement que le principe du pardon est une mentalité de lâche, et que celle-ci ne fait qu’encourager les abus à continuer. Et je le fais en démontrant avec logique comment chaque argument pro-pardon n’a rien de pertinent.

7 réactions étranges de ton entourage lorsque tu publies ton premier livre.

Il y a quelques billets de ça, j’expliquais que j’ai profité du temps libre que m’accordait mon chômage de 2021-2022 afin d’écrire un essai intitulé Le sucre rouge de Duplessis.  Délaissant la fiction pour l’Histoire du Québec, j’y raconte la naissance, les débuts difficiles et le sabotage de l’industrie du sucre québécois de 1936 à 1960 sous le règne des Bleus, c’est-à-dire les Conservateurs de l’Union Nationale de Maurice Duplessis. Et si dans le titre le sucre est rouge, c’est justement parce que cette industrie a été créée par les Rouges, les Libéraux, le Parti Libéral d’Adélard Godbout.

Non seulement suis-je le premier à écrire un livre au sujet de l’histoire de l’industrie du sucre québécois, j’ai déterré un scandale duplessiste que l’Union Nationale avait réussi à faire oublier pendant 70 ans.  Aussi bien dire que mon livre écrit une page inédite de l’Histoire du Québec.

Une page que, à mon grand étonnement, je n’avais toujours pas réussi à placer chez un éditeur un an et demi plus tard.  J’avais pourtant tout pour qu’ils se l’arrachent : C’est de la politique. C’est de l’Histoire du Québec. C’est une biographie d’un politicien. C’est un sujet inédit. ÇA PARLE DE DUPLESSIS, BOUD’VIARGE !  Et pourtant…

Le plus difficile lorsque l’on reçoit ces lettres génériques pré-écrites des éditeurs qui nous refusent, c’est que l’on reste dans l’ignorance des raisons de ce refus.  Est-ce que mon texte est mal écrit ?  Est-ce que ce sujet ne présente aucun intérêt ? Est-ce parce que cette maison en particulier a déjà atteint son quota de publications historique / politique / biographique pour cette année-là ?  Est-ce que ces éditeurs ont un parti-pris politique que mon livre offense? Je veux bien corriger la situation. Mais pour ça, il faut d’abord que je sache où se situe le problème avec mon manuscrit.

Que je n’arrive pas à placer mes fictions, soit !  Mon style personnel, mes histoires et les thèmes que j’y aborde ne plaisent qu’à peu de gens.  Dans de telles conditions, je peux comprendre pourquoi pas un de mes récits de fiction ne fut accepté pour publications.  Mais pour celui-là ?

J’ai fini par trouver moi-même où se situait le problème.  Au lieu de ne me limiter qu’aux détails importants afin de créer un récit fluide, j’avais placé dans le livre tous les résultats de mes recherches.  Incluant la biographie quasi-complète de Louis Pasquier, gérant de la raffinerie de sucre de Mont-Saint-Hilaire de 1946 à 1951.  À cause de ça, ce n’est qu’à la 72e page que l’on arrivait enfin au sujet principal.  Tout ça pour des détails qui n’intéresseront pas le lectorat québécois.  J’ai donc fait le ménage dans mon manuscrit, élaguant 64 pages de détails inutiles.  J’ai changé le titre original trop long, L’industrie du sucre au Québec sous le règne de Maurice Duplessis, pour quelque chose de plus court, plus punché, et qui attire même la curiosité.

Je me trouvé ensuite une maison d’éditions qui existe depuis 2009, et qui a dans son catalogue des ouvrages sur l’Histoire du Québec. Je lui ai envoyé cette nouvelle version.  J’ai rapidement reçu son acceptation de me publier, et deux jours plus tard je signais le contrat. Et aujourd’hui j’ai en main des copies de mon premier livre fraîchement sorti de l’imprimerie. 

Avant même qu’il ne soit publié, il était déjà annoncé sur les sites des chaines de librairies Renaud-Bray et Archambault.  Au dire de mon éditeur, il est très difficile pour un nouvel auteur d’être accepté par ces deux chaines, à moins que celles-ci croient que le sujet du livre a le potentiel d’être un best-seller.

Donc avais-je raison de croire en mon produit ?  Puisqu’au moment d’écrire ces lignes, le livre est chez le distributeur et prend le chemin des librairies, seul le temps le dira.  En attendant, depuis que mon entourage a appris que j’avais écrit un livre qui allait être publié, j’ai eu droit aux sept réactions suivantes.

RÉACTION 1 : On te donne des conseils irréalistes, propres à tuer ta carrière dans l’œuf.
Dès le départ, on me demande des détails au sujet de mon contrat.  J’explique donc que la première édition sera de 3000 exemplaires, que je recevrai 10% du prix de vente qui sera de $29.95 pour 250 pages, et que ça montera à 15% si on doit en imprimer d’autres éditions.  Que le format sera de 9 X 6 pouces, ce qui est un format standard pour un livre à couverture souple avec un tel nombre de pages. 

Scandalisés, ces gens me disent que 10% ce n’est pas assez.  Que je mérite au moins 40% pour tout le travail que j’ai fait.  Et que si mon éditeur veut que mon livre se vende, alors il devra prendre mon œuvre au sérieux.  C’est à dire en faire un beau livre, format 8.5 X 11, et avec couverture rigide avec jacket contour. Et que je ferais mieux de prendre un avocat afin de faire valoir mes droits auprès de cet éditeur qui est, de toute évidence, un arnaqueur de première.

Bref, de bons conseils, si le but ici est de me mettre les éditeurs à dos et m’assurer que je ne serai jamais publié nulle part pour le reste de ma vie. Sans compter que si le livre était publié selon leurs suggestions, il devrait coûter $60 pour être rentable. Qui voudrait payer ça? J’ai déjà de la misère à croire qu’on voudra payer $29.95 + taxes.

Si ces gens connaissaient le monde de l’édition, ils sauraient qu’au contraire j’ai eu droit à un très bon contrat avec des avantages qui ne sont pas donnés à tous.  Surtout pour un auteur inconnu. Car oui, je signe sous mon vrai nom plutôt que Steve Requin. Et j’ai beau avoir été publié dans divers journaux et magazines pendant vingt ans ans (1988-2008), je n’ai encore jamais fait mes preuves en tant qu’auteur de livres. Et nous sommes en pleine crise de la presse écrite, alors qu’internet a contribué à faire disparaître un nombre incroyable de magazines, journaux et maisons d’éditions parce que trop de gens ont remplacé le papier par l’écran. Alors soyons réalistes : en m’acceptant comme nouvel auteur, ils prennent un risque.

RÉACTION 2 : On fait appel à ta conscience environementale.
« Est-ce que tu te rends compte du nombre d’arbres qui devront être sacrifiés pour publier ton livre ?  Et l’essence qui polluera l’atmosphère, provenant des camions de livraison des distributeurs ?  Et quand les gens l’auront lu, il ne leur servira plus à rien.  Il va se retrouver dans les poubelles.  Et même s’ils le mettent à recycler, ça se retrouvera dans les sites d’enfouissements, parce que l’industrie du recyclage est bidon. »

D’accord, celle-là date d’il y a une douzaine d’années, alors que j’écrivais un roman de fiction intitulé Les Forces Occultes du Mont-Saint-Hilaire. Mais comment oublier une telle opinion qui exprime qu’écrire un livre fait de son auteur un Hitler écologique?

RÉACTION 3 : On se prend soi-même pour un écrivain.
Parce que la nouvelle version de mon manuscrit a été acceptée du premier coup au premier éditeur à qui je l’ai envoyé, il y en a qui se sont mis en tête que ça signifie qu’il est extrêmement facile de devenir auteur : tu écris un livre, tu l’envoie, il est publié, et tu deviens plus riche et célèbre que Stephen King et JK Rowling réunis.  

Je la trouve un peu rabaissante, cette mentalité à la « si TOI tu as réussi dans cette discipline que tu as pratiqué toute ta vie adulte, alors ça signifie que tout le monde peut faire aussi bien que toi et même mieux, plus rapidement, et en improvisant.« 

Trois d’entre eux se sont aussitôt mis à l’écriture de leurs projets de roman et ils me textaient quotidiennement pour me dire le nombre de pages où ils étaient rendus.  Ils ont tous abandonnés au bout de deux semaines, après avoir écrit 26, 31 et 32 pages.

J’avais un autre ami comme ça il y a une quinzaine d’années. Il a passé quelques semaines à écrire (et s’en vanter quotidiennement sur Facebook) un roman d’horreur, qu’il a transformé à mi-chemin en scénario de film… Pour s’arrêter au bout de 50 pages, en demandant sur Facebook s’il y avait parmi ses contacts des gens qui ont eux-mêmes des contacts avec l’industrie du cinéma.  « Parce que je ne vais pas perdre mon temps à écrire un scénario de film si personne n’est intéressé à le tourner », écrivit-il.  

Ça fait ses premiers pas dans une discipline où ça ne connait rien, ça n’a pas fait ses preuves, et ça exige un traitement meilleur que ce que reçoivent les professionnels chevronnés et reconnus dans le milieu. Pas surprenant que leur reconversion en auteur ne dépasse jamais trois semaines.

RÉACTION 4 : On te demande de te sacrifier par conscience sociale.
Il y a parmi mes connaissances des gens qui ont des tendances Social Justice Warriors.  Ils m’ont expliqué que l’une des chaines où mon livre sera vendu a déjà refusé de vendre des livres écrit par des gens trans. Ce qui veut automatiquement dire que cette chaine fait la promotion de la transphobie.  Et qu’en acceptant d’être vendu chez eux, je fais partie du problème en encourageant ce régime d’oppression.

Il y a des centaines, des milliers d’auteurs, dont les livres sont vendus à cette chaine.  Mais c’est à moi que l’on demande de torpiller ma carrière naissante d’auteur, comme si ça allait régler le problème (si tel est vraiment le problème pour commencer), sous peine d’être jugé comme étant transphobe.

RÉACTION 5 : On cherche tes vraies motivations cachées.
Dialogue entre un collègue de travail et moi datant d’il y a quelques jours.

LUI : « De tous les premiers ministres du Québec, pourquoi avoir écrit sur Duplessis ? »
MOI : « Un jour, un homme nommé Michel Cormier m’a contacté pour me montrer des documents provenant de son grand-père, Louis Pasquier, qui était gérant de la raffinerie de sucre de Saint-Hilaire.  Il voulait en savoir plus sur son rôle dans l’industrie du sucre au Québec.  Mes recherches m’ont démontré que Maurice Duplessis y était étroitement lié. »
LUI : « Ouais, mais pourquoi Duplessis ?  Il y a eu plein d’autres premiers ministres au Québec.  Ce sont tes convictions politiques ?  Tu es anti-conservateurs ? »
MOI : « Je n’ai aucun parti-pris politique.  C’est juste qu’il avait rapport à la création de la raffinerie de sucre, et… »
LUI : « Oui, mais pourquoi parler de LUI en particulier ? »

Qu’est-ce qu’il y a de si difficile à comprendre dans la phrase « l’industrie du sucre québécois a été créée sous le régime de Duplessis » ?

Il y a une question qui me fait particulièrement tiquer et que j’ai reçu presque à chaque fois que j’étais en train d’écrire un projet de livre : « À qui est-ce que ton livre s’adresse? » À ça, j’ai rapidement trouvé une réponse à la mesure de cette question: « Mon livre s’adresse aux gens qui sont intéressé par le sujet sur lequel j’écris. » Cette réponse n’a jamais été appréciée par ceux qui l’ont reçue. Mais c’est normal. Personne n’aime se faire démontrer qu’il a posé une question stupide.

RÉACTION 6: On exige que tu (re)devienne artiste à temps plein.
Pendant deux décennies, j’étais en effet artiste à temps plein, publié dans de nombreux périodiques. Durant cette période, j’ai toujours vécu avec un revenu me permettant à peine de vivre seul. Et ça ne s’est pas arrangé avec l’arrivée d’internet qui a précipité la disparition de nombreux journaux et magazines. Ce qui eut comme conséquence qu’en 2010, je ne me trouvais plus de travail du tout.

Comme je m’en suis souvent vanté sur ce blog, en partant de rien, j’ai mis dix ans à grimper les échelons de carrière et de salaire. J’ai commencé à faire du ménage dans un garage de bus avant de devenir concierge dans un édifice construit en 1964, puis concierge en chef dans une tour à condos, surintendant dans une usine de portes et fenêtres, support technique pour BMO. Et enfin, préposé aux bénéficiaires, malgré une pause-chômage d’un an entre deux contrats. Et à toujours avoir cette soif de monter plus haut, je songe maintenant à poursuivre mes études pour devenir infirmier auxiliaire.

Mais voilà, maintenant que j’ai un livre publié, tout le monde tente de m’encourager à lâcher ma carrière stable qui paie très bien pour retourner exercer celle qui me laissait dans la misère et sans véhicule. Bizarrement, dans la têtes des gens, un auteur, c’est forcément riche. C’est parce que les gens pensent que si un livre se vend $20, alors ce $20 va dans la poche de son auteur. En réalité, un auteur ne touche que 10% à 15% du prix de vente avant les taxes, ce qui signifie de $2.00 à $2.50. Et si un auteur Américain ou Français peut en vivre confortablement, ce n’est pas le cas au Québec. Comparons:

  • Population des États-Unis: 316 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 316 000 copies de vendues, ce qui te rapporte $790 000.00.
  • Population de la France: 66 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 66 000 copies de vendues, ce qui te rapporte $165 000.00.
  • Population du Québec: 8 millions. Tu vends ton livre à 0,1% de la population, ça fait 8 000 vendus, ça te rapporte $20 000 dollars. Soit $2 720 en dessous du seuil de la pauvreté.

Et ce n’est pas non plus comme si ton livre allait vendre 8 000 nouvelles copies à chaque année.

RÉACTION 7 : On te prend pour un con.
Dialogue arrivé pas plus tard qu’hier entre une madame de 81 ans et moi.

ELLE : « Combien tu le vend, ton livre ? »
MOI : « En librairies, il est $29.95 plus taxes. »
ELLE : « Hey ! Tu vas devenir riche. »
MOI : « Non ! Je reçois 10% sur chaque copie vendue, c’est-à-dire $2.99. »
ELLE : « Hein !? Comment ça ? »
MOI : « Parce qu’il faut payer l’éditeur, l’imprimeur, le distributeur et les librairies. »
ELLE : « De qué-c’est qu’y’ont d’affaire à prendre ton argent, eux-autres ?  C’est des maudits voleurs.  Laisse-toé pas faire.  Porte plainte, ma grand’foi. »
MOI : « Mais non !  Créer un livre, ce n’est pas gratuit.  Il faut donner un salaire à ceux qui ont travaillé dessus pour l’éditer, l’imprimer, le distribuer et le vendre. »
ELLE : « Pis combien de temps t’as travaillé dessus, toi ? »
MOI : « Ben, avec mes recherches pis l’écriture, ça m’a pris un bon trois ans. »
ELLE : « T’as travaillé trois ans pour que ça te rapporte trois piastres ?  Pourquoi tu perds ton temps de même ?  T’es donc ben niaiseux ! »

Alors voilà ! Nous, les auteurs, sommes tous des cons qui perdent leur temps.  Si c’est une sage madame de 81 ans qui le dit, alors ça doit être vrai. C’est fou ce que l’on peut apprendre sur soi-même lorsque l’on débute dans une nouvelle carrière.

Et c’est justement ça, la source du problème: je débute dans une nouvelle carrière. Oui, d’accord, j’ai déjà écrit quelques romans, certains que je laisse en ligne faute d’éditeurs intéressés, comme Un été à Saint-Ignace-de-Montrouge, ou bien Riverstock, le concert du siècle, et aussi Les Forces Occultes du Mont-Saint-Hilaire dont je parle plus haut. Mais à 54 ans, je suis au début de ma carrière d’auteur de livre publié par un vrai éditeur. Il est donc normal que jusqu’à ce point-ci de ma vie, je ne fréquentais nullement des gens du monde de l’édition. Et mon entourage non plus. Puisqu’ils ne connaissent rien à ce milieu, ils peuvent seulement s’imaginer comment ça marche. Or, l’imagination et la réalité, c’est deux choses bien différentes.

Les auteurs de métier, eux, ne vivent pas ce genre de situations. Et c’est parce qu’ils évoluent entre gens qui fréquentent ce milieu, donc qui se comprennent.


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Y’a liens là:

En juin 2015, j’écrivais ce billet de blog dont le titre dit tout: 20 raisons pourquoi je ne publierai jamais de livres. Bien que certains détails soient un peu dépassés aujourd’hui (le plus évident étant que j’ai fini par en publier un), ce billet décrit toujours plusieurs réalités du monde de l’édition que ne peuvent connaitre la population générale.

Un câble d’acier ombilical.  9e partie et conclusion: couper le câble pour enfin avancer

Une personne m’a demandé la raison pour laquelle j’ai écrit cette série de billets.  Il y en a plusieurs.  Et oui, la principale fut par besoin de justifier le fait que j’ai choisi de renier mes parents le 3 mai 2022.  Car soyons francs, dans la tête des gens en général, le mot parent évoque l’image de gens matures et responsables.  Tandis que le mot enfant, au contraire, évoque l’immaturité et l’irresponsabilité.  Ainsi, il est beaucoup plus acceptable socialement d’entendre que des parents ont renié leur enfant à cause des frasques de ce dernier, plutôt que l’inverse. Même si l’enfant a 53 ans.

Mais surtout, c’est qu’en me penchant sur le cas de mes parents lorsque j’ai pris cette décision, je me suis rendu compte que ce comportement n’en était pas un qui se limite exclusivement dans la relation parents-enfants.  Tout faire pour rendre et/ou garder l’autre dépendant.  L’Infantiliser.  La rabaisser aux yeux de leur entourage. Ne pas vouloir que l’autre ait une vie sociale.  Ne pas vouloir que l’autre ait une vie amoureuse.  Ne pas vouloir que l’autre ait un travail.  Ne pas vouloir que l’autre ait de l’argent.  Ne pas vouloir que l’autre habite seul(e). Toujours vouloir garder l’autre à la maison, avec soi, 24 heures, 7 jours.  Une situation dans laquelle la possessivité de l’un empêche l’autre de grandir, d’évoluer.  Bref, le genre de relation toxique que l’on retrouve surtout dans les couples.  Et si ce comportement n’est pas acceptable dans les relations de couples, pourquoi le serait-il dans les relations parents-enfants?

Cette situation insidieuse est beaucoup plus difficile à détecter.  Car, tout comme dans ma relation avec mes parents, la personne possessive ne tarit pas d’éloges et de bons soins envers sa victime.  Celle-ci ne peut donc jamais se plaindre de mauvais traitement, d’abus ou de violence de quelque façon.   Or, cette situation n’en demeure pas moins toxique.  Car à cause de l’isolation qu’elle vit sans cesse à tous les niveaux, la victime constate que toutes ses tentatives de réussir sa vie ne lui rapportent qu’échec par-dessus échec, et elle en vient à douter de sa valeur personnelle.  Elle a donc le réflexe de s’accrocher à la seule personne qui représente à la fois sa vie sociale, son toit, sa nourriture, son confort : celle-là même qui l’empêche d’obtenir ailleurs vie sociale, toit, nourriture, confort.  Et elle finit par accepter cet état de fait.

Sauf si, comme moi, la nature l’a faite furieusement indépendante.  Car j’ai beau avoir été saboté à tous les niveaux par mes parents de ma naissance jusqu’à mes 53 ans, jamais je n’ai accepté cet état de fait.  C’est la raison pour laquelle jamais je n’ai baissé les bras, et toujours je repartais à zéro, entreprenant de nouvelles carrières, dans de nouveaux logis, dans de nouvelles villes, me faisant de nouvelles vies sociales et amoureuses. Hey, j’ai même choisi de devenir itinérant plutôt que de me remettre dépendant de leur toit il y a deux ans. C’est tout dire.

C’est de ce désir d’indépendance qu’est tout naturellement venu mon obsession de l’évolution de soi. C’est la raison pour laquelle, à 33 ans, j’ai commencé à évoluer en santé et en forme en changeant mon alimentation et en allant au gym.  C’est la raison pour laquelle je suis retourné finir mon école secondaire à 25 ans en cours aux adultes.  Que je suis allé au cégep à 27 ans.  Que j’ai appris la menuiserie, l’électricité et la plomberie à 44 ans.  Et pour que jamais mon nom ne soit associé aux membres de ma famille qui ont des antécédents judiciaires, j’ai ensuite commandé à la Gendarmerie Royale du Canada ce certificat qui prouve que de toute ma vie je n’ai été le sujet d’aucune condamnation, et que je ne possède aucun dossier passé ou présent.

Ce document gouvernemental m’a ouvert toutes les portes. De concierge qui possède toutes les clés dans un édifice construit en 1964, à surintendant d’une tour à condos de luxe érigée en 2014, en y ayant libre accès partout et chez n’importe qui. Ce document m’a ensuite permis de travailler pour la Banque de Montréal, lorsque j’habitais à Sherbrooke.  Emploi pour lequel j’ai eu l’idée de suivre une autre formation me rendant très utile en milieu de travail en cas d’urgence.

Ce même document m’a permis ensuite de devenir préposé aux bénéficiaires, un métier qui demande de prendre soin de gens qui sont rendus au point le plus vulnérable de leurs vies. Une carrière que l’on n’accorde pas à quiconque ayant un passé le moindrement louche.

Oui, il y a moyen de se sortir des bas-fonds duquel on est originaire, et dans lequel les plus pathétiques personnes de ton vieil entourage préfèrent consacrer leur temps et leurs énergies à tenter de saboter ton évolution, au lieu de se concentrer sur leur propre évolution personnelle. Mais pour que ça soit possible, il faut d’abord accepter la réalité qui suit:

La majorité des gens qui nous entourent ne changeront jamais.  Surtout lorsqu’il s’agit de leurs mauvaises habitudes. Ça m’a pris 53 ans d’efforts et d’espoir, en m’accrochant à l’idée que, en tant que parents et adultes raisonnables, ils finiraient par me laisser vivre ma vie.  Mais malgré ma patience, malgré ma loyauté de fils unique envers ses vieux parents, il a fallu que je fasse face à cette triste réalité.  L’amour que mes parents me portent est égoïste et toxique.  Il l’a toujours été.  Il le sera toujours.  Ma vie entière le prouve.  Je n’ai eu aucun autre choix que de sectionner pour de bon ce câble d’acier ombilical.

Tu n’as qu’une seule vie à vivre.  Ne la sacrifie pour personne.  Pas même pour ceux qui te l’ont donnée.

Un câble d’acier ombilical. 8e partie, dépouiller pour garder pauvre

Lorsqu’il s’agit de m’isoler dans le but de me garder à eux, mes parents ont développé instinctivement le principe du travail d’équipe.  Par exemple, dans un billet précédent, tandis que ma mère s’affaire à m’infantiliser à mes propres yeux, mon père m’infantilise aux yeux des autres.  Tandis que mon père s’arrange pour me faire perdre mes emplois, ma mère s’affaire à me faire perdre mes conjointes.  Et, comme il est sujet dans ce billet, tandis que mon père me fait perdre mon argent et mes possessions, ma mère s’arrange pour me dépouiller de l’argent et des possessions qui me reviendraient de droit.

Trois ans d’économies envolées.
Je devais bien avoir six ans lorsque j’ai reçu pour la première fois de l’argent en cadeau: Un beau 5$ (à peu près $22 en argent d’aujourd’hui).  Ma mère m’a alors amené ouvrir un compte à mon nom à la Banque Canadienne Nationale, aujourd’hui Banque Nationale [du Canada] ou BNC.  Dans les années 70 au Québec, les banques n’offraient pas de compte spéciaux pour les mineurs, avec limites de retraits ni autres programmes qui existent aujourd’hui.  Quiconque ouvrait un compte comme tout le monde avait un compte comme tout le monde.  Je me souviens de la fierté que j’ai ressenti à avoir mon petit livret rectangulaire gris-pâle entre les mains.  Un feeling qui ne m’a hélas duré que jusqu’à la fois suivante où je me suis retrouvé avec de l’argent.  C’est qu’à partir du moment où j’ai eu ce compte de banque, à chaque fois que je recevais de l’argent à Noël, à mon anniversaire ou à toute autre occasion, mon père intervenait systématiquement en me disant avec un air autoritaire à la limite de la colère:

« Ça, tu va aller l’déposer, au lieu de l’gaspiller sur des p’tites crisses de cochonneries! »

Imaginez être enfant, être pauvre, ne pas recevoir de jouets, et ne pas avoir le droit de tirer plaisir de la seule chose que l’on te donne.  Voilà pourquoi ce compte est vite devenu source de frustration.  Au bout de deux ans, j’en suis même venu à espérer recevoir n’importe quelle babiole sauf de l’argent, car je savais que chaque chèque ou billet de banque reçu m’équivaudrait à une engueulade automatique de mon père, et ce sans même me laisser le temps de dire quoi que ce soit.

Un jour de Noël, je décide de montrer de la bonne volonté.  Avant même d’ouvrir l’enveloppe que me remet ma grand-mère, je dis: « Youppi, de l’argent! Je vais pouvoir le déposer. »

Ce à quoi mon père répond sur son habituel ton enragé:

« T’es mieux de le faire pour de vrai au lieu de le gaspiller, mon p’tit calice.  Parce que MOÉ m’as t’surveiller. »

Comme quoi, quoi que je dise, quoi que je fasse, il n’y avait jamais moyen de m’éviter ses insultes et ses menaces.

Il arrivait parfois qu’un ami, un cousin en visite ou toute autre enfant mette la main sur mon livret et y jette un oeil.  À chaque fois, j’avais droit à une remarque rabaissante dans le genre de:

« HEIN?  T’as juste ça?  T’es donc ben pauvre! »

Quand tu as neuf ans, et que tu as passé le dernier tiers de ta vie à te faire chier à te faire soumettre de force à une épargne radicale qui ne te laisse pas profiter du moindre sou, cette humiliation supplémentaire ne fait rien pour t’aider à voir le principe de l’économie d’un bon oeil.

À l’époque, comme beaucoup de québécois, mon père a fait partie des milliers d’hommes qui sont allés à la Baie James lors de la construction des grands barrages hydroélectriques.  Leur horaire allait comme suit: Deux mois de travail suivi de deux semaines de congés, qui était l’équivalent de leurs huit fins de semaines cumulées. Mon père fut embauché.  Il y avait juste un problème: Il n’avait pas le $60.00 requis pour prendre l’avion pour s’y rendre.  Or, dans mon compte de banque, il y avait $62.00 en argent de l’époque, fruit de trois ans de sacrifices forcés. Mes parents m’ont alors amené à la banque afin que j’en retire $60.00 et que je le remette à mon père.  Il m’a rassuré comme quoi il me le remettrait à son retour.  N’empêche qu’en attendant, je me sentais bien piteux à ne plus voir que $2.00 d’inscrit dans mon livret de banque, tandis que lui s’envolait avec mon argent.

À son premier congé, je le lui ai demandé.  Mais il m’a dit qu’il avait des dettes bien plus urgentes à payer, et qu’il me le rendrait à sa prochaine visite.

À son second congé, je le lui ai demandé.  Mais il m’a dit qu’il avait des choses bien plus importantes à régler avant de pouvoir se permettre de me le rendre, mais que je l’aurais à sa prochaine visite.

À son troisième congé, je le lui ai demandé, mais il m’a dit…

« HEILLE, TABARNAK, TU VAS-TU ARRÊTER DE M’FAIRE CHIER AVEC ÇA, CALICE!? Tu sauras que te nourrir pis t’habiller depuis que t’es né, ça m’a coûté ben plus que tes p’tits crisses de soixante piasses. Fa que farme donc ta yeule avant que j’te calisse ma main en pleine face. »

Assis sur le siège arrière du taxi qui nous ramène de l’aéroport, je reste silencieux.  Dans mon cerveau de neuf ans se bousculent de lourdes pensées, alors que j’en arrive à la conclusion que son insistance pour que je sauve mon argent n’était que dans le but de me le voler. Cette expérience m’a fait devenir dépensier compulsif, habitude que j’ai gardé pour les dix années qui allaient suivre. Évidemment, ça me rapportait des insultes et des commentaires enragés et rabaissants de la part de mon père. Mais ce n’est pas non plus comme si j’y avais échappé pendant les trois ans où j’ai été économe. Au moins, là, je profitais de mon argent.

Les héritages perdus
Lorsque j’étais adolescent, l’une de mes grands-mères et l’une des tantes de ma mère m’ont chacune pris à part lors d’événements familial.  L’une pour me dire qu’elle m’avait laissé une part d’héritage.  L’autre pour me dire que j’étais carrément son légataire universel.  À leurs morts, puisque j’étais encore mineur, mes parents ne m’ont pas permis de les accompagner au notaire.  Et ma mère a refusé en mon nom mon héritage.  Dans les deux cas, elle m’a servi comme justification que son but était de ne pas faire de chicanes dans la famille

J’ai toujours accordé une grande importance à l’histoire de la famille. Aussi, tout le long de ma vie adulte, à chaque fois qu’un ainé arrivait en fin de vie, je ne demandais rien de plus que certains souvenirs de famille, tels de vieux albums de photos, de la documentation, peut-être une babiole ou deux. Rien n’ayant vraiment de valeur marchande. À chaque fois, pendant les procédures, ma mère intervenait dans mon dos auprès du notaire et des autres héritiers en disant que nous ne voulons rien. Et quand je m’adressais aux autres héritiers pour voir s’ils voudraient bien me céder ces choses, trop tard. À leurs yeux, les dites choses n’avaient aucune valeur, alors ils les avaient jetées.

Vers 2013, j’ai surpris ma mère à dire ce qui suit à Flavie, ma conjointe de l’époque:

« Ma mère m’a laissé un coffre en cèdre. Tu l’veux-tu? Sinon, moi, j’m’as l’mettre aux vidanges, y m’sert à rien. »

Je suis aussitôt intervenu, vraiment pas content, et je lui ai fait savoir ma façon de penser en lui faisant la leçon de long en large comme quoi ce n’est un secret pour personne que j’attache une grande importance à l’histoire et les souvenirs de famille. Et que c’est une chose de ne pas vouloir faire de chicane dans la famille, mais que c’en est une toute autre de me dépouiller de tout bien d’héritage qui me revient de droit, en le donnant à des étrangers ou en le jetant. J’espérais que cette fois elle avait enfin compris.

En 2019, alors que nous habitions à Sherbrooke, ma mère me montre fièrement leurs nouvelles bagues de mariage. Elle me dit que, en vieillissant, ils maigrissent, et leurs doigts étaient devenus trop petits pour leurs alliances qu’ils portaient depuis 1966. Ils s’en sont donc rachetés de nouvelles, plus petites. Ce à quoi je réplique:

« Euh… personne ne vous a jamais dit que vous pouviez juste faire ajuster vos bagues originales? Ça aurait coûté beaucoup moins cher. »
« Non, on ne le savait pas. »
« En tout cas, à moins que vous vouliez les garder, vos premières bagues vont me faire un très beau souvenir de famille. »

On entend souvent des histoires full romantiques d’hommes qui demandent leurs copines en mariage, en leur offrant une bague de famille. Et je me suis toujours imaginer vivre ce cliché un jour. C’était sans compter l’esprit tordu de ma mère.

« Ah? Tu les voulais? Fallait le dire. On ne les a plus. Je les ai jetées. »
« QUOI? »
« Ben là! On a des nouvelles bagues. Qu’est-ce que tu voulais qu’on fasse avec les autres? »

Ma mère a cultivé depuis tellement longtemps le réflexe de me priver de tout héritage, qu’elle a jeté aux poubelles pour plus de $2 600 d’or et de diamant plutôt que de me les léguer.

À CONCLURE

Un câble d’acier ombilical.  7e partie, la raclée qui m’a handicapé pour la vie

Jusqu’à maintenant, dans tous les billets de cette série, je prend la peine de préciser que je ne donne qu’un seul exemple parmi des dizaine, voire des centaines d’expériences similaires que mes parents m’ont fait vivre. Cette fois-ci, c’est l’inverse. Dans toute ma vie, je n’ai eu droit qu’à une seule raclée. Mais comme le démontre le titre de ce billet, elle fut plus que suffisante.

Mais avant ça :

Tel que raconté dans Le jour où tout a basculé (1 de 4), le matin du 15 février 2018, alors âgé de 49 ans, je fais une vilaine chute dans un escalier verglacé.  En voici un extrait :

Je pose un pied sur la première marche. Au moment où je lève l’autre pied, je glisse sur la fine couche de verglas invisible qui recouvre l’escalier. Mon corps bascule.  Mon dos percute le coin de la marche du haut avec tellement de violence que je me fracture la 5e vertèbre, juste entre les omoplates. Tandis que mon corps couché glisse les huit marches, je suis envahi d’une douleur telle que je n’ai jamais vécu avant.  Je constate avec horreur que je ne respire plus.  Ma poitrine, ma cage thoracique, mes poumons, refusent de bouger. Je sais très bien que sans respirer, j’en ai pour quelques secondes avant que le manque d’oxygène me fasse perdre conscience.  Aussi, arrivé en bas des marches, d’un suprême effort qui ne fait qu’amplifier ma douleur, je me redresse sur les genoux.  Mon hurlement de douleur n’est qu’interne, car aucun son ne sort de ma gorge. Je me laisse tomber sur le côté, sur le  banc de neige molle.  Envahi par la nausée, je tourne mon visage vers le bas, la bouche ouverte, histoire de ne pas mourir étouffé si jamais je vomis pendant que je suis inconscient. 

Ce n’est que deux jours plus tard, en voyant que la douleur ne diminuait pas, que je suis allé à l’hôpital pour me faire prendre un rayon X.  C’est là que l’on a pu voir que je m’étais fracturé la vertèbre T5.  … Entre autres. Car voici ce que je n’avais pas encore raconté:

Le docteur a constaté quelques anomalies qui l’intriguent sur mon squelette, et il aimerait en savoir davantage.  Aussi, il me donne rendez-vous dans la semaine suivante pour une radiographie corporelle intégrale.  On m’injectera un liquide légèrement radioactif qui éclaircira davantage les images qu’ils en tireront.

Quelques jours après mon scan intégral, je suis au bureau du médecin.  Il m’amène les images qu’ils en ont tiré. En les observant, il me demande :

« Avez-vous déjà été dans un accident d’auto lorsque vous étiez enfant? »
« Non! »
« Vous êtes sûr?  Si je vous demande ça, c’est parce que la radiographie nous a montré que vous avez de très vieilles blessures à la colonne vertébrale et à la cuisse droite.  Regardez ici, un peu plus bas que le milieu du dos.  Vous avez eu les vertèbres T11 et T12 écrasées.  Et étant donné la taille qu’elles ont gardée, vous deviez avoir six ou sept ans lorsque ça s’est produit.  C’est un miracle que vous ne vous êtes pas retrouvé paralysé du bas du corps à ce moment-là. » 

Je regarde l’image.  Et en effet, non seulement ai-je les deux vertèbres mentionnées minuscules, mon dos semble prendre une courbe sévère à partir de ce point.  Chose confirmée par le médecin lorsqu’il me dit :

« C’est la raison pour laquelle votre colonne a une courbe anormalement prononcée.  Avez-vous parfois de la difficulté à respirer, le souffle court, ou ressentez-vous un malaise suite à un grand repas. »
« Oui!  À tout ça. »
« En se fiant à la taille de vos autres vertèbres, on peut voir que si ces deux-là avaient pu pousser à leur taille normale, et que votre dos avait une courbe normale, plus redressée, vous auriez dû être de 3 à 4 pouces plus grand.  Vos organes internes, eux, ont grandi normalement.  Mais ils sont comprimés dans une cage thoracique trop étroite, étant donné l’état de votre colonne. »

Voilà qui explique pourquoi l’effort physique me mettait si rapidement à bout de souffle, jusqu’à ce que j’améliore grandement mon cardio en allant régulièrement au gym depuis mes 40 ans, suite à Défi Diète 2008. 

Je n’étais pas au bout de mes surprises, alors que le médecin me montre maintenant un rayon X de ma jambe.  En son milieu, l’os de ma cuisse droite est plus étroit, un peu comme un sablier.  Et il est  traversé par une ligne noire.

« De la même époque, vous avez aussi cette blessure-ci.  Votre fémur a été brisé.  Apparemment, vous n’êtes pas allé à l’hôpital et on vous a fait marcher dessus, parce que l’os s’est ressoudé croche.  C’est pour ça que votre genou droit et votre pied droit portent vers la droite, plutôt que de pointer droit devant vous, tel que supposé. »

Alors c’est pour ça que ma jambe est croche? Eh bien!  Toute ma vie, jusque-là, j’avais toujours cru que c’était la nature qui m’avait fait ainsi.  En fait, mes parents ont toujours dit que lorsque j’étais bébé, j’essayais de marcher avant mes 9 mois, et que ceci aurait déformé mes os qui auraient poussés de travers.  Il me semblait bien que cette explication ne tenait pas la route.

 « Pour avoir un fémur brisé et deux vertèbres fracturées au point d’être littéralement broyées, même si c’était des os d’enfants, ça a dû prendre un impact considérable.  Vous êtes vraiment sûr que vous n’avez pas été dans un accident d’auto?  Ou alors fait une chute violente? Dans la montagne… Sur des rochers, peut-être? »

Je ne vois vraiment pas ce qui a pu m’arriver à six ou sept ans pour mettre mes os dans un tel état.  Je sais bien que ça remonte à loin, mais il me semble qu’un événement capable de me causer un tel traumatisme physique, je m’en souviendrais. 

Rentré chez moi, j’appelle mes parents pour leur faire part des questions du médecin.  Mais ma mère n’en a pas la moindre idée non plus.

En raccrochant, je me pose la question suivante : Est-ce que j’ai déjà ressenti, au niveau du dos, une douleur aussi intense que celle que j’ai eue lorsque je me suis fendu la vertèbre dans l’escalier?

Et tout à coup, je me souviens.  Oui, j’ai déjà ressenti une telle douleur.  Et les mêmes autres effets aussi, soit la paralysie temporaire, l’incapacité de parler, la nausée. Même l’évanouissement, cette fois-là arrivée pour vrai. C’était trois ou quatre semaines avant mon 7e anniversaire, au début de l’été de 1975.

Ça faisait environs trois mois que mon père avait pris un chambreur.  Lionel, 19 ans, était chauffeur de taxi.  Ça faisait donc trois mois que je n’avais plus de chambre ni de lit, et que je dormais sur le fauteuil du salon.

Je venais de terminer ma première année de l’école primaire.  Les vacances d’été étaient commencées depuis quelques jours.  J’étais au salon, à jouer avec mes Lego.  La veille, mon père s’était acheté un radio portatif.  Ce matin, pendant que mon père était au travail, Lionel a pris la radio et a commencé à jouer avec.  Mais il l’a échappé.  En tombant, les boutons se sont brisés et l’antenne a plié.

En fin d’après-midi, mon père revient du travail.  Il entre dans la cuisine.  Il voit ma mère et Lionel à table.  Table sur laquelle repose son radio tout neuf et déjà brisé.  Je l’entends hurler CALICE DE TABARNAK.  Mais je suis habitué à ses crises de rage, et cette fois-ci je sais que je n’en suis pas la cause. Je n’en fais donc pas de cas et je continue à jouer avec mes Lego.

Tout à coup, les murs, le plancher et le plafond basculent à une vitesse folle dans ma vision.  Une seconde plus tard, impact terrible qui me coupe le souffle.  Voile noir puis inconscience. 

Quelques années plus tard, Lionel me dira que mon père, après avoir vu l’état de sa radio, n’a pas attendu la moindre explication.  Ce qui suivit démontre qu’il a automatiquement cru que j’étais le coupable.  Il a filé à toute vitesse au salon où je jouais à genoux en lui tournant le dos.  Il m’a saisi par la jambe droite à deux mains, m’a soulevé de terre me faisant basculer.  Et, comme si j’étais une batte de baseball, il m’a frappé au mur, dans le cadre de porte de sa chambre. 

Le voilà, l’impact considérable qui a brisé mon fémur et qui m’a broyé deux vertèbres.

Je me réveille face contre l’oreiller, couché sur le ventre, dans le lit de mes parents, en ressentant une nausée terrible.  Tout mon corps, surtout mon dos, est en proie à une douleur tellement épouvantable que jamais je n’aurais pu imaginer qu’un tel seuil puisse exister.  J’essaye de bouger, mais je ne peux pas.  Je suis totalement paralysé par la douleur.  J’essaye de parler, mais aucun son ne sort de ma bouche.  À travers les cils de mes yeux qui n’arrivent pas à ouvrir complètement, j’aperçois du coin de l’œil mon père qui, à genoux à côté du lit, près de moi, pleure de façon incontrôlable.  Entre les sanglots, il ne fait que répéter :

« Stéphane!  Dis que tu l’aimes, ton papa.  Stéphane.  Dis à ton papa que tu l’aimes.  Dis-moi le!  Stéphane! Dis à ton papa que tu l’aimes. Dis-z-y qu’tu l’aimes, ton papa! »

Ces paroles me remplissent de peur.  Une peur si terrifiante qu’aujourd’hui à 54 ans je peux affirmer que n’ai jamais rien ressenti de tel, ni avant, ni depuis.  La source de cette peur, c’est parce que je suis incapable physiquement de parler. Par conséquent, je suis incapable de lui dire que je l’aime. Non pas parce que je l’aime vraiment. Bien au contraire. Mais j’ai peur que si je ne lui dis pas ce qu’il veut entendre, alors il va frustrer contre moi et me tabasser de nouveau. 

Mes parents ne m’ont jamais amené à l’hôpital.  Avec une jambe brisée et deux vertèbres broyées, il est évident que les médecins auraient signalé mon cas à la police.  Et si mon père va en prison, alors qui ira travailler pour rapporter l’argent pour faire vivre la famille?  En 1975, certainement pas ma mère.

J’ai donc passé tout l’été de mes 8 ans convalescent.  Sans recevoir de soin, pour ne pas que les gens sachent que j’étais mal en point. À marcher sur ma jambe brisée, sans savoir qu’elle l’était, et sans savoir que ça la faisait dévier.  À ne pas pouvoir dormir sur le dos, donc à dormir sur le ventre, sans savoir que cette position allait souder mes vertèbres brisées dans un angle qui faisait dévier ma colonne vertébrale.

J’étais trop jeune pour pouvoir me rappeler quelles étaient mes performances physiques dans les activités sportives à l’école avant cette raclée.  Ce dont je me rappelle par contre, c’est que j’étais devenu incompétent dans tous les sports nécessitant les jambes.  J’avais de la difficulté à courir, au point où je perdais l’équilibre si j’allais trop vite.  Alors évidemment, course à pied, soccer, baseball, kick-ball, football, basketball, hockey, tennis, etc.  Je ne tenais pas sur des skis, furent-ils alpin ou de fond.  Je ne tenais pas sur des patins. À vélo, si les pédales avaient des étriers, je devais mettre les pédales à l’envers, car si je les utilisais ça me causait de la douleur au genou. 

L’année suivante, en 1976, tout le Québec vibrait au rythme des Jeux Olympiques de Montréal.  Cet événement influençait les écoles, qui multipliaient les activités sportives bien au-delà des cours d’éducation physique.  Aussi, ce printemps-là, l’école a décidé d’organiser dix jours d’olympiades. Ils ont réuni au gymnase les 120 élèves des quatre classes de 3e année pour que l’on se divise en dix équipes. À ce moment-là, ça faisait un an que ma nullité en sports était un fait connu.

On devait se mettre au centre du gymnase, à attendre que l’on soit choisi par une équipe. Après que tous les garçons aient été pris, sauf moi, il ne restait plus que la soixantaine de filles des quatre classes. Lorsque j’ai enfin été appelé, il ne restait plus que moi et trois filles. Non seulement vivais-je une situation extrêmement humiliante pour un jeune garçon, je la vivais publiquement, devant à tous les autres enfants de mon âge et de ma ville.

Lorsque tu es le garçon le plus nul de ton école en sports, tu deviens pour les élèves la cible de ridicule et de mépris.  Et aussi de harcèlement. Puisque tu es le plus faible, ça fait de toi une cible facile. Et quand le monde te traite comme de la merde lorsqu’ils sont enfant et adolescents, c’est une habitude qu’ils ne perdent pas une fois rendus adulte. C’est comme ça qu’ils ont grandi. Alors même s’ils ne se souviennent plus de la raison pourquoi ils ont commencé, depuis le temps qu’ils agissent ainsi, ça reste profondément ancré dans leur personnalité. 

C’est sûr que je n’irais pas jusqu’à sous-entendre que cette raclée n’était qu’une manière de plus de la part de mes parents afin de s’assurer que j’allais être isolé des autres.  N’empêche que tel fut le résultat.  À cause de cette intervention parentale, jamais je n’allais être capable de faire du sport.  Jamais je n’allais faire partie d’une équipe.  Jamais je n’allais pouvoir me mettre en forme. 

Du moins, dans ce dernier cas, jusqu’à mes 42 ans, en décembre 2010. Je savais très bien que j’avais toujours été nul en course à pied. Mais je n’avais jamais su pourquoi. J’avais bien constaté que ma jambe droite portait vers la droite. Mais jamais n’avais-je fait le lien entre ça et mon incapacité sportive. Et surtout, jamais ne m’était-il venu à l’idée que ça puisse avoir un lien avec la raclée reçue dans mon enfance. Dans ma tête, j’avais juste toujours été nul en course à pied, tout simplement. Et à 42 ans, j’ai décidé d’y remédier en me mettant à l’entrainement dans cette discipline. Je tenais à me prouver qu’il n’y avait pas d’âge pour se mettre en forme.

Je m’étais mis comme défi de m’entrainer de manière à pouvoir participer au marathon de Montréal l’année suivante. Une course de 42 km..  Le premier jour de mon entrainement, je faisais 200 mètres avant de devoir m’arrêter, les poumons en feu.  Quatre mois plus tard, je faisais 5.2 km, respiration normale. Tous les espoirs m’étaient permis. 

Hélas, l’état de ma jambe droite faisait que la gauche devait compenser, ce qui mettait de la tension sur les deux. Jusqu’au point où elles ne pouvaient plus endurer la course combiné à mon travail physique debout. J’ai développé une fasciite plantaire qui m’a empêché de marcher, me laissant en arrêt de travail pendant deux mois. Ignorant la source véritable de mon problème, je blâmais mon travail.

Après huit semaines de convalescence, dont les six premières à nécessiter des béquilles, on m’a prescrit des orthèses que je dois porter dans des chaussures rigides. Jamais je ne pourrai participer au marathon. Plus jamais je ne pourrai courir. Je dois déjà me considérer chanceux de pouvoir encore marcher.

En me donnant cette raclée il y a 46 ans, mon père m’a handicapé pour la vie, autant au niveau physique qu’au niveau social.  Si seulement je l’avais mérité en lui brisant sa radio. Certes, ça ne justifierait pas ce qu’il m’a fait. N’empêche que je pourrais me dire qu’il y a eu cause à effet.  Mais puisque ce n’est pas le cas, je porterai en moi jusqu’à ma mort les séquelles physiques d’avoir été puni par mon père pour un geste que je n’ai jamais commis.

Un père qui, après cet acte insensé, pleurait.  Non pas en remords pour avoir posé un geste d’une violence inouïe contre son propre fils. Non pas par peur que son fils soit possiblement mourant. Non! Comme le démontraient ses paroles, ce qui lui faisait vraiment de la peine, c’était la possibilité de ne pas être aimé par sa victime.

À CONCLURE

Un câble d’acier ombilical. 6e partie, les mensonges de mon père

J’ai 20 ans et j’habite encore chez mes parents à Mont-Saint-Hilaire.  Je rêve de faire carrière dans le milieu de la scène : Télé, cinéma, théâtre…  En lisant L’œil Régional, le journal de la région, j’apprends qu’il y a un studio de télévision communautaire à Beloeil, dont les émissions passent sur la chaine 9 sur le câble.

Moi qui croyais que de tels studios ne se trouvaient qu’à Montréal, quelle aubaine que celui-là n’est qu’à quelques minutes à vélo de chez moi.  Je m’y rends donc et je leur propose mes services.  C’est du bénévolat, mais qu’importe, c’est l’endroit idéal pour prendre de l’expérience.  La patronne et les autres dirigeants sont dans la quarantaine et la cinquantaine.  On me prend à l’essai. 

Au fil des semaines, je me familiarise avec le travail de studio.  Les collègues me trouvent bien sympathique et apprécient mon sens de l’humour.  La patronne me propose même de créer un projet d’émission humoristique à saveur de la région.

Un après-midi de fin d’été alors que je suis au studio, la patronne vient me dire que mon père est venu me chercher.  Je suis surpris.  D’abord parce qu’il est là sans s’annoncer.  Je lui demande ce qu’il fait là.  Il me répond :

« Enwèye, viens-t-en, on est venus te chercher.  On vient d’acheter une maison. »

Ma surprise est totale.  Premièrement, je connais très bien notre état financier.  Non seulement nous avons toujours été pauvres, mon père est en ce moment sur le BS.  Il n’a certainement pas les moyens de s’acheter une maison.  La patronne le questionne.

« Ah oui? Dans quel coin? »
« À Otterburn Park, dans les nouveaux développements. »

Et voilà que mon père et ma patronne entament une conversation.  Et mon père de décrire fièrement la maison dans ses moindres détails, et du fait que j’aurai enfin une grande chambre.

« C’est au deuxième étage.  Tu vas être ben mieux là que dans ta p’tite chambre dans’ cave. »

Puis, nous partons, alors que mon père dit à la patronne :

« Je vais vous l’enlever.  J’espère qu’y vous cause pas trop de troubles. »
« Stéphane?  Du trouble?  Ben non!  Y’é tellement fin.  C’est notre rayon de soleil. »

Flatté par les paroles de ma patronne, mais toujours aussi intrigué qu’incrédule au sujet de la maison, j’emboite le pas à mon père et je me dirige vers l’auto où attend ma mère.  En entrant, je lui demande :

« C’est quoi cette histoire-là, que vous avez acheté une maison? »
« Hein?  Ben non!  On n’en a pas acheté.  On est juste allé les voir, dans les nouveaux quartiers d’Otterburn. »

Comme je m’en doutais.  Une autre de ses menteries.  Et il a interrompu mon travail pour ça.  Pris sur le siège passager arrière dans le véhicule en marche, me voilà contraint d’aller perdre mon temps à aller visiter une maison en sachant très bien que je n’y habiterai jamais.  Du temps inutilement gâché que je pourrais utiliser de manière intelligente et profitable, si j’avais pu rester à travailler au studio.

En arrivant dans les nouveaux quartiers d’Otterburn Park, mon père pointe vers une maison.

« T’check!  C’est celle-là! »
« Ok!  Pis c’est comment en dedans? »
« On l’sait pas! » répond ma mère. « On ne l’a pas visitée. »

Je suis sous le choc.  Lui qui a pris la peine de décrire la maison en détails à ma patronne, j’apprends maintenant qu’il a inventé tout ça de A à Z.  Ce qui signifie que son « On vient d’acheter une maison. » c’était en réalité « On a passé en auto devant une maison neuve qu’on trouvait belle. »  Et ils sont venus me chercher au studio sans prévenir, ils sont venus interrompre mon travail, et mon père a effrontément menti à ma patronne, pour ÇA?  C’est aberrant.

Le weekend passe.  Lundi, je suis de retour au studio.  La patronne me demande :

« Et pis?  Comment tu l’aimes, ta nouvelle maison?  Avez-vous aménagé? »

Qu’est-ce que je suis supposé faire, maintenant?  Je n’ai pas envie d’entrer dans les mensonges de mon père, à devoir moi-même mentir et improviser sur le sujet.  Surtout que, si on m’a bien renseigné, il faut travailler pendant deux ou trois ans dans un studio de télé communautaire avant d’avoir une expérience assez pertinente pour être embauché dans un vrai studio.  À travailler 2-3 ans avec ces gens, il est évident que l’on deviendra bons amis.  Le genre qui s’offrent à te reconduire chez toi après une journée de travail.  Je ne pourrai jamais leur cacher ma véritable adresse tout ce temps-là.  Je n’ai donc pas le choix.  À ma grande honte, je dois lui dire la vérité.

« Ils n’ont pas acheté de maison. »
« Hein?  Comment ça? »
« Ils ont juste passé devant pis ils la trouvaient belle.  C’est juste ça!  Ils ne l’ont même pas visitée. »
« Hein?  Ben voyons donc!?  Pourquoi est-ce que ton père a dit qu’il l’avait achetée, d’abord? »
« Ben… Y’a menti! »

La patronne me regarde, avec au visage un air démontrant qu’elle a du mal à comprendre mes paroles.  Aussi, je rajoute :

« C’est pas nouveau.  Il fait toujours ça.  Par exemple, l’an passé, quand on travaillait au restaurant Caruso à St-Basile, il disait aux autres cuisiniers qu’il était propriétaire de trois restaurants.  Et après ça, les autres cuisiniers venaient me demander pourquoi est-ce qu’il travaillait à ce restaurant-là, si c’était vrai qu’il en possédait trois autres.  Inutile de préciser que j’étais bien embarrassé de leur dire la vérité. »

La patronne continue de me regarder comme si j’étais une bête curieuse.  Puis, après cinq secondes de silence, elle répond :

« Ah!? »

Puis, elle quitte la pièce.  Je soupire!  Pour une fois que j’avais réussi à me trouver un travail artistique, un domaine dans lequel mes parents ne connaissent rien, je me croyais à l’abri de leur mauvaise influence.  Je me trompais. 

À partir de ce jour-là, les choses ont changé radicalement pour moi au studio.  Dans les jours et les semaines qui suivent, la patronne, les dirigeants et les collègues ne me demandent plus de les aider.  D’ailleurs, c’est à peine s’ils m’adressent la parole.  Et à chaque fois que je leur parle de mon projet d’émission humoristique, leurs réponses restent vagues, évoquant le fait que les caméras et studios seraient occupés dans le futur immédiat.

Cette ambiance étrange dans laquelle j’étais soudainement devenu invisible dura près de deux mois.  Il n’était pas rare que j’entre au studio, que j’y passe toute la journée, et que je parte le soir, sans que l’on ne m’ait adressée la parole.

Puis, un beau lundi de début octobre, je me rends aux studios.  La porte est verrouillée.  Les grandes fenêtres n’ont plus leurs rideaux opaques habituels.  Je regarde à l’intérieur.  Toutes les pièces sont vides.

Le studio avait déménagé.  Et personne ne m’en avait prévenu.

Et c’est là, devant la porte de ce local vide, désemparé devant cette situation, que j’ai réfléchi et que j’ai compris ce qui s’était passé. 

La patronne et les dirigeants sont de la même génération que mon père.  Alors que moi, j’étais un p’tit jeune de 20 ans.  Un p’tit jeune qui traite son propre père de menteur.  Dans leurs têtes, un homme de l’âge de mon père, ça n’a aucune raison de mentir. Surtout pour quelque chose d’aussi important que le fait d’avoir acheté une maison.  Il n’y a aucune logique à agir comme ça.  Par conséquent, quand j’ai dit que mon père avait menti, à leurs yeux, j’étais devenu l’un de ces petits jeunes délinquants qui ne respectent pas leurs parents, et qui mentent à leur sujet de façon totalement gratuite.

Ce qui fait que, à cause des mensonges de mon père, toute la télé communautaire de Beloeil ne veut plus rien savoir de moi. En tout cas, c’est la théorie qui me semble la plus plausible. Mais peu importe ce qui s’est vraiment passé, le fait demeure que tout allait bien entre moi et l’équipe de la télévision communautaire de Beloeil. Jusqu’au moment où mon père y est intervenu.

N’ayant ni l’argent ni le temps pour faire le voyage St-Hilaire / Montréal / St-Hilaire, je ne peux pas me chercher un studio de télé communautaire montréalais pour repartir à zéro.  Ce qui signifie que, par ses mensonges insensés, mon père avait tué dans l’œuf ma carrière de technicien de studio de télé. 

Ce n’était pas la première fois que le comportement de mon père détruisait mes chance d’avoir un emploi et/ou de faire carrière. Et ça ne sera hélas pas la dernière. Vous savez combien d’emplois j’ai eu dans ma vie? À ce jour, 26. Oui, je tiens une liste à jour depuis maintenant deux décennies. Et de cette liste, bon nombre de ceux-ci ont été perdus suite aux interventions aussi malvenues que non-sollicitées de la part de mes parents dans mon milieu de travail.

À SUIVRE

Un câble d’acier ombilical. 5e partie, tout passe par l’infantilisation

Lorsque l’on ressent le besoin vital et éternel de s’occuper de son enfant, la base est de ne jamais le voir comme étant autre chose qu’un enfant. Avec les années, j’ai constaté que tel était le cas de mes deux parents. À ceci près qu’au sujet de ma mère, ça semble être quelque chose d’inné Tandis que pour mon père, ce serait plutôt un comportement acquis. Mais dans un cas comme dans l’autre, effectivement, c’est en gardant son enfant à l’état d’enfant qu’on l’empêche d’entrer dans la vie adulte. Aujourd’hui, parmi les nombreuses expériences à ce sujet qu’ils m’ont fait subir, j’en ai choisi deux, un par parent. Commençons avec ma mère.

J’ai 17 ans et je suis avec ma mère au restaurant Fleur-de-Lys du magasin Zellers des Galeries Saint-Hyacinthe. Ayant donné notre commande à la serveuse, je me lève de table.

« Je reviens, je vais aux toilettes. »

Petit détail à préciser ici : Je n’ai jamais su pourquoi, mais dans ma famille le mot québécois « péteux » a toujours été employé pour désigner le pénis plutôt que le fessier. Aussi, ma mère me répond:

« Fait bien attention pour pas accoter ton péteux sur le bord de la toilette, pour pas pogner de maladies. »

Je la regarde, presque en état aberration devant cette précaution qu’elle me suggère. Ce n’est pas la première fois que je l’entends me dire ça. C’est juste que je ne m’attendais pas à me la faire servir encore à mon âge.

« Euh… Maman? J’ai 17 ans. Je fais cinq pied huit. J’ai ma taille d’adulte. La bol m’arrive en bas des genoux. Il faudrait que je me mette à genoux pour que ça puisse accoter dessus. Et encore! »

C’était la première fois que je constatais que pour ma mère, je ne grandissais pas. Même si ses yeux le voyaient bien, que j’étais arrivé à ma pleine croissance, et même si elle le savait que j’étais six pouces plus grand qu’elle, et sept pouce plus grand que mon père, dans sa tête, j’étais toujours un enfant. Et elle interagissait avec moi comme tel, comme si elle tentait de nous convaincre tous les deux que tel était toujours le cas. Comme si elle niait cette réalité.

Ça aurait pu être une simple erreur. Qui n’en a jamais fait en parlant? Il n’y a pas de quoi virer parano et voir des théories de conspirations dans un simple lapsus. Et en effet, une simple erreur sans signification, c’est ce que j’ai cru à ce moment-là. Malgré le fait qu’il devait bien s’être écoulé plus de douze ans depuis la dernière fois que ma grandeur ait nécessité un tel conseil, j’ai naïvement cru que c’était juste par force de l’habitude. Mais si ce fut la dernière fois qu’elle me l’a dit, son comportement général envers moi n’a jamais changé.

Et maintenant, mon père.

J’ai 20 ans et je me cherche du travail. Dans le journal local L’œil Régional, je trouve une petite annonce d’un endroit qui embauche. Ça n’existe plus maintenant, mais c’était un entrepôt de viande congelée située en bas de la côte Fortier à St-Hilaire. Alors que le salaire minimum est 5$ de l’heure, ils en paient $6.15.

Je saute sur mon vélo et je m’apprête à partir.   Mon père, encore sur le BS, est à la maison.   Il me demande où je vais.   Je lui explique que cet endroit embauche et que je vais y faire application.   Il m’offre d’aller m’y reconduire.   Je le remercie mais je décline, je suis parfaitement capable d’y aller par mes propres moyens.   Il insiste, me disant que c’est loin, qu’il fait froid, que ça va aller plus vite, etc.   Devant son insistance, je suis bien obligé d’accepter.

Il m’y reconduit en auto.  Il se stationne devant la porte.  Je débarque.  À ma grande surprise, je le vois débarquer aussi.  Je lui demande :

« Pourquoi tu débarques? »
«  Moi aussi je me cherche une job.   Y’en ont peut-être pour moi aussi.  »

Et le voilà qui me suit.  J’ouvre la porte et entre.  J’arrive vers le patron qui est assis derrière son bureau.  Il me demande :

« Est-ce que je peux vous aider? »

Sans me laisser le temps de répondre, mon père lui dit  :

«  Oui, mon ti-gars, y se cherche une job.   Est-ce que vous en auriez une pour lui?  »

Le patron m’a regardé comme si j’étais un attardé mental.   Et c’est normal.   De quoi d’autre est-ce que je pouvais avoir l’air, face à lui?   J’étais là, un grand gars de 20 ans, et j’ai mon pôpa avec moi qui vient parler à ma place, pour lui demander une job à ma place, comme si j’étais trop imbécile, à 20 ans, pour être capable de parler pour moi-même.

Et le fait qu’il se cherchait lui-même un emploi, pour justifier le fait qu’il m’a suivi? Bidon! Jamais il ne s’est porté candidat. Il s’est juste contenté de m’infantiliser aux yeux de la direction.

Est-ce que j’ai eu la job?   Évidemment que non!

Parce qu’en obtenant cet emploi, j’aurais commencé à être indépendant d’eux financièrement. Ça aurait été la première étape vers mon émancipation. Et à l’époque, je ne me doutais pas que ça allait à l’encontre de leur désir le plus cher. Celui de toujours rester des parents qui s’occupent de leur enfant.

Voilà pourquoi ma mère mettait ses efforts dans le but de me garder enfant à mes propres yeux. Tandis que mon père mettait les siens afin de me garder enfant aux yeux des autres.

À SUIVRE

Un câble d’acier ombilical. 4e partie, Créer le problème dans le but de me le régler.

Mon père a toujours été expert dans l’art de réparer ce qui n’est pas brisé. Ou, plus réaliste, l’art de saboter ce qui fonctionnait bien jusque-là. Son but: Me mettre dans une situation intenable, dans laquelle il vient me sauver.

J’ai 25 ans et j’aménage dans un 4½ au rez-de-chaussée sur la rue Verdun à Verdun.  L’appartement contient deux grandes fenêtres de six pieds de large par cinq pieds de haut, qui donnent directement sur la rue.  L’une est au salon, et l’autre est dans la chambre à coucher.  Les deux dames âgées qui habitaient ici avant moi ont occupé l’appartement pendant vingt ans.  En quittant, elles m’ont laissé les deux énormes stores à rouleau opaque qui masquent les fenêtres.

Mes parents sont là et m’aident à déménager.  Alors que l’on installe mon lit et mes meubles dans la chambre, mon père observe les pentures qui retiennent le store.  Il dit :

« Ça va péter, ça! »
« Quoi donc? », que je demande.
« Les vis sont ben qu’trop petites.  Ça tiendra pas! »

Je regarde la penture.  Elle est parfaitement collée au mur.  Je regarde les vis.  Elles sont parfaitement enfoncées dans le mur, sans la moindre trace de tension ou de faiblesse.  Je dis :

« Elles sont ben correctes. »
« Un gros store de même, c’est pesant.  Ça tiendra pas. »
« Ça a bien tenu pendant vingt ans.  Laisse faire! »
« Des p’tites vis de même, ça vaut pas d’la marde.  Ça pourra pas tenir un gros store pesant comme ça.  Attend!  J’en ai, des vraies bonnes vis à plâtre, moé! »
« Mais non!  Touche pas à ça!  Il est correct, le store  je te dis qu’il a tenu là sans bouger pendant les vingt ans que les deux vieilles madames vivaient ici avant moi. »

N’en faisant qu’à sa tête, il installe l’escabeau, décroche le store de ses pentures.  Puis, il va chercher ses outils.  Après avoir dévissé la penture, il sort de son coffre à outils une grosse vis métallique dentelée de ce modèle.

L’année précédente, j’ai eu à poser deux de ces vis sur le mur d’un ami.  Les instructions sur la boite sont claires.  Tout d’abord, il faut la planter délicatement avec un marteau, jusqu’à ce que toute la pointe plate disparaisse dans le mur.  Ensuite, à l’aide d’un tournevis, tourner délicatement à la main, afin de l’enfoncer doucement dans la plaque de plâtre, sans rien briser.

Aussi, c’est avec horreur que je vois mon père installer la vis au bout de sa perceuse électrique, et presser le tout fortement sur le mur.  Je lui dis que ce n’est pas comme ça que l’on pose ce genre de vis.  Ma remarque le pique au vif dans son orgueil de menuisier.

« Heille, calice! C’est pas toé qui va m’apprendre comment poser une vis. »

Sur ce, il enfonce la gâchette de la perceuse.  Aussitôt, la vis tourne à vitesse folle et des morceaux de plâtres volent au quatre vents.  Là où était la penture se trouve maintenant dans le mur un trou gros comme le poing.  Mon père reste hébété quelques secondes.  Puis, il dit :

« Christ!  C’est pas solide icite! »

N’ayant pas avec lui son plâtre ni ses outils à plâtrer, il me dit qu’il repassera le lendemain, un dimanche, pour m’arranger ça.  Ce qu’il fit en effet.  Or, il fallait laisser au plâtre le temps de sécher avant de tenter de poser de nouveau vis et penture.  Et la semaine, il travaillait à temps plein.

Ce qui signifie que les huit premières nuits que j’ai passé à cet appartement, c’était avec la lumière des lampadaires de la rue qui m’arrivaient directement dans les yeux.  Et avec les passants qui, du trottoir, pouvaient me voir dormir, pour peu qu’ils étirent le cou dans ma direction.

Tout ça parce qu’il ressentait tellement le besoin de me rendre dépendant de ses services, qu’il a insisté pour réparer quelque chose qui n’était pas défectueux.

Dans le même ordre d’idées. Mon père a exercé deux métiers dans sa vie: cuisinier et menuisier. Savez vous pourquoi j’ai quatre marteaux chez moi? Parce que, en tant que menuisier de la famille, mon père ne pouvait pas s’imaginer que quelqu’un d’autre que lui puisse posséder un marteau. Et surtout pas moi. Alors à chaque fois qu’il s’adonnait à en voir un chez moi, il croyait automatiquement que c’était un des siens que j’avais emprunté sans le lui dire, et il partait avec. Et moi, à chercher en vain mon marteau lorsque j’en avais besoin, je devais me résigner à l’idée de l’avoir égaré, même si je ne voyais aucune raison logique pour expliquer sa disparition, et je devais aller m’en racheter un autre. Jusqu’au jour où, à 46 ans, je constate que trois de mes anciens marteaux étaient chez lui. Avec les années, j’ai constaté que ça ne se limitait pas qu’aux marteaux. À quelques rares exception près, j’ai retrouvé chez lui chaque outil qui a disparu de chez moi de mes 20 à 46 ans.

Du reste, essayer d’acheter un outil au Canadian Tire ou au BMR en sa présence, c’était un exercice pénible. Il s’emparait carrément de l’outil dans mon panier, voire dans mes mains, pour le remettre en rayon, en me disant à chaque coup:

« T’as pas besoin de ça. J’en ai déjà à la maison! »

Oui, sauf que MOI, je n’en ai pas. Mais voilà, avoir mes propres outils, ça signifie ne pas avoir besoin de lui pour mes menus travaux. Chose qui va à l’encontre de son désir de s’imposer chez moi et dans ma vie, dans ce rôle qu’il se donne de bon parent qui vole au secours de son enfant dans le besoin. Un besoin qui n’existerait pas sans ses interventions malvenues.

Et je ne vous raconte pas tous les mets qu’il a gâchés en intervenant de manière non-sollicités parce que, en tant que chef cuisinier, seul lui sait cuisiner. L’exemple le plus récent, arrivé au printemps dernier: J’avais acheté un paquet de ces côtes levées St-Hubert en sauce, tendres et délicieuses, qui ne demandent que 20 minutes au four. Il a ouvert le paquet. Il a rincé les côtes dans l’évier pour en enlever toute la sauce. Il a mis les côtes au four pendant une heure et demie. Et il a passé le repas à se plaindre comme quoi St-Hubert vendait de la semelle de botte qui ne goûte rien. Et il n’a pas manqué, comme il le fait à chaque fois que j’ai le malheur de manger quoi que ce soit qui ne vient pas de lui, de me rappeler que j’aurais eu droit à un bon repas, si seulement c’était lui qui l’avait préparé de A à Z.

Et comme pour les billets précédents, ce ne sont que quelques exemples parmi les trop nombreuses fois où il m’a fait subir semblables situations pendant les trente-trois ans qui se sont écoulées depuis la première fois que je suis parti de chez eux pour commencer ma vie adulte.

À SUIVRE

Un câble d’acier ombilical. 3e partie, détruire toute vie sociale non-parentale

Encore une fois, un seul exemple parmi la centaine que je pourrais donner.

21 juillet, jour de mes 16 ans. Voilà un mois que je sors avec Chantal, 18 ans. Ce soir-là, pour ma fête, on planifie d’aller à l’expo agricole de St-Hyacinthe avec nos amis. Une belle soirée à s’amuser, faire des tours de manèges, jouer des jeux d’adresse, quoi de mieux pour un anniversaire. Nous serons six personnes, séparés dans deux autos.

Chantal est chez moi, c’est à dire chez mes parents. Nous nous apprêtons à partir. En cette époque pré-cellulaire, Chantal demande à mes parents la permission d’utiliser leur téléphone mural. Ils nous demandent pourquoi. On leur explique qu’elle va appeler une de ses amies, que nous irons à l’expo en groupe en deux autos. Trois personnes dans une auto, trois dans l’autre. Chantal va juste appeler une de ses amies pour qu’elle passe nous prendre.

Mes parents refusent. À la place, ils insistent pour aller nous reconduire à St-Hyacinthe eux-mêmes. J’ai beau leur dire que c’est pour aller à l’exposition agricole, donc que je reviendrai tard, ils insistent quand même. Ils me répondent qu’eux aussi, ça leur tente d’aller à l’expo, alors aussi bien tous y aller ensemble. Sous leur insistance, on est obligés d’accepter. Chantal appelle son amie pour annuler le transport. L’amie décide donc d’embarquer dans l’autre auto au lieu de prendre le sien.

Donc, nos quatre amis s’en vont à l’expo dans une auto, tandis que Chantal et moi on y va avec mes parents. On arrive à l’expo. On paye et on entre. On rejoint nos amis. Et là, dès le départ, je me fais niaiser par eux sur le fait qu’à 16 ans, mes parents m’ont suivi. Et tout le long de l’heure qui suit, ils me font remarquer que, bien qu’ils gardent une certaine distance, ils continuent de nous suivre, sans jamais arrêter de me surveiller.

Au bout d’une heure, mes parents viennent nous rejoindre. Ils me disent que finalement, ils trouvent ça ennuyeux. Normal, puisque contrairement mes amis et moi, ils ne font aucun manège et ne jouent à aucun jeu. Ils me disent:

 » Viens t’en, on rentre! »

Cette phrase me frappe comme une gifle. Déjà que j’ai eu à subir le malaise de me sentir sous leur surveillance depuis que nous sommes arrivés, la perspective de me faire interrompre ce qui est techniquement mon party de fête me choque. Je tente de protester, mais je réalise aussitôt que je perd mon temps. Dans trois heures, quand viendra le temps pour nos amis de revenir à St-Hilaire et Beloeil, les deux personnes qui sont assises sur le siège arrière de l’auto vont pouvoir se tasser pour faire une place à Chantal. Mais rendu là, il y aura cinq personnes dans le véhicule. Il ne sera pas possible de me faire une place en plus. Je suis donc obligé de retourner à la maison, immédiatement, avec mes parents.

En s’imposant pour aller me reconduire, en empêchant l’amie de Chantal de prendre son auto, ils m’ont empêché de pouvoir revenir de l’expo par mes propres moyens. Ils m’ont obligé à revenir à la maison, non pas quand je serais prêt à le faire, mais bien quand ça leur convenait à EUX. Dans une sortie de fun en gang qui aurait dû durer pendant quatre heures, ils m’ont cassé ma soirée au bout d’une heure. Ils m’ont enlevé à ma blonde. Ils m’ont enlevé à nos amis. Ils m’ont enlevé du terrain de l’expo avant même que j’aille eu le temps de faire le quart des manèges, alors que j’avais payé le plein prix.

En insistant contre mon gré pour aller nous reconduire, ils ont pris le contrôle total de mon 16e anniversaire afin de le gâcher, en m’isolant de ma vie sociale, en me donnant la réputation d’un pauvre petit immature dépendant de ses parents.

Du reste, à chaque fois que j’avais une fête entre amis, peu importe chez qui, peu importe où, j’avais droit au même scénario. À tout coup, je subissais leur imposition pour aller m’y reconduire, et le désagrément de les voir venir me chercher au milieu de celui-ci, entre 21h et 22h.

Ce n’est que tout récemment que je me suis rendu compte d’un truc. Lorsque j’allais chez mon ami Carl, ou chez d’autres amis dans des villes voisines, que je m’y rendais à vélo, peu importe le jour, peu importe l’heure. Jamais mes parents n’interféraient. Je pouvais même y passer la nuit si ça me chantait, pourvu que j’appelle d’abord pour prévenir. Mais dès qu’il s’agissait d’un party ou d’une sortie planifiée en gang, c’était inévitable, il fallait qu’ils s’en mêlent afin d’imposer leur présence, allant même souvent s’y pointer par surprise, afin de me l’abréger.

Et moi, pauvre naïf, je n’ai jamais pensé à leur mentir en leur faisant croire que j’allais plutôt faire une simple ballade à vélo, ou que j’allais chez Carl. Et pourquoi l’aurais-je fait? Quoi de plus anodin et normal comme activité lorsque l’on est adolescent et jeune adulte que de socialiser en faisant le party ensemble? Étant donné que c’était une activité qui n’était ni immorale ni illégale, jamais il ne me serait venu à l’idée qu’il serait nécessaire de leur cacher ça.

La naïveté et la patience est une excellente combinaison de traits de caractères… Si notre but dans la vie est de se faire manipuler, contrôler et isoler et exploiter.

Et c’est ainsi que j’ai vécu mes 53 premières années de vie. Avec mes parents qui ont toujours tout fait en leur possible afin de m’isoler des autres. Amis, copines, conjointes, collègues de travail, voisins, associés… Vous savez combien de fois que j’ai été en couple dans ma vie, depuis que je suis en âge de sortir avec les filles? À ce jour, 44 fois. Oui, je tiens une liste à jour depuis maintenant deux décennies. Mon problème, ce n’est pas de m’en trouver une. C’est de la garder, après qu’elle ait été exposée à mes parents. Car oui, ils font partie des raisons pourquoi j’ai eu tellement de blondes, conjointes et amantes dans ma vie.

Tout ça parce que leur but est d’avoir le monopole sur ma vie sociale. En fait, de constituer, à eux seuls, mon unique vie sociale.

À SUIVRE

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Vous voulez en lire plus? En 2015, j’ai écrit ici, sur ce blog, le déroulement du second party entre ados où je suis allé dans ma vie, alors que j’avais 15 ans. Et comment mes parents sont venu me l’interrompre en venant me chercher au beau milieu de celui-ci, alors qu’ils avaient pourtant accepté de me laisser revenir par mes propres moyens. Voir Sophie, la poupée qui dit non mais qui fait oui.

Un câble d’acier ombilical. 2e partie, m’isoler en pourrissant ma réputation

Mes parents ont toujours voulu que leur maison soit un refuge pour moi. Or, un refuge, ça sert à fuir un milieu hostile. Qu’est-ce qui se passe lorsque j’habite dans un environnement dans lequel je n’ai que des relations harmonieuses? Simple: Ils s’arrangent pour que ces relations me deviennent hostiles. En voici un exemple parmi les nombreux qu’ils m’ont fait subir depuis que j’ai quitté leur maison.

J’habitais depuis environ deux ans dans le quartier Ville-Émard de Montréal.  C’était un 3½ au rez-de-chaussée d’un petit bloc de huit appartements.  C’était une coopérative d’habitation.  Tour à tour, chaque locataire devait faire de menus travaux.  En plus, je faisais partie d’un organisme qui distribuait de la nourriture aux familles pauvres du coin.  De ce fait, j’avais de bonnes relations avec les voisins et une bonne réputation dans le quartier. 

J’avais eu à quitter le quartier pendant six mois, car l’organisme propriétaire de mon logement avait eu droit à une subvention pour rénover le bloc au complet. J’ai pu le réintégrer au début de juin de cette année-là.

Ce dimanche-là, mes parents sont venus me visiter.  C’était un beau début d’après-midi ensoleillé.  Une grande partie des gens qui habitaient ma rue, majoritairement des noirs, en profitaient pour s’installer sur leur terrain devant les logements, pour se reposer à l’ombre des arbres tout en profitant de cette belle journée.

Mes parents arrivent pendant que je suis affairé à balayer le chemin de béton qui mène à ma porte.  Ils se stationnent devant chez moi.  En débarquant, mon père regarde autour, et vois tous ces gens qui relaxent.  Aussi, c’est avec un grand étonnement qu’il me dit, là, devant tout le monde, assez fort pour que toute la rue entende :

« Christ!  Y’en a donc ben, des nè████, icite! »

Bien que je n’approuve absolument pas ses paroles, je suppose que d’un certain sens je peux comprendre pourquoi il les a prononcées. Dans les St-Hilaire et St-Hyacinthe où il a passé sa vie dans les années 1950, 60, 70, 80 et 90, très rares étaient les non-blancs.  Et là-bas, personne ne lui a jamais dit que certains mots qu’il a utilisé toute sa vie pour désigner les noirs étaient très mal vus. 

C’est donc sous les regards lourds de tous ces gens que j’entraine mes parents à l’intérieur.

En entrant dans la cuisine / salle à diner, ils constatent que la cuisinière n’est pas collée contre le mur.  Je leurs explique que le propriétaire et ses employés sont passés ce matin pour changer le prélart de la pièce.  Mon père se dirige sur la cuisinière en disant:

« Attend, j’va t’aider! »
« Un instant.  Laisse-moi le temps d’aller chercher du carton. »
« Pourquoi? »
« Pour mettre sous les pattes de la cuisinière, pour que ça glisse sur le prélart. »
« Ben là! Franchement! Pas d’besoin! »

Et aussitôt, il pousse la cuisinière de toutes ses forces, causant instantanément quatre déchirures d’un pouce de large par six pouces de long dans le prélart.

Un prélart neuf.  Posé le matin-même!

Environs une heure plus tard, il sort dans la cour arrière.  Il revient avec une chaise.

« Stééééphaaaane!  Regarde ce que ton papa y t’amène! »
« Une chaise?  Qu’est-ce que tu veux que je fasse avec ça?  J’ai déjà quatre chaises de cuisine, deux chaises d’ordi et une chaise longue de patio. »
« T’a mettras à côté de ta porte, pour t’assir quand t’enlèves tes bottes. »
« Ben voyons donc! J’ai pas de place pour ça.  Pis où est-ce que tu l’as trouvée? »
« C’est tes esties de caves de voisins d’à côté qui jettent plein de belles affaires. »

Ceci allume aussitôt une alarme dans ma tête.  Dans ce quartier et à cette époque, ce n’est pas dans la ruelle que l’on met les poubelles le jour où elles passent.  C’est à la rue.  De plus…

« À côté?  Tu veux dire que tu es allé prendre ça sur leur terrain? »
« Ben oui!  Tu devrais aller voir tout c’qu’y’ont jeté! »
« MAIS C’EST PAS DES ORDURES!  ILS RÉNOVENT! »

Je lui enlève la chaise des mains et je sors.  Je constate que plusieurs de mes voisins de cour arrière regardent dans ma direction.  Ils ont vu mon père aller prendre la chaise chez le voisin.  Et là, ils me regardent aller la rendre.

Avant que mes parents passent chez moi ce jour-là, j’avais de bonnes relations avec le voisinage et avec le propriétaire.  Après leur départ, les voisin d’en arrière me prenaient pour un voleur, la population noire du quartier me voyaient comme un raciste, et le propriétaire me jugea comme un imbécile parce que trop cave pour être capable de faire attention au prélart neuf qu’il venait tout juste de me poser.

Tout ça en une seule visite.

Ce n’était pas la première fois qu’ils causaient du trouble entre mon voisinage et moi. Et ça ne sera hélas pas la dernière. Je n’ai choisi cet exemple-ci uniquement qu’à cause de la vitesse et de l’étendue de leur travail de destruction sur ma réputation dans le quartier et auprès du propriétaire.

Au moment d’écrire ces lignes, j’occupe mon 37e logement depuis que j’ai commencé ma vie adulte il y a 35 ans. Oui, je tiens une liste à jour depuis maintenant deux décennies. Ne vous demandez pas pourquoi j’ai eu à déménager aussi souvent.

À SUIVRE