Il y a trois façons d’habiter dans un château : Naître une royauté, épouser une royauté ou servir la royauté. Ce dernier cas est le mien. Évidemment, puisqu’il n’y a pas de famille royale au Québec, il faut comprendre que ceci n’est qu’une figure de style que j’utilise afin de décrire ma situation actuelle. Car comme je l’ai raconté dans le billet Elle dit un truc et fait le contraire, ma vie a récemment eu droit à un upgrade :
- J’ai passé d’un immeuble en béton de 22 étages à une tour de verre de 32.
- J’ai passé d’un appartement à un condo.
- J’ai passé d’un 3½ à un 4½½. Non, le second ½ n’est pas une faute de frappe, il y a deux salles de bain.
- J’ai passé du vieux quartier Notre-Dame-de-Grâces aux nouveaux quartiers de l’Île-des-Sœurs.
- J’ai passé d’un croisement de boulevards dans un quartier urbain d’où émane un constant bruit de circulation automobile et de sirènes de police, pompier et ambulance, à un très calme et silencieux quartier riverain.
- Et surtout, j’ai passé de concierge dernier embauché, donc le gars avec le moins d’expérience, donc le plus incompétent aux yeux des patrons et collègues, à homme d’expérience et premier embauché, ce qui me mérite le poste de surintendant, soit la plus haute autorité de l’édifice après le gestionnaire.
Derrière cette liste de vantardises se cache une profitable leçon : Lorsque l’on a appris tout ce qu’il y avait à apprendre de notre environnement, lorsque l’on y a vécu tout ce qu’il y avait à y vivre, lorsque l’on arrive à un point où ne peut pas aller plus loin, il ne reste plus qu’à partir et continuer notre vie ailleurs. Ce n’est pas un signe d’instabilité. C’est au contraire se donner la chance de poursuivre notre évolution personnelle, chose pour laquelle notre environnement actuel nous fait obstacle. Car comme je le dis déjà dans le billet Les revoir? Pourquoi pas! Les re-fréquenter? Surtout pas!, il est bon de s’éloigner de ceux qui nous ont d’abord connus en tant que version inférieure de ce que nous sommes devenus. Car peu importe à quel point on s’améliore, dans leur tête on sera toujours tels qu’ils se sont habitués de nous voir, et ils seront instinctivement portés à nous garder dans cet état d’infériorité.
Très vieil exemple classique: Après plusieurs années à parcourir la Terre Sainte en tant que guérisseur et prophète respecté, Jésus est retourné à Nazareth, sa ville d’origine. Au lieu de l’écouter, les résidents s’en moquaient et le méprisaient. Pour eux, il n’était pas le fils de Dieu capable de changer l’eau en vin, multiplier la nourriture, marcher sur l’eau, guérir les malades et ressusciter les morts. Il n’était que le fils du charpentier, rien de plus. En constatant la réaction de ses compatriotes à son endroit, Jésus dit alors: « Nul n’est prophète en son pays. », une phrase encore valable aujourd’hui.
Mais je m’égare, comme d’habitude. Le véritable sujet de ce billet, c’est de décrire avec un brin d’humour le choc culturel que j’ai ressenti à passer de la classe pauvre/moyenne à la classe riche. Ou du moins, à l’environnement de la classe riche, car je suis loin de faire leur salaire. J’ai beau me vanter que j’ai mon condo à l’île-des-Sœurs, la seule raison pourquoi je l’ai est parce que mes patrons me le fournissent car mon poste me demande à être résident de l’édifice. Ce n’est pas comme si j’avais de la classe.
Donc, voici ce que j’ai appris au sujet des riches depuis que je suis ici:
1) Les riches sont allergiques à la lumière électrique.
Les trois dernières semaines où j’ai habité au coin de Cavendish et Sherbrooke Ouest, je débutais ma journée de travail en allant mettre du chlore dans la piscine intérieure située au 22e étage. De là, par les immenses vitrines, je contemplais au loin les tours à condos où j’allais bientôt travailler et habiter. Sauf que, phénomène bizarre, la nuit, ces tours étaient invisibles. Je me serais attendu à ce que de si grandes tours se voient de loin avec leurs lumières. Mais non, camouflage nocturne total. J’ai vite compris pourquoi en aménageant : J’ai un luminaire de plafond qui éclaire la grande pièce qui est à la fois la cuisine, la salle à dîner et le salon, et celui-ci a une puissance qui n’a pas l’air de dépasser les 7 watts. Mieux encore : aucune des deux chambres à coucher n’a le moindre éclairage, ni au plafond ni au mur. Pour finir, le plancher est noir mat. Il absorbe donc la lumière au lieu de la refléter.
Inversement, les placards et garde-robes ont chacun leur interrupteur et leur ampoule de 20 000 watts.
2) Les riches sont apparemment exhibitionnistes.
Un mur de verre? Signe de richesse! Une baignoire de verre? Signe de grande classe. Les deux combinés ensemble? Euh… Signe comme quoi on aime montrer ses fesses à tout le quartier quand on se lave? Je ne vois pas comment autrement expliquer ceci:
3) Les riches appliquent la ségrégation entre les bains et les douches.
Comment? Vous, les pauvres, prenez une douche dans votre bain? Ah, comme c’est mignon. Ici, le bain est dans une salle de bain, tandis que la douche est dans l’autre.
Une salle de douche, donc!?
4) Les riches font leur p’tits besoins avec classe.
Non mais regardez-moi cette bécosse.
1) Un petit bouton pour envoyer un petit jet d’eau pour le petit pipi + un gros bouton pour envoyer un tsunami pour la grosse commission.
2 + 3) Et tandis que les pauvres ont à souffrir le siège et le couvercle qui tombe avec un BANG, ici on bénéficie d’un couvercle et d’un siège à freins d’air qui les fait doucement se poser comme une plume.
5) Les riches démontrent leur classe en mangeant comme des pauvres.
En le constatant via les commerces autour, j’ai réalisé que dans le fond, l’Histoire de la Gastronomie ne raconte que ça :
Un pauvre employé de bergerie n’a qu’un vieux pain sec et du fromage pour diner tandis qu’il garde les moutons. Afin de le ramollir et le rendre comestible, il fait fondre son fromage dans une casserole au-dessus du feu et y trempe son pain. Les riches voient ça, font pareil et appellent ça « fondue ».
Un pauvre n’a rien d’autre à manger que du vieux fromage tellement passé-date qu’il pue le pied fongique en stade avancé. Les riches s’en emparent et qualifient ces fromages de « raffinés ». Et si, eu lieu de puer, il est envahi de larves? Les riches appellent la chose « Camembert ».
Les paysans d’Europe sont tellement pauvres qu’ils en sont réduits à manger des escargots. Les homards et les crabes capturés par accident dans les filets de pêches sont vus comme étant tellement bas de gamme que les pêcheurs les donnent à l’État qui s’en sert pour nourrir les prisonniers. Les riches s’en emparent, les noient dans du beurre à l’ail pour compenser le fait que ça ne goûte pas grand chose, et en font un plat de classe.
Un pauvre boit son café froid et mange sa soupe au légume froide? C’est un BS trop cassé pour se payer l’électricité. Un riche boit son café froid et mange sa soupe au légume froide? Il savoure son Café Glacé tout en dégustant sa Gaspacho avec classe.
6) Les riches se foutent de payer plus cher que les pauvres pour les mêmes trucs.
On s’en doutait mais j’en ai vécu personnellement la preuve en achetant à manger. Il y a une semaine, au IGA de l’Île-des-Sœurs, un sac (réutilisable) et demi m’a coûté $91.00. Hier, au Maxi de Verdun, j’ai rempli quatre sacs (réutilisables) pour $123.00.
7) Les riches aiment automatiser tout.
La première fois que j’ai utilisé les toilettes publiques de l’édifice, j’ai constaté qu’il n’y avait pas de crochet pour suspendre mon manteau. Alors j’ai fait ce que je fais d’habitude dans ce temps-là: J’ai déposé mon manteau dans le lavabo. Mal m’en pris! Juste au moment où j’ai constaté que ce lavabo n’avait pas de poignées eau chaude / eau froide de chaque côté du robinet, un jet d’eau tiède en a jailli, imbibant mon manteau.
8) Les riches recyclent plus et jettent moins.
À mon ancien logis/travail, à tous les lundis, on ne mettait qu’entre douze et seize bacs à recyclage au chemin. Ici, c’est entre quarante-quatre et cinquante. Vous allez dire « Ouais mais y’a dix étages de plus alors c’est logique ». Alors comment expliquez-vous que là-bas on remplissait entre cinq et sept containers à déchets par semaine, alors qu’ici c’est deux?
9) Les riches démontrent leur classe en décorant comme des pauvres.
Sérieux là, Il y a dix ans, quand j’habitais un vieil appartement délabré, je faisais exactement ça, utiliser de vieux objets abimés et brisés comme meubles, accessoires utilitaires et décorations. J’étais vu comme un BS, un redneck pas d’classe. Aujourd’hui, après m’être débarrassé de tout ça depuis longtemps, qu’est-ce que je vois? Que dans les condos, ces vieilleries sont appelées vintage, ces décorations sont qualifiées de chic, que des cochonneries qui ne valent rien chez les pauvres se vendent une fortune chez les riches, et que d’avoir le même comportement que j’avais il y a une décennie est maintenant considéré comme décorer avec goût. WTfuckingF???
1) Un vieux panier d’osier cloué au mur en guise de porte-papier-cul.
2) Une vieille échelle repeinte en blanc avec la peinture qui s’écaille en guise de porte-serviette.
3) Plein de vieilles règles en bois en guise de cadre de miroir.
4) Des plaques d’immatriculations, repeintes dorées pour faire chic, je suppose.
5) Poignées dépareillées
6) Tapis posé tout croche par terre.
7) (Dans le reflet du miroir) Crochets de patères sur poutrelles de soutien tout croches.
8) Une… Branche? UNE FUCKING BRANCHE D’ARBRE?
Un vieil escabeau délabré + trois planches Ikea qui ne fittent pas pantoute avec.
Comme si l’escabeau ne suffisait pas, de la ficelle en jute pour colis pour suspendre le tout? N’importe quoi!
Le genre de truc que l’on ferait temporairement après un déménagement. Ici, c’est permanent.
10) Les riches démontrent leur classe en n’ayant aucun sens pratique dans l’architecture.
Architecture n’est peut-être pas le mot approprié. N’empêche que, regardez-moi ça :
Allez, soyons sérieux, une bibliothèque au-dessus du bain? Avec tout ce que ça implique :
- Impossibilité de remplir les rayons sans mettre un escabeau dans le bain, puisqu’il n’y a que 3 cm de rebord entre les étagères et la flotte.
- Risque que le livre tombe à l’eau et se ruine.
- Le livre sera, de toute façon, mouillé à être manipulé par des mains humides.
- Si je me fie à la hauteur de la toilette, une personne de taille moyenne qui étire le bras ne peut atteindre que la 3e tablette, maximum. Elle fait quoi alors pour atteindre les deux premières? Elle grimpe le rebord, glisse, a le réflexe de s’accrocher à la bibli, qui lui tombe dessus?
Mais bon, je suppose qu’être écrasé par quatre tonnes de bouquins dans un jacuzzi, il n’y a pas plus classe comme mort.
Je ne me moque pas, je constate. Et ce que je constate, c’est que dans un nouvel environnement, les choses ne sont pas nécessairement meilleures ou pires que ce à quoi on était habitué jusque là. Elles sont juste différentes, voilà tout. On s’y fait!
… Enfin, j’espère.