General Menteurs, le post scriptum: L’allergie aux changements

Printemps 1979.  J’ai 10 ans.  Hier, ma mère m’a remis une casquette que lui a donnée une voisine pour moi.  C’est ma toute première casquette.  Je la porte fièrement sur le chemin de l’école. 

Ce matin-là, dans la cour d’école avant d’entrer en classes, deux élèves différents m’enlèveront la casquette de la tête en courant.  On me refera le coup une fois ensuite à la récré du matin.  Deux autres fois à l’heure du dîner.  Une fois à la récré d’après-midi.  Et enfin, à la sortie des cours, où cette fois on me la lancera par-dessus la clôture qui délimite le terrain de la cour d’école.  J’ai donc été agressé pour un total de sept fois, de la même manière, le même jour, de la part de six enfants différents, dont deux que je ne connais que de vue.  Et tout ça pour le crime d’avoir porté une casquette.

Sur le chemin du retour, frustré d’avoir été la cible de toutes ces manifestations d’hostilité, surtout pour une raison aussi insignifiante, je m’interroge :

« Mario Lussier, y porte ben sa casquette tout l’temps, lui.  Pis j’ai jamais vu personne lui enlever.  Pourquoi est-ce que quand c’est moi qui en porte une, tout l’monde me l’enlève? »

Juste en me disant ça, je vois tout de suite où se situe la différence entre lui et moi.  Mario porte sa casquette depuis le tout premier jour de l’école.  Alors aux yeux des autres, depuis le tout début, Mario Lussier, c’est le gars à la casquette.  Ils sont habitués à le voir avec ça sur la tête.  Mais moi?  Non!  Voilà pourquoi ça a attiré leur attention.  Parce que c’était nouveau. 

En fait, je constate que cette situation est similaire à ce que mes camarade de classe ou moi subissons à l’école après une coupe de cheveux : On passe la journée à être sujet de moqueries non-stop.  Et ça dure parfois deux, voire même trois jours, avant qu’ils finissent par s’habituer à nous voir avec les cheveux raccourcis, et que ça cesse d’attirer leur attention.

Pour la première fois de ma vie, à l’âge de dix ans, je réalise que certains stimulus peuvent provoquer certaines réaction chez les gens.  N’étant âgé que de 10 ans, je n’aurais pas su expliquer le comment du pourquoi de ce comportement.  Mais une chose était sure : Le changement, ça dérange.  Alors quand on essaye d’être autre chose que l’image que les gens ont de nous, on les dérange.  Et puisque ce sont des enfants, il est plus facile pour eux de tenter de remettre les choses comme elles l’étaient, plutôt que de se faire à l’idée que les choses aient pu changer.  D’où le vol répété de ma casquette. 

Chez un adulte, on s’attend à ce que ça soit différent.  Mais dans le fond, un adulte, ce n’est qu’un enfant qui a accepté de se faire imposer des règles pour pouvoir vivre en société.  Ça ne veut pas dire pour autant que sa personnalité ait vraiment changé.  Car comme je le répète souvent, il y a trois moment dans la vie où on voit la vraie personnalité d’autrui :

  1. Lorsqu’il est ivre, et…
  2. Lorsqu’il est frustré.  Deux moments qui lui redonnent la personnalité qu’il avait… :
  3. Lorsqu’il était enfant.  Et un enfant, ça n’accepte pas le changement. 

En fait, le principe du changement créé un curieux paradoxe dans la personnalité de l’être humain : On accueille à bras ouvert tout changement positif dans notre vie.  On veut s’améliorer.  On veut évoluer.  Par contre, on accepte mal le changement lorsqu’il arrive autour de nous.  On ne veut pas perdre nos points de repères. 

Pourquoi est-ce que je prends la peine de vous expliquer tout ça?  Parce que tous les ennuis financiers, sociaux et juridiques que j’ai subi de mes 24 à 48 ans, tel que raconté dans les 10 chapitres de la saga Général Menteurs,  sont dues à deux personnes qui, comme les enfants décrits plus haut, refusaient que je change.  Ni la mère de mes enfants ni le père de Camélia n’acceptaient de me voir m’élever au-dessus de la ma pauvreté d’origine.

Quand on part de rien, on est entouré de gens de rien.  Et dans mon cas, partir de rien, c’était avoir un travail au salaire minimum qui ne demandait pas d’expérience.  Je suis devenu pâtissier dans un Dunkin Donuts.  Pendant les deux ans et demi où j’ai exercé ce métier, j’ai constaté que 80% de mes collègues de travail n’avaient même pas leur secondaire III, et parmi eux la moitié avaient un dossier judiciaire.  Pour eux, travailler au Dunkin, c’était le maximum qu’ils pouvaient atteindre.

Et c’était le cas de Kim.  Alors quand on a commencé à sortir ensemble, elle s’attendait à ce que je sois un gars sans avenir, comme la majorité de nos collègues.  Mais en voyant que j’avais de l’ambition, elle craignait que je m’élève au-dessus d’elle.  Ne pouvant pas elle-même s’élever au-dessus de sa classe d’origine, il lui était donc logique que si je m’élève, je la quitte.  Elle a donc lâché la pilule sans m’en parler, pour me forcer par responsabilité paternelle à rester avec elle, dans les bas-fonds.  Parce que, comme un enfant, il était plus facile pour elle de faire en sorte que les choses restent comme elles le sont, plutôt que d’accepter que ça puisse changer. Même si ce changement était une amélioration. 

Et lorsque je suis retourné aux études, histoire de ne pas élever nos enfants dans la pauvreté, même chose.  Maintenant diplômé, je pouvais aspirer à de meilleurs emplois, donc un meilleur salaire.  Mais au lieu d’accepter que je puisse changer notre vie pour le mieux, elle a préféré tout saboter pour que les choses restent comme elles sont.  Elle aurait pu m’aider à nous construire, elle a préféré me détruire. Et elle l’a fait en me laissant le choix entre cesser les études, ou me faire expulser de la maison par la police sous des accusations mensongères.  J’ai choisi d’évoluer. 

Ne l’acceptant pas, elle passera les deux décennies suivantes à utiliser les enfants et la pension alimentaire pour toujours m’empêcher de m’élever au-dessus des conditions de vie d’un pauvre.  Ce qui fait que même lorsque je gagnais le double du salaire minimum, j’avais encore moins d’argent pour vivre que lorsque j’étais au Dunkin.  Quant à elle, étant sur le BS, son chèque était amputé du montant de ma pension, par conséquent elle continuait de vivre dans la pauvreté à laquelle elle était habituée. 

Il y a six ans, on lui a proposé un travail dans un casino dans une région du Québec à la fois rurale et touristique.  Le genre d’endroit où on ne trouve pas le moindre anglophone à des kilomètres à la ronde.  Ayant passé sa vie à Montréal, elle était bilingue.  Il ne lui en fallait pas plus pour y être embauchée, au salaire faramineux de $49 000.00 par année.  Est-ce que ça a changé sa vie pour le mieux?  Non, car si j’en crois ce que notre cadette m’a rapporté, elle s’est endettée d’au-dessus de $30 000.00.  Aujourd’hui, à 45 ans, elle est obligée de retourner vivre chez son père.  Son salaire a beau être d’environs 30% plus élevé que le miens, elle demeure beaucoup plus pauvre que je le suis.  Bref, elle n’a pas changé et ne changera jamais.  Peu importe son revenu, elle vivra toujours dans les conditions de vie de sa classe pauvre d’origine. Et elle continuera d’entraîner dans la pauvreté tous ceux qui ont le malheur de faire partie de son entourage.

Les parents de Camélia avaient une mentalité similaire.  Dans le sens que pour eux, une personne qui provient de la classe pauvre, ça reste toujours pauvre. (Et de la manière que la mère de mes enfants gère son budget, on peut comprendre pourquoi ce préjugé existe.)  Or, je venais juste de me trouver un emploi à La Boite, à près du double du salaire minimum.  Au lieu d’accepter le fait que je puisse changer pour le mieux et m’élever au-dessus de la classe pauvre, ils ont fait en sorte pour que je reste à ma place.  Son père, haut placé dans la hiérarchie de GM a recherché qui, dans les employés de GM, pouvait avoir un lien avec mon emploi.  Le hasard a voulu qu’un de leurs employés soit le grand-frère de mon PDG.  Voilà pourquoi le beau-père m’a envoyé à ce concessionnaire-là si loin de chez moi, et à ce vendeur-là en particulier.  Ainsi, après avoir détruit mes finances avec un contrat de location abusif, ils ont pu étendre leur influence jusqu’à mon travail pour détruire ma carrière, s’assurant ainsi que je ne sorte jamais de la classe pauvre. 

Bon, « jamais », c’est relatif.  Ces responsabilités imposées ne pouvaient pas durer éternellement.  N’empêche qu’à cause de leurs manigances combinées, la mère de mes enfants et le père de Camélia m’ont quand même volé 24 ans de ma vie adulte. Et puisque ça ne leur a rien rapporté financièrement, ça veut dire que leur motivation n’était pas le profit personnel. C’était juste pour satisfaire leur désir de ruiner la vie d’autrui.    

Ce qui démontre, comme je disais plus haut, que le changement, ça dérange.  Alors quand on essaye d’être autre chose que l’image que les gens ont de nous, ils ne l’acceptent pas.  Et comme pour les enfants, leur premier réflexe est de tenter de remettre les choses telles qu’elles les ont toujours connues, plutôt que de se faire à l’idée que les choses aient pu changer. 

Ils ne pouvaient pas supporter de me voir avec une nouvelle casquette.  Il fallait qu’ils me l’enlèvent.  C’était juste plus fort qu’eux. 

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Y’A LIENS LÀ:

J’ai déjà étudié le phénomène démontrant que tout changement majeur de notre vie doit malheureusement s’accompagner d’un changement de notre entourage.  Ces trois billets en particulier décrivent bien la chose :

Pas obligé de rester loser, 4e partie : La nécessité de changer d’amis.

Pas obligé de rester loser, 7e partie: Les revoir? Pourquoi pas! Les re-fréquenter? Surtout pas!

Pas obligé de rester loser, 13e partie : Se tenir loin des autres losers.

Et tant qu’à faire, voici tous les billets de la série Pas obligé de rester loser

General Menteurs, 10e partie: 21 ans plus tard, l’exorcisme.

Le 14 décembre dernier, je publiais ici un billet de blog intitulé L’art de se faire rouler, dans lequel j’imagine le pire scénario catastrophe qui puisse arriver lorsque l’on succombe à une offre alléchante en rapport à l’achat d’une automobile.

À chaque fois que j’écris un nouveau billet, je mets un lien sur mon Facebook. Et c’est sur celui-ci que l’on m’a posé la question qui allait changer ma vie.  Une question composée de deux simples petits mots :

Le début de la fin

Pour la première fois depuis ces événements, j’en ai parlé, là, sur le net. Non sans une certaine appréhension, car comme vous pouvez le voir, je prends la peine de prévenir à quel point ma mésaventure est invraisemblable. J’écris néanmoins trois longs commentaires qui résument les 9 chapitres précédents.

Après avoir tout lu, Louis-Sébastien me pose le genre de question que l’on ne m’a posée que trop de fois déjà:

Louis-Sébastien
Wow toute une histoire! Est-ce que tu t’es questionné et compris pourquoi tu t’étais ramassé dans ce type d’histoire abracadabrante? Genre, pourquoi c’est arrivé à toi et pas à d’autres personnes?

« Et voilà! », me suis-je dit. « Encore une fois, je vais me faire juger comme quoi si ce genre de truc n’arrive qu’à moi, c’est qu’il doit bien y avoir une raison. Traduction: c’est de ma faute, j’ai fait exprès, j’ai couru après, etc. J’aurais dû continuer comme je le fais depuis quinze ans, et juste ne pas en parler. »

Je lui réponds cependant.

Steve Requin
Oh que oui, et c’est justement ça, le problème. J’ai beau réfléchir là-dessus depuis 20 ans, je ne trouve rien, car tout ça a l’air d’être une série de malheureux hasards. 

La fille du boss de GM, je l’ai rencontré au Journal étudiant, car c’était à ce moment-là la blonde d’un journaliste, et c’est elle qui m’a dragué. L’amie qui m’a trouvé ma job payante n’avait aucune connexion de près ou de loin à tout ceci. Le hasard a voulu que le père de ma nouvelle blonde soit le boss d’un gars dont le frère était le président de ma job.

Tu vois à quel point c’est aussi fucké que peu crédible, tellement c’est une série de hasards et coïncidences incroyables. Ben c’est ça !

Comme je m’y attendais, Louis-Sébastien n’y a pas vu là une série de hasards. (Bon, à part peut-être le lien de parenté entre mon PDG et le vendeur chez GM) Il a tout de même une théorie à ce sujet, et me demande si je voudrais la connaître.

Là encore, j’appréhende un sermon sur le fait de se regarder soi-même et de prendre mes responsabilités pour les malheurs que l’on attire soi-même sur soi, et toutes cette sorte de choses. Mais bon, puisque je ne peux pas juger un commentaire que je n’ai pas encore lu parce qu’il n’est même pas encore écrit, je lui ai donné mon Ok.

Trente minutes plus tard, il me poste ceci:

Louis-Sébastien
La première chose problématique qui me saute aux yeux, c’est la nature même de la relation que tu avais avec cette fille. Elle avait 20 ans, tu en avais 29. Juste cette question a plusieurs répercussions conscientes et inconscientes. Tu ne pars pas sur un pied d’égalité avec la fille. Ça peut être un avantage comme ça peut être un désavantage.

Ça sûrement été un avantage au début dans la phase de séduction, parce que c’est probablement ce qui l’attirait, un gars plus vieux qui représente la maturité, la sécurité et même une sorte de rébellion. Mais ce rôle vient avec des responsabilités que tu n’étais finalement pas en état de remplir sur le long terme (surtout à cause de ta situation financière)… que ce soit dans ses yeux à elle ou dans ceux de ses parents. Ta première erreur a été de ne pas t’en rendre compte.

Cette première erreur a menée à toutes les autres. En sachant que tu n’étais plus le bienvenu dans la vie de cette enfant de 20 ans (parce que soudainement tu ne représentante plus la maturité ni la sécurité), ton réflexe a été d’investir dans la relation au lieu de t’en éloigner comme tu aurais dû. 

En sachant que tu n’étais plus le bienvenu dans la vie de la famille, tu es resté. Tu t’es soumis au désir de son père de te procurer une auto, et juste là tu perds de la valeur face à sa fille. Son geste de rébellion qui est de fréquenter un homme plus vieux s’éteint au moment où cet homme plus vieux ce soumet à son puissant père.

Soudainement t’es pu excitant, t’es pu mature et t’es pu sécurisant.

T’es juste la marionnette de son père, qui a bel et bien décidé que tu sortirais de la vie de son enfant parce que t’as rien à lui apporté d’un point de vue rationnel. À partir de là tu contrôle pu rien, tu récoltes les émotions négatives liées à ta défaite contre son père (qui est pas un cadre haut placé dans une multinationale pour rien.. oui il avait tout manigancé). Tu prends des décisions irrationnelles, et ça fais juste empirer les choses à chaque fois.

Tout ça a découlé d’une mauvaise lecture de ce qui était attendu et possible pour toi dans la relation avec cette fille. Mauvaise lecture qui a menée à un gros investissement irréfléchie et irrationnel.

Est-ce que ça fais du sens ce que je dis?

J’avoue que, au sujet des raisons qui ont poussé Camélia à d’abord aller vers moi et ensuite me repousser, ouais, ça avait un certain sens. Mais la chose qui m’a le plus frappée dans son analyse fut:

« Son père [n’]est pas un cadre haut placé dans une multinationale pour rien. Oui, il avait tout manigancé. »

Après 21 ans, l’évidence de la situation me frappe comme une retentissante claque sur la gueule.

Les vendeurs d’auto sont des arnaqueurs. C’est comme ça partout. Toute la planète le sait. Et pour que ce soit l’un des plus vieux clichés du monde moderne depuis que nous sommes entrés dans l’ère de l’industrialisation, c’est bien parce qu’il y a du vrai là-dedans. Pour monter aussi haut au sein de General Motors, cet homme se doit donc d’être un arnaqueur de classe supérieure. D’être un fin stratège exceptionnel. Un homme d’une intelligence froide, calculée, manipulatrice et logique, et qui n’hésite pas à l’utiliser pour arriver à ses fins.

Et soudain, tout fait du sens. Ça explique tellement de choses.

Tout d’abord, comme je l’ai déjà dit, La Boite où je travaillais avait des milliers d’employés dispersés dans plusieurs bureaux parsemés dans tout Montréal et les environs. General Motors, même chose avec ses 14 concessionnaires dispersés dans le Grand Montréal. Alors statistiquement parlant, les probabilités que les employés de l’un aient des contacts parmi les employés de l’autre étaient assez bonnes. Et le hasard a justement voulu que le PDG et fondateur de La Boite ait un frère chez GM.

Pourquoi est-ce que je ne me suis jamais posé de questions sur le fait que, de tous les concessionnaires où il aurait pu m’envoyer, il ma pris rendez-vous à celui de l’Île-des-Soeurs? Pas un près d’où il travaille. Pas un près de chez moi. Même pas un dans l’île de Montréal.

Une seule réponse possible: Ce n’était pas un hasard. Ce qui voudrait dire que le beau-père a vraiment fait des recherches parmi les employés de GM pour voir s’il y en a un avec des connexions à La Boite. Et en y trouvant le frère de mon PDG, il est tombé sur le jackpot. Il est donc allé le voir et il a tout manigancé avec lui.

Toi qui me lis, imagine que tu sois vendeur de [peu importe]. Un client te dit qu’il travaille pour la compagnie que ton frère a fondé. Tu réagis comment? Comme une personne normale: Tu es amusé(e) par la coïncidence et tu lui dis: « Hey, mais je connais ça, c’t’endroit là! C’est mon frère qui en est le fondateur et le PDG actuel. »

Mais mon vendeur de GM, quand je lui ai dit? Aucune réaction. Pas un mot sur le sujet. Comme s’il savait qu’il devait stratégiquement me cacher cette information jusqu’au moment où il pourrait l’utiliser contre moi.

Quoi de plus facile pour lui que d’aller voir son frère, le PDG de La Boite, et de lui dire qu’un de ses employés veut lui acheter une auto, et qu’il désire avoir des renseignements à son sujet. C’est son frère, il ne lui fera donc pas subir tout le protocole de la protection sur les renseignements privés. Il va tout lui révéler: Mon statut d’employé temporaire à contrats, combien je gagne, le retrait direct que m’y fait Revenu Québec Pensions Alimentaires sur mon chèque de paie pour la mère de mes enfants… La totale.

À partir de ça, le vendeur a tout ce qu’il lui faut pour me monter un beau plan: Me faire signer une déclaration comme quoi je suis employé permanent, demander ensuite une preuve comme quoi je le suis, me menacer de poursuite et congédiement si je ne lui falsifie pas une preuve d’employé permanent, etc.

Et comment ai-je pu croire son histoire de la Golf à $150 qui tombe en panne justement le matin où il devait me la livrer? Tout était planifié d’avance. Je ne peux (supposément) pas acheter d’auto, mais puisque j’ai déjà signé un contrat avec lui, je suis forcé de l’honorer, ce qui m’oblige donc à accepter que la vente devienne une location, ce qui entraîne plein de frais imprévus qui me dépouillent, ne me laissant que 15$ pour manger au bout du mois.

Attend un peu…!? $15? Mais c’est le montant que j’ai sauvé en me fâchant lorsqu’il multipliait les frais cachés, ça. C’est le montant que j’aurais eu à payer pour les plaques, s’il ne m’avait pas amadoué en me les offrant.

Ça veut dire que sans ce rabais imprévu, l’auto m’aurait coûté tout l’argent qu’il me restait, au dollar près? ET JE SUIS ENCORE SUPPOSÉ CROIRE QUE C’ÉTAIT UNE COïNCIDENCE? Non, il fallait que ce gars-là connaisse mon salaire. C’est la seule explication qui tienne la route.

Et quand je tente de faire casser le contrat, et que je vendeur me répond que je n’ai pas à me défouler sur lui du fait que Camélia vient de me larguer? Ça ne faisait même pas 48 heures que c’était arrivé, et c’était arrivé au début du weekend. Comment pouvait il le savoir? Une seule explication logique: Le beau-père le lui a dit. Il a dû l’appeler, personnellement, chez lui, immédiatement après la rupture, pour le féliciter pour son travail bien fait. Preuve de plus comme quoi le tout avait été manigancé depuis le début.

Ah, et aussi le fait que l’auto ait été vendue au prix dérisoire de $15 500.00, ce qui fait que je devais à GM le reste de sa valeur, soit $27 000.00… Ce qui est le montant exact que j’aurais eu à payer si je n’avais pas cassé le contrat de location. Je suis supposé croire que c’est juste une autre coïncidence, peut-être?

Dès le départ en tant que travailleur à La Boite, mon statut de temporaire ne m’a pas empêché d’avoir droit au bonus de 50¢ l’heure pour ceux qui travaillent de soir. Mais à partir du moment où j’ai signé avec GM, là, soudainement, mon statut d’employé temporaire m’empêchait d’avoir le bonus de Noël, la double paie de la crise du verglas, l’augmentation des six mois, le contrat de travail après un an, la permanence… Bizarre, comme coïncidence, non?

Et moins d’une semaine après que j’aille rendu l’auto, ma chef d’équipe a droit à une promotion surprise, et on met Le Nazi à sa place, qui me prend aussitôt en grippe sans aucune raison logique de le faire.

Eh, ça explique même pourquoi, de nulle part, Camélia a affirmé devant le vendeur que je n’allais pas garder mon travail longtemps parce que c’est du travail de bureau et je suis un artiste. Ce sont ses parents qui lui ont mis ça en tête. Elle me l’a dit elle-même, que ça faisait des mois qu’ils la prévenaient contre moi. Et avec ses connexions à GM et à mon travail, le beau-père avait tout ce dont il avait besoin pour faire de ses médisances contre moi une prophétie auto-réalisatrice.

Et tout ce temps-là, j’ai cru que ce n’était qu’une suite de hasards malheureux. J’ai cru que c’était le destin qui s’acharnait sur moi. Que j’avais la malchance extrême qui me collait au cul. Mais maintenant que Louis-Sébastien m’avait pointé l’évidence comme quoi c’était mon beau-père qui avait tout manigancé, je réalise enfin la vérité: Je n’ai jamais été l’homme le plus malchanceux du monde! La preuve, c’est au nombre de fois où au contraire j’ai eu des chances durant cette période. Le fait d’avoir gagné des billets d’avion. Le fait que j’ai pu travailler pendant les trois semaines de panne, sinon j’aurais été trois semaines sans revenus. Le fait que le bureau de financement de GM ait perdu ma trace et, au bout d’un an, ait vendu ma dette à une agence de collecte. Ma ruine qui a effacé ma dette de GM à l’agence, et qui a fait cesser la pension. Mon retour d’impôts qui a effacé ma dette de pension.

Tout ce que j’ai subi de négatif durant cette période, ce n’était pas de la malchance. Ce n’était pas du hasard. C’était planifié. C’était juste un père qui tenait à ce que je me tienne loin de sa fille, c’est tout. C’est juste que, avec ses connexions qui s’étendaient jusqu’à mon travail, il pouvait s’assurer que jamais je ne serai assez riche pour qu’elle veuille de moi de nouveau.

Je ne saurais vous exprimer à quel point cette révélation m’a libéré d’un grand poids qui me pesait dessus depuis deux décennies. Cet indescriptible sentiment de soulagement. Tous ces murs qui s’écroulent dans ma tête. Tous ces engrenages libérés des bâtons qui les coinçaient. Je pleurais et je riais en même temps, tellement j’en étais chamboulé. Mais ce fut un chamboulement positif. Car enfin, depuis le temps que je me répétais qu’il était impossible que le sort s’acharne sur quelqu’un à ce point-là en lui balançant des coïncidences aussi extraordinairement négatives, j’ai enfin la preuve comme quoi j’avais raison.

Si j’avais su que le fait d’en parler sur le net allait me donner l’explication qui irait me libérer de ce poids moral, je l’aurais fait bien avant.

Techniquement, j’aurais toutes les raisons d’en vouloir à mon ex-beau-père, mon ex-vendeur de GM, mon ex-PDG… Mais vous savez quoi? Je ne ressens rien de tel. Je suis juste trop envahi par le sentiment de soulagement que m’a apporté le fait de pouvoir enfin comprendre ce qui s’est passé, que je ne suis même pas capable de ressentir de rancune envers qui que ce soit. Pendant deux décennies, j’ai vécu sous l’impression d’être un loser avec la poisse qui lui colle à la peau. En réalisant enfin que je me trompais tout ce temps-là, puisqu’en réalité je n’avais jamais été plus malchanceux que n’importe qui, je ne ressens rien d’autre qu’une profonde paix intérieure.

Et quiconque ne ressens que paix n’a pas de place dans son âme pour la haine.

General menteurs, 9e partie: Les séquelles.

On ne passe pas à travers ce que vous avez lu dans les huit chapitres précédents sans que ça laisse des séquelles, qui à leur tour apportent leur lot de conséquences sociales.

Certaines sont mineures, voire même positives. Par exemple, maintenant, dans mon choix de femmes, on ne me verra plus jamais approcher une fille bourrée de complexes, ni une avec qui j’ai zéro en commun en dehors du lit, ni une qui ne sait pas utiliser un ouvre-boite manuel, et encore moins une qui habite encore chez ses parents. Au moins, dans ce dernier cas, puisque je suis âgé de 50 ans, ça ne risque plus d’arriver. Mon âge me met également à l’abri d’un autre truc: Maintenant que tous mes enfants sont adultes, plus personne ne va me questionner sur le fait que je ne vis pas avec eux.

Par contre, il y a un truc sur lequel je n’ai jamais décroché: La malchance infernale qui a empoisonné mon existence durant cette période de ma vie. La pire étant la coïncidence extraordinaire que non seulement je tombe sur le vendeur d’auto le plus arnaqueur qui soit, il est le frère de mon PDG, ce qui lui permet d’utiliser ça pour me faire de l’intimidation et me forcer à respecter son contrat abusif.

Et comme je l’écris, deux chapitres plus tôt, j’ai moi-même du mal à y croire alors que je l’ai vécu. Alors vous pouvez imaginer à quel point c’est difficile pour quelqu’un d’autre d’accepter que ceci puisse être la réalité. Car sans pour autant me traiter de menteur, il reste que c’est le genre de choses que la majorité de la population n’a jamais vu et ne verra jamais. Alors ils trouvent ça bizarre.

En fait, non, ils ne trouvent pas ça bizarre. Ils me trouvent bizarre. Et ça, c’est quelque chose qui perdure jusqu’à ce jour. Littéralement! Car au moment où j’écris ces lignes, voilà quelques heures à peine que j’ai eue la conversation suivante.

(Pssst! C’est pas pour te faire un blâme, mec! Ça collait juste trop bien.)

Ceci est l’exemple parfait de la réaction de la population générale face à cette période de ma vie. Face au genre d’événements qui ne se produirait jamais dans leur univers, le premier réflexe des gens n’est pas de mettre en cause les événements, mais plutôt la personne qui subit les événements.

En 2003, ça faisait six ans, que j’avais rencontré Camélia, ce qui fut le départ de tous les hasards malheureux GM-esques qui en ont découlé. Je continuais à en vivre avec les conséquences légales et financières, et je continuais encore à faire face à l’incompréhension et à l’incrédulité de ceux qui me questionnaient sur le comment du pourquoi de mon sort.

À force de vivre ça, c’est probablement ce qui a fait naître chez moi le besoin que les gens me trouvent crédible dans ma malchance. Et puisqu’il était impossible que les gens croient à mes problèmes Camélia-belle-famille-GM-Travail, alors j’irais raconter d’autres mésaventures qui me sont arrivées, celles-là plus crédibles. Certaines causées par ma propre faute, certaines causées par la faute des autres, et certaines causées par de simples faits du hasard. Qui sait, peut-être que j’essayais inconsciemment de mettre en tête aux gens que si j’ai pu vivre tous ces petits désagréments, alors il est possible que j’ai subi tous ceux relatifs à GM.

Et c’est comme ça que, au printemps de 2003, est née La Zone Requin.

De 2003, et jusqu’à ce que Geocities ferme boutique en 2009, les gens ont pu lire mes mésaventures. Au début, lorsque j’avais une dizaine de textes, la réaction des gens était positive. Et c’est normal. Qui n’aime pas entendre une bonne vieille histoire foireuse vécue? Les gens étaient amusés. Ça ne pouvait que m’encourager à en rajouter. Ainsi, au fil des années, j’ai peu à peu rajouté plusieurs histoires, certaines anciennes, et d’autres venant tout juste de m’arriver. Vers sa fin de vie, mon site avait une quarantaine de textes.

Mais voilà, il y a un truc que je n’avais pas prévu: Si une personne raconte un malheur qui lui est arrivé, ça peut être drôle. Il en raconte une autre, c’est drôle encore. Mais plus il en raconte, et plus ça passe de “J’ai de petits malheurs occasionnels comme tout le monde” pour devenir “Tous les aspects de ma vie sont merdiques.” Et plus il en rajoute, moins c’est drôle, et plus ça devient malaisant.

En 2007, je m’amuse à rechercher “Zone Requin” sur Google. Voyez ce que dit le dernier exemple de cette capture d’écran de l’époque:

Pathétique! Voilà ce que j’étais devenu aux yeux du public.

Et c’est normal, après tout. Quand une personne subit un petit malheur une fois de temps en temps, les gens ressentent de la sympathie pour lui. Mais quand sa vie n’est que revers par-dessus malheurs par dessus malchances? Non, rendu là, ça ne sert à rien d’avoir de la sympathie pour ce gars-là. Il est juste une cause perdue. Un loser!

Et les losers, ça n’attire qu’un seul genre de personnes: Ceux qui ont besoin d’avoir un loser dans leur entourage. Parce qu’ils sont intimidateurs dans l’âme et veulent une cible facile. Parce qu’ils veulent un punching bag à rabaisser. Parce qu’ils veulent quelqu’un à exploiter. Parce qu’ils sont eux-mêmes losers et ont besoin de chier sur quelqu’un pour se sentir supérieur à au moins une personne dans leur vie. Leur besoin d’avoir un loser avec qui se comparer positivement était telle qu’ils n’hésitaient pas à s’arranger eux-même pour me saboter afin que s’assurer que j’en sois bien un.  Alors vous pouvez imaginer le gros scandale quand je ne me laissais pas faire et que je les remettais à leur place.

Je me suis fait quelques ennemis de cette manière-là. Et leur hargne persiste à ce jour, plus de quinze ans plus tard. Parce qu’il est plus acceptable pour eux de continuer de colporter cette image erronée qu’ils veulent avoir de moi, que de regarder les faits, d’accepter qu’ils font erreur à mon sujet, et passer à autre chose. C’est dire à quel point il est vitalement important pour certaines personnes d’avoir dans leur entourage un loser désigné, et que celui-ci reste loser.

Ça me prendra une autre décennie avant que je constate la seconde erreur que j’ai commise en créant cette page web. En observant les gens autour de moi, j’ai réalisé qu’à eux aussi, il arrivait deux, quatre, huit anecdotes malheureuses tout le long de l’année. Mais voilà, une fois le problème passé, ils n’y pensaient plus. Et leur entourage non plus. Moi? En les écrivant toutes, je les gardais vivantes dans ma tête, et dans celle des autres, pour toujours. Contrairement aux gens normaux, j’oubliais les bons cotés de ma vie pour ne garder vivant que le négatif. Ce qui fait que non seulement je conditionnais la population à me voir comme rien d’autre qu’un loser, je m’hypnotisais moi-même à le croire.

Et c’est là que, en 2009, j’ai constaté que j’avais passé mes douze dernières années sur une cause perdue. Non seulement personne ne croira jamais toutes les malchances extraordinaires qui ont parsemé ma saga avec GM, non seulement je n’aurai jamais droit à la sympathie du public, j’ai créé moi-même l’image de loser qui me colle maintenant à la peau. N’ayant plus rien de bon à tirer de La Zone Requin, je l’ai laissé disparaître en même temps que Geocities.

Et je n’ai plus jamais reparlé de ma saga GM à personne.

À partir de ce moment-là, ma manière de réagir à mes malheurs a complètement changée. Si j’ai un problème, je le règle. S’il m’arrive un malheur, je continue comme toujours de me regarder en premier pour voir si j’en suis la cause ou non. Si oui, j’agis comme il se doit pour régler la situation. S’il y a une leçon à en tirer de mon malheur, je l’apprend. S’il n’y en a pas, tant pis, je l’oublie et je passe à autre chose. Mais surtout, maintenant, quand la vie m’envoie de la merde, j’en fais du fumier, puisque le fumier nourrit et fait grandir. Bon, à condition d’être végétal, mais vous comprenez le symbolisme. Le meilleur exemple de cette mentalité, je vous l’ai démontré en février dernier. J’étais concierge. J’ai glissé sur un escalier verglacé. Je me suis brisé une vertèbre. Je ne pouvais plus exercer la conciergerie. Alors je suis devenu employé de bureau, et tous les aspects de ma vie se sont améliorés sur tous les niveaux.

N’empêche que je n’ai jamais cessé de penser que ma période GM a été extraordinairement malchanceuse. C’est quand même inouï, toutes ces coïncidences et hasards malheureux.

À CONCLURE 

General Menteurs, 8e partie : Dépression salvatrice.

Lorsque l’on a atteint le fond, que l’on réalise que l’on n’a pas d’issue, qu’il n’y a rien que l’on puisse faire pour s’en tirer, et que personne ne peut nous aider, et que rien ne fera cesser le harcèlement et les problèmes constants, et que tu ne peux compter sur la sympathie de personne car ta condition ne fait que t’attirer le mépris de tous, alors quatre différentes choses peuvent arriver, selon ta personnalité.

  • La dépression majeure.  On ne répond plus de rien, on ne s’exprime plus qu’en pleurs et en idées noires, on est pris en charge par l’état et on passe le reste de notre vie dans un institut psychiatrique à se faire bourrer de pilules.
  • La destruction.  On se jette dans une crise de rage et on passe quelques heures à commettre une série de meurtres, jusqu’à intervention policière.
  • L’autodestruction. C’est-à-dire le suicide. Se combine parfois avec l’option précédente.
  • La résignation.  Tu baisses les bras et tu fais juste prendre les coups qui t’arrivent sur la gueule sans répliquer.  Parce que, à quoi bon, hm!?

Ce quatrième cas est le mien.  J’en suis juste rendu à un point où, ayant tout subi et tout perdu, plus rien ne peut encore m’ébranler.  Et c’est dans cet état d’esprit que je reçois un appel d’un monsieur qui dit représenter les intérêts de GM.  Il me parle de la facture de plus de $30 000.00.  Et en gros, tout en restant poli, me répète les mêmes menaces déjà décrites dans les lettres qu’il m’a envoyé.

« Parce que vous savez, monsieur Johnson, si on n’arrive pas à trouver d’arrangements, je serai malheureusement obligé de remettre votre dossier aux avocats de GM, qui eux n’hésiteront pas vous trainer en Cour. »
« M’ouais!  Je comprends ce que vous dites.  Malheureusement, voilà six mois que je ne travaille pas, je n’ai pas droit au chômage ni au BS.  Je dois six mois de loyer, six mois de pension alimentaire, six mois à Hydro, six mois à Bell, six mois de prêt étudiant.  Je suis en train de tout perdre.  Donc, je vous remercie pour votre offre.  Malheureusement, on n’aura pas le choix, il va falloir que vous remettiez mon dossier aux avocats de GM.  Je suis vraiment désolé. »

Il me laisse son numéro en me demandant de le rappeler d’ici 48 heures si jamais je change d’idée. Trop aimable, mais je ne le note même pas. Même si je voulais payer, je ne le pourrais pas. Alors faites ce que vous avez à faire, je n’ai rien à vous offrir, même pas de la résistance.

D’accord, j’ai menti, puisque pour l’instant, mes paiements importants comme le loyer et Hydro sont pris en charge par mes parents pour ne pas que je me retrouve dans la rue.  Mais ce n’est pas le genre de chose que j’ai envie de dire à un parfait étranger.  Déjà que je ressens la honte d’être encore pris en charge par papa-maman à 31 ans.  Et puis, ces six dernières années, j’ai appris à la dure que tout ce que je dis de positif à mon sujet, financièrement parlant, pourrait, et sera certainement, retenu contre moi.  Alors pourquoi faire exprès?

Une semaine passe et il me rappelle.

« Monsieur, j’ai une bonne nouvelle pour vous.  J’ai parlé de vos problèmes à GM.  Ils se sont montrés compréhensif, et ils ont accepté de vous faire une très généreuse offre. Pour $5 000.00, ils sont prêt à tout oublier et à fermer le dossier.» 

C’est très généreux, en effet.  Trop généreux, même.  GM a toujours tout fait pour gonfler mes paiements : Les taxes, les intérêts sur prêt, les intérêts sur le retard…  Et ils se sont toujours foutus du fait qu’ils me ruinaient les finances et la vie.  Et là, je suis supposé croire qu’au lieu de continuer à me pénaliser pour mon retard, ils sont prêt à diviser ma dette par six?  Alors qu’ils affirment depuis le début qu’ils peuvent me traîner en Cour pour me forcer à payer le plein tarif?  En plus des frais de Cour? Je ne sais pas ce qui se passe ici, mais je n’ai pas l’impression que j’ai vraiment affaire avec un représentant de GM.  Aussi, je m’en tiens à ma version de vie apocalyptique.

« C’est très généreux en effet, et je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi.  Malheureusement, même si c’était $500, même si c’était $50, je ne pourrais pas plus vous le payer.  En ce moment, pendant que je vous parle, j’attends le huissier et ses déménageurs pour être saisi, et je suis expulsé de l’appartement dans deux jours.  J’ai vraiment pu rien.  Fa que, je suis vraiment désolé, mais va falloir remettre mon dossier aux avocats de GM, comme vous m’avez dit.  Désolé de vous avoir fait perdre votre temps sur mon cas. »

Oui, c’est un mensonge, mais qu’est-ce que ça change?  De un, c’est ce qui arriverait si je n’avais pas mes parents pour subvenir à mes besoins immédiats.  Et ensuite, c’est vrai que je ne peux pas la payer, cette dette.

Contre toute attente, la poursuite de GM que j’appréhendais ne se manifestera jamais.  Une personne à qui je raconterai la chose comprend immédiatement ce qui s’est passé.

« Tu as déménagé peu après avoir rendu l’auto.  Le loyer et le téléphone étaient ceux de tes ex-colocs.  Alors GM a perdu ta trace.  C’est pour ça que t’en a pas entendu parler pendant plus d’un an.  Ta facture est allé dans le dossier des comptes éternellement en souffrance.  Une agence de collecte a racheté ta dette à GM, probablement $5 000.00.  Les agences de collecte utilisent des méthodes pas toujours légales pour retracer les gens, d’où le fait que tu as eu ta facture au travail. Ils utilisent l’intimidation, les menaces, etc.  Mais ce sont des menaces vides.  C’est pour ça que, en voyant que tu ne pouvais pas payer même si tu l’aurais voulu, ils n’ont pas insisté.  Et c’est pour ça que tu n’as eue aucune des conséquence légales dont ils t’ont menacé : C’est parce que légalement, ils ne pouvaient plus rien faire.  C’était à GM que tu as signé ce contrat, pas à l’agence de collecte.  Ils ne pouvaient donc ni te trainer en Cour, ni même vérifier si tu disais vrai quand tu affirmais avoir tout perdu.»

Ah bon!?  Alors ça signifie que, tant et aussi longtemps qu’un gars est droit et vaillant, il va se faire harceler, exploiter, frauder, et il ne pourra jamais se sauver de ses paiements automobiles frauduleux ou de sa pension alimentaire abusive?  Mais s’il est dépressif et sur le BS, alors LÀ on lui fout la paix!?  Sois fort, vaillant et honnête, et tu seras puni, mais sois faible et lâche en vivant aux crochets de la société, et on te récompensera en effaçant tes dettes!?  C’est aberrant! 

Oui, mais…  En même temps, devrais-je m’en plaindre, puisque c’est ce qui m’a sauvé?  Je n’en suis pas fier, mais il n’y avait vraiment pas d’autres solutions.  Je le sais, j’ai tout essayé.  Et rien ne marchait, je ne faisais qu’empirer mon cas. D’où ma dépression, justement.

C’est donc la dépression qui m’a sauvé!?  Je n’en reviens pas!

Ceci dit, ce n’est pas la fin de mes ennuis, il me reste encore beaucoup de choses à régler.  Ici encore, je vais me contenter de résumer, car chaque cas était long et compliqué, et dans certains cas ça s’étalait sur plusieurs années.  On va y aller par sujets :

L’hôpital psychiatrique et la dépression.
Être dépressif, ce n’est pas dans mon état naturel.  Si je le suis devenu, c’est dû à une cause extérieure, soit les dix mois de harcèlement moral et psychologique du Nazi.  Or, la seule chose que l’hôpital et les psychiatres pouvaient faire pour moi à ce sujet, c’était d’augmenter ma dose de médication afin que je puisse retourner au travail.  Traduction : Me droguer pour pouvoir accepter les abus avec le sourire.  Me rebellant contre cette situation inacceptable, j’ai jeté ma médication aux poubelles, j’ai cessé de consulter, et j’ai pris action contre :

La Boite.
Puisque j’étais en chômage pour maladie, je n’avais plus à craindre qu’on me refuse le chômage pour départ volontaire.  J’ai remis ma démission, ce qui m’a permis d’intenter… :

La poursuite judiciaire contre La Boite.
Très longue histoire raccourcie au max :  Je les ai poursuivis pour harcèlement psychologique ayant causé dépression.   Comme il fallait s’y attendre, mon avocate a prolongé le cas au max, puisqu’elle était payée de l’heure.  En sept ans, j’avais déboursé $40 000.00.  (Toujours en équivalent d’argent d’aujourd’hui) Avec tout mon dossier des psys de l’hôpital, j’ai pu prouver mon cas et j’ai obtenu gain de cause. Le juge m’a octroyé $336 000.00.  L’avocate de La Boite a alors joué sa dernière carte, une que j’ai l’impression qu’elle préparait depuis longtemps: Ma poursuite a été déposée il y a sept ans.  Or, ça fait six ans qu’il existe des lois contre le harcèlement psychologique, avec barèmes fixes pour les amendes. Par conséquent, ça fait six ans que je poursuis La Boite au civil, au lieu de déposer plainte comme il se doit aux normes du travail.  Elle exige donc l’annulation du procès.  Annulation acceptée.  Je pourrais reprendre ma poursuite à zéro, ce qui signifie probablement sept ans de plus.  Mais voilà, avec la nouvelle loi, non seulement on ne m’octroierait jamais un tel montant, La Boite n’aura pas à me rembourser les frais d’avocat du premier procès annulé.

Je décide alors que, tant pis pour moi, mais La Boite ne s’en tirera pas ainsi. Malgré le fait que ma cause est financièrement perdue d’avance, j’opte pour l’option kamikaze. Oui, je vais reprendre la poursuite à zéro. Je me ruinerai, mais au moins, j’aurai la satisfaction de pouvoir prouver publiquement mes dires, ce qui va entacher une bonne fois pour toute la réputation de La Boite, les exposant au grand public pour ce qu’ils sont. Mon avocate transmet donc à celle de La Boite ma décision de continuer. 

La Boite me propose alors un arrangement hors-Cour :  Si je m’engage à cesser toute poursuite et à signer une entente de confidentialité, alors ils vont me rembourser mes frais d’avocats.  Ils précisent que ceci n’est en aucun cas une admission de culpabilité.  C’est juste leur manière d’être généreux.  Car, après sept ans, ils voient bien que je me suis vraiment convaincu d’avoir été lésé. Un nouveau déni, une claque de plus sur ma gueule.

Il est vrai que, de guerre lasse, après sept ans de combat aussi acharné qu’inutile, et réalisant qu’en effet rien ne les oblige à me proposer ça, j’en ai juste ultra-ras-le-bol et je ne pense plus qu’à en finir pour de bon.  J’ai accepté.  Ainsi, pour La Boite qui fait un chiffre d’affaire de deux milliards par année, ils ont payé ce qui est pour eux l’équivalent d’une poignée de monnaie.  Mon avocate s’est enrichie de $40 000.00.  Et moi, qui ai tout subi, harcèlement, dépression, ruine, je me retrouve avec rien.  Cette expérience m’a définitivement écoeuré du système judiciaire.

Le Nazi
Dès le départ du procès, l’avocate de La Boite a eu à révéler que « il n’est plus à l’emploi de La Boite. » Quand les agissements d’un employé amènent l’employeur à subir un procès, je comprends parfaitement qu’on lui ait montré la porte. Bonne chance pour te trouver un nouvel emploi dans le milieu avec ça sur ton CV. Ce sera bien la seule satisfaction que je tirerai de toute cette histoire. 

Le prêt étudiant.
Une étudiante en comptabilité m’a donné le truc parfait pour faire les paiements sans rien débourser :  Tu appelles la banque, tu demandes à modifier tes modalités de paiements, de manière à payer le montant minimum à chaque mois.  Or, le minimum, ce sont les intérêts sur ta dette, donc ce que tu dois verser à la banque et non au Ministère de l’Éducation.  Tu paies donc tes intérêts mois après mois.  Au bout de l’année, lorsque tu fais ta déclaration d’impôts, les intérêts sur prêt étudiant sont remboursables.  Tu passes donc pour un bon payeur puisque tu fais tes versements mensuels, la banque est heureuse puisque tu leur donnes du ca$h, et tu récupères ton argent au bout de l’année, pour le réutiliser pour tes paiements de l’année suivante.  J’ai utilisé cette méthode pendant trois ans, le temps que mes finances se redressent assez pour pouvoir vraiment rembourser.  (Aujourd’hui, le gouvernement connait le truc, alors ça ne passe plus.)

Ma dette de six mois de pension.
Pour une fois, le hasard m’est venu en aide :  L’année pré-dépression, mon faramineux salaire fit que j’ai eu à payer des impôts.  Mais l’année suivante, les quelques mois que j’ai travaillé + mon congé de maladie m’ont rapporté un généreux retour d’impôts… Dans lequel Revenu Québec Pensions Alimentaire s’est servi pour se rembourser avant de m’envoyer le reste, ce qui me laissa un beau 34$ pour célébrer la fin de mes ennuis financiers.

La mère de mes enfants et la pension alimentaire
Quand on a une personnalité comme la sienne et que malgré tout la Cour nous accorde la garde des enfants, on les élève à devenir des agresseurs ou bien on les rend suicidaire.  Ce fut les deux cas.  Aussi, elle les a envoyés au Centre Jeunesse de Québec.  Puisqu’elle était sur le BS, elle ne pouvait pas payer, alors c’est à moi que les factures du Centre furent envoyées, et ce même si je n’ai jamais signé la moindre entente avec eux.  Par conséquent :

Ma carrière et mes finances.
Le paragraphe précédent, tout comme mon expérience de très-bon-salarié à La Boite, me démontrent que tant et aussi longtemps que mes revenus restent en-dessous du seuil de la pauvreté, on ne peut pas me réclamer un sou.  Mais si par malheur je dépasse ce montant, alors là le BS de mon ex me collera de nouveau une pension alimentaire.  Pension qui, tel qu’expliqué quelques chapitres plus tôt, ne rapportera pas un sou à mon ex, puisque Revenu Québec amputera de son chèque de prestations le montant exact que je lui verserai.  Et ensuite, le Centre Jeunesse de Québec me collera des factures mensuelles dont le montant dépasse celui mon propre loyer.  Et ce, je le répète, pour un service que je ne leur ai jamais demandé et pour lequel je n’ai jamais rien signé

À l’époque de mes problèmes avec GM, je pouvais toujours me dire que je l’avais mérité, puisque j’avais délibérément signé le contrat.  C’était une responsabilité que j’avais prise.  Mais là?  Non!  Aucune entente ni verbale ni rien. Ici, c’est: C’est toi le père?  C’est toi qui paye! C’est peut-être légal de me coller ces frais, ça n’en demeure pas moins une injustice et un abus. 

Je n’ai donc pas eu le choix : Tant et aussi longtemps que mes enfants n’étaient pas tous majeurs, je devrai renoncer à toute carrière pouvant faire de moi un homme prospère, sous peine d’être de nouveau victime d’abus financiers, et du harcèlement qui vient avec.  Dans de telles conditions, choisir moi-même de rester pauvre, ce n’est pas de la fraude, c’est de la stratégie.  C’est une question de survie.  Et surtout, c’est parfaitement légal.  De toute façon, que je paye ou non le centre jeunesse et la pension, ça ne changera rien du tout aux finances de mon ex, ni aux soins reçus par mes enfants.  Je serais juste puni pour avoir commis le crime d’avoir eu une ex qui a lâché la pilule sans m’en parler.

Ah! C’est vrai!  Je n’ai pas le droit de le dire!  Ça fait de moi un potentiel meurtrier misogyne antiféministe.  Désolé!

Oui, je suis amer.  Après tout ce qui m’est arrivé, et surtout pourquoi ça m’est arrivé, est-ce si incompréhensible?

Et c’est comme ça que j’ai été obligé de renoncer à une vie adulte normale rapportant le revenu normal d’un travail normal. Je suis devenu artiste, gagnant tout juste de quoi survivre. C’est ce qui m’a amené à travailler pendant sept ans à Safarir.  Ainsi, année après année, que ce soit lorsque le BS de mon ex me traînait en Cour pour me fixer une pension, ou quand le Centre Jeunesse de Québec m’envoyait leur facture annuelle, je leur montrais ma déclaration d’impôts prouvant que je vivais en dessous du seuil de pauvreté, et j’avais la paix pour une autre année.

Ironiquement, ça signifie que lorsque Camélia m’a dit que je ne resterais pas longtemps à La Boite, que je travaillerais dans le dessin parce que c’est ce que j’aime, et que je n’aurais jamais d’argent à cause de mon ex, c’était à 100% prophétique.  . 

Éventuellement, la mère de mes enfants s’est trouvé un travail à $49 000.00 par année.  Ceci, et le fait que mes enfants devinrent bientôt tous majeurs, firent qu’enfin, en 2016, à 48 ans, j’étais enfin libéré de toute obligation imposée, financière ou autre.  En prenant fin, cette situation ne pourra plus jamais saboter mes relations, furent-elles de travail ou bien de couple. J’ai enfin pu reprendre ma vie d’adulte là où elle s’était interrompue à 24 ans.

J’avais perdu la moitié de ma vie. Presque toute ma vie adulte.

Aujourd’hui, je suis de nouveau employé de bureau, cette fois pour La Firme, à avoir un travail assez semblable à celui que je faisais pour La Boite.  Le salaire n’est peut-être pas à la hauteur de (l’équivalent de) ce que je recevais à l’époque, mais je n’ai pas à me plaindre. Parce que cette fois-ci, je n’ai qu’une seule personne à faire vivre: Moi! C’est plus que suffisant. Surtout que je vis enfin la véritable richesse: Celle de ne pas avoir de dettes. 

Oh! Ce qui m’amène à cette autre chose à régler, dont je n’avais pas encore parlé:

Mon mauvais dossier de crédit.
Celui-ci a éventuellement pris fin. Je n’ai pas cherché à obtenir le moindre crédit après ça. Puis, en 2012, alors que je me suis inscrit à ma banque en ligne, il y avait une offre promotionnelle pour obtenir une Visa avec eux. J’y ai vu une opportunité de me faire un bon dossier de crédit et je l’ai prise. Le principe est simple: Ne jamais y mettre plus que ce que j’ai en banque, et la rembourser en totalité avant la fin du mois, chose facile puisque j’ai maintenant accès à mon compte en ligne, aussi bien pour consulter mon solde que pour faire des virements. Ainsi, me voyant bon payeur, ils m’ont offert d’augmenter ma marge, la faisant passer de $500 à $1000, $1 500, $2 000, $3 500… Je les ai toutes acceptées l’une après l’autre, sans jamais changer ma stratégie de charge et de paiements. Je suppose que ça irait à l’encontre du tabou social, de vous dire à quelle marge j’ai droit aujourd’hui. Mais disons que si je le voulais, je pourrais me payer à crédit, et en un seul versement, une auto d’occasion.

Chose qui ne risque pas d’arriver, bien sûr. J’ai eu ma leçon.

Mais j’ai maintenant la tranquillité d’esprit de savoir que, grâce à mon excellent dossier de crédit, je suis couvert quoi qu’il arrive. Plus jamais je ne me retrouverai dans une situation dans laquelle je risque de tout perdre.  Même si aujourd’hui un incendie m’enlèverait logement et possessions, je pourrais me procurer le lendemain un nouvel appartement et de quoi le meubler.

À SUIVRE
Dans la prochaine partie, je parlerai des séquelles psychologique et sociales que j’ai gardé pendant 21 ans, suite à toute la série de malheurs que j’ai subies découlant de mon contrat avec GM.  Et comment une simple conversation avec un ami il y a dix jours m’en a enfin libéré.

General Menteurs, partie 7: Pas d’issue et pas de pitié

RÉSUMÉ: À 29 ans, j’ai commencé à sortir avec Camélia, 19 ans, chose qui ne plaisait pas à son père, cadre haut placé chez GM.  Il m’a influencé à acheter une auto, mais je suis victime d’une longue série d’arnaques, ce qui fait que les paiements de celle-ci ont tôt fait de me ruiner.  Ayant perdu l’auto et Camélia, c’est la fin des ennuis.  Du moins, de ceux relatifs à GM. Presque aussitôt, au travail, je change de chef d’équipe. Il passe les dix mois suivants à me faire subir du harcèlement moral et psychologique. Alors quand en plus GM me retrace et me réclame $28 000.00, harcelé de toutes parts, je deviens dépressif.  

Couché dans ce lit d’hôpital, je contemple les cinq dernières années de ma vie.  Je regarde tous les efforts que j’ai fait, en volonté, en temps, en travail, pour passer de sans-emploi-ni-éducation à diplômé et travailleur prospère.  Et le bilan est aberrant!

Comment est-ce possible que mon ancienne vie de BS, alors que j’étais à zéro, puisse être meilleure que ma vie actuelle?  D’accord, je n’avais aucun diplôme, mais je n’avais pas non plus de prêt étudiant à rembourser. J’étais dans une relation abusive, mais je n’avais pas à donner la moitié de mon salaire clair en pension alimentaire.  J’étais sans emploi, mais je n’avais pas à subir le harcèlement psychologique au travail. La famille de la mère de mes enfants me rabaissait, mais c’était pour que je reste avec eux, à leur niveau. Tandis que la famille de Camélia me rabaissait pour que je ne puisse pas monter avec eux, à leur niveau.  Je n’avais pas d’argent mais c’est normal, j’étais sur le BS. Tandis que là, je n’ai pas d’argent malgré le fait que je travaille à près du double du salaire minimum.

Comment est-ce possible que, peu importe ce que je fais, les choses se passent toujours de manière à ce que je retombe toujours à zéro?  Pire, pour que le seul choix qui s’offre à moi soit ou bien de n’être rien, ou bien devenir moins que rien?

J’ai toujours été une personne réaliste. Je n’ai jamais cru à ces conneries de destin tout tracé, d’être né sous une mauvaise étoile, d’être frappé de malchance chronique. J’ai toujours été convaincu que la vie est composée de 80% de ce que l’on en fait, et 20% des faits du hasard. Certains hasards se trouvent à aller dans notre direction, et d’autres iront à contresens.  C’est la vie, et ce pour tout le monde. Et il est impossible, statistiquement, dans les probabilités, et de façon mathématique, que les hasards aillent toujours dans un seul sens. Et encore moins toujours à contresens, à sans cesse tout mettre en oeuvre pour te barrer la route.

Pourtant…

Lorsque mes projets échouent, mon premier réflexe a toujours été de me regarder en premier.  De trouver où se situait mon erreur de jugement. De voir ce que j’ai bien pu dire ou faire pour m’attirer tel ou tel problème.  Car s’il est une personne qui a passé sa vie à apprendre de ses erreurs, c’est bien moi.

Mais qu’est-ce que je suis supposé apprendre lorsque je n’ai fait aucune erreur?  Lorsque j’ai fait tout ce que j’avais à faire? Lorsque tout s’est écroulé à cause de hasards aussi imprévisibles qu’incontrôlables?

Regardez les faits:

  • Carl et sa femme Gina, je les ai connus dans ma jeunesse, à St-Hilaire, au début des années 80.
  • Camélia, je l’ai connue au Cégep André Laurendeau de Ville-Lasalle, à la fin des années 90.
  • Carl et Gina habitent Ahuntsic.
  • Camélia et son père habitent Kirkland.
  • Gina me trouve un travail à La Boite où elle travaille, à Saint-Léonard.
  • Le père de camélia est patron de GM

Qu’est-ce qui relie tous ces gens-là de près ou de loin?  RIEN!

Quelles sont les chances pour qu’un vendeur de chez GM ait de la famille à La Boite?
Et que, des milliers de personnes qui travaillent à La Boite, celui qui a un frère vendeur à GM, ce soit mon PDG?
Et que parmi les centaines de vendeurs de tous les concessionnaires GM du Grand Montréal, pourquoi a-t-il fallu que je tombe justement sur lui?

Il y a un million sept-cent cinquante mille habitants dans toute l’Île de Montréal. POURQUOI UNE TELLE COÏNCIDENCE?

Et pourquoi est-ce que, le jour-même où on devait me livrer la Golf, elle est tombée en panne?
Et pourquoi est-ce que la seule auto disponible ensuite coûtait le double?
Et pourquoi est-ce que mon statut d’emploi ne me permettait pas de l’acheter, seulement de la louer, ce qui multipliait à ce point les frais?
Et que, de tous les employés de GM, pourquoi suis-je tombé sur celui qui représente le mieux le cliché comme quoi les vendeurs de char sont des crosseurs?
J’étais pourtant le gendre de son patron.  Pourquoi est-ce que ça ne m’a pas protégé de ses arnaques?

La Boite a de nombreuses branches partout à Montréal, au Canada, aux États-Unis, et même en Europe. Pourquoi est-ce que je travaille justement dans celle où mon PDG a son bureau, ce qui fait que je suis exactement là où il faut pour subir des représailles si j’essaye d’obtenir justice contre le vendeur?

Et juste comme la situation avec GM commençait à se redresser, pourquoi a-t-il fallu que presque aussitôt, les choses prennent un tournant pour le pire au travail?

Des milliers de personnes qui travaillent à La Boite, pourquoi a-t-il fallu que ce soit Le Nazi qui devienne mon chef d’équipe?
Et que, de tous les membres de l’équipe, ce soit moi qu’il ait pris en grippe?
Je ne le connaissais pas, ce gars-là!  On ne se voit qu’une heure par jour. Qu’est-ce que j’ai donc bien pu faire pour m’attirer ses mesquineries?
Que ce soit Rolande ou les gens des Ressources Humaines, ils voient bien qu’à chaque fois que Le Nazi essaye de faire officiellement quelque chose contre moi, c’est lui l’incompétent et non moi.  Pourquoi est-ce qu’ils se rangent de son bord?
Pourquoi suis-je le seul employé de La Boite qui n’est ni à contrat, ni temporaire, ni permanent?  Comment me déclarent-ils fiscalement alors? Ça n’a aucun sens.

Et pourquoi est-ce que le destin ne cesse de me narguer, comme par exemple en me faisant gagner ces billets d’avions, juste quand je ne suis pas là pour recevoir le prix?  Pourquoi Le Nazi est-il intervenu? Pourquoi est-ce que ceux qui ont gagné mes billets au re-tirage, ce sont justement les complices du Nazi?

Quelles sont les probabilités pour que tous ces malheureux hasards me tombent dessus, comme ça, non-stop?

Il est impossible, IMPOSSIBLE, que la vie puisse s’acharner sur quelqu’un pour lui gâcher l’existence à chaque tournant.  Et pourtant, il faudrait faire preuve de mauvaise foi en béton pour nier que c’est exactement ce qui m’arrive.  Le destin et le hasard font tout pour se liguer contre moi, en m’envoyant une série de coïncidences inouïes qui ruinent ma vie à chaque tournant.

C’est tellement illogique! Tellement peu crédible.  
Et pourtant, c’est ce que je vis en ce moment.
Et pourtant, c’est impossible d’être aussi malchanceux.
Et pourtant, je le suis.
Et pourtant c’est irréel.
ET POURTANT C’EST LA RÉALITÉ!

C’est à vous rendre fou.

Et si moi, qui l’ai vécu, je trouve ça trop irréel pour être crédible, imaginez la réaction des autres face à mon histoire. Histoire, du reste, que je dois au début écrire au stylo sur des bouts de papier lors de mes consultations, puisque je suis maintenant muet.  Cette tuile supplémentaire n’a rien fait pour aider les choses. C’est un obstacle de plus qui se dresse entre moi et la compréhension de mon entourage, incluant les médecins et psys qui me suivent. Dont une qui n’a pas hésité à me crier d’arrêter de faire semblant d’être muet, malgré le diagnostic officiel des deux neuropsychologues qui m’ont traités.  

Je mettrai trois mois à progressivement réapprendre à parler. J’ai quand même gardé, à ce jour, un débit un peu lent et un ton monotone.

La situation qui a mené à ma dépression m’attire les jugements aussi négatifs et sans appel de la part de tous.  Par exemple, il y en a qui me répètent sans cesse que la chance ou le malheur, ça n’existe pas.  Tu te crées toi-même ta chance en étant vaillant, ou tu crées toi-même ton malheur avec tes mauvais choix de vie.  Je veux bien! Mais il est où, mon mauvais choix de vie, là-dedans? Elle est où, mon erreur de jugement? Être sorti avec Camélia?  Quand une fille jeune, belle, gentille, sérieuse face à son avenir, de bonne famille, tombe en amour avec toi, et que l’attirance est mutuelle, en quoi est-ce une erreur de former un couple avec elle?

Mais voilà, essaye de leur faire comprendre raison, à ces gens-là, et ils vont réagir en exagérant dans l’autre sens :

« Ok d’abord! T’as jamais rien fait de mal, ce sont toujours les autres qui se sont donnés le mot pour te faire chier, pis t’es le gars le plus malchanceux au monde. C’est ça que tu veux entendre? »

Évidemment que non, ce n’est pas ça que je veux entendre. Je veux juste qu’ils reconnaissent les faits. Je veux juste qu’ils voient que leur belle réponse préfabriquée, classique et cliché comme quoi chacun est toujours l’unique responsable de ses propres malheurs, ça ne convient pas à toutes les situations. Est-ce que c’est si difficile que ça de vous ouvrir les yeux pour regarder les faits? Une exaspération de plus à rajouter à la tempête émotionnelle qui rage non-stop dans ma tête.

Non mais c’est vrai, quoi! Ma faute! Ma faute! C’est facile à dire, ça, ma faute! Si je me suis rendu au Cégep, était-ce une faute, ou était-ce au contraire parce que je prenais mon avenir au sérieux? Si j’étais rédacteur en chef du journal étudiant où j’ai rencontré Camélia, était-ce une faute, ou était-ce parce que j’avais ce qu’il faut pour occuper ce poste? Si Camélia est tombée en amour avec moi, était-ce une faute, ou était-ce parce que j’avais les qualités qu’elle recherchait chez un homme? Si Gina m’a offert un poste dans La Boite, était-ce une faute, ou était-ce parce que j’étais qualifié pour ce travail?

Et quand on me dit en plus que c’était à moi de ne pas courir après les problèmes, en allant délibérément vers les situations foireuses, je ne peux m’empêcher de répondre:

Pour « courir après les problèmes », comme tu dis, il aurait fallu que je sache d’avance qu’en devenant rédacteur en chef, j’allais y rencontrer Camélia un an plus tard. Et qu’elle allait tomber en amour avec moi. Et que son père allait me passer une arnaque huit mois plus tard avec la complicité d’un de ses vendeurs. Vendeur dont le frère avait fondé une compagnie. Compagnie dont je n’apprendrai l’existence que lorsqu’une amie d’enfance m’y offrira un travail quelques mois plus tard. Alors tu t’imagines quoi, en disant que j’ai couru après le problème? Que je suis devin, clairvoyant et télépathe? ”  

L’affaire, c’est que quand une personne est convaincue qu’elle sait mieux que toi quel est ton problème, surtout si elle préjuge sans savoir de quoi il s’agit, ça démontre que cette personne est orgueilleuse.  Elle ne dit pas ça pour t’aider. Elle dit ça pour avoir raison. Son focus n’est pas sur toi mais bien sur elle-même. Alors si tu lui démontres qu’elle se trompe, tu démolis ce qu’elle utilisait pour s’élever au-dessus de toi.  Par conséquent, tu la rabaisses. Un ami ne la rabaisserait pas. Alors très bien, si elle ne peut pas être ton amie, elle sera ton ennemie. Tu as maintenant une personne de plus pour médire contre toi à tout le monde et à te mettre des bâtons dans les roues autant qu’elle le pourra.

Bien que je ne travaillais plus, la mère de mes enfants continuait à recevoir la pension, et moi je recevais, à chaque mois, une facture auquel s’ajoutaient des frais de retards, auquel se sont ensuite rajoutées mise en demeure et menace de poursuite judiciaire.

Je ne m’expliquais pas cette situation illogique. Je veux dire, d’où est-ce que Revenu Québec Pensions Alimentaires prenait l’argent à lui verser, puisque sans travail, donc sans revenus, j’avais cessé de faire mes versements? Ça a été très difficile d’avoir leur collaboration à ce sujet, ne serait-ce que pour me renseigner. D’abord, parce que, les trois premiers mois, étant muet, je ne pouvais leur parler, et ils refusaient de discuter de mon dossier à une tierce personne. Et dès que je pouvais de nouveau parler, eh bien en tant que père mauvais payeur, je n’avais droit qu’à rudesse, mépris et irrespect. Ça a pris beaucoup de patience et d’explications de ma situation avant qu’une des fonctionnaire comprenne, adoucisse son ton de voix et m’explique à la fois ce qui se passe, et comment y mettre fin :

C’est que depuis la fin des années 80, pour éviter les cas beaucoup trop nombreux de pères mauvais payeurs, Revenu Québec Pensions Alimentaire verse à Madame le montant fixé par la Cour. (J’en profite en passant pour vous préciser qu’à l’époque, il n’y avait pas de barèmes à taux fixes calculés sur le nombre d’enfants et les revenus de Monsieur. La pension, c’était un montant X exigé par Madame, réclamé par l’avocate et accordé par la juge. C’est pour ça que je payais autant.) Comme ça, Madame reçoit toujours son argent, et si Monsieur est mauvais payeur, eh bien voilà, ce n’est pas madame qu’il lèse, c’est le Gouvernement. Donc, c’est le Gouvernement, avec toutes ses ressources, qui le traînera en cour, fera de lui un criminel, et l’obligera à cracher l’argent. Avec intérêts. Sous peine de devenir un criminel.

Je comprends, et je ne peux qu’approuver une telle loi. Sauf que dans mon cas personnel, elle est abusive, étant donné ma situation. Elle me dit alors que j’aurai besoin de prouver que je ne puisse plus payer, en envoyant à Revenu Québec mes preuves comme quoi je suis en chômage ou sur le BS.

Mais voilà, je ne peux pas faire ça. Pourquoi? Parce que, techniquement, puisque je suis toujours à l’emploi de La Boite, je n’ai droit ni au chômage ni au BS. Et si je leur donne ma démission, ce sera un départ volontaire, ce qui fait que là encore, je n’aurai droit ni au chômage ni au BS. Sur quoi est-ce que je vis en ce moment, alors? Je m’endette auprès de mes pauvres parents. Parents, du reste, qui m’apportent une solution : Ce qui m’est arrivé, c’est à la fois au travail et à cause du travail. C’est donc un accident de travail. Je peux donc utiliser ça pour avoir droit à quelques mois de chômage.

Ça a pris deux autres mois de discussions avec les psys avant que ma dépression puisse être considérée comme entrant dans la catégorie des accidents de travail. Et encore, c’est bien parce que je suis tombé sur un docteur généreux qui me l’a accordé, en voyant bien que ma situation était sans issue et que plus le temps passait, plus je m’enfonçais. Parce que techniquement il aurait fallu avoir une preuve légale, comme quoi ma dépression a été causée par le travail. À l’époque le harcèlement moral au travail n’était encore illégal. Il aurait fallu faire la preuve de cause à effet par une poursuite judiciaire, en espérant que le jugement soit en ma faveur.

Lorsque j’aurai enfin mon chômage de maladie, et que j’ai enfin pu faire cesser la pension, je devais six mois de paiements. Une dette impossible à effacer, car bien que le document dit que je suis tombé en dépression il y a six mois, ce n’est que maintenant qu’ils ont reçu ce papier, ce n’est donc qu’à partir de maintenant que je n’ai plus à payer. Mais ce n’est pas rétroactif. Bref, que ce soit GM ou Revenu Québec, quand les règlements sont faits par ceux qui veulent ton argent, tu n’as aucun recours, tu payes.

Tout cela me montrait que, à partir du moment où mon ex a lâché la pilule pour me manipuler à rester avec elle avec cette paternité imposée, ma vie n’a plus été qu’un sable mouvant : Ou bien je me résigne à mon sort et me laisse couler sans rien faire comme un con, ou bien je me débats et je m’enfonces encore plus vite.

Mal m’en pris de dire ça autour de moi, ça m’a valu un nouveau qualificatif : Misogyne. Normal! Car lorsque je raconte ça, qu’est-ce que je dis réellement, hm? Je dis que si une femme est déterminée à causer du tort à un homme, alors elle a droit à la complicité de la loi pour le faire. Or, la seule opinion socialement acceptable au sujet du triangle homme-femme-loi, c’est que l’homme viole la femme, la femme dénonce l’homme, et la loi se fout de la femme et blanchit l’homme. Dans cette situation,. seule la femme a le droit d’être la victime de l’homme. Si tu oses raconter l’inverse, même avec preuves à l’appui, alors tu es un Marc Lépine en puissance qu’il faut surveiller, ou au besoin faire enfermer pour raisons préventives.

À tous ces revers moraux et financiers se rajoutent maintenant la facture de GM qui a trouvé son chemin par la poste, jusque chez moi. Celle-ci est à la fois un revers financier car, à son montant initial, se rajoutent des intérêts de retards qui montent la facture à plus de $30 000.00. Et un revers moral, puisque moi, on ne m’a jamais permis de l’acheter, seulement de la louer, à prix exorbitant. Mais l’autre gars a eu le droit de l’acheter, et ce au montant ridicule de $15 500.00, lui. Et pendant qu’il roule dans son char, sans limite kilométrique, je dois vivre l’humiliation de devoir payer à GM le double ce qu’il a eu à débourser, comme me l’expriment si bien la facture, la mise en demeure et la menace de poursuites judiciaires.

Toute cette pression morale ne fait que s’accumuler de toutes parts, dans un rythme infernal qui ne veux juste pas prendre fin.

J’ai un jour lu dans un comic book une phrase qui décrit parfaitement ce genre de situation: There is no ground floor in Hell. À chaque fois que la vie te décroche un coup de pied en pleine gueule et que tu t’écrases, tu te dis que voilà, ça y est, tu ne peux pas tomber plus bas. La vie t’en décroche alors un autre, te faisant tomber un autre niveau plus bas. Et ça se répète encore, et encore, et encore. Et tu continues de descendre, car peu importe combien bas tu es tombé, il y a toujours un niveau plus bas qui t’attend.

Preacher no.64, DC Comics

À SUIVRE

General Menteurs, 6e partie: Se faire détruire!

RÉSUMÉ: À 29 ans, j’ai commencé à sortir avec Camélia, 19 ans, chose qui ne plaisait pas à son père, cadre haut placé chez GM.  Il m’a influencé à acheter une auto, mais je suis victime d’une longue série d’arnaques, ce qui fait que les paiements de celle-ci ont tôt fait de me ruiner.  Ayant perdu l’auto et Camélia, c’est la fin des ennuis.  Du moins, de ceux relatifs à GM.  

J’ai rendu l’auto. C’est la fin de mes ennuis avec GM.  Je peux enfin passer à autre chose.  Justement, il y a du nouveau dans La Boite.  Rolande, ma chef d’équipe, devient chef du département.  Et mon équipe est maintenant prise en charge par un gars dans le début de la quarantaine.  Un que je ne connais pas, mais que certains collègues surnomment Le Nazi.  

… et à partir d’ici, et pour les dix mois qui vont suivre, je serai victime de harcèlement moral et psychologique au travail.

Jusqu’ici, dans mon récit, je décrivais en détail.  Mais cette fois, je vais plutôt faire une courte liste en vrac de ce que j’ai vécu.  D’abord parce que élaborer sur chaque exemple serait trop long.  Ensuite parce que j’en ai beaucoup oublié, tellement ce fut une expérience pénible.  Mais en gros, à partir du moment ou j’ai été pris en charge par le Nazi…

  • Certains items disparaissent mystérieusement de mon poste de travail: tasse, carnet, photos…
  • Le Nazi m’enlève ma connexion internet, parce que « T’es là pour prendre des appels, pas pour aller t’amuser su’l’net! »  Or, internet est nécessaire à mon travail, puisque je m’occupe de la page web d’Air Canada.  Ça m’oblige à en parler à Rolande, qui me fait aussitôt reconnecter, et qui réprimande Le Nazi parce que, en tant que chef d’équipe, il est supposé savoir ce que font les membres de son équipe.  Il ne me le pardonnera jamais. 
  • Ma carte magnétique qui cesse soudainement de me donner accès aux bureaux.
  • Il me pose souvent des questions qui sont en fait des affirmations insultantes à mon sujet. Ou alors il me lance en public des choses qui, bien que techniquement vraies, ne servent qu’à me donner mauvaise réputation au travail en sous-entendant des choses que je ne fais même pas en réalité. Par exemple: « En passant, les sites pornos, sur ton quart de travail, c’est interdit. Tiens-toi le pour dit! »
  • Le Nazi me convoque devant quelques patrons et des représentants des ressources humaines, sous accusations de fraude, en m’accusant de falsifier depuis le début ma feuille de paie, puisque je déclare 8.00 heures par jour et non 7.5, signifiant que je me fais payer pour ma pause de dîner.  Je réponds alors que le soir, seul à mon poste, sans personne pour me remplacer, je n’ai pas de pause de 30 minutes pour dîner. Donc, oui, je travaille bien huit heures par soir.  Mais voilà, en leur répliquant ce fait contre lequel ils ne trouvent rien à redire, je leur fais perdre la face.  Surtout Le Nazi qui aurait dû se renseigner sur le sujet avant de tous les convoquer.  Par conséquent, humiliés de s’être tous dérangés pour rien, je ne fais que gagner leur antipathie.
  • À la fin de mes deux contrats de six mois, je ne reçois ni permanence ni nouveau contrat.  Par conséquent, je suis dans les limbes de La Boite, n’étant ni temporaire ni permanent.
  • Sans contrat ni permanence, pas d’augmentation, pas d’assurances, pas d’avantages sociaux, pas d’ancienneté, et surtout pas la moindre sécurité, ni le moindre recours si du jour au lendemain on décide de me congédier.
  • J’apprends un lundi soir que le lendemain je change de quart de travail, me mettant de jour, sans qu’il ne m’en ait parlé avant.  Or, moi, le jour, je garde les enfants tandis que leur mère reprend ses études.  Ça m’oblige à en parler à Rolande, en lui expliquant qu’en me mettant de jour, il me fait perdre mon 30 minutes de non-diner, ainsi que la prime de soir qui est 50¢ de plus l’heure. Rajoutez à ça la garderie maintenant obligatoire, et sa décision de me changer de shift sans m’en parler me coûte 660$ par mois.  Elle me remet aussitôt de soir, et réprimande Le Nazi, qui, par conséquent, a une nouvelle raison de m’en vouloir.
  • Et je me fais un nouvel ennemi: L’employé à qui Le Nazi avait promis mon horaire.
  • Tous les deux me collent d’ailleurs une accusation de voler des stylos. (Quoi?)
  • Malgré mon ancienneté, Le Nazi m’a obligé à travailler pendant le party de bureau de Noël, puisque « le party de bureau, c’est pour les employés permanents. »
  • Didier m’a rapporté que, lors de ce party, Air Canada, content de nos services, a fait tirer parmi l’équipe une paire de billet ouvert, destination et date de notre choix.  C’est mon nom qui est sorti.  Le Nazi est alors intervenu en disant qu’un employé qui ne daigne pas être présent au party de bureau que La Boite prend la peine d’offrir, ça ne mérite pas de gagner.  Ils ont refait le tirage.  Les billets sont allés à une fille qui ne fait partie de l’équipe que depuis un mois et demi.  Et qui a eu sa permanence en rentrant.
  • Me faire blâmer car avec ma piètre performance (selon son avis), je suis l’incompétent de l’équipe.
  • Me faire blâmer car avec mon excellente performance (Selon les chiffres des rapports annuels), je fais passer les autres membres de l’équipe pour des incompétents.
  • Je suis convoqué au Ressources Humaines qui viennent de se décider à faire une enquête à mon sujet, alors que ça fait 16 mois que je suis à leur emploi. Ils ont découvert que j’ai un mauvais dossier de crédit.  Par conséquent, pour des raisons de sécurité, fini de prendre des numéros de cartes de crédit, on me retire le client Air Canada.
  • Le Nazi me change de client, ne me donne aucune formation car « la formation se donne de jour, et tu peux pas y aller puisque tu préfères jouer avec tes enfants dans la journée. »
  • Me traiter d’incompétent de ne pas savoir bien servir le nouveau client.
  • Constatant que, par courriel, je recevais presque toujours les mêmes huit questions des employés de notre client, j’ai créé un document dans lequel j’ai écrit d’avance chaque réponse pour chaque question.  il n’y avait plus qu’à copier-coller et envoyer.  Il m’a enlevé le document parce que « Ce n’est pas un document officiel de La Boite ni du client. »  Donc, au lieu de copier-coller, fallait que je perde mon temps à toujours réécrire la même chose à chaque courriel, un par un.
  • Deux mois plus tard, La Boite nous donne un nouvel outil de réponse automatique aux courriels.  Il s’agit de mes réponses, tirées de mon document que Le Nazi m’avait confisqué.  Tout le crédit (et le bonu$) a été donné à la fille qui a programmé l’outil.
  • Oui, la même fille qui a gagné mes billets d’avion. Fille qui, quel hasard, est la conjointe du gars à qui le Nazi avait promis mon horaire. Donc une personne de plus au bureau à avoir de bonnes raisons de vouloir ma perte et continuer de voler ce qui me revient de droit. 

Et j’en passe, et j’en oublie.

À l’époque, en 1999, le harcèlement psychologique au travail n’était pas reconnu.  Il n’y avait pas d’atelier de préventions, ni de règlements à ce sujet.  Alors lorsque que je portais plainte plus haut, je ne faisais qu’empirer mon cas et m’attirer encore plus de problèmes, puisque les haut-placés se tiennent entre eux.  

L’option de changer de travail? Impensable!  Premièrement, sur le plan moral, c’est inacceptable.  Pourquoi est-ce que c’est moi qui devrait partir, alors que c’est lui qui cause les problèmes?  Ça allait bien entre ma job et moi avant qu’il arrive.  Et ensuite, je gagne trop cher pour partir.  Puisque j’ai un gros salaire, la pension alimentaire me gobe la moitié de mon revenu clair.  Autrement dit, l’équivalent du salaire minimum.  J’ai eu ce travail grâce à une connexion.  Ce n’est pas avec mon cégep en Arts & Lettres que je vais pouvoir m’en trouver une autre qui paye si bien.  

Je n’ai donc pas le choix: Je suis obligé d’endurer le harcèlement, les vacheries, les attaques, les mauvaises surprises, non-stop, sur une base quotidienne.

Puis, un jour, alors que Rolande nous distribue nos chèques de paie, je ne constate pas tout de suite que mon enveloppe est plus rembourrée que d’habitude.  Alors que j’ai presque terminé mon quart de travail, je fais comme à chaque jour de paie, j’ouvre l’enveloppe et je viens pour signer mon chèque, que je déposerai à la banque, en chemin vers le métro.  Je vois alors un second document.  je l’ouvre. 

C’est une lettre de GM.  Une facture.  En gros, ça dit:

Chevrolet Cavalier 1997.
Valeur du véhicule : $45 000.00
Vous avez donné : $2 426.40.
Vente à l’encan : $15 500.00
Vous nous devez : $27 073.60

 En une fraction de seconde, je comprends simultanément que…:

  • Depuis un an, je me faisais des illusions, à penser que mes problèmes avec GM étaient terminés.
  • On me réclame légalement le même montant que si je l’avais gardé.
  • Ce qui signifie que je me suis fait coller sept ans de mauvais dossier de crédit POUR RIEN!
  • Ce montant qu’ils me réclament causera ma ruine financière totale.
  • Ils m’obligent à louer cette auto pour $27 000.00, mais ils permettent à un autre de l’acheter pour $15 500.00.
  • Ils sont venus me chercher jusqu’à ma job, je ne suis donc à l’abri nulle-part.
  • Job que je ne peux pas quitter de toute façon.
  • Si je quitte la job, je suis ruiné financièrement, et harcelé par mes créditeurs.
  • Si je garde la job, je suis ruiné financièrement, et harcelé par Le Nazi.

Si je ne fais rien, ma vie est détruite. Si je fais quoi que ce soit, ma vie est détruite. L’étau se resserre. Je n’ai aucune issue.  Je me met à trembler incontrôlablement.  Didier s’en rend compte.

« Eh, mec!  Ça va pas? »

Je viens pour répondre.  Aucun son ne sort de ma gorge.  J’essaye encore.  Je constate avec horreur qu’il n’en sort que du vent. Mes cordes vocales sont paralysées.  

JE SUIS MUET!

La dernière chose dont je me souviens, c’est qu’en état de panique total, j’ai fui le bureau.  

J’ai repris conscience dans une ambulance. Cinq jours s’étaient écoulés.  

On m’a retrouvé chez moi, dans mon lit, inconscient, blessé à la tête.  Et muet!  Je me suis retrouvé à l’hôpital psychiatrique Douglas, où on a constaté une dépression sévère, avec choc psychologique ayant causé un traumatisme, qui a résulté à certaines connexions qui ne se faisaient plus entre mon cerveau et mes cordes vocales. 

Tous ces efforts pour faire quelque chose de ma vie pendant ces cinq dernières années.  Tout ce travail pour améliorer mon sort.  Et je n’étais plus qu’une épave.

À SUIVRE

General Menteurs, 5e partie: Assumer sa criminalité

RÉSUMÉ : Hiver 1998.  J’ai 29 ans et je suis séparé depuis trois ans de la mère de mes enfants.  J’ai un bon boulot et près du double du salaire minimum.  Je suis en couple avec Camélia, 20 ans.    Son père occupe un poste haut placé à General Motors, et il n’apprécie pas que sa fille sorte avec  un père séparé.  Sous sa promesse de pouvoir acheter une auto à $150.00 par mois, et sous menace à peine voilée de perdre mon emploi si je casse le contrat,  je me laisse peu à peu manipuler à accepter contre mon gré une location à $750.00.  Ces paiements abusifs ne me laissent même plus de quoi manger. Puisque je suis maintenant ruiné, Camélia met fin à notre relation.  Et lorsque je tente de mettre fin à mon contrat d’auto, coup de théâtre: Mon vendeur m’apprend qu’il est le grand frère de mon PDG.  Je ne peux donc rien faire, sans risquer de détruire ma carrière.

Pour faciliter la compréhension, tous les montants sont ajustés en dollars d’aujourd’hui.

Je ne saurais décrire la tempête émotionnelle qui fait rage dans ma tête en ce début de mars 1998. Il y a ce sentiment de rage et de frustration, de m’être ainsi laissé arnaquer financièrement.  Il y a le sentiment d’abandon et de mépris qui me vient de Camélia  Mépris, du reste, que je sens également de la part de tous ceux qui, dans mon entourage, me considèrent comme étant un pauvre cave de m’être laissé avoir ainsi. Harcelé de toutes parts, plumé de toutes parts, méprisé de toutes parts.  J’ai atteint le fond.

Mais bon!  M’écraser par terre sans un coin sans réagir, ce n’est pas mon style, puisque ça ne règle rien.  Je suis un homme d’action.  Je le prouve sans cesse, depuis que mon ex m’a imposé une paternité surprise en lâchant la pilule sans m’en parler.  À chaque problème, sa solution.  Je me relève donc, et je réagis.

Premier problème à attaquer: Pouvoir manger. Avec pratiquement 100% de mon argent qui part en obligations légales diverses, je n’ai plus rien pour me nourrir.  Je vais donc à la banque alimentaire de mon quartier, celle où s’approvisionnent mon ex et nos enfants.  La première chose que l’on me demande, c’est mon revenu.  Lorsque je leur dit, ils me rient au nez.  La banque alimentaire, c’est pour les gens dans le besoin, pas pour les privilégiés qui gagnent $58 000.00 par année.  J’ai bien essayé de leur expliquer que je suis coincé légalement dans une arnaque financière automobile, ils rient encore plus fort.  

« Quand qu’on peut s’payer un char de l’année, on peut se payer une épicerie. »
« C’est quoi, ce raisonnement-là? Je viens juste de vous expliquer que c’est justement le fait que je dois payer le char, qui ne me laisse plus une cenne pour manger. »
« Nous autres, on aide des familles qui sont dans’rue, ou su’l’BS, des femmes seules avec des enfants, qui gagnent même pas $10 000.00 par année.  Toé t’en gagnes $58 000.00.  Si t’es pas capable de t’arranger avec ça, c’est pas notre Christ de problème. »

En plein ce que j’avais besoin: Encore plus d’incompréhension et de mépris.

Cassandra, une de mes colocs, a peut-être la solution pour moi: Déclarer faillite.  Elle a un oncle qui travaille dans un syndic de faillite.  Elle pourrait me prendre rendez-vous.  La consultation est gratuite.  

Je rencontre le Monsieur, il est gentil et tout.  Cependant, là encore, il me dit que ce n’est pas en gagnant $58 000.00 par année que l’on se qualifie pour une faillite.  Ensuite, les choses ont bien changées ces dix dernières années.  Depuis la fin des années 80, la déclaration de faillite qui efface toutes tes dettes, ce n’est plus qu’un mythe.  Le Ministère du Revenu en a trop vu, des étudiants qui se marient pour avoir de plus gros prêts et bourses au Cégep et à l’Université.  Et qui, à la fin de leurs études, effacent leurs dettes de prêt étudiant en déclarant faillite.  Puisque j’étais conjoint de fait avec mon ex lorsque j’allais au Cégep, et que je paie maintenant mon prêt étudiant, eh bien j’entre dans cette catégorie.  Tout ce que le syndic peut faire, c’est rassembler mes dettes et s’arranger avec mes créditeurs afin de leur rembourser à tant par mois selon mes revenus.  Et dans mon cas, c’est inutile puisque c’est ce que je fais déjà.  

Ceci dit, c’est vrai que si j’y avais droit, le syndic pourrait faire en sorte que mes paiements soient diminués à un taux raisonnable.  Cependant, il me le déconseille:

« Quand tu déclares faillite, ça te suit toute ta vie.  Même 20, 30, 40 ans plus tard, tes employeurs le savent.  Et une job comme la tienne, où tu dois manipuler des cartes de crédit, on ne donne pas ça à quelqu’un qui a fait faillite.  Fa que, si tu veux avoir des jobs au salaire de crève-faim pour le reste de tes jours, déclare faillite. »

Bon!  

Je ne vois plus qu’une solution: Me libérer de mon contrat de location.  Une seule façon pour ça:  La poursuite judiciaire pour fraude et/ou abus de confiance.  Ça prend un avocat.  Je me rend donc au bureau d’aide juridique de mon quartier.  

Bien sûr, là encore, je me fais dire que quand on gagne $58 000.00 par année, on n’a pas droit à un avocat gratuit.  On me dit que je devrai aller consulter un avocat au privé, mais qu’il faut que je m’attende à un tarif d’environs $150.00 de l’heure, dans le minimum, si je suis chanceux.  Et s’il est un métier qui pratique l’art de plumer le client encore mieux que concessionnaire, c’est bien avocat.  Ce dernier, payé à l’heure, va faire durer la cause aussi longtemps qu’il le pourra.  On parle d’années, ici.  Du moins, il le ferait, si je pouvais me le payer.

Trop pauvre pour être riche et trop riche pour être pauvre. 

Je suis tellement désespéré que pendant un moment, je songe à me réconcilier avec la mère de mes enfants et retourner vivre avec eux, histoire de ne plus lui payer de pension.  Sauf que, avec mon salaire, ils lui couperaient le BS, et je devrai tous nous faire vivre sur mon salaire, ce qui me coûterait encore plus cher.  Et ça me me libérerait en rien des paiements de l’auto..  

Je n’aime pas baisser les bras.  Mais là, je n’ai pas le choix.  Je suis obligé de reconnaître que ma situation est tout simplement sans issue.

Ou l’est-elle vraiment?  
Je veux dire, oui, ok, j’ai épuisé toutes mes ressources légales.  Mais ça ne veut pas dire pour autant que j’ai épuisé TOUTES mes options.

Et si je cessais de payer, tout simplement?

Si je cesse de faire mes paiements, GM n’aura pas le choix, ils vont saisir l’auto, et vont annuler le contrat.  C’est quoi, le pire qui puisse m’arriver?  Un autre sept ans de dossier de mauvais crédit?  Et alors?  Vous avez vu la merde dans laquelle ça m’a mis, d’avoir du crédit?  Pourquoi est-ce que je voudrais encore en avoir?   Et puis, de cette façon, je me mets à l’abri des représailles de la part du vendeur.  Je ne l’attaque pas lui personnellement.  Je ne serai qu’un mauvais payeur, comme il y en a tant.  De toute façon, il le sait que je n’ai plus d’argent, et que je dois choisir entre le payer ou me nourrir. Mon mail était très clair à ce sujet.

Évidemment, en faisant ça, je donnerai raison à tous ceux qui médisent contre moi, en m’accusant d’être irresponsable.  Je donnerai raison aux parents de Camélia.  Je donnerai raison à tous ceux qui disent que je suis toujours à rechercher la solution facile.

De la façon dont je me suis démené pour faire de quoi de ma vie ces cinq dernières années, passant de BS qui n’a pas son secondaire 5, à cégépien, à technicien dans un centre d’appel en informatique, je me demande bien d’où ils vont chercher les arguments pour justifier pareil jugement à mon sujet.  

N’empêche, moi qui ai passé ma vie à tout faire pour être droit et irréprochable, c’est dur pour l’orgueil d’être obligé à en arriver là.  Mais bon, à ce point-ci, fuck l’orgueil.  Ce n’est pas un caprice, c’est une question de survie.  Et ce n’est même pas une façon de parler ou une exagération.  C’est ou bien je garde l’auto, ou bien je mange.  Point!  De deux maux, il faut choisir le moindre, que dit le proverbe.  Sauf que ce proverbe implique qu’il y ait un choix.  Dans mon cas, il n’y en a pas.

« Ok!  Ma décision est prise! J’arrête de payer le char! »

Et soudainement, je sens un grand poids moral s’enlever de mes épaules.   Je ressens un énorme soulagement.  Et je me mets soudain à rire, comme ça, tout seul, comme un hystérique.  Ça ne dure que quelques secondes.  C’est que je viens de réaliser ce que ça signifie, de cesser les paiements de l’auto :

  • Avoir de nouveau ma liberté financière.
  • Pouvoir manger à ma faim.
  • Ça va prendre quoi, deux paiements ratés avant que GM m’envoie les huissiers?  Je viens de payer le mois de mars qui commence à peine.  Ça veut dire que je peux rouler tout mars, tout avril, et une partie de mai avant qu’on me l’enlève.  Au moins deux mois de liberté garanti.
  • Impossible pour moi, en deux mois, de briser la limite des 20 000 km.  Ça signifie que je peux rouler aussi longtemps que je le veux, aussi loin que je le veux.

Il y a quelque chose d’étrangement apaisant à se dire Fuck the World et à refuser de suivre les règles que l’on nous impose.  De toute façon, ça m’a servi à quoi, à date, de prendre mes responsabilités, hm? Ça m’a servi à quoi, d’être le genre de personne droite, mature, qui a un code moral, qui suit toujours les règles?   Ça m’a juste servi à me faire manipuler par ceux qui ne les suivent pas, les règles.  Le vendeur de GM en est le parfait exemple.  Quand les règlements de GM l’empêchent de me faire signer un contrat, il les ignore.  Par contre, quand les règlements de GM me forcent à honorer son contrat abusif, il s’y tient.  Shakespeare lui-même le disait : Quand c’est pour son bénéfice, Satan est capable de citer la Bible.  Tout le monde le sait, les bons gars finissent toujours derniers. Alors no more mister Nice Guy, du moins pour les deux prochains mois.

En attendant ma prochaine paye, qui est la semaine suivante, je vais faire en sorte de tirer un maximum de mes deux prochains mois.  Première chose : Puisque je n’ai plus Camélia, me trouver une amante.  La première qui me vient en tête, c’est Fatima.

Fatima est une étudiante d’origine franco-iranienne, au Québec depuis deux ans, que j’avais rencontré l’année dernière lors d’un rassemblement de cégeps pour une activité intercollégiale, Le Marathon des 24 Heures d’Écriture.  Elle était venue s’asseoir à ma table.  Il y a eu attirance immédiate. Mais à cette époque, Internet était à ses débuts, et seuls les riches y avaient accès, ce qui n’était pas mon cas.  Maintenant que je travaille pour La Boite sur la page web d’Air Canada, j’y ai une connexion cinq jours semaine.  J’en profite pour la retracer. 

Elle a été heureuse d’avoir de mes nouvelles. Nous nous sommes fixés rendez-vous pour un drink.  Dès notre première rencontre, la chimie sexuelle y était toujours.  On a fini au motel. 

Nous sommes maintenant amants réguliers, et mon auto est un élément important de notre relation.  En général, je passe la prendre à son université.  Puis, dès que nous sommes à bonne distance de chez elle, elle retire son hijab et le range dans son sac à main.  Bien qu’elle ne fasse pas de remous afin de rester parfaite et irréprochable auprès de sa famille, c’est une petite rebelle éprise de liberté. Ayant moi-même vécu pendant plusieurs années sous la dictature de mes ex et de mes belles-familles, c’est le plus grand trait de personnalité que nous avons en commun.  C’est probablement ce qui nous rend aussi complices dans cette excitante relation secrète dans laquelle on viole tous les tabous avec passion.  On va partout sur la Rive Sud de Montréal, par exemple à St-Hyacinthe, y manger une bonne poutine bien grasse avec des saucisses de porc, avant de repartir en road-trip, ne manquant pas de s’arrêter ici et là pour baiser. 

Bientôt arrive avril.  Non seulement je prends grand plaisir à ne pas envoyer mon paiement à GM, le hasard veut qu’avril ’98 soit un mois à trois payes : j’ai un chèque le 1, le 15 et le 29.  Non seulement je me sauve $606.60, le hasard me rend plus-que-prospère avec ce triple revenu.  C’est comme si le destin était d’accord avec moi.  Après toute la merde que j’ai vécue, j’avais vraiment besoin de ça.  Alors même si ma dépense en essence a passé de $160 à près de $400.00, ça reste bien en-dessous de ce que je sauve en ne payant pas GM, donc ne m’affecte pas le moins du monde.    

Ceci dit, je continue néanmoins de payer les $143.72 pour l’assurance auto.  Parce que bon, la rébellion ne doit quand même pas inclure la négligence.  J’ai eu assez d’ennuis comme ça, si j’ai un accident dans mon auto que je ne paye plus, je tiens à être protégé.

Ce n’est qu’au 10 avril que je commence à avoir des messages de la part du vendeur.  Je les efface sans même les écouter au complet, et je n’y réponds pas.  Le vendredi suivant, il fait alors un truc auquel je ne m’attendais pas : Il m’appelle au travail, en me demandant c’est quoi, mon p’tit jeu, de ne pas envoyer mon paiement?  Non seulement ça, mais ça fait quatre mois que j’ai l’auto, elle serait due pour son second traitement d’antirouille à l’huile. Je bluffe en lui répondant que oui, en effet, désolé, je n’avais pas reçu ma paye, et je ne voulais pas prendre le risque de faire un chèque sans provisions.  Mais voilà, ça y est, j’ai l’argent, je lui envoie le chèque ce soir, il devrait l’avoir lundi.  Il me dit de plutôt lui amener le chèque en personne ce lundi-là, en leur amenant l’auto, qu’il fassent le traitement à l’huile.  En réalité, tout ce que je fais, c’est prendre son numéro en note pour le bloquer sur mon poste, et je ne me pointe jamais à GM.  Je passe les trois semaines suivantes à l’éviter habilement.  Et lorsque mai arrive, comme le mois précédent, je ne poste que le chèque de l’assurance.

Lundi le 12 mai, je reçois une lettre officielle de GM.  Ils me donnent dix jours pour les rappeler afin d’arriver à une entente de paiements avec eux, ou bien ils m’enverront un huissier pour reprendre possession du véhicule.  Je profite donc de ces dix derniers jours, utilisant l’auto même lorsque je n’ai nulle-part où aller, juste pour vivre au max ces derniers moments de liberté.

Mais bon, comme le dit le cliché, toute bonne chose a une fin.  Lundi matin le 25 mai, un huissier est chez moi et me fait signer les documents dans lequel je rends officiellement l’auto à GM.  Autrement dit, j’ai également fini de payer les assurances.  Puis, il me dit ce à quoi je m’attendais.

« À partir d’aujourd’hui, et pour les sept prochaines années, vous ne pourrez plus obtenir de crédit, ni même une carte de crédit. »

Dans sept ans, j’en aurai trente-six.  À ce moment-là, j’aurai passé les dix dernières années de ma vie avec un mauvais dossier de crédit.  En tout cas, s’ils veulent me saisir , je leur souhaite bonne chance : À part une petite TV et un lecteur VHS, je n’ai que mes vêtements et ma collection de comic books.  Tout le reste, c’est la mère de mes enfants qui s’en est emparé.  Et avant de vivre en colocation, j’étais en résidence étudiante meublée, alors ce n’est pas comme si j’avais eu l’opportunité de me procurer autre chose.

Ce qui fut mon véhicule pendant presque six mois repart en direction du concessionnaire GM à l’Île-des-Sœurs. Au bout du compte, ça m’aura coûté $2 426.40 envers GM et $862.32 aux assurances, et environs $1 500.00 d’essence.   Pour un grand total de $4 788.72.

« Ça m’aura aussi coûté ma relation avec Camélia, et ma bonne réputation parmi tout mon entourage.  Mais bon, dans ce dernier cas, il me suffira de leur dire que j’ai rendu l’auto, pour qu’ils cessent de me prendre pour un con. »

Lundi, premier juin 1998.  Je prends le métro et j’achète la passe autobus-métro du mois. Jamais je n’ai été aussi heureux de payer ces $83.00. Ça vaut mieux que ces $910, soit $750 pour l’auto + $160 d’essence. 

Mes ex colocataires sont parties, l’une à Québec, l’autre en Abitibi.  Je me suis trouvé un beau petit 3½ à $480.00, chose que je peux me payer maintenant que je n’ai plus ma bagnole.  Mon appartement est juste au milieu de l’édifice, avec des voisins en dessous, de chaque côtés et au-dessus, alors ça ne me coûtera pas cher de chauffage l’hiver prochain.  Avec tout ce que les gens jettent, en prévisions de leur déménagement, je me meuble entièrement de trucs trouvés aux poubelles, ce qui est encore sécuritaire en cet époque pré-punaises de lit.    

Je suis pratiquement voisin de presque-en-face de mes enfants et leur mère.  Ils habitent un HLM, ce qui signifie qu’ils n’ont pas à payer l’électricité.  Maintenant que nous sommes en meilleurs termes, j’y vais souvent, pour visiter les enfants.  Et aussi pour épargner au max mon électricité, en mettant en commun notre nourriture que je cuis chez elle. Et tant qu’à faire, je fais mon lavage là et y utilise la douche.

Je continue de fréquenter Fatima, mais on commence à se distancer un peu.  En pleine exploration de sa sexualité, elle réalise qu’elle a envie de trucs qui ne sont vraiment pas compatibles avec moi.  Et en même temps, de mon côté, je réalise que, à part la couchette, on n’a jamais vraiment rien eu en commun.  Nous perdons peu à peu le contact.   C’est aussi bien! Ça m’a fait du bien moralement, d’avoir été un Bad Boy pour un court moment, de me rebeller contre la société. Mais là, il est temps que je mette ce mauvais épisode derrière moi.

Au travail, je viens de changer de chef d’équipe.  En le voyant, Didier m’a dit :

« Oh, merde!  On t’a refilé Le Nazi.  Bonne chance, mec. »

Mais bon, peu m’importait.  Je commençais à 16 :00, et il finissait à 17 :00, ce n’est pas comme si j’allais l’avoir sur le dos longtemps. 

Du moins, je le croyais. 

À SUIVRE

General menteurs, 4e partie: Une coïncidence trop irréelle

RÉSUMÉ : Nous sommes en automne 1997.  J’ai 29 ans.  Séparé depuis deux ans de la mère de mes enfants, je suis maintenant en couple avec Camélia, 19 ans.  J’ai un bon boulot et près du double du salaire minimum.  Son père occupe un poste haut placé à General Motors, et il n’apprécie pas que sa fille sorte avec  un père séparé.  Sous sa promesse de pouvoir acheter une auto à $150.00 par mois, et sous menace à peine voilée de perdre mon emploi si je casse le contrat,  je me laisse peu à peu manipuler à accepter contre mon gré une location à $750.00. 

C’est le cœur lourd que je pars de l’Île-des-Sœurs au volant de la Cavalier quatre portes que je suis obligé de louer à $750.00 par mois, plutôt qu’avec ma Golf deux portes que je voulais acheter à $150.00 par mois.  Tout ça parce que je n’ai pas su faire la différence entre temps plein et permanent.  Qui aurait cru qu’une si simple erreur de ma part sur un contrat signé pouvait risquer de me valoir un dossier judiciaire pour fraude, et par conséquent risquer de me faire perdre mon emploi où je manipule des cartes de crédits.  Je suppose que malgré ces $600 de frais mensuels supplémentaires, je m’en tire à bon compte.

Prenant le chemin vers La Boite où je travaille, j’ai ma première leçon sur les réalités de l’heure de pointe et des embouteillages.  Je suis 50 minutes en retard lorsque j’arrive enfin.  Je viens pour m’introduire sur le parking de la boite, où une mauvaise surprise m’attend.  Pour avoir droit de m’y stationner, ça prend la vignette de stationnement de la compagnie, qui est $110.00 par mois.

« Hein?  Mais c’est $30.00 de plus que la passe autobus-métro.  Ça va pas!? »

Comme disait Gaston Lagaffe:

Je refuse de payer ça.  J’en serai quitte pour me stationner dans la rue.  Je parcours ainsi en rond toutes les rues du quartier.  Les seules places de libres sont dans des rues résidentielles qui demandent des vignettes de résidents.  Je finis par trouver une place libre et gratuite à huit coins de rues de La Boite. C’est avec une heure et demie de retard que j’entre au bureau.

Désormais, pour éviter la circulation dense et pour me trouver plus aisément du stationnement, je dois partir de chez moi deux heures plus tôt que lorsque je faisais le trajet en métro.  Au retour, passé minuit, la circulation est nulle.  Mais là, c’est dans mon quartier que je peine à trouver où me stationner, puisqu’à cette heure-là tout le monde est chez soi.  Je n’ai le véhicule que depuis trois jours, lorsque j’attrape ma première contravention.  $70.00 pour stationnement interdit.  Et c’est comme ça que j’ai appris que certains côtés de rue doivent être libérés pour entretient de 10:00 à 11:00 am.  Encore heureux que je ne paierai pas le plein prix de la location avant trois mois.  Décidément, avoir une auto, c’est beaucoup de soucis contre peu d’avantages.

Au moins, la fin de semaine me permet de rendre l’automobile agréable. Je vais chercher Camélia chez elle, et je l’amène à St-Hilaire où nous allons nous balader dans la montagne.  Elle est heureuse et fière de moi, ce qui la rend encore plus amoureuse, et encore plus chaude au lit.  Et puis, de pouvoir me promener comme ça, moi qui aime tant faire de la route, ça fait du bien.  Avoir une auto en ville est peut-être une expérience négative, il reste qu’en campagne c’est l’idéal. Mais ça reste bien la seule chose positive que je retire d’avoir cette auto.

Un truc qui joue sur mon moral quelque chose de négatif, c’est que maintenant que j’ai un véhicule, tout le monde, les amis, la famille, les collègues, me posent les deux questions suivantes :

« Combien que l’char te coûte? »
« Combien qu’tu payes d’assurances? »

Et dans 100% des cas, après y avoir répondu, je me fais servir la réplique suivante :

« Haaan?  Tu payes donc ben cher!  Moé ça m’coute la moitié / le tiers / le quart de ça. »

Car en effet, à les entendre, tout le monde paye moins cher que moi.  Et, dans plusieurs des cas, pour des véhicules neufs.  Par conséquent, aux yeux de tout mon entourage, je passe pour un pauvre con, de m’être laissé couillonner à ce point-là.  Et quand j’essaye d’expliquer pourquoi je n’avais pas le choix, puisque mon travail était en jeu, je me fais répondre que j’ai été vraiment cave de croire que d’annuler le contrat m’aurait apporté sept ans de mauvais crédit, que ce sept ans allait s’ajouter au sept années précédentes, ou que d’avoir confondu temps plein avec permanent , c’état suffisant pour m’apporter un dossier judiciaire pour tentative de fraude. J’en ai ras le bol de cette liste de commentaires condescendants que je reçois non-stop :

« Moé, dès que j’aurais vu que ce n’était ni le char ni le prix promis, je l’aurais envoyé chier. »
« Pourquoi t’as signé le contrat avant de connaître tous les coûts? »

« Franchement!  Beau-père, ET vendeur de char?  Pourquoi t’as fait confiance à ça? »
« Pis t’as cru c’qu’y disait? »
« Trois traitement antirouille?  C’est jamais plus que deux par année. »
« 400$ la révision?  C’est 250$ partout ailleurs! »
« Deux révisions? La révision annuelle, c’est une fois l’an. »
« Tu payes pour le système d’alarme, alors qu’il leur appartient? 

« Tu payes pour les pneus, alors qu’ils leurs appartiennent? »
« Ben là!  À c’t’heure que t’as signé, ça veut dire que t’as accepté, fa que t’as pu de recours. »
« T’aurais jamais dû signer ça! »

Excellente suggestion, génie!  Maintenant, peux-tu me diriger vers la plus proche machine à remonter dans le temps, que je puisse faire comme tu viens de me suggérer?

Mercredi 24 décembre 1997, jour de paie.  La patronne nous distribue nos chèques.  Tout l’monde se réjouit du bonus de Noël de $450.00. J’ouvre mon enveloppe.  Mauvaise surprise.  Je me lève et vais voir la patronne.

« Euh, Rolande!?  C’est parce que j’ai juste mon chèque de paie habituel dans mon enveloppe.  Y’é où, mon bonus? »
« Le bonus, c’est pour les employés permanents.  Toi t’es temporaire. »

Je soupire.  Encore heureux que, le mois prochain, je n’aurai à payer que $327.76 au lieu de $750.00 pour l’auto et ses assurances.  N’empêche que ce premier mois d’utilisation du véhicule m’aura coûté $40 d’essence par semaine, donc $160.00 pour le mois. (Au prix de l’essence qui fluctue sans cesse, j’ai gardé le montant de l’époque. Mais si vous voulez calculer vous-mêmes la différence, allez-y, je crois que dans le temps c’était 72¢ le litre.)

Je sors ma calculatrice et refais mes calculs. Alors en arrondissant au dollar près:

  • Une fois payés le prêt étudiant, la pension alimentaire, ma nourriture et ma part de loyer, d’électricité et de téléphone, il me reste $625 par mois.
  • Quand je croyais payer $425 pour l’auto, il me serait resté $200 par mois.
  • Maintenant que je paye $328.00, il me reste actuellement $297.00
  • Dès que je ferai des versements de $750, je serai dans le rouge de $125. 
  • Mon seul argent de disponible, celui qui n’est pas une obligation à taux fixe, c’est mon budget de nourriture, qui va donc passer de $300.00 à $175.00 par mois.
  • Alors si j’en déduis $160 d’essence par mois, il ne me restera plus que $15 par mois pour manger.

Je n’y arriverai jamais.  À ce prix-là, si je veux encore être capable de manger, je devrai abandonner l’appartement et vivre dans mon auto.  Bonne chose que j’aurai bientôt l’augmentation de mes six mois à La Boite.

Janvier 1998.  Je fais mon second paiement réduit pour l’auto, en plus de mon second versement pour l’assurance, un total de $327.76.

Nous entrons dans l’historique crise du verglas qui laissera certaines partie du Québec sans électricité pendant trois semaines.  Et ce mois-ci, je me réjouis d’avoir une auto car celle-ci me sauve la mise.

Tout d’abord, bien que La Boite soit paralysée par le manque d’électricité, les téléphones fonctionnent toujours.  Et puisque j’ai le contrat Air Canada, je suis l’un des rares qui puisse continuer de travailler.  Avec le métro paralysé, je m’y rends en auto.  Et sans personne pour surveiller le parking, je le monopolise.  Truc amusant, lorsque je reçois des appels, peu importe de où dans le monde, je n’ai qu’à dire que je suis à Montréal, ils comprennent aussitôt que je ne peux rien faire pour eux.  Le fait que nos aéroports sont paralysés par la glace, c’est une nouvelle diffusée à l’échelle de la planète.  Ça m’étonne un peu, j’avoue.  Sauf pour l’Angleterre, puisque les Rolling Stones ont eu à annuler leur spectacle prévu au Stade Olympique.

L’auto me permet également de m’occuper de mes enfants et de leur mère, qui se font trimbaler d’un refuge à l’autre, généralement des gym d’écoles.  Je peux ainsi aller chercher chez eux du matériel de première nécessité, couches, lait, lit gonflables, etc, ce qui nous assure un maximum de confort.

Toute mauvaise chose a une fin.  Le courant a été rétabli.  En après-midi, le président directeur général et fondateur de La Boite nous convoque tous.  Il a une bonne nouvelle à nous annoncer :  Bien que personne n’ait pu travailler pendant trois semaines, leur salaire leur sera néanmoins versé.  La généreuse décision a été accueillie par un tonnerre d’applaudissements.  Cependant, je m’interroge.  Je vais voir ma patronne.

« Oui, Rolande, euh…  Et les rares qui, comme moi, ont travaillé pendant ces trois semaines?  Est-ce qu’on a droit à double salaire?  Ou du moins, un bonus, d’être les seuls à avoir été fidèles au poste pendant le verglas? »
« L’assurance salaire, c’est pour les employés permanents.  Toi, t’es temporaire. »

Je soupire!  Je suppose que dans de telles conditions, je dois me compter chanceux d’avoir pu travailler pendant la crise.  N’empêche que j’ai bien de la misère à me réjouir que tout le monde ait eu droit à trois semaines de congés payés, sauf moi.  Encore heureux que la semaine prochaine, ça fera six mois que je serai ici.  

La semaine suivante, lorsque je vais voir Rolande pour lui parler de mon augmentation, devinez?

« L’augmentation aux six mois, c’est pour les employés permanents.  Toi, t’es temporaire. »

Je soupire! Trois rentrées supplémentaires d’argent dont j’aurais eu désespérément besoin, et elles me sont toutes refusées.  Ma situation d’employé temporaire commence à me faire royalement chier.  Sur ce, Rolande me fait signer mon second contrat de six mois, au bout duquel elle me rassure de nouveau que j’aurai ma permanence à la fin de celui-ci.  Je me console en me disant que ce contrat-là, au moins, me rapporte de l’argent au lieu de m’en coûter. 

Février passe.  Ceci est le dernier mois où je paye $327.76 au lieu de $750.  Prévoyant, je me limite autant que je peux dans la nourriture, achetant des produits moins cher, limitant mes portions.  Pour sauver sur l’essence, désormais je n’utilise l’auto que pour aller travailler, et voir Camélia le samedi. 

Je songe à me trouver un second travail pour les weekends.  Je retourne au resto où je faisais la vaisselle lorsque j’étais au cégep.  Et c’est là que j’apprends que les choses ont changé depuis quelques temps dans le paysage de l’emploi au Québec.  Le travail à temps partiel de fin de semaine, ça n’existe pratiquement plus.  Par exemple, dans mon temps, au resto, il y avait quatre plongeurs : Deux à temps plein la semaine, et deux à temps partiel les weekends.  Maintenant, c’est trois plongeurs à temps plein, le premier a congé samedi-dimanche, le second lundi-mardi, et le troisième mercredi-jeudi.  Comme ça, il y a toujours deux employés en même temps, et le patron se sauve les frais, du fait de ne pas avoir un 4eemployé.  Et c’est rendu comme ça pratiquement partout.

En désespoir de cause, je vais voir Rolande.  Certains de nos clients, comme Air Canada justement, sont ouverts 24/7.  Peut-être pourrais-je…?  Mais non, impossible!  Premièrement, au-delà de quarante heures, selon la loi, il faudrait me payer en temps supplémentaire. Et La Boite a beau faire deux milliards de chiffre d’affaire par année, le président n’accepterait pas un tel arrangement.  Et de toute façon…

« Le temps supplémentaire, c’est pour les employés permanents.  Toi, t’es temporaire. »

Lundi, 2 mars 1998.  Aujourd’hui, j’ai fait mon premier paiement complet de $750.00 pour l’auto.  Malgré mes efforts, je n’ai rien trouvé pour améliorer mes finances.  Camélia, à qui je cache la réalité de mon budget, commence à me reprocher mon avarice, de ne plus vouloir rien faire les weekends, nous qui ne nous privions jamais de sorties au cinéma, au bar ou au resto. Et puisque j’ai eu le malheur de lui dire que je me cherchais un second travail les weekends, voilà qu’elle m’accuse d’être devenu un maniaque de l’argent, prêt à négliger sa blonde juste pour faire quelques dollars de plus.

Didier, un collègue qui travaille sur mon quart de travail, mais pour un autre client de La Boite, s’interroge sur mon air déprimé et mon petit lunch où les nouilles au beurre ont remplacé le steak.  Il est ici depuis peu, et n’a donc pas fait partie de ceux qui se sont moqués de mon onéreux état d’automobiliste.  Alors je lui raconte tout, dans le détail.

« Et inutile de dire que je me suis fait avoir, je le sais!  Mais bon, j’en serai quitte pour manger pas mal de nouilles pour les trois prochaines années. »
«  Mec, tu t’es fait avoir bien plus que tu ne le crois.  Tes nouilles, tu ne pourras jamais te les permettre. »
« Qu’est-ce que tu veux dire? »
« Je parle de la limite du 20 000 kilomètres. »
« Quoi, la limite du 20 000 kilomètres?  J’la dépasserai jamais, la limite du 20 000 kilomètres. »

Il prend sa calculatrice.

« 365 jours fois trois ans, ça donne 1095 jours.  20 000 kilomètres divisés par 1095 jours, tu veux voir ce que ça donne? »

Sans me laisser le temps de répondre, il me montre l’écran de sa calculatrice.

18.26

Ma mâchoire tombe.

« JE N’AI DROIT QU’À DIX-HUIT KILOMÈTRES ET QUART PAR JOUR?  J’en fais 21, juste en aller-retour entre ici et chez moi, cinq jours par semaine..  Camélia habite à Kirkland, c’est 28 kilomètres en aller simple.  Mes parents, à St-Hyacinthe, c’est 45.  C’est épouvantable! »

En panique, je mets mon téléphone à Occupé, et je sors du building, direction mon auto stationnée tout près.  Ici, vous comprendrez que, au moment d’écrire ces lignes, ça fait plus de vingt ans, je ne me rappelle donc plus quel était le kilométrage d’inscrit au tableau de bord.  Par contre, je me souviens très bien que, en se basant sur ce que j’avais parcouru en trois mois, Didier a pu calculer qu’au bout de trois ans.  Je dépassais de plus de 12 000 km la limite imposée. Multiplié par seize sous, ça me rajoute $1920.00.

« Donc, $750 fois trente-six mois, si tu ne dépasses pas la limite, ça te coûtera $27 000.00, pour une auto que tu n’auras pas pu utiliser à ta guise.  Par contre, si tu continues comme ça, ajoutons ce $1920.00, tu auras payé $28 920.00.»

Et ça, c’est avant le coût de l’essence ($160.00 X 36 = $5 760.00) qu’il est inutile de rajouter puisque je ne peux plus me la payer de toute façon. Je suis totalement ruiné.  Mais comment est-ce possible que l’on puisse à ce point-là frauder quelqu’un, et que ça reste parfaitement légal?  Ça dépasse mon entendement.

La fin de semaine suivante, Camélia vient chez moi.  Alors qu’elle s’apprête à me faire la morale encore une fois sur le fait que je commence à la négliger, je décide de lui mettre les cartes sur tables.  Ou du moins, mon budget.  Elle savait pour le prêt étudiant, mais j’ai eu à lui révéler pour la pension.  Sa réponse :

« Mes parents avaient raison.  Un gars qui a à payer une pension alimentaire, ça n’aura jamais d’argent, et c’est sa conjointe qui va être obligée de le faire vivre. »
« Je te ferais remarquer qu’avant que ton père et toi insistiez pour que j’achète un char, il me restait $625 par mois.  Et avec ça, on pouvait faire tout ce qu’on voulait, toi et moi.  On avait l’association parfaite.  Toi tu nous conduisais, et moi je payais les sorties.  Mais noooon, ça ne te suffisait pas, fallait que tu insistes pour que j’aille un char moi aussi.  Alors que je vous avais pourtant bien dit, à ton père et à toi, que je n’en avais pas les moyens. »
« Mais là, franchement, l’auto, ça peut pas te coûter si cher que ça! »

J’ai alors pris une feuille, et, devant elle, j’ai fait le calcul, documents officiels de GM et d’assurances à l’appui, je lui ai montré tout ce que j’ai à payer.  Elle n’a pas eu le choix de reconnaitre que l’addition montait bien à plus de $750.00.  Sur ce, je replie la feuille, le lui donne, et dit :

« Alors la prochaine fois qu’ils gueulent contre moi comme quoi je n’aurai jamais d’argent à cause de la pension alimentaire, tu pourras leur répondre que le char me coûte deux fois plus cher que la pension. Un char que je ne voulais pas et dont je n’avais pas besoin, mais que ton père et toi insistiez pour que j’achète. Et dans ce temps-là, on parlait de la Golf à $150.00. Tsé, celle que ton père m’a promis, mais qu’on n’a jamais vu? Alors va pas me faire accroire que c’est moi qui a causé le problème, ici. »

Apparemment, elle leur en a parlé dès son retour chez eux.  Car le soir-même elle m’appelait pour me dire que ses parents lui ont fait comprendre que tout ce que ça prouvait, c’est que je ne sais pas tenir un budget.  C’est ce qu’ils lui répètent depuis des mois, mon papier ne fait que le confirmer.  J’ai eu beau lui expliquer que c’était la faute de son père,, elle n’en démord pas: Peu importe la raison pourquoi je n’ai plus un sou, que ça ait rapport à son père ou non, ça ne change rien au fait que je n’ai plus un sou.  Et que ça va être comme ça pour les trois prochaines années.  Et même lorsque je n’aurai plus l’auto, j’aurai toujours la pension alimentaire, qui va aller en augmentant à mesure que les besoins et les études de mes enfants grandiront.  Elle est donc d’accord avec eux que je n’ai aucun avenir.  Et se brouiller avec ses parents pour un gars comme moi, qui vient de se montrer stupidement dépensier et sans avenir, ça n’en vaut pas la peine.  Ceci est donc la fin de notre relation.

J’ai acheté un char pour satisfaire ma blonde. Et là, à cause du char, je n’ai plus de blonde.

Le lundi suivant, de mon travail, j’écris un long courriel au vendeur de GM.  Je lui dis en détail, calcul à l’appui, à quel  point le deal qu’il m’a fait signer est abusif.  Je rajoute même une liste de dix personnes, de la famille, des amis, des collègues, tous automobiliste, listant ce que chacun doit payer pour l’auto et en assurances, tous payant beaucoup moins cher que moi.  Et ce, sans « avoir droit au rabais de l’employé GM. »  J’ajoute leurs numéros de téléphone, qu’il puisse leur demander s’il ne me croit pas.  Et, bien sûr, je souligne le chantage auquel il m’a soumis, en me faisant accroire faussement que j’aurais droit à un dossier judiciaire pour fraude, juste pour avoir confondu temps plein avec permanent.

Je conclus par un ultimatum : Il brise le contrat et reprend l’auto, ou je rend notre deal public, amenant tous nos documents à la police, à un avocat, aux journaux, à la télé, peu importeMais les gens vont savoir ce qui s’est passé.  Et avec ce nouveau phénomène qu’est internet, je n’aurai même pas besoin des médias pour étaler la chose aux yeux de tous. Et si vous songez à me poursuivre pour diffamation, bonne chance: À cause de vos magouilles, je n’ai plus un sou, alors ce n’est pas comme s’il me restait encore quelque chose à perdre.

Le lendemain, il m’appelle.  Évidemment, j’ai droit à des accusations de paranoïa, du fait que c’est facile de se laisser monter la tête par des gens qui prétendent payer moins que moi.  Il va même me dire que je n’ai pas à me défouler sur lui de mes frustration sexuelles de m’être fait domper par ma blonde.

COMMENT CE FAIT-IL QU’IL SOIT AU COURANT?  J’avoue que je ne m’attendais pas à celle-là.  Mais ce n’est rien à côté du coup de théâtre qu’il me sert pour conclure notre échange :

« Moi, à ta place, je ferais ben attention.  Parce que j’ai ici, dans ton dossier, une lettre dans laquelle tu déclares frauduleusement être employé permanent alors que tu es juste temporaire. Faux document, imitation de signature… Avec un bon avocat et un peu de chances, tu peux t’en tirer pour quoi, trois ans? »

Je me sens blêmir. Ça a beau être lui qui m’a demandé de produire ce faux, il reste que c’est moi qui l’ai produit. Et je n’ai aucune preuve qu’il m’a forcé la main à le faire. Sur ce, il termine sa réplique en beauté avec le plus inattendu des rebondissements.

« Et, en passant… Tu sais, là, le fondateur et président directeur général de La Boite où tu travailles?  C’est mon petit frère.  Bonne journée. »

En effet, ils ont le même nom de famille.

Et en effet, maintenant qu’il me le dit, je réalise que oui, ils ont une physionomie et une voix assez semblable.

À SUIVRE

General Menteurs, 3e partie: Auto-destruction financière,

RÉSUMÉ : Nous sommes en automne 1997.  J’ai 29 ans.  Séparé depuis deux ans de la mère de mes enfants, je suis maintenant en couple avec Camélia, 19 ans.  J’ai un bon boulot et près du double du salaire minimum.  Son père occupe un poste haut placé à General Motors, et il n’apprécie pas mes origines pauvres ni le fait que je suis père séparé.  Il commence à se faire à l’idée que nous sommes en couple pour durer, mais pas au fait que je ne possède pas d’automobile.  Aussi, par un de ses employés, je me laisse peu à peu manipuler à accepter des conditions de locations de plus en plus louche. 

Pour faciliter la compréhension, tous les montants d’argent sont ajustés en dollars d’aujourd’hui.

Ce qu’il y a de bien de travailler de 16 :00 à minuit, c’est que ça me laisse toute liberté requise pour faire tout ce que j’ai à faire dans une journée.  Aussi, le lendemain, je me rends au concessionnaire GM pour remettre la lettre au vendeur.  Il regarde en souriant le document qu’il sait falsifié, en disant :

« Et dire que t’étais prêt à tout abandonner pour un aussi petit détail.  Bon ben maintenant on peut compléter la transaction. »

Et c’est parti!  Il me sort de nouveaux documents.

« Puisque c’est une location, ça veut dire que le véhicule appartient toujours à GM, et qu’ils vont en reprendre possession dans trois ans.  Est-ce que c’est clair pour toi? »
« Oui! » 
« Alors signe ici! »

Je signe le papier.

« Maintenant, tu comprendras que si GM veut récupérer le véhicule, il faut s’assurer que tu ne te le fasses pas voler.  Ils sont donc obligés de t’installer un antivol.  Ça vient avec une lumière clignotante sur ton tableau de bord, pour dissuader les voleurs.  Est-ce que c’est clair pour toi? »
« Oui! » 
« Alors signe ici! »

Mon œil accroche à un détail sur le papier.

« Trois cent dollars? »
« Ben oui!  L’antivol, c’est pas gratuit.  Et faut l’installer.  Les pièces, la main d’œuvre, ça se paye! »

C’est bien à contrecœur que je signe cette nouvelle dépense imprévue.

« Maintenant, tu comprendras que quand GM va récupérer le véhicule, il aura quatre ans d’âge.  Alors pour pouvoir le revendre, ils doivent s’assurer que tu leur rendras en parfait état.  Est-ce que c’est clair pour toi? »
« Oui! » 
« Alors pour s’assurer qu’il n’a aucune trace de rouille, tu t’engages à le faire traiter à l’antirouille à l’huile à tous les quatre mois. Est-ce que c’est clair pour toi? »

Ce qui est clair pour moi, c’est que maintenant que j’ai signé le contrat de location, je n’ai pas le choix d’accepter toute nouvelle dépense aussi imprévue qu’obligatoire qu’il me lance au visage.

« Et combien ça va me coûter en plus, cette nouvelle dépense dont vous ne m’avez jamais parlé avant? »

Il me regarde d’un air aussi surpris qu’offensé.

« Ok, pourquoi tu me dis ça, là?  Tu me parles comme si tu m’accusais de te passer la crosse du siècle.  Toutes ces dépenses sont des options standards, normales, légales et obligatoires que la loi impose à GM.  Alors on se calme, s’il vous plaît!. »

Euh… Ok!  Voilà une réaction aussi surprenante que totalement disproportionnée. Mais bon, lorsque quelqu’un fait son offensé, la meilleure façon de lui répondre, c’est calmement, en phrasant la chose de manière à démontrer que c’est lui, l’imbécile qui pète un câble pour rien.  Et ça, c’est un art que je maîtrise parfaitement :

« Euh… Je ne comprends pas ce que vous voulez dire.  Est-ce que c’est une nouvelle dépense? Oui!  Est-ce que vous m’en avez parlé avant? Non!  Est-ce que c’est normal, alors, que je vous demande combien ça va me coûter, cette dépense dont vous ne m’avez jamais parlé avant? Oui!  Alors pourquoi vous réagissez comme ça? »

Il n’y a rien comme poser une question embêtante à l’autre pour lui clouer le bec.  Avec la manière qu’il a de me parler comme si j’étais un imbécile, ça fait du bien de pouvoir inverser les rôles.  Aussi, pour toute réponse, il me refile le papier.  Coût de l’antirouille : $100.00.

« Par année? »
« Par séance! »
« Donc $300$ par année, c’est bien ça? »
« Ben là, c’t’évident! »
« Ben voilà! Trois-cent dollars.  Est-ce que c’était si difficile à dire? »

J’appose ma signature sur le document, je le lui rends, et d’une voix calme et souriante, je lui demande :

« Bon, alors, sur quel autre nouveau frais standard, normal, légal, obligatoire, et jusque-là caché, dois-je apposer ma signature, maintenant? »

J’avoue que, de pouvoir à mon tour le piquer avec condescendance, ça me procure une certaine satisfaction morale.  Malheureusement, ce n’est pas ça qui va améliorer mon sort.  Parce que oui, il avait d’autres frais cachés à me balancer.

« Pour s’assurer que le véhicule reste en bon état de marche, il faut le ramener ici deux fois par année pour passer en révision. »
« C’est combien? »
« $400.00 la révision, donc $800.00 par année. »

Et il me refile le papier, cette fois sans me demander si c’est clair pour moi.

« Et huit-cent piastres de plus.  Une chance que j’ai droit au rabais des employés, hm!? »

Je signe et le lui rend.  Il sort un nouveau document.

« Au Québec, du 15 décembre au 15 mars, il est illégal, selon la loi, de rouler sans des pneus d’hiver.  C’est $500.00 dollars, soit cent par pneus et cent pour l’installation. »

Cette fois, j’atteins ma limite morale, ce qui me fait perdre ma façade faussement harmonieuse. 

« Ok!  Là, là, ça va faire!  Je l’sais bien que, maintenant que j’ai signé le contrat de location AVANT que vous me balanciez tous ces frais-là, ça veut dire que je suis obligé par la loi à tous les assumer, sous peine de me retrouver avec un dossier judiciaire pour fausse déclaration, ce qui va me faire perdre ma job … »

C’est ma manière de lui ramener que je ne suis ni plus ni moins que la victime de son chantage.

« …  Et non, je ne mets pas votre parole en doute quand vous dites que ce sont des frais standard, normaux, légaux, obligatoire.  Mais là… »

Je m’empare de la calculatrice sur son bureau et je fais le compte. 

« $300.00 l’antivol, $300.00 l’antirouille, $800.00 la révision, $500.00 les pneus, ça fait $1900.00, et ça c’est avant les taxes je suppose?  Ça veut dire plus de deux mille piastres de frais que vous m’aviez jusque-là caché.  J’ai pas c’t’argent-là, moi!  Vous avez vidé mon compte avec votre premier paiement et votre dépôt de sécurité.  Fa que, me v’là lié légalement à un char que je ne pourrai jamais sortir d’ici parce que je n’ai plus rien pour payer vos frais cachés, tout ça parce que mon beau-père, votre patron, m’a promis que je pouvais acheter à $150.00 par mois une Golf que vous n’avez pas été capable de me produire. »

Il vient pour me répondre, mais je l’interrompt.

« Et avant de protester encore comme quoi je vous accuse de quoi que ce soit, est-ce que je viens de dire quelque chose qui était faux? »
« Non, bien sûr!  Mais si tu m’avais pas interrompu, je t’aurais dit qu’on ne t’a jamais demandé de payer tout ça d’un coup.  Ces frais sont divisés par douze, pour n’en faire qu’un petit montant qui s’ajoute à ton paiement mensuel, c’est tout. »

Il reprend sa calculatrice. 

« $1900.00, plus taxes…  Divisé par douze mois…  Voilà : $184.04 par mois.  Même pas deux-cent piastres. Et tiens : Pour te montrer ma bonne volonté, il te restait encore comme frais les plaques, l’enregistrement et l’immatriculation.  On te les donne en bonus.  Ça te va? »

Sur ce, il me tend la main, tout souriant.  Ben coudonc!  Je lui serre donc la main, persuadé que mes protestations m’auront au moins épargné une coupl’ de centaines de dollars, totalement ignorant qu’en réalité il ne me sauve que 15$.  Il rajoute :

« Et comme tu dis, tu nous a déjà fait le premier paiement et le dépôt de sécurité, qui équivaut à deux paiements. Ça, ça veut dire que tes paiements sont déjà faits pour décembre, janvier et février.  Tout ce que tu auras à verser pour ces premiers trois mois-là, c’est $184.04.  Ça te laisse quatre mois avant ton premier vrai paiement, soit amplement le temps de redresser ton budget. »

J’avoue!  Enfin, une bonne surprise.  Tout fier de lui de m’avoir amadoué, il dit :

« Bon ben maintenant, tu dois nous laisser le temps d’installer l’antivol, les pneus d’hiver, faire le premier traitement à l’huile, et la première révision.  Repasse la semaine prochaine, lundi le premier décembre.  Tu en profiteras pour nous donner ton premier $184.04.  Et à part ça, tu n’auras plus à nous verser un sou de plus.  Rassuré? »

Rassuré, ouais, tellement que je ne me pose même pas la question sur pourquoi une auto toute neuve aurait besoin d’une révision.

Dans le bus, sur le chemin qui m’amène du concessionnaire jusqu’à mon boulot, je sors un papier et un crayon de mon sac à dos et je fais un petit calcul. À mon paiement mensuel initial de $424.56, je rajoute les $184.04 de frais cachés, histoire de voir combien je devrai verser à partir de mars 1998.  Les cheveux me redressent sur la tête en voyant le total de $606.60.

« C’est pas possible!?  Mais comment ils font pour payer leurs autos, ceux qui n’ont pas droit au rabais de l’employé? »

Je multiplie par douze : $7 279.00 par année.
Je multiplie par trois : $21 837.00 en tout.

C’est décourageant!  En tout cas, il y a deux choses qui me consolent.  De un, j’aurai de nouveau un bon dossier de crédit dans trois ans.  Et de deux, au moins, il ne me chargeront plus jamais un sou de plus.  J’en serai quitte, comme il me l’a suggéré, d’utiliser les trois prochains mois pour m’en mettre de côté et ajuster mon budget. N’empêche que mon budget sera vraiment au sou près pour les trois prochaines années.  Une chance que j’ai droit à des augmentations à tous les six mois au travail.  La première sera dans deux mois. Et mieux encore: Dans un mois, il y aura le bonus de Noël, d’à peu près 400$. Voilà qui va aider à mes premiers vrais paiements.

En attendant d’en prendre possession, je me promène sur le net, sur les pages de compagnies d’assurances, histoire de me magasiner un bon deal.  J’ai la chance d’avoir plus de 25 ans, de conduire depuis plus de deux ans, et d’être non-fumeur.  Trois choses qui diminuent les primes.  Ça me permet de me faire une idée sur le prix que j’aurai à débourser. C’est juste que je ne peux pas avoir un montant précis. Puisque je n’ai pas avec moi les papiers de l’auto, je suis incapable de leur donner les renseignements requis pour me créer un dossier.  Tant pis, j’en serai quitte pour faire ça lundi, dès que j’aurai l’auto et sa paperasse.

Une semaine plus tard, lundi le premier décembre 1997, 10:00 am.  Je suis à GM, au bureau du vendeur.  Je signe les derniers papiers.  Avant d’apposer ma dernière signature, il me précise un dernier truc.

« Ce n’est pas un nouveau frais caché, dans le sens qu’il n’en tiendra qu’à toi si tu as à payer quelque chose ou non. »
 » Ok! Et c’est quoi? »
« Comme tu sais, lorsque GM reprendra le véhicule dans trois ans, il va le revendre.  L’une des choses qui diminuent la valeur d’un véhicule, c’est son kilométrage.  Voilà pourquoi, quand tu leur rendras, il ne devra pas avoir plus de 20 000 km au compteur. »

Vingt mille kilomètres?  Ça me semble assez excessif comme distance.  Ce n’est pas comme si je planifiais de faire le tour du monde avec. Il va juste me servir pour aller travailler, faire mon épicerie, voir Camélia les fins de semaine, et des fois visiter mes parents à St-Hyacinthe.  Y’a rien là!

« De toute façon, » me rassure-t’il, « s’il y a un excédent, on ne chargera seulement $0.16 le kilomètre.  Pas la mer à boire. »

En effet.  De toute façon, je ne me vois pas atteindre un tel kilométrage, et encore moins le dépasser.

« Est-ce que c’est clair pour toi? »
« Oui! » 
« Alors signe ici! »

Et voilà, dernière signature.  La paperasse est enfin complétée.  D’un des tiroirs de son bureau, le vendeur tire les clés de mon véhicule.  Il me les tend.

« Félicitations!  À partir d’aujourd’hui et pour les trois prochaines années, tu as un véhicule à ta disposition. »

Alors que je viens pour prendre les clés, il referme sa main sur le trousseau et rétracte brusquement son bras.

« Mais là, y’é pas question que j’te laisse partir avec si t’as pas d’assurances. »

Son geste, autant que ses paroles, me font l’effet d’une gifle.  J’en reste figé.  En voyant ma réaction, le vendeur part à rire.  Pas un rire de bon cœur.  Le genre de rire que l’on pousse lorsque que l’on trouve que la personne en face de nous est atteinte de crétinisme terminal.  Ce que je comprends dans son rire, c’est qu’il trouve très drôle de me coller un nouvelle dépense, tout en s’imaginant que je ne l’avais pas prévue.  Et il peut s’en laver les mains car, techniquement, comme il me l’a dit, ce n’est pas GM qui me réclame de nouveaux frais.  Ça démontre surtout que sa mise en scène avec les clés et sa réplique, c’est quelque chose qu’il a prévu d’avance pour rire de moi.  Quel désagréable personnage.  Aussi, histoire de le désarçonner, je lui demande calmement, d’une voix faussement interrogatrice et confuse :

« O-kaaay!  Et c’est drôle, d’avoir des assurances? »
« Ben là, tu savais pas que ça prend des assurances pour rouler?  Tout l’monde sait ça, franchement. »

En plein ce que je pensais :  Il continue de me prendre pour un con.  Et il ne s’en cache plus.  Je réplique, de manière à lui montrer que le plus con des deux n’est pas celui qu’il pensait.

« Ok!  Premièrement, ma réaction, c’est juste que le geste, là, de me niaiser en me présentant les clés pour me les enlever alors que j’allais les prendre, j’ai pas subi ça depuis l’école primaire, donc je ne m’attendais pas à ça de la part d’un adulte normal. »

Je prends mon sac à dos et je l’ouvre.

« Et ensuite, oui, en effet, comme tout le monde, je le sais, que ça prend une assurance.  La preuve, c’est que j’ai déjà fait des démarches auprès de la compagnie Wawanessa, dont j’ai les papiers ici, et qui attendent juste que je puisse leur téléphoner pour leur donner les détails au sujet du char.  Fa que, si vous me permettez de les appeler, ça va être réglé en quelques minutes. »

Sans se démonter, il se lève et prend son manteau.

« Si tu avais acheté l’auto, tu aurais pu te faire assurer n’importe où par n’importe qui.  Mais ton contrat est pour une location.  Ça signifie que le véhicule appartient toujours à GM, et GM ne fait pas affaire avec Wawanessa.  Ça fait que j’ai déjà pris rendez-vous avec un agent, qui a déjà préparé ta police d’assurance, et qui nous attend.  On y va! »

Je lui emboite le pas, avec un sentiment de frustration.  C’est que, à chaque fois que j’essaye de me protéger, que ce soit au tout début en réclamant la Golf 97 à $150.00, ou maintenant avec mes assurances, non seulement c’est toujours balayé du revers de la main comme quoi il lui est impossible de m’accommoder, il m’est impossible de vérifier s’il dit vrai.  Je suis obligé de me fier à sa parole.  Déjà que la parole d’un vendeur d’auto, la planète entière sait ce que ça vaut, le comportement de celui-là ne fait rien pour m’amener à croire que cette réputation est injustifiée. 

Nous arrivons au bureau d’assurances, où l’assureur me présente la police qu’il a préparé pour moi.  Je ne m’attendais pas à un tel tarif.

« $1500.00 par année? »
« Oui, mais c’est normal.  C’est ton premier véhicule.  Ce n’est pas comme si tu avais de l’expérience à conduire. »
« Ça fait trois ans que je conduis. »
« Tu conduis quoi?  Le char à tes parents? N’importe qui peut prétendre ça, mais c’est impossible à prouver. »
« Je suis inscrit sur l’assurance auto de mes parents. »
« N’importe qui peut inscrire n’importe qui sur ses assurances.  Ça veut pas dire que tu le conduis. »
« N’empêche que Wawanessa m’offrait une assurance qui coûtait moitié moins cher que la vo–… »
« C’est pas un char que t’as acheté, c’est une location.  GM te prête le char, mais il leur appartient toujours.  C’est normal qu’ils veulent se protéger au max, surtout quand le conducteur n’a aucune expérience. »

Qu’est-ce que vous voulez que je réplique à ça?  Résigné, je prends le stylo.  Mais au moment où je viens pour signer, je constate une erreur dans la première page de la police d’assurance.

« Euh… la case, ici… Vous avez coché « Moins de 25 ans.»  …  Je n’ai pas moins de 25 ans.  J’en ai 29.  Et ÇA, je peux le prouver. »
« Ça change rien! »
« Comment ça, ça change rien?  Je sais parfaitement que les assurances auto, ça coûte plus cher quand on a moins de 25 ans, alors ne dites pas que ça change rien! »
« Quand on dit
« moins de 25 ans », en fait, c’est une manière de dire que le chauffeur n’a pas d’expérience.  Vous dites que vous avez 29 ans, et que vous conduisez depuis trois ans, ça veut dire que vous avez eu votre permis à 26 ans, et votre premier auto à 29.  Personne ne s’attend à ce que quelqu’un aille son permis et son premier char après ses 25 ans.  Pourquoi tu penses que le contrat est fait de cette manière? »

Non seulement il me rabaisse, il m’insulte, il me bullshitte à plein nez, là encore il m’est impossible de vérifier s’il dit vrai ou non.  Mes options se limitent donc à ces deux choix :

  • Signer, donc accepter de me faire frauder.
  • Refuser de signer, être obligé d’abandonner le véhicule ici, et quand même devoir le payer à tous les mois pendant trois ans.

Je signe donc, ce qui me rajoute, avec les taxes, $1724.63 par année.  Donc $143.72 par mois.  Rajouté à mes $606.60, ça signifie $750.32 par mois. 

Pendant trois ans.

$27 011.52 en tout.

Pour un véhicule qui ne m’appartiendra jamais.

Mais comment est-ce qu’ils font pour payer ça, tous les autres propriétaires d’automobiles, sans avoir eu droit comme moi au rabais de l’employé GM?

À SUIVRE

General Menteurs, 2e partie : Le piège à cons

RÉSUMÉ : Nous sommes en automne 1997.  J’ai 29 ans.  Séparé depuis deux ans de la mère de mes enfants, je suis maintenant en couple avec Camélia, 20 ans.  Son père occupe un poste haut placé dans l’administration de General Motors of Canada.  J’occupe un emploi qui me rapporte près du double du salaire minimum.  Cependant, mes origines pauvres de classe ouvrière, et le fait que je suis père séparé, m’attire le mépris de ma belle-famille.   Je fais preuve de patience, en me disant qu’ils finiront bien par se faire à l’idée. 

Le beau-père influence sa fille à me convaincre que maintenant, avec le salaire que je fais, je pourrais me payer un véhicule. Ainsi, ça ne sera pas toujours elle qui serait obligée de se déplacer lorsque l’on qu’on se voit les fins de semaines.  Il est vrai que j’habite le quartier Ahuntsic alors que ses parents et elle sont à Kirkland, un trajet de 28 kilomètres.

J’hésite!  Je n’ai jamais acheté une auto avant, et nous connaissons tous le cliché comme quoi les vendeurs d’auto sont tous des arnaqueurs qui ne sont là que pour plumer le client au max.  Ceci étant mon premier achat du genre, je crains que l’on exploite mon manque d’expérience et ma naïveté.  Et puis, à cause des retenues à la source, mes paiements de prêt étudiant, et surtout la pension alimentaire, je ne vis que sur 36% de mon chèque de paie.  Une fois que je j’ai utilisé pour payer le loyer, l’électricité, le téléphone et la nourriture, il ne m’en reste plus tellement au bout du mois.  C’est la raison pourquoi je vis en colocation.  Un loyer divisé par trois me permet de vivre économiquement.

N’ayant jamais expliqué à Camélia que je vis sur à peine plus que le tiers de mon revenu à cause de la pension que je verse à mon ex, elle croit que je suis juste économe, histoire de m’en mettre de côté pour une future maison.  Devant mon hésitation, elle me rappelle alors que j’ai un beau-père super-boss chez GM. Il lui a dit qu’il est à-même de pouvoir me proposer une super affaire. Je lui répond que je vais y réfléchir.

La fin de semaine suivante, alors que je suis chez elle, le beau-père me demande si j’y ai pensé.  Je lui réponds que oui, j’y ai réfléchi. Mais que tout compte fait, je considère plus sage de commencer par régler ma dette de prêt étudiant, avant de songer à me mettre une autre dette sur le dos.  Une fois cet argent remboursé d’ici un an ou deux, ma position à mon emploi sera consolidé. On en reparlera à ce moment-là. 

Il me dit alors que, puisque nous sommes en novembre 1997, les concessionnaires reçoivent les modèles ’98 en ce moment, et qu’il liquident les modèles restants de cette année pour faire de la place.  Il me montre une photo d’une petite Golf deux portes.  Pour s’en débarrasser, il me le ferait à 150$ par mois (Pour vous donner une meilleure idée des coûts, tous les montants de ce texte sont ajustés en argent d’aujourd’hui) ce qui est moins cher qu’il n’en coûterait à un employé de GM, c’est tout dire.

C’est vrai que 150$ par mois, même avec mon revenu réduit, je pourrais me le permettre.  Et puis, on ne s’en cachera pas, il y a toujours un prestige relié au fait de posséder une auto.  Et soyons réalistes: C’est le père de ma blonde.  Il ne va quand même pas faire des misères à l’homme de qui sa fille est amoureuse.  Qu’est-ce qu’il gagnerait à la mettre furieuse contre lui?  J’accepte!  Il m’arrange lui-même le rendez-vous à un de ses concessionnaires, situé à l’Île-des-Soeurs.

Petit malin que je suis, pour minimiser mes chances de me faire avoir, je décide de me faire accompagner par Camélia, que je présenterai au vendeur comme étant ma conjointe.  C’est sûr qu’il a intérêt à se tenir tranquille, le bonhomme, devant la fille et le gendre de son boss.

Nous arrivons au concessionnaire, nous rencontrons l’homme avec qui j’ai rendez-vous.   Dès le départ, pour éviter que l’on essaye de me refiler autre chose que ce qui était prévu, je lui dis que je viens pour la Golf deux portes 97 à 150$ par mois, tel que convenu avec monsieur mon-beau-père-son-boss.  Le vendeur me dit qu’il est sincèrement désolé mais il y a eu un imprévu. En effet, ce matin, lorsqu’ils ont déplacé du garage la Golf promise pour me la montrer, ils ont vu qu’elle avait un problème avec le démarreur.  L’auto a donc été retournée chez le fabriquant.  Qu’à cela ne tienne, le vendeur a le remplacement parfait pour moi: Un Chevrolet Cavalier 97 quatre portes. « C’est pratiquement la même chose. », qu’il me dit.  

En pratique, peut-être. Mais en réalité, plus grande, plus de portes, plus d’options, il est évident que ça va être plus cher.  Et ça l’est: $336, soit un peu plus du double.  Accompagné de Camélia qui est toute heureuse de voir que je me baladerai dans un modèle moins cheap que prévu, je n’ose pas trop décliner.  Surtout que, apparemment, ce sera ça ou rien.  Ça valait bien la peine de me montrer intraitable dès le départ.

Nous allons au bureau du vendeur.  Il me demande ce que je fais dans la vie, et qu’est-ce que ça signifie côté revenus.  Alors que je commence à lui répondre que je travaille pour La Boite et en quoi ça consiste, voilà que Camélia m’interrompt: 

« Oui, mais tu garderas pas ta job! »

Je la regarde avec un air aussi surpris que scandalisé.

« Hein? Ben oui j’va la garder, ma job, pourquoi tu dis ça? »
« Toi c’que t’aimes faire, c’est du dessin. Ça t’ennuie, une job de bureau. »

Mais qu’est-ce qui lui prend de me dire des conneries pareilles, juste à ce moment-là, devant l’employé de son père? 

« D’où est-ce que tu sors c’t’idée-là?  J’ai jamais dit ça de ma vie!  Si je travaille en informatique, c’est justement parce que c’est beaucoup plus sérieux que les arts. »

Quand je disais qu’elle était conne comme un balais pas d’brosse…  J’ai l’air de quoi, maintenant?  Je commence à regretter de l’avoir amenée.

Le vendeur me demande si je suis employé permanent ou temporaire.   Je réponds que je suis permanent.  Il me dit qu’il lui faudrait un papier de la part de mes supérieurs afin de le confirmer, car c’est primordial à l’achat d’une auto, et que le contrat de vente ne peut pas être signé sans ça.  Ceci dit, il me dit que si je lui affirme que je suis employé permanent, c’est que ça doit être vrai. Il me fait confiance. On peut signer le contrat tout de suite, j’aurai juste à lui amener le document plus tard.  Une fois le contrat signé, il me demande un dépôt de sécurité afin qu’il puisse me réserver l’auto.  L’équivalent de deux paiements, soit $672.  Ça représente à peu près tout l’argent que j’ai en banque.  On s’éloigne de plus en plus du $150 promis. Ça me fait mal au portefeuille, mais je n’en montre pas le moindre signe.  Je sors mon carnet de chèques.  Il me dit:

« On va plutôt prendre un paiement préautorisé sur ta carte de crédit. »
« Je n’en ai pas. »
« Hein? T’as pas de carte de crédit? »

« Non! »
« Comment ça? »

La raison pour laquelle je n’ai jamais voulu en avoir une, c’est parce que mon ex, la mère de mes enfants, est un gouffre financier.  Avoir une carte de crédit tout en ayant des enfants avec elle, c’est m’assurer qu’elle dépensera son argent au Casino de Montréal, pour ensuite venir me brailler que les enfants n’ont rien à manger, me laissant le choix entre m’endetter ou les laisser crever de faim.  Mais ça, ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de dire, surtout à un parfait inconnu, surtout devant Camélia. Aussi, j’improvise une explication en tentant de me donner l’air sérieux et réfléchi.  

« Parce que c’est quoi, le crédit, dans le fond, hm?  C’est dépenser de l’argent que l’on n’a pas, ce qui égale des dettes.  Et moi, je prends mon budget au sérieux.  Et avec le salaire que je fais je n’ai jamais eu besoin d’acheter quoi que ce soit à crédit.  Et aussi parce que, jusqu’en juin dernier, j’étais encore étudiant.  Et puisque ça fait juste quatre mois que j’ai ma job actuelle, je n’ai pas encore ce qu’il faut pour que ma demande de carte soit acceptée. » 

Il me dit alors que ça change tout et que dans de telles conditions, ils ne peuvent pas me vendre l’auto.  Je suis surpris.  Il m’explique alors que de nos jours, avoir des dettes, ce n’est pas un signe de pauvreté.  Au contraire, c’est un gage de richesse.

« Puisque t’as pas de dossier de crédit, on ne peut pas consulter ton historique de paiements.  Dans ces conditions-là,  comment tu veux qu’on sache si tu es un bon payeur ou non?  De nos jours, les seules personnes qui payent tout comptant, ce sont les BS qui sont des irresponsables financiers, et les criminels qui ont gagné leur argent malhonnêtement.»

Et voilà comment, à 29 ans, j’ai appris les réalités de l’économie dans notre société.  Une réalité que je n’avais jamais eu à apprendre avant, ayant toujours été pauvre.  Il rajoute :

« Qu’est-ce que tu t’imagines? Que tous ceux qui ont un char ou une maison, c’est parce qu’ils l’ont payée cash?  Les histoires de tout payer cash pour pas avoir de dettes, c’est des mentalités de nos arrière-grands-parents.  Et c’est pour ça qu’ils restaient pauvres.  Tous les adultes sérieux ont des dettes.  Même les millionnaires qui seraient capables de payer cash payent à tant par mois, pour avoir un bon dossier de crédit. »  

Comme si ça ne suffisait pas que Camélia me fasse passer pour un menteur ou un lâcheur, voilà qu’en plus je passe pour un pauvre et un ignorant, voire même un présumé criminel.  Comme première impression, difficile de faire pire.  Ceci dit, je ne suis pas chaud à l’idée de payer $336 par mois au lieu de $150.  Alors si je veux tuer cette transaction dans l’œuf, aussi bien empirer mon image en révélant ce secret quelque peu honteux.

« D’accord! Si vous voulez le savoir, j’en ai, un dossier de crédit.  Mais il est mauvais.  Quand j’étais avec mon ex, la mère de mes enfants, on avait loué-pour-acheter une laveuse et une sécheuse chez Ameublement Ultra.  Et quand on s’est séparés il y a deux ans, puisqu’elle a la garde des enfants, je lui ai laissé les électros.  Mais là, c’est à moi que Ultra a envoyé les factures. Je les ai appelé pour leur expliquer la situation, comme quoi puisque c’est elle qui les a, c’est maintenant à elle de payer.  Et puisque j’avais une copie du contrat avec moi, je leur ai rappelé que nos deux noms étaient sur la facture.  La réponse du vendeur : « Oui, mais c’est votre nom qui est inscrit en premier, alors c’est à vous de payer.»  Vous comprendrez que je n’avais pas envie de payer pour quelque chose qui ne m’appartiendrait jamais.  Alors j’ai cessé de payer, pour la forcer ELLE à payer pour SES électros.  Ça a marché, mais quelques mois plus tard, je recevais un document disant que, puisque je n’ai pas honoré mon contrat de paiements, j’avais maintenant un mauvais dossier de crédit, ce qui m’empêcherait d’obtenir un crédit, ou une carte de crédit, pour les sept prochaines années.  Sur ces sept ans, il m’en reste encore cinq à tirer. »

Le vendeur me dit alors :

« Pis comment tu pensais avoir un char, dans ces conditions-là? »
« On m’a jamais parlé de crédit.  On m’a juste parlé d’une liquidation à 150$ par mois. »
« Oui, mais quand tu dois payer quelque chose à tant par mois, c’est parce qu’on te fait crédit.  T’as pas pensé à ça? »

Je commence à être un peu irrité de me faire prendre pour un con, et ça parait dans mon ton de voix quand je lui dit :

« Le loyer, je le paye bien à tant par mois, pis c’est pas un crédit.  Pareil pour l’électricité avec Hydro.  Pareil pour le téléphone avec Bell.  Depuis quand est-ce que payer tant par mois implique automatiquement du crédit? »

Il reste silencieux quelques secondes.  Puis, en souriant, il dit :

« J’ai la solution à tous tes problèmes : Puisque je ne peux pas te vendre l’auto, je vais te la louer sur un contrat de trois ans.  Et même si t’as mauvais dossier de crédit, je vais te faire confiance.  Après tout, mon grand boss m’aurait pas envoyé son gendre si tu pouvais pas payer, pas vrai? »

Je n’aime pas la direction que cette conversation est en train de prendre.  Il poursuit :

« Comme ça, toi, tu vas avoir ton char, et dans trois ans, si tu ne rates aucun paiement, ça va annuler ton problème avec Locations Ultra, et tu vas avoir le meilleur dossier de crédit au monde.  Quand quelqu’un peut rencontrer ses paiements d’auto, plus aucun crédit ne lui est refusé.  Visa, Mastercard, prêt auto, prêt maison… »

Tout comme pour les électroménagers, l’idée de payer pour quelque chose qui ne m’appartiendra jamais, c’est loin de me plaire.  Mais bon, je suppose que je n’ai pas le choix.  Si le crédit est aussi important dans la classe moyenne et la classe riche, mon manque de crédit équivaut à un handicap social. Déjà que la belle-famille me regarde comme si j’étais un attardé, de ne pas avoir de véhicule.  Encore heureux que ça fait trois ans que j’ai mon permis de conduire.

Le vendeur déchire le contrat de vente et sort un contrat de location.

« Puisque tu fais partie de la grande famille GM, on te fait bénéficier du rabais de l’employé, au même tarif qu’on s’était mis d’accord, soit $336 par mois.  Alors en signant ce contrat, tu t’engages à nous faire tes paiements le premier de chaque mois pendant trois ans. »

« Ok! »
« Je suppose que tu peux pas payer les trois ans d’un seul coup. »
« En effet! »
« Bon ben ça, ça veut dire qu’il faut te faire notre financement à 9.9% d’intérêts sur trois ans. »

Il sort sa calculatrice et commence à entrer ses chiffres.

« Et maintenant, bien sûr, faut calculer les taxes. »

Puis, une fois son calcul terminé, il me refile le contrat.  Les paiements mensuels viennent de passer à $424.56.  Tout en déchirant mon premier chèque de dépôt, il dit :

« Ça veut dire que le dépôt de sécurité va être de $849.12. »

J’ai la désagréable impression que je suis en train de m’enfoncer dans un piège à cons.  La seule raison pour laquelle je lui laisse le bénéfice du doute, c’est parce que je n’ai aucune expérience en achat et/ou en location d’automobile.  Il m’est donc impossible de savoir si je me fais entuber ou non.  Et si oui, à quel point.  Surtout qu’après la leçon qu’il vient de me donner au sujet de l’importance du crédit dans la société, je réalise que j’avais tout faux de ce côté-là. Ça m’a prouvé que ce que je croyais logique ne l’est pas, et inversement, et donc que je ne peux pas me fier à ma logique ni à mon instinct.

Mais bon, il m’a dit, devant Camélia, qu’il me faisait le rabais de l’employé.  Mentir à un client, c’est une chose, mais mentir devant la fille de son boss, au conjoint de la fille de son boss?  Ça me semble très improbable. 

Je signe le contrat.  Je lui fais son chèque de dépôt de sécurité.  Il me fixe rendez-vous pour la semaine suivante, pour que je lui amène la certification de mon statut d’employé permanent.  Nous repartons.  Camélia est fière de moi.  Moi, je le suis un peu moins.  Le premier paiement et le dépôt de sécurité vont me gober tout ce que j’ai en banque, incluant le chèque de paie que j’ai sur moi.  Est-ce que ça leur coûte vraiment si cher que ça, à tous ceux qui ont une auto?  Inutile de poser à question à Camélia puisque sa voiture, refilée par son père, ne lui coûte pas un sou à part l’essence.

Lorsque, la semaine suivante, je reçois le document demandé à ma patronne, je saute au plafond.  Ça dit que je suis employé temporaire.  C’est que, naïf et inexpérimenté des termes employés dans les boulots plus élevés que laveur de vaisselle, j’ai cru que permanent voulait dire à temps plein, du 40h/semaine.  Ma patronne m’explique :

« Tu as été engagé ici pour deux contrats consécutifs de six mois pour t’occuper de la page web d’Air Canada.  Puisque tu es employé à contrat, ça fait de toi un employé temporaire.  Mais rassure-toi, dans un an et demi, à la fin de ton second contrat, tu obtiendras ta permanence ici. »

Voilà qui me rassure, et à plus d’un niveau.  C’est que plus j’y pense, et plus je me rends compte que ça n’a pas de bon sens, après la pension alimentaire et le prêt étudiant, de me mettre cette troisième dette sur le dos.  Une fois tout payé, loyer, électricité, téléphone, prêt, pension, et maintenant auto, il ne me restera plus que $200 par mois.  Quand je pense que je fais (l’équivalent en argent d’aujourd’hui de) $58.000.00 par année, c’est ridicule d’être toujours aussi pauvre.  Alors dans le fond, ne pas avoir ma permanence, donc ne pas rencontrer les critères du contrat de location, c’est beaucoup mieux comme ça.  Mon bon dossier de crédit, je l’aurai dans cinq ans, lorsque le mauvais dossier actuel expirera, voilà tout.

J’appelle le vendeur pour lui expliquer la situation.  Il me rit au nez.

« Non mais c’est quoi, cette génération de lâches, à toujours abandonner au premier obstacle? »
« Ben là! Vous m’avez dit que je ne peux pas louer l’auto si je ne suis pas employé permanent. Je suis employé temporaire. Chus supposé faire quoi? »

Il me dit que, puisque le contrat est signé depuis une semaine, apporter ce papier maintenant ferait de moi un fraudeur, puisque ça prouve que j’ai déclaré faussement être permanent.   Sûr, ça annulerait le contrat.  Mais puisqu’il est déjà signé, non seulement je perdrais mon dépôt de sécurité, je devrais payer une amende salée.  Et ça m’apporterait un mauvais dossier de crédit de 7 ans qui se rajouterais aux cinq ans que j’ai déjà à tirer avec mon mauvais dossier actuel.  De quoi vais-je avoir l’air face à toute ma belle-famille, de me retrouver de nouveau sans crédit pour les douze prochaines années, et peut-être avec un dossier judiciaire pour tentative de fraude, pour le reste de ma vie?

« Tu m’as dit qu’à ta job, tu reçois des appels de gens qui te donnent leurs numéros de carte de crédit pour payer leurs billets d’avion parce qu’ils ne veulent pas l’écrire sur internet. Penses-tu que tu vas pouvoir la garder longtemps, cette job-là, avec un dossier judiciaire pour fraude? »

Ces paroles me font blêmir. Perdre mon travail si facile et si bien payé? Je n’imagine rien de pire. Il poursuit:

« Tu m’as dit que tu travailles sur le shift du soir. Ben c’est ça! Réécris la lettre, change la mention temporaire pour permanent, pis imprime-la sur du papier avec l’en-tête de la compagnie. »

Je ne peux pas croire qu’il me propose une crocherie pareille.  Il devine mon hésitation et me dit :

« Tsé, ce papier-là, c’est juste une formalité bureaucratique.  C’est GM Canada qui veut ça, pour s’assurer que l’acheteur travaille, donc qu’il va pouvoir payer. Mais dans l’fond ça sert à rien.  Pis regarde : En faisant ça, tu sauves la face auprès de ta belle-famille, pis tu vas sauver la mienne parce que tu vas sauver mon contrat de location.  Toi tu t’évites des ennuis financiers et judiciaires, et à moi tu m’évites d’être celui qui va être obligé de faire perde sa job au gendre de mon boss.  En faisant ça, tu nous sauves tous les deux. »

Dans quoi est-ce que je me suis fourré?  Ou bien j’accepte de produire un document avec une fausse déclaration et une fausse signature, ce qui est calissement illégal.  Ou alors je perds mon dépôt de $849.12, j’aurai douze ans de mauvais dossier de crédit, et je me retrouverai avec un dossier judiciaire pour déclaration frauduleuse, ce qui me fera perdre mon travail. Un travail comme celui-là, que j’ai eu par connexion, ce n’est pas avec mes études non-diplômées en Arts et Lettres au Cégep que je m’en décrocherai un autre. Je ne peux pas me permettre ça.   

Je n’ai vraiment pas le choix.

Ce soir-là, je fais ce que le vendeur m’a suggéré.  Pendant ma pause, je me lève.  Je vais au bureau des ressources humaines, désert à cette heure-ci.  Je fouille partout.  Je trouve le papier à lettres.  Je reviens à mon poste de travail.  J’introduis le papier dans l’imprimante.  Je réécris la lettre.  Je l’imprime.  J’imite la signature de ma patronne.  Puis, j’observe mon œuvre.  À part pour le fait que le mot permanent a remplacé temporaire, c’est à s’y méprendre.  Mais pour une fois, je ne suis pas tellement fier de mon œuvre. 

« Est-ce que c’est vraiment aussi compliqué et tortueux que ça pour tout le monde, d’avoir accès à une auto? »

À SUIVRE