General Menteurs, 2e partie : Le piège à cons

RÉSUMÉ : Nous sommes en automne 1997.  J’ai 29 ans.  Séparé depuis deux ans de la mère de mes enfants, je suis maintenant en couple avec Camélia, 20 ans.  Son père occupe un poste haut placé dans l’administration de General Motors of Canada.  J’occupe un emploi qui me rapporte près du double du salaire minimum.  Cependant, mes origines pauvres de classe ouvrière, et le fait que je suis père séparé, m’attire le mépris de ma belle-famille.   Je fais preuve de patience, en me disant qu’ils finiront bien par se faire à l’idée. 

Le beau-père influence sa fille à me convaincre que maintenant, avec le salaire que je fais, je pourrais me payer un véhicule. Ainsi, ça ne sera pas toujours elle qui serait obligée de se déplacer lorsque l’on qu’on se voit les fins de semaines.  Il est vrai que j’habite le quartier Ahuntsic alors que ses parents et elle sont à Kirkland, un trajet de 28 kilomètres.

J’hésite!  Je n’ai jamais acheté une auto avant, et nous connaissons tous le cliché comme quoi les vendeurs d’auto sont tous des arnaqueurs qui ne sont là que pour plumer le client au max.  Ceci étant mon premier achat du genre, je crains que l’on exploite mon manque d’expérience et ma naïveté.  Et puis, à cause des retenues à la source, mes paiements de prêt étudiant, et surtout la pension alimentaire, je ne vis que sur 36% de mon chèque de paie.  Une fois que je j’ai utilisé pour payer le loyer, l’électricité, le téléphone et la nourriture, il ne m’en reste plus tellement au bout du mois.  C’est la raison pourquoi je vis en colocation.  Un loyer divisé par trois me permet de vivre économiquement.

N’ayant jamais expliqué à Camélia que je vis sur à peine plus que le tiers de mon revenu à cause de la pension que je verse à mon ex, elle croit que je suis juste économe, histoire de m’en mettre de côté pour une future maison.  Devant mon hésitation, elle me rappelle alors que j’ai un beau-père super-boss chez GM. Il lui a dit qu’il est à-même de pouvoir me proposer une super affaire. Je lui répond que je vais y réfléchir.

La fin de semaine suivante, alors que je suis chez elle, le beau-père me demande si j’y ai pensé.  Je lui réponds que oui, j’y ai réfléchi. Mais que tout compte fait, je considère plus sage de commencer par régler ma dette de prêt étudiant, avant de songer à me mettre une autre dette sur le dos.  Une fois cet argent remboursé d’ici un an ou deux, ma position à mon emploi sera consolidé. On en reparlera à ce moment-là. 

Il me dit alors que, puisque nous sommes en novembre 1997, les concessionnaires reçoivent les modèles ’98 en ce moment, et qu’il liquident les modèles restants de cette année pour faire de la place.  Il me montre une photo d’une petite Golf deux portes.  Pour s’en débarrasser, il me le ferait à 150$ par mois (Pour vous donner une meilleure idée des coûts, tous les montants de ce texte sont ajustés en argent d’aujourd’hui) ce qui est moins cher qu’il n’en coûterait à un employé de GM, c’est tout dire.

C’est vrai que 150$ par mois, même avec mon revenu réduit, je pourrais me le permettre.  Et puis, on ne s’en cachera pas, il y a toujours un prestige relié au fait de posséder une auto.  Et soyons réalistes: C’est le père de ma blonde.  Il ne va quand même pas faire des misères à l’homme de qui sa fille est amoureuse.  Qu’est-ce qu’il gagnerait à la mettre furieuse contre lui?  J’accepte!  Il m’arrange lui-même le rendez-vous à un de ses concessionnaires, situé à l’Île-des-Soeurs.

Petit malin que je suis, pour minimiser mes chances de me faire avoir, je décide de me faire accompagner par Camélia, que je présenterai au vendeur comme étant ma conjointe.  C’est sûr qu’il a intérêt à se tenir tranquille, le bonhomme, devant la fille et le gendre de son boss.

Nous arrivons au concessionnaire, nous rencontrons l’homme avec qui j’ai rendez-vous.   Dès le départ, pour éviter que l’on essaye de me refiler autre chose que ce qui était prévu, je lui dis que je viens pour la Golf deux portes 97 à 150$ par mois, tel que convenu avec monsieur mon-beau-père-son-boss.  Le vendeur me dit qu’il est sincèrement désolé mais il y a eu un imprévu. En effet, ce matin, lorsqu’ils ont déplacé du garage la Golf promise pour me la montrer, ils ont vu qu’elle avait un problème avec le démarreur.  L’auto a donc été retournée chez le fabriquant.  Qu’à cela ne tienne, le vendeur a le remplacement parfait pour moi: Un Chevrolet Cavalier 97 quatre portes. « C’est pratiquement la même chose. », qu’il me dit.  

En pratique, peut-être. Mais en réalité, plus grande, plus de portes, plus d’options, il est évident que ça va être plus cher.  Et ça l’est: $336, soit un peu plus du double.  Accompagné de Camélia qui est toute heureuse de voir que je me baladerai dans un modèle moins cheap que prévu, je n’ose pas trop décliner.  Surtout que, apparemment, ce sera ça ou rien.  Ça valait bien la peine de me montrer intraitable dès le départ.

Nous allons au bureau du vendeur.  Il me demande ce que je fais dans la vie, et qu’est-ce que ça signifie côté revenus.  Alors que je commence à lui répondre que je travaille pour La Boite et en quoi ça consiste, voilà que Camélia m’interrompt: 

« Oui, mais tu garderas pas ta job! »

Je la regarde avec un air aussi surpris que scandalisé.

« Hein? Ben oui j’va la garder, ma job, pourquoi tu dis ça? »
« Toi c’que t’aimes faire, c’est du dessin. Ça t’ennuie, une job de bureau. »

Mais qu’est-ce qui lui prend de me dire des conneries pareilles, juste à ce moment-là, devant l’employé de son père? 

« D’où est-ce que tu sors c’t’idée-là?  J’ai jamais dit ça de ma vie!  Si je travaille en informatique, c’est justement parce que c’est beaucoup plus sérieux que les arts. »

Quand je disais qu’elle était conne comme un balais pas d’brosse…  J’ai l’air de quoi, maintenant?  Je commence à regretter de l’avoir amenée.

Le vendeur me demande si je suis employé permanent ou temporaire.   Je réponds que je suis permanent.  Il me dit qu’il lui faudrait un papier de la part de mes supérieurs afin de le confirmer, car c’est primordial à l’achat d’une auto, et que le contrat de vente ne peut pas être signé sans ça.  Ceci dit, il me dit que si je lui affirme que je suis employé permanent, c’est que ça doit être vrai. Il me fait confiance. On peut signer le contrat tout de suite, j’aurai juste à lui amener le document plus tard.  Une fois le contrat signé, il me demande un dépôt de sécurité afin qu’il puisse me réserver l’auto.  L’équivalent de deux paiements, soit $672.  Ça représente à peu près tout l’argent que j’ai en banque.  On s’éloigne de plus en plus du $150 promis. Ça me fait mal au portefeuille, mais je n’en montre pas le moindre signe.  Je sors mon carnet de chèques.  Il me dit:

« On va plutôt prendre un paiement préautorisé sur ta carte de crédit. »
« Je n’en ai pas. »
« Hein? T’as pas de carte de crédit? »

« Non! »
« Comment ça? »

La raison pour laquelle je n’ai jamais voulu en avoir une, c’est parce que mon ex, la mère de mes enfants, est un gouffre financier.  Avoir une carte de crédit tout en ayant des enfants avec elle, c’est m’assurer qu’elle dépensera son argent au Casino de Montréal, pour ensuite venir me brailler que les enfants n’ont rien à manger, me laissant le choix entre m’endetter ou les laisser crever de faim.  Mais ça, ce n’est pas quelque chose que j’ai envie de dire, surtout à un parfait inconnu, surtout devant Camélia. Aussi, j’improvise une explication en tentant de me donner l’air sérieux et réfléchi.  

« Parce que c’est quoi, le crédit, dans le fond, hm?  C’est dépenser de l’argent que l’on n’a pas, ce qui égale des dettes.  Et moi, je prends mon budget au sérieux.  Et avec le salaire que je fais je n’ai jamais eu besoin d’acheter quoi que ce soit à crédit.  Et aussi parce que, jusqu’en juin dernier, j’étais encore étudiant.  Et puisque ça fait juste quatre mois que j’ai ma job actuelle, je n’ai pas encore ce qu’il faut pour que ma demande de carte soit acceptée. » 

Il me dit alors que ça change tout et que dans de telles conditions, ils ne peuvent pas me vendre l’auto.  Je suis surpris.  Il m’explique alors que de nos jours, avoir des dettes, ce n’est pas un signe de pauvreté.  Au contraire, c’est un gage de richesse.

« Puisque t’as pas de dossier de crédit, on ne peut pas consulter ton historique de paiements.  Dans ces conditions-là,  comment tu veux qu’on sache si tu es un bon payeur ou non?  De nos jours, les seules personnes qui payent tout comptant, ce sont les BS qui sont des irresponsables financiers, et les criminels qui ont gagné leur argent malhonnêtement.»

Et voilà comment, à 29 ans, j’ai appris les réalités de l’économie dans notre société.  Une réalité que je n’avais jamais eu à apprendre avant, ayant toujours été pauvre.  Il rajoute :

« Qu’est-ce que tu t’imagines? Que tous ceux qui ont un char ou une maison, c’est parce qu’ils l’ont payée cash?  Les histoires de tout payer cash pour pas avoir de dettes, c’est des mentalités de nos arrière-grands-parents.  Et c’est pour ça qu’ils restaient pauvres.  Tous les adultes sérieux ont des dettes.  Même les millionnaires qui seraient capables de payer cash payent à tant par mois, pour avoir un bon dossier de crédit. »  

Comme si ça ne suffisait pas que Camélia me fasse passer pour un menteur ou un lâcheur, voilà qu’en plus je passe pour un pauvre et un ignorant, voire même un présumé criminel.  Comme première impression, difficile de faire pire.  Ceci dit, je ne suis pas chaud à l’idée de payer $336 par mois au lieu de $150.  Alors si je veux tuer cette transaction dans l’œuf, aussi bien empirer mon image en révélant ce secret quelque peu honteux.

« D’accord! Si vous voulez le savoir, j’en ai, un dossier de crédit.  Mais il est mauvais.  Quand j’étais avec mon ex, la mère de mes enfants, on avait loué-pour-acheter une laveuse et une sécheuse chez Ameublement Ultra.  Et quand on s’est séparés il y a deux ans, puisqu’elle a la garde des enfants, je lui ai laissé les électros.  Mais là, c’est à moi que Ultra a envoyé les factures. Je les ai appelé pour leur expliquer la situation, comme quoi puisque c’est elle qui les a, c’est maintenant à elle de payer.  Et puisque j’avais une copie du contrat avec moi, je leur ai rappelé que nos deux noms étaient sur la facture.  La réponse du vendeur : « Oui, mais c’est votre nom qui est inscrit en premier, alors c’est à vous de payer.»  Vous comprendrez que je n’avais pas envie de payer pour quelque chose qui ne m’appartiendrait jamais.  Alors j’ai cessé de payer, pour la forcer ELLE à payer pour SES électros.  Ça a marché, mais quelques mois plus tard, je recevais un document disant que, puisque je n’ai pas honoré mon contrat de paiements, j’avais maintenant un mauvais dossier de crédit, ce qui m’empêcherait d’obtenir un crédit, ou une carte de crédit, pour les sept prochaines années.  Sur ces sept ans, il m’en reste encore cinq à tirer. »

Le vendeur me dit alors :

« Pis comment tu pensais avoir un char, dans ces conditions-là? »
« On m’a jamais parlé de crédit.  On m’a juste parlé d’une liquidation à 150$ par mois. »
« Oui, mais quand tu dois payer quelque chose à tant par mois, c’est parce qu’on te fait crédit.  T’as pas pensé à ça? »

Je commence à être un peu irrité de me faire prendre pour un con, et ça parait dans mon ton de voix quand je lui dit :

« Le loyer, je le paye bien à tant par mois, pis c’est pas un crédit.  Pareil pour l’électricité avec Hydro.  Pareil pour le téléphone avec Bell.  Depuis quand est-ce que payer tant par mois implique automatiquement du crédit? »

Il reste silencieux quelques secondes.  Puis, en souriant, il dit :

« J’ai la solution à tous tes problèmes : Puisque je ne peux pas te vendre l’auto, je vais te la louer sur un contrat de trois ans.  Et même si t’as mauvais dossier de crédit, je vais te faire confiance.  Après tout, mon grand boss m’aurait pas envoyé son gendre si tu pouvais pas payer, pas vrai? »

Je n’aime pas la direction que cette conversation est en train de prendre.  Il poursuit :

« Comme ça, toi, tu vas avoir ton char, et dans trois ans, si tu ne rates aucun paiement, ça va annuler ton problème avec Locations Ultra, et tu vas avoir le meilleur dossier de crédit au monde.  Quand quelqu’un peut rencontrer ses paiements d’auto, plus aucun crédit ne lui est refusé.  Visa, Mastercard, prêt auto, prêt maison… »

Tout comme pour les électroménagers, l’idée de payer pour quelque chose qui ne m’appartiendra jamais, c’est loin de me plaire.  Mais bon, je suppose que je n’ai pas le choix.  Si le crédit est aussi important dans la classe moyenne et la classe riche, mon manque de crédit équivaut à un handicap social. Déjà que la belle-famille me regarde comme si j’étais un attardé, de ne pas avoir de véhicule.  Encore heureux que ça fait trois ans que j’ai mon permis de conduire.

Le vendeur déchire le contrat de vente et sort un contrat de location.

« Puisque tu fais partie de la grande famille GM, on te fait bénéficier du rabais de l’employé, au même tarif qu’on s’était mis d’accord, soit $336 par mois.  Alors en signant ce contrat, tu t’engages à nous faire tes paiements le premier de chaque mois pendant trois ans. »

« Ok! »
« Je suppose que tu peux pas payer les trois ans d’un seul coup. »
« En effet! »
« Bon ben ça, ça veut dire qu’il faut te faire notre financement à 9.9% d’intérêts sur trois ans. »

Il sort sa calculatrice et commence à entrer ses chiffres.

« Et maintenant, bien sûr, faut calculer les taxes. »

Puis, une fois son calcul terminé, il me refile le contrat.  Les paiements mensuels viennent de passer à $424.56.  Tout en déchirant mon premier chèque de dépôt, il dit :

« Ça veut dire que le dépôt de sécurité va être de $849.12. »

J’ai la désagréable impression que je suis en train de m’enfoncer dans un piège à cons.  La seule raison pour laquelle je lui laisse le bénéfice du doute, c’est parce que je n’ai aucune expérience en achat et/ou en location d’automobile.  Il m’est donc impossible de savoir si je me fais entuber ou non.  Et si oui, à quel point.  Surtout qu’après la leçon qu’il vient de me donner au sujet de l’importance du crédit dans la société, je réalise que j’avais tout faux de ce côté-là. Ça m’a prouvé que ce que je croyais logique ne l’est pas, et inversement, et donc que je ne peux pas me fier à ma logique ni à mon instinct.

Mais bon, il m’a dit, devant Camélia, qu’il me faisait le rabais de l’employé.  Mentir à un client, c’est une chose, mais mentir devant la fille de son boss, au conjoint de la fille de son boss?  Ça me semble très improbable. 

Je signe le contrat.  Je lui fais son chèque de dépôt de sécurité.  Il me fixe rendez-vous pour la semaine suivante, pour que je lui amène la certification de mon statut d’employé permanent.  Nous repartons.  Camélia est fière de moi.  Moi, je le suis un peu moins.  Le premier paiement et le dépôt de sécurité vont me gober tout ce que j’ai en banque, incluant le chèque de paie que j’ai sur moi.  Est-ce que ça leur coûte vraiment si cher que ça, à tous ceux qui ont une auto?  Inutile de poser à question à Camélia puisque sa voiture, refilée par son père, ne lui coûte pas un sou à part l’essence.

Lorsque, la semaine suivante, je reçois le document demandé à ma patronne, je saute au plafond.  Ça dit que je suis employé temporaire.  C’est que, naïf et inexpérimenté des termes employés dans les boulots plus élevés que laveur de vaisselle, j’ai cru que permanent voulait dire à temps plein, du 40h/semaine.  Ma patronne m’explique :

« Tu as été engagé ici pour deux contrats consécutifs de six mois pour t’occuper de la page web d’Air Canada.  Puisque tu es employé à contrat, ça fait de toi un employé temporaire.  Mais rassure-toi, dans un an et demi, à la fin de ton second contrat, tu obtiendras ta permanence ici. »

Voilà qui me rassure, et à plus d’un niveau.  C’est que plus j’y pense, et plus je me rends compte que ça n’a pas de bon sens, après la pension alimentaire et le prêt étudiant, de me mettre cette troisième dette sur le dos.  Une fois tout payé, loyer, électricité, téléphone, prêt, pension, et maintenant auto, il ne me restera plus que $200 par mois.  Quand je pense que je fais (l’équivalent en argent d’aujourd’hui de) $58.000.00 par année, c’est ridicule d’être toujours aussi pauvre.  Alors dans le fond, ne pas avoir ma permanence, donc ne pas rencontrer les critères du contrat de location, c’est beaucoup mieux comme ça.  Mon bon dossier de crédit, je l’aurai dans cinq ans, lorsque le mauvais dossier actuel expirera, voilà tout.

J’appelle le vendeur pour lui expliquer la situation.  Il me rit au nez.

« Non mais c’est quoi, cette génération de lâches, à toujours abandonner au premier obstacle? »
« Ben là! Vous m’avez dit que je ne peux pas louer l’auto si je ne suis pas employé permanent. Je suis employé temporaire. Chus supposé faire quoi? »

Il me dit que, puisque le contrat est signé depuis une semaine, apporter ce papier maintenant ferait de moi un fraudeur, puisque ça prouve que j’ai déclaré faussement être permanent.   Sûr, ça annulerait le contrat.  Mais puisqu’il est déjà signé, non seulement je perdrais mon dépôt de sécurité, je devrais payer une amende salée.  Et ça m’apporterait un mauvais dossier de crédit de 7 ans qui se rajouterais aux cinq ans que j’ai déjà à tirer avec mon mauvais dossier actuel.  De quoi vais-je avoir l’air face à toute ma belle-famille, de me retrouver de nouveau sans crédit pour les douze prochaines années, et peut-être avec un dossier judiciaire pour tentative de fraude, pour le reste de ma vie?

« Tu m’as dit qu’à ta job, tu reçois des appels de gens qui te donnent leurs numéros de carte de crédit pour payer leurs billets d’avion parce qu’ils ne veulent pas l’écrire sur internet. Penses-tu que tu vas pouvoir la garder longtemps, cette job-là, avec un dossier judiciaire pour fraude? »

Ces paroles me font blêmir. Perdre mon travail si facile et si bien payé? Je n’imagine rien de pire. Il poursuit:

« Tu m’as dit que tu travailles sur le shift du soir. Ben c’est ça! Réécris la lettre, change la mention temporaire pour permanent, pis imprime-la sur du papier avec l’en-tête de la compagnie. »

Je ne peux pas croire qu’il me propose une crocherie pareille.  Il devine mon hésitation et me dit :

« Tsé, ce papier-là, c’est juste une formalité bureaucratique.  C’est GM Canada qui veut ça, pour s’assurer que l’acheteur travaille, donc qu’il va pouvoir payer. Mais dans l’fond ça sert à rien.  Pis regarde : En faisant ça, tu sauves la face auprès de ta belle-famille, pis tu vas sauver la mienne parce que tu vas sauver mon contrat de location.  Toi tu t’évites des ennuis financiers et judiciaires, et à moi tu m’évites d’être celui qui va être obligé de faire perde sa job au gendre de mon boss.  En faisant ça, tu nous sauves tous les deux. »

Dans quoi est-ce que je me suis fourré?  Ou bien j’accepte de produire un document avec une fausse déclaration et une fausse signature, ce qui est calissement illégal.  Ou alors je perds mon dépôt de $849.12, j’aurai douze ans de mauvais dossier de crédit, et je me retrouverai avec un dossier judiciaire pour déclaration frauduleuse, ce qui me fera perdre mon travail. Un travail comme celui-là, que j’ai eu par connexion, ce n’est pas avec mes études non-diplômées en Arts et Lettres au Cégep que je m’en décrocherai un autre. Je ne peux pas me permettre ça.   

Je n’ai vraiment pas le choix.

Ce soir-là, je fais ce que le vendeur m’a suggéré.  Pendant ma pause, je me lève.  Je vais au bureau des ressources humaines, désert à cette heure-ci.  Je fouille partout.  Je trouve le papier à lettres.  Je reviens à mon poste de travail.  J’introduis le papier dans l’imprimante.  Je réécris la lettre.  Je l’imprime.  J’imite la signature de ma patronne.  Puis, j’observe mon œuvre.  À part pour le fait que le mot permanent a remplacé temporaire, c’est à s’y méprendre.  Mais pour une fois, je ne suis pas tellement fier de mon œuvre. 

« Est-ce que c’est vraiment aussi compliqué et tortueux que ça pour tout le monde, d’avoir accès à une auto? »

À SUIVRE

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