Cette fois-ci, je vais vous ramener dans la première moitié des années 80 avec une tranche de vie d’adolescents du Québec. Le texte contient des liens pour nos amis d’Europe qui auraient de la difficulté avec certaines références locales et/ou de l’époque, ainsi que divers lexiques du Français québécois pour les dialogues en joual.
Printemps 1984. J’ai 15 ans. J’habite Mont-Saint-Hilaire et je suis en secondaire IV. J’ai un camarade de classe nommé Bruno avec qui je n’ai rien en commun. Il a les cheveux longs, boit de la bière, fume, s’habille en jeans, T-shirts noir à motif Iron Maiden, veston de jeans, n’écoute que du rock, heavy metal, Plume Latraverse, et utilise le terme ma plotte pour parler de ses petites amies, quand il en a.
Moi, j’ai les cheveux frisés, court, ou du moins ce qui passe pour court à l’époque. Je ne fume pas et ne bois pas d’alcool car je suis sage et réfléchi. Je m’habille comme dans la page 257 du Catalogue Eaton, j’écoute la musique de CKOI 97 Le Son de Montréal ainsi que CKBS 1240 AM, Radio Saint-Hyacinthe, et j’utilise le terme la folle pour parler de l’unique blonde que j’ai eu à date. À part ça, je suis galant et romantique, je suis un bon gars, un vrai nice guy, donc évidemment célibataire.
Bruno et moi avons commencé à nous fréquenter dans notre cours de français lors d’un travail d’équipe, alors que le prof nous avais tous amené à la bibliothèque. Nous étions les deux seuls gars de cette classe, il était donc tout naturel que nous fassions équipe malgré nos différences de style et de personnalité. Parmi mon stock qui traîne pêle-mêle sur la table où nous faisons notre travail de recherche, il voit une photo qui dépasse des pages de mon agenda scolaire. Il s’en empare et dit:
« Ayoye, Man! C’est qui c’te fille-là? »
« Elle? C’est Nancy, la soeur de mon ami Yan. Elle m’a demandé de lui dessiner son portrait. C’est pour ça, la photo. »
« C’t’une calice de belle plotte, ça! Faut qu’tu m’la présente au plus christ. »
Pourquoi pas!? J’accepte! Ceci dit, ce n’est pas comme si j’avais le choix. C’était ça où bien il ne me rendrait jamais la photo.
La fin de semaine suivante, je vais chez mon ami Yan avec qui je fais souvent de la bande dessinée en amateur. J’amène Bruno avec moi. Coup de chance, Nancy y est aussi. Il y a une raison pourquoi Bruno a si vite accroché à elle via sa photo, et c’est qu’ils sont du même style. Elle fume, boit, s’habille en jeans et T-shirts, n’écoute que du Kiss, Mötley Crüe et autres trucs qui nous semblaient si hard à l’époque.
Je les présente. Malgré mon jeune âge et mon peu d’expérience, je vois tout de suite dans le regard de Nancy son intérêt pour Bruno. Nous descendons tous les quatre au sous-sol, dans la grande chambre de Yan. On y jase de choses et d’autres pendant une bonne heure. Il me semble évident qu’il y a une certaine attirance entre Nancy et Bruno. Petit malin que je suis, je décide de prendre le contrôle de la situation. Je me lève et fais signe à Yan de me suivre, et je dis à la blague aux deux autres :
« Bon ben, Yan pis moi on s’en va faire du dessin, fa que vous pouvez toujours frencher en attendant. »
C’était comme si je leur avait fourni l’excuse qu’ils attendaient. Ils se sont aussitôt enlacés et ont commencés à s’embrasser passionnément. Bien que je m’y attendais, je suis tout de même un peu surpris que ça se produise de manière aussi instantanée.
Bruno ne fréquentera Nancy que les deux dernières semaines du mois de mars. Il me fut cependant très reconnaissant de lui avoir présenté, et surtout d’avoir brisé la glace avec ma suggestion.
« Heille, toé t’es un vrai tchum, man! J’m’as te revaudrer ça. »
« Bonne idée! Après un an de célibat, chus pas mal en manque, là! »
Ce n’était rien de sexuel. J’étais juste dépendant affectif. Quoi qu’à quinze ans, nous l’étions pas mal tous un peu.
Vendredi le 13 avril 1984. Voilà deux semaines que la neige a totalement disparue et que nous avons droit à de confortables températures printanières qui sentent l’été qui s’approche. Peu après 17:00, Bruno me téléphone de chez lui.
« Hey, salut man! Ça te tentes-tu de v’nir à un party chez nous à’ soir à sept heures? On va être en sérieux en manque de gars icitte. »
« QUOI? Un party plein de filles pis tu me demandes si j’veux y aller? Que c’est qu’t’attends pour me donner ton adresse? »
Bruno habite à Sainte-Madeleine, de l’autre côté du Mont Saint-Hilaire. Ça prend environs un quart d’heure en auto pour s’y rendre à partir de la maison de mes parents. Je convainc sans mal ces derniers d’aller m’y reconduire. Tel que prévu, je descends de l’auto à 19:00 devant la maison des parents de Bruno, tandis que le soleil couchant nous colore l’horizon en orange de ses derniers rayons. Ma mère me demande:
« À quelle heure tu veux qu’on revienne te chercher? »
« Pas besoin! Un des gars va venir me reconduire en char. Bonne soirée! »
En réalité, je n’avais pas la moindre idée si l’un des invités avait son permis de conduire, et encore moins s’il avait un véhicule à sa disposition. Il y a que ceci était le second party d’ados où j’ai eu la chance d’être invité et que je ne tenais pas à ce que ça se termine comme le premier, c’est à dire avec mes parents qui viennent m’y chercher à 22:00 juste au moment où ça commence à devenir vraiment trippant. Alors pour revenir, si personne ne peut me ramener, je n’aurai qu’à prendre le bus 200 Rive Sud qui passe aux heures jusqu’à 01:00, voilà tout. Au pire, si je la rate, marcher deux heures, ça ne me fait pas peur.
C’est la sœur de Bruno, Julie, 13 ans, qui m’ouvre. Longs cheveux en bataille, jeans, veston jeans, T-shirt noir à l’effigie de Metallica, bouteille de bière à la main et cigarette au bec. C’est fou comme elle a un style semblable à celui de Bruno. Elle m’entraîne au sous-sol où attendent les autres. À mesure que je descends les marches, j’entends la voix de Phil Collins qui chante Mama (Cliquez pour l’ambiance)
Je m’attendais à quelque chose de très gros, mais en fait ils ne sont que neuf, assis en cercle sur des chaises, par terre ou sur un vieux divan, à jaser, fumer et boire. Bruno me les présente.
« Steve, j’te présente Gaëtan qui vient à notre polyvalente, pis sa soeur Claudia. Elles, c’est les jumelles Caroline pis Sylvie. Pis en passant, Caroline c’est ma blonde, fa que essaye pas de la crouzer à soir, mon estie. Ha! ha! . »
« Me v’là prévenu! »
« Elle c’est Valérie la cousine des jumelles. Pis v’là Sophie, pis Pierre, pis c’est toute. »
Je salue tout ce beau monde. La place est typique des sous-sols non-finis des vieilles maisons. Le plancher en béton gris et rugueux est partiellement recouvert de vieux tapis. Il y a un divan à trois places où sont assises quatre personnes, mais bon, on est minces à cet âge-là. Le plafond est composé de vieux bois et de poutres poussiéreuse ornées de vestiges de plusieurs générations de toiles d’araignées. L’éclairage tamisé est fourni par une vieille lampe style bouteille de Chianti ornée de faux rubis en verre et d’un énorme abat-jour rouge vin. L’air est imprégné de boucane de cigarette qui se mêle à celle de l’humidité des sous-sols. Les hauts-parleurs de 3e ordre du vieux radio-cassettes continuent de diffuser du Genesis. Je me joins aux gens et aux conversations, pigeant comme tout le monde dans les sacs de chips BBQ, nature et sel & vinaigre.
Après une vingtaine de minutes, Bruno décide qu’il est temps de sérieusement commencer le party. Il change la cassette de Genesis pour une autre où il n’a enregistré que des slows, et aussitôt commence Stairway to Heaven de Led Zeppelin. Je suis d’abord amusé par le manque total de subtilité de Bruno. D’habitude, dans les partys, les slows ne viennent que dispersés ici et là entre les hits rock et dance, ou bien vers la fin de la soirée. Mais bon, nous savons tous que nous faisons ces soirées surtout dans le but de se rapprocher des membres du sexe opposé, alors pourquoi perdre son temps à faire semblant? Bruno semble désireux de repayer sa dette envers moi car me prend par le bras et m’envoie quasiment voler dans les bras de Sophie, une mignonne petite rouquine (teinte) de 14 ans. Sans pour autant que ce soit de l’embonpoint, son corps a déjà de superbes courbes. Son visage ressemble à une version plus jeune de celui de l’actrice porno italienne Ilona Staller alias La Cicciolona.
« Tiens, danses donc avec elle. »
Pris par surprise et au dépourvu puisque je n’ai pas encore adressé un mot à cette fille jusque-là, je lui demande:
« Euh… Tu veux-tu? »
« Oui! »
Sur ce, elle passe ses bras autour de mon cou et se colle à moi. Bientôt, la chanson fait place à Hotel California des Eagles, suivi par Babe de Styx. Durant tous ces slows, Sophie se colle à moi très serré, ce qui, dans mon cas, est une toute nouvelle expérience. Je sens ses seins fermes et déjà très volumineux pour une fille de son âge qui s’écrasent contre ma poitrine. Bruno qui danse avec sa Caroline, me lance:
« Que c’est qu’t’attends pour y mettre les mains su’é fesses? »
Je suis surpris, presque scandalisé par cette suggestion. Jamais je n’aurais osé faire un truc pareil. D’ailleurs, j’imaginais mal que des jeunes de notre âge puissent déjà aller aussi loin avec quelqu’un que l’on ne connait qu’à peine. Aussi, j’ai vite pris ses paroles pour des blagues. D’une voix démontrant aplomb et assurance, je profite de la situation pour me donner des airs de bon gars respectueux de la gent féminine:
« Voyons, mon cher Bruno! Tu sais ben que c’est pas mon genre d’aller si vite en affaires. »
En entendant ça, Sophie se détache sa tête de moi afin de me regarder dans les yeux. L’air ravie, elle me dit:
« Tant mieux! Moi, les gars trop vite en affaire, je leur pète la yeule. »
Puis, elle revient se coller à moi encore plus fort. La joie m’inonde. Elle n’aime pas les gars vite en affaire, et je lui ai montré que je n’en suis pas un. Je lui ai fait bonne impression. C’est génial.
Un peu plus d’une heure plus tard, constatant que nous manquons de chips, boissons gazeuses, bières et cigarettes, on décide d’aller s’en racheter au dépanneur du quartier. Car oui, dans le Québec de 1984, il n’y a encore aucune loi qui interdit aux mineurs d’acheter bière et cigarette, et encore moins d’en consommer. C’était le bon temps!
Et nous voilà tous dehors dans les sombres rues de ce village. Nous sommes un vendredi 13, c’est un soir de pleine lune, et je marche à côté d’une belle fille qui vient de danser une dizaine de slows en ligne avec moi. Tous ces détails font que dans mon âme d’adolescent, cette nuit a quelque chose de magique.
« Ben, qu’est-ce t’attends? Donnes-y la main! »
Cette suggestion que me fait Bruno arrive à point. Ce n’est pas que je n’y avais pas pensé. C’est juste que j’étais trop timide pour oser le faire. Je donne donc la main à Sophie. Elle me la prend, tire mon bras et me le passe autour de sa taille. En même temps, elle met son bras autour de mon cou. Sophie étant plus petite que moi, il aurait été plus logique que nous inversions la position de nos bras parce que là, j’avance tout droit, tout en étant penché sur le côté. Bien que cette pose de tour de Pise est inconfortable pour moi, j’aime tellement le fait que cette fille me tient serré contre elle que je n’ose pas lui suggérer de changer quoi que ce soit.
De retour au sous-sol avec les intoxiquants requis, on mange, on bois, on parle, on rit, bref on s’amuse de la façon typique des jeunes de notre région, de notre époque et de notre âge. Profitant qu’aucune musique ne joue en ce moment, Sophie tire de sa sacoche une cassette du groupe Culture Club. Bruno réagit aussitôt en disant:
« Heille! Que c’est ça? J’veux pas de tounes de tapettes icite. »
Restant sourd aux protestations de Bruno, je bondis à côté de Sophie et lui demande:
« Comment? T’aimes Culture Club toi aussi? »
« Ben oui! Toi avec? »
« Mets-en! J’ai leurs deux albums pis je découpe tous les articles de journaux à leur sujet.«
« C’est comme moi! Tu devrais voir ma chambre, je collectionne tout sur eux-autres. »
Puisque nous sommes deux à manifester vouloir de cette musique, Bruno consent à ce qu’on en joue, mais une seule. Sophie accepte. Elle appuie sur Play, et aussitôt commence Time, Clock of the Heart. Avec un sourire béat aux lèvres et la tête sur un nuage, je contemple cette si jolie Sophie. Le fait que nous avons des goûts en commun et qu’elle semble s’intéresser à moi me met en extase. J’écoute Boy George qui dit And time makes the lovers feel like they’ve got something real, et je réalise que c’est fou comme les chansons ont le don d’être souvent appropriées au moment présent.
La chanson se termine, Bruno change de cassette. Envahi par une irrésistible envie de démontrer mon attirance à Sophie, je m’approche derrière elle. Je me colle à son dos et l’enlace. Mes mains se rejoignent sur son ventre. Je lui demande:
« Dis-moi… Si je te fais ceci… »
Et je lui donne un p’tit bisou sur la joue.
« …est-ce que tu vas me casser la gueule pour ça? »
Elle tourne sa tête en ma direction et me regarde du coin de l’oeil avec un petit sourire. Elle semble ravie. Elle me répond:
« Hmmm… Mais non! »
Sophie pose alors ses mains sur les miennes. Tout en tenant doucement mais fermement mes mains, elle les fait remonter… Remonter jusque sur ses seins. J’en reste figé de surprise. Je ne me serais jamais attendu à ça. Complètement pris au dépourvu, je ne sais absolument pas comment réagir. En fait, je n’arrive tout bonnement pas à croire que c’est en train de se produire. Je n’ai que 15 ans après tout. Jamais je n’étais allé aussi loin avec une fille. Tout en me tenant les mains bien en place, elle m’entraîne vers un fauteuil dans un coin sombre du sous-sol. Je n’ai d’autres choix que de la suivre. Tout ce qui me vient en tête, c’est:
« Non? C’est pas possible? Je dois rêver!? »
Elle me lâche, me fait asseoir et s’assoit sur mes cuisses en me passant les bras autour du cou. Je lui tiens la taille, mais à part ça ne sais absolument pas comment réagir. Ce n’est pas par timidité ni par stupidité. C’est juste que ses gestes entrent en contradiction flagrante avec ce qu’elle m’avait affirmé plus tôt: Ne pas aimer les gars trop vite en affaire. Or, autant j’avais envie de l’embrasser et la cajoler, autant je ne voulais pas commettre un geste déplacé qui pourrait tout gâcher. Aussi, je me hasarde à lui demander:
« Comme ça… Euh… T’aimes pas les gars vite en affaires, tu disais? »
J’espérais, par cette question, qu’elle me guide un peu, qu’elle me dise où se situent ses limites, si limites il y a. Je ne voulais tellement pas prendre le risque de la choquer.
« C’est vrai, j’haïs ça, les gars d’même. Y’a deux mois, dans un autre party, je m’en allais aux bécosses, pis y’a un gars qui me crouzait qui est venu me rejoindre. Y’insistait pour m’embrasser. J’y ai remis les idées en place avec un bon coup de genoux dins schnolles. »
Je reste silencieux, mais dans ma tête, c’est la confusion la plus totale :
« Euh… Elle a posé elle-même mes mains sur ses totons, mais en même temps elle trouve que quand un gars dans un party essaye de l’embrasser, c’est aller trop loin!? »
Pour les vingt minutes qui suivent, je reste là, sans bouger, mes bras autour de sa taille, à espérer un nouveau signe de sa part, une parole, un geste, quelque chose qui puisse me guider. Hélas, ce geste ne viendra jamais. Il est vrai qu’elle en avait fait pas mal déjà. Mais bon, quand on n’a pas l’habitude de ces choses là… La seule chose qui est arrivé fut Bruno pour me dire:
« Tes parents! »
« De quessé? »
« Tes parents sont là! Ils sont venus te chercher. »
Mais qu’est-ce qu’ils foutent là, bout d’bonyeu? Je ne leur ai pourtant dit que je me débrouillerais pour revenir. Sophie débarque de moi. Je monte au rez-de-chaussée où m’attendent mes deux parents.
« Quessé qu’vous faites là? »
Ma mère me répond:
« C’parce qu’on y a pensé, ton père pis moi, pis on s’est dit qu’il valait mieux venir te chercher plutôt que tu prennes le risque de te faire reconduire par un gars pendant qu’il est chaud. »
« Ben voyons! J’ai de l’argent pour prendre l’autobus. »
« Ben là, fallait le dire! Ben coudonc, puisqu’on est déjà là, on se sera pas déplacés pour rien. Enwèye, déguidine!«
Ils ne me laissent pas le choix. Sur le chemin du retour, boudant sur le siège arrière du Buick Apollo 1974 de mon père, je suis frustré contre eux pour cette soirée qui se termine en queue de poisson. Non mais c’est vrai, quoi, 21h50, c’est beaucoup trop tôt pour partir d’un party. Surtout que ça ne m’a jamais laissé le temps d’oser faire quoi que ce soit avec Sophie. En attendant, au sujet de cette dernière, je ne sais pas si j’ai bien agi, je ne sais pas si j’ai mal agi. Tout ce que je sais, c’est que je brûle d’envie de la revoir et ainsi de nous donner une seconde chance.
Je revois enfin Sophie lors d’un autre party de fin avril, celui-là donné à la résidence de la copine à Bruno et de sa jumelle. Cette fois-ci, je n’ai absolument pas besoin de mes parents pour y aller car elles habitent à Beloeil, pratiquement en face de chez moi, de l’autre côté de la rivière Richelieu.
Le père des jumelles est médecin, aussi il a une sacrément grosse maison avec piscine intérieure. Et contrairement à chez Bruno, le sous-sol est grand, haut et terminé, et le système de son quadraphonique rivalise avec la grosse TV moderne à écran géant. Une vingtaine de jeunes dansent et sautent en l’air tandis que sur l’écran y’a David Lee Roth de Van Halen qui gueule JUMP!
Je repère rapidement Sophie et vais lui faire la conversation. Mes yeux parcourent ses jambes durant Legs de ZZ Top. Lorsque commence à jouer Careless Whispers du duo Wham, je m’en empare et l’entraîne sur la piste de danse. Bien qu’elle reste amicale, je sens que quelque chose ne va plus. Elle semble un peu plus froide. Un peu plus distante. D’ailleurs, elle ne me serre pas contre elle comme l’autre fois. Au slow suivant, elle me quitte rapidement et va se jeter dans les bras de Pierre. La musique est trop forte pour que je puisse entendre ce qu’elle lui dit, mais Bruno me rapportera plus tard ses paroles qui furent:
« Danse avec moi! J’veux pas rester pris avec lui toute la soirée. »
Je passe le reste de la soirée à m’emmerder tout seul dans mon coin parce que d’autres gars arrivent mais aucune nouvelle fille. Même si j’essaye bien fort de me faire accroire le contraire, je sais trop bien qu’avec ce dont j’ai l’air, tant que les filles ne sont pas en avantage numérique, je n’ai aucune chance de m’en accrocher une autre.
Plus tard dans la soirée en remontant au rez-de-chaussée dans le but d’aller aux toilettes, je passe devant l’entrée du salon. J’ai la surprise d’y apercevoir Sophie et Pierre sur le fauteuil, en train de s’enlacer, s’embrasser et se faire des attouchements sous les vêtements. Extrêmement surpris de l’attitude de Sophie, je pense:
« Mais…!? LA SALOPE! »
C’est la frustration qui m’étouffe, et ce beaucoup plus que la jalousie. Si Sophie ne m’avait pas lancé des signaux contradictoires en me mettant les mains sur ses seins, tout en affirmant simultanément qu’elle n’aime pas les gars vite en affaire, alors ce qu’elle fait avec Pierre en ce moment, ça aurait pu être avec moi il y a deux semaines. Cette constatation me fait l’effet d’un laxatif industriel concentré.
De toute façon, ça ne change rien au fait que mes parents ont décidé de ne pas tenir compte du fait que j’avais pris la peine de leur préciser que j’allais revenir à la maison par mes propres moyens. Je n’aurais donc pas tellement eu le temps de me rendre jusque-là avec elle. Je ne suis allé qu’à deux partys dans ma vie (trois si on compte celui-ci), et les deux fois ils sont venus me chercher contre mon gré, interrompant mon rapprochement avec une fille, me rendant ridicule aux yeux de mes amis. À un âge où on commence à s’affirmer en tant qu’individu indépendant, ça faisait bien rire les autres, de me voir ainsi encore materné par pôpa-môman. Et ce que je vois dans ce party, le 3e de ma vie, ne fait rien pour calmer mes frustrations.
Je n’ai plus eu l’occasion de revoir Sophie par la suite. Je ne le savais pas encore à l’époque, mais il n’y a rien de plus instable que les relations entre adolescents. Les amitiés, les couples, les bandes d’amis, tout ça évolue et change à une vitesse folle, et j’allais vivre bien d’autres émois avec bien d’autres gens avant que mon secondaire ne soit fini. Et aussi d’autres frustrations nées de l’intervention de mes parents dans mes tentatives de vie sociale et amoureuses, mais ça sera un sujet pour une autre fois.
Ce qui est amusant lorsque j’y repense aujourd’hui, c’est de constater que cette expérience entre parfaitement dans ma série Comment le fait d’être un bon gars a ruiné ma vie amoureuse, sociale et sexuelle. En fait, elle précède de quatre ans la première partie dans lequel j’explique le fait que les soi-disant bons gars ont tellement peur de mal paraitre en brusquant les filles qu’ils sont trop à leur écoute, trop respectueux du moindre signe de leurs limites. J’avais hélas trop peu d’expérience à l’époque pour savoir que l’on n’a plus besoin de s’accrocher à un NON qu’elle aurait dit dans le passé, si maintenant ses gestes et paroles disaient maintenant clairement un OUI.