La poupée qui dit non mais qui fait oui.

Cette fois-ci, je vais vous ramener  dans la première moitié des années 80 avec une tranche de vie d’adolescents du Québec. Le texte contient des liens pour nos amis d’Europe qui auraient de la difficulté avec certaines références locales et/ou de l’époque, ainsi que divers lexiques du Français québécois pour les dialogues en joual.

Printemps 1984.  J’ai 15 ans.  J’habite Mont-Saint-Hilaire et je suis en secondaire IV. J’ai un camarade de classe nommé Bruno avec qui je n’ai rien en commun. Il a les cheveux longs, boit de la bière, fume, s’habille en jeans, T-shirts noir à motif Iron Maiden, veston de jeans, n’écoute que du rock, heavy metal, Plume Latraverse, et utilise le terme ma plotte pour parler de ses petites amies, quand il en a.

Moi, j’ai les cheveux frisés, court, ou du moins ce qui passe pour court à l’époque. Je ne fume pas et ne bois pas d’alcool car je suis sage et réfléchi.  Je m’habille comme dans la page 257 du Catalogue Eaton, j’écoute la musique de CKOI 97 Le Son de Montréal ainsi que CKBS 1240 AM, Radio Saint-Hyacinthe, et j’utilise le terme la folle pour parler de l’unique blonde que j’ai eu à date. À part ça, je suis galant et romantique, je suis un bon gars, un vrai nice guy, donc évidemment célibataire.

Bruno et moi avons commencé à nous fréquenter dans notre cours de français lors d’un travail d’équipe, alors que le prof nous avais tous amené à la bibliothèque. Nous étions les deux seuls gars de cette classe, il était donc tout naturel que nous fassions équipe malgré nos différences de style et de personnalité.  Parmi mon stock qui traîne pêle-mêle sur la table où nous faisons notre travail de recherche, il voit une photo qui dépasse des pages de mon agenda scolaire. Il s’en empare et dit:

« Ayoye, Man! C’est qui c’te fille-là? »
« Elle? C’est Nancy, la soeur de mon ami Yan. Elle m’a demandé de lui dessiner son portrait.  C’est pour ça, la photo. »
« C’t’une calice de belle plotte, ça!  Faut qu’tu m’la présente au plus christ. »

Pourquoi pas!? J’accepte!  Ceci dit, ce n’est pas comme si j’avais le choix.  C’était ça où bien il ne me rendrait jamais la photo.

La fin de semaine suivante, je vais chez mon ami Yan avec qui je fais souvent de la bande dessinée en amateur. J’amène Bruno avec moi. Coup de chance, Nancy y est aussi. Il y a une raison pourquoi Bruno a si vite accroché à elle via sa photo, et c’est qu’ils sont du même style. Elle fume, boit, s’habille en jeans et T-shirts, n’écoute que du Kiss, Mötley Crüe et autres trucs qui nous semblaient si hard à l’époque. 

Je les présente.  Malgré mon jeune âge et mon peu d’expérience, je vois tout de suite dans le regard de Nancy son intérêt pour Bruno.  Nous descendons tous les quatre au sous-sol, dans la grande chambre de Yan.  On y jase de choses et d’autres pendant une bonne heure.  Il me semble évident qu’il y a une certaine attirance entre  Nancy et Bruno.  Petit malin que je suis, je décide de prendre le contrôle de la situation.  Je me lève et fais signe à Yan de me suivre, et je dis à la blague aux deux autres :

« Bon ben, Yan pis moi on s’en va faire du dessin, fa que vous pouvez toujours frencher en attendant. »

C’était comme si je leur avait fourni l’excuse qu’ils attendaient. Ils se sont aussitôt enlacés et ont commencés à s’embrasser passionnément. Bien que je m’y attendais, je suis tout de même un peu surpris que ça se produise de manière aussi instantanée.

Bruno ne fréquentera Nancy que les deux dernières semaines du mois de mars.  Il me fut cependant très reconnaissant de lui avoir présenté, et surtout d’avoir brisé la glace avec ma suggestion.

« Heille, toé t’es un vrai tchum, man! J’m’as te revaudrer ça. »
« Bonne idée!  Après un an de célibat, chus pas mal en manque, là! »

Ce n’était rien de sexuel. J’étais juste dépendant affectif.  Quoi qu’à quinze ans, nous l’étions pas mal tous un peu.

Vendredi le 13 avril 1984. Voilà deux semaines que la neige a totalement disparue et que nous avons droit à de confortables températures printanières qui sentent l’été qui s’approche.  Peu après 17:00, Bruno me téléphone de chez lui.  

« Hey, salut man! Ça te tentes-tu de v’nir à un party chez nous à’ soir à sept heures? On va être en sérieux en manque de gars icitte. »
« QUOI? Un party plein de filles pis tu me demandes si j’veux y aller? Que c’est qu’t’attends pour me donner ton adresse? »

Bruno habite à Sainte-Madeleine, de l’autre côté du Mont Saint-Hilaire.  Ça prend environs un quart d’heure en auto pour s’y rendre à partir de la maison de mes parents.  Je convainc sans mal ces derniers d’aller m’y reconduire.  Tel que prévu, je descends de l’auto à 19:00 devant la maison des parents de Bruno, tandis que le soleil couchant nous colore l’horizon en orange de ses derniers rayons.  Ma mère me demande:

« À quelle heure tu veux qu’on revienne te chercher? »
« Pas besoin!  Un des gars va venir me reconduire en char.  Bonne soirée! »

En réalité, je n’avais pas la moindre idée si l’un des invités avait son permis de conduire, et encore moins s’il avait un véhicule à sa disposition.  Il y a que ceci était le second party d’ados où j’ai eu la chance d’être invité et que je ne tenais pas à ce que ça se termine comme le premier, c’est à dire avec mes parents qui viennent m’y chercher à 22:00 juste au moment où ça commence à devenir vraiment trippant.  Alors pour revenir, si personne ne peut me ramener, je n’aurai qu’à prendre le bus 200 Rive Sud qui passe aux heures jusqu’à 01:00, voilà tout.  Au pire, si je la rate, marcher deux heures, ça ne me fait pas peur.

C’est la sœur de Bruno, Julie, 13 ans, qui m’ouvre.  Longs cheveux en bataille, jeans, veston jeans, T-shirt noir à l’effigie de Metallica, bouteille de bière à la main et cigarette au bec.  C’est fou comme elle a un style semblable à celui de Bruno. Elle m’entraîne au sous-sol où attendent les autres. À mesure que je descends les marches, j’entends la voix de Phil Collins qui chante Mama (Cliquez pour l’ambiance)

Je m’attendais à quelque chose de très gros, mais en fait ils ne sont que neuf, assis en cercle sur des chaises, par terre ou sur un vieux divan, à jaser, fumer et boire. Bruno me les présente.

« Steve, j’te présente Gaëtan qui vient à notre polyvalente, pis sa soeur Claudia. Elles, c’est les jumelles Caroline pis Sylvie. Pis en passant, Caroline c’est ma blonde, fa que essaye pas de la crouzer à soir, mon estie. Ha! ha! . »
« Me v’là prévenu! »
« Elle c’est Valérie la cousine des jumelles.  Pis v’là Sophie, pis Pierre, pis c’est toute. »

Je salue tout ce beau monde. La place est typique des sous-sols non-finis des vieilles maisons. Le plancher en béton gris et rugueux est partiellement recouvert de vieux tapis. Il y a un divan à trois places où sont assises quatre personnes, mais bon, on est minces à cet âge-là. Le plafond est composé de vieux bois et de poutres poussiéreuse ornées de vestiges de plusieurs générations de toiles d’araignées. L’éclairage tamisé est fourni par une vieille lampe style bouteille de Chianti ornée de faux rubis en verre et d’un énorme abat-jour rouge vin. L’air est imprégné de boucane de cigarette qui se mêle à celle de l’humidité des sous-sols. Les hauts-parleurs de 3e ordre du vieux radio-cassettes continuent de diffuser du Genesis.  Je me joins aux gens et aux conversations, pigeant comme tout le monde dans les sacs de chips BBQ, nature et sel & vinaigre.

Après une vingtaine de minutes, Bruno décide qu’il est temps de sérieusement commencer le party. Il change la cassette de Genesis pour une autre où il n’a enregistré que des slows, et aussitôt commence Stairway to Heaven de Led Zeppelin. Je suis d’abord amusé par le manque total de subtilité de Bruno.  D’habitude, dans les partys, les slows ne viennent que dispersés ici et là entre les hits rock et dance, ou bien vers la fin de la soirée.  Mais bon, nous savons tous que nous faisons ces soirées surtout dans le but de se rapprocher des membres du sexe opposé, alors pourquoi perdre son temps à faire semblant? Bruno semble désireux de repayer sa dette envers moi car me prend par le bras et m’envoie quasiment voler dans les bras de Sophie, une mignonne petite rouquine (teinte) de 14 ans.  Sans pour autant que ce soit de l’embonpoint, son corps a déjà de superbes courbes.  Son visage ressemble à une version plus jeune de celui de l’actrice porno italienne Ilona Staller alias La Cicciolona.

« Tiens, danses donc avec elle. »

Pris par surprise et au dépourvu puisque je n’ai pas encore adressé un mot à cette fille jusque-là, je lui demande:

« Euh… Tu veux-tu? »
« Oui! »

Sur ce, elle passe ses bras autour de mon cou et se colle à moi.  Bientôt, la chanson fait place à Hotel California des Eagles, suivi par Babe de Styx. Durant tous ces slows, Sophie se colle à moi très serré, ce qui, dans mon cas, est une toute nouvelle expérience. Je sens ses seins fermes et déjà très volumineux pour une fille de son âge qui s’écrasent contre ma poitrine. Bruno qui danse avec sa Caroline, me lance:

« Que c’est qu’t’attends pour y mettre les mains su’é fesses? »

Je suis surpris, presque scandalisé par cette suggestion.  Jamais je n’aurais osé faire un truc pareil.  D’ailleurs, j’imaginais mal que des jeunes de notre âge puissent déjà aller aussi loin avec quelqu’un que l’on ne connait qu’à peine.  Aussi, j’ai vite pris ses paroles pour des blagues.  D’une voix démontrant aplomb et assurance, je profite de la situation pour me donner des airs de bon gars respectueux de la gent féminine:

« Voyons, mon cher Bruno! Tu sais ben que c’est pas mon genre d’aller si vite en affaires. »

En entendant ça, Sophie se détache sa tête de moi afin de me regarder dans les yeux.  L’air ravie, elle me dit:

« Tant mieux! Moi, les gars trop vite en affaire, je leur pète la yeule. »

Puis, elle revient se coller à moi encore plus fort. La joie m’inonde. Elle n’aime pas les gars vite en affaire, et je lui ai montré que je n’en suis pas un. Je lui ai fait bonne impression. C’est génial.

Un peu plus d’une heure plus tard, constatant que nous manquons de chips, boissons gazeuses, bières et cigarettes, on décide d’aller s’en racheter au dépanneur du quartier. Car oui, dans le Québec de 1984, il n’y a encore aucune loi qui interdit aux mineurs d’acheter bière et cigarette, et encore moins d’en consommer. C’était le bon temps! 

Et nous voilà tous dehors dans les sombres rues de ce village.  Nous sommes un vendredi 13, c’est un soir de pleine lune, et je marche à côté d’une belle fille qui vient de danser une dizaine de slows en ligne avec moi. Tous ces détails font que dans mon âme d’adolescent, cette nuit a quelque chose de magique.

« Ben, qu’est-ce t’attends? Donnes-y la main! »

Cette suggestion que me fait Bruno arrive à point. Ce n’est pas que je n’y avais pas pensé.  C’est juste que j’étais trop timide pour oser le faire. Je donne donc la main à Sophie. Elle me la prend, tire mon bras et me le passe autour de sa taille. En même temps, elle met son bras autour de mon cou.  Sophie étant plus petite que moi, il aurait été plus logique que nous inversions la position de nos bras parce que là, j’avance tout droit, tout en étant penché sur le côté.  Bien que cette pose de tour de Pise est inconfortable pour moi, j’aime tellement le fait que cette fille me tient serré contre elle que je n’ose pas lui suggérer de changer quoi que ce soit.

De retour au sous-sol avec les intoxiquants requis, on mange, on bois, on parle, on rit, bref on s’amuse de la façon typique des jeunes de notre région, de notre époque et de notre âge.  Profitant qu’aucune musique ne joue en ce moment, Sophie tire de sa sacoche une cassette du groupe Culture Club.  Bruno réagit aussitôt en disant:

« Heille! Que c’est ça? J’veux pas de tounes de tapettes icite. »

Restant sourd aux protestations de Bruno, je bondis à côté de Sophie et lui demande:

« Comment? T’aimes Culture Club toi aussi? »
« Ben oui! Toi avec? »
« Mets-en! J’ai leurs deux albums pis je découpe tous les articles de journaux à leur sujet.« 
« C’est comme moi! Tu devrais voir ma chambre, je collectionne tout sur eux-autres. »

Puisque nous sommes deux à manifester vouloir de cette musique, Bruno consent à ce qu’on en joue, mais une seule.  Sophie accepte.  Elle appuie sur Play, et aussitôt commence Time, Clock of the Heart. Avec un sourire béat aux lèvres et la tête sur un nuage, je contemple cette si jolie Sophie. Le fait que nous avons des goûts en commun et qu’elle semble s’intéresser à moi me met en extase. J’écoute Boy George qui dit And time makes the lovers feel like they’ve got something real, et je réalise que c’est fou comme les chansons ont le don d’être souvent appropriées au moment présent.

La chanson se termine, Bruno change de cassette. Envahi par une irrésistible envie de démontrer mon attirance à Sophie, je m’approche derrière elle. Je me colle à son dos et l’enlace. Mes mains se rejoignent sur son ventre. Je lui demande:

« Dis-moi… Si je te fais ceci… »

Et je lui donne un p’tit bisou sur la joue.

« …est-ce que tu vas me casser la gueule pour ça? »

Elle tourne sa tête en ma direction et me regarde du coin de l’oeil avec un petit sourire. Elle semble ravie. Elle me répond:

« Hmmm… Mais non! »

Sophie pose alors ses mains sur les miennes. Tout en tenant doucement mais fermement mes mains, elle les fait remonter… Remonter jusque sur ses seins. J’en reste figé de surprise.  Je ne me serais jamais attendu à ça.  Complètement pris au dépourvu, je ne sais absolument pas comment réagir. En fait, je n’arrive tout bonnement pas à croire que c’est en train de se produire.  Je n’ai que 15 ans après tout.  Jamais je n’étais allé aussi loin avec une fille. Tout en me tenant les mains bien en place, elle m’entraîne vers un fauteuil dans un coin sombre du sous-sol. Je n’ai d’autres choix que de la suivre.  Tout ce qui me vient en tête, c’est:

« Non? C’est pas possible? Je dois rêver!? »

Elle me lâche, me fait asseoir et s’assoit sur mes cuisses en me passant les bras autour du cou. Je lui tiens la taille, mais à part ça ne sais absolument pas comment réagir. Ce n’est pas par timidité ni par stupidité.  C’est juste que ses gestes entrent en contradiction flagrante avec ce qu’elle m’avait affirmé plus tôt: Ne pas aimer les gars trop vite en affaire. Or, autant j’avais envie de l’embrasser et la cajoler, autant je ne voulais pas commettre un geste déplacé qui pourrait tout gâcher. Aussi, je me hasarde à lui demander:

« Comme ça… Euh… T’aimes pas les gars vite en affaires, tu disais? »

J’espérais, par cette question, qu’elle me guide un peu, qu’elle me dise où se situent ses limites, si limites il y a.  Je ne voulais tellement pas prendre le risque de la choquer. 

« C’est vrai, j’haïs ça, les gars d’même.  Y’a deux mois, dans un autre party, je m’en allais aux bécosses, pis y’a un gars qui me crouzait qui est venu me rejoindre.  Y’insistait pour m’embrasser.  J’y ai remis les idées en place avec un bon coup de genoux dins schnolles. »

Je reste silencieux, mais dans ma tête, c’est la confusion la plus totale :

« Euh…  Elle a posé elle-même mes mains sur ses totons, mais en même temps elle trouve que quand un gars dans un party essaye de l’embrasser, c’est aller trop loin!? »

Pour les vingt minutes qui suivent, je reste là, sans bouger, mes bras autour de sa taille, à espérer  un nouveau signe de sa part, une parole, un geste, quelque chose qui puisse me guider. Hélas, ce geste ne viendra jamais. Il est vrai qu’elle en avait fait pas mal déjà.  Mais bon, quand on n’a pas l’habitude de ces choses là… La seule chose qui est arrivé fut Bruno pour me dire:

« Tes parents! »
« De quessé? »
« Tes parents sont là!  Ils sont venus te chercher. »

Mais qu’est-ce qu’ils foutent là, bout d’bonyeu? Je ne leur ai pourtant dit que je me débrouillerais pour revenir.  Sophie débarque de moi.  Je monte au rez-de-chaussée où m’attendent mes deux parents. 

« Quessé qu’vous faites là? »

Ma mère me répond:

« C’parce qu’on y a pensé, ton père pis moi, pis on s’est dit qu’il valait mieux venir te chercher plutôt que tu prennes le risque de te faire reconduire par un gars pendant qu’il est chaud. »
« Ben voyons! J’ai de l’argent pour prendre l’autobus. »
« Ben là, fallait le dire!  Ben coudonc, puisqu’on est déjà là, on se sera pas déplacés pour rien. Enwèye, déguidine!« 

Ils ne me laissent pas le choix.  Sur le chemin du retour, boudant sur le siège arrière du Buick Apollo 1974 de mon père, je suis frustré contre eux pour cette soirée qui se termine en queue de poisson.  Non mais c’est vrai, quoi, 21h50, c’est beaucoup trop tôt pour partir d’un party. Surtout que ça ne m’a jamais laissé le temps d’oser faire quoi que ce soit avec Sophie. En attendant, au sujet de cette dernière, je ne sais pas si j’ai bien agi, je ne sais pas si j’ai mal agi. Tout ce que je sais, c’est que je brûle d’envie de la revoir et ainsi de nous donner une seconde chance.

Je revois enfin Sophie lors d’un autre party de fin avril, celui-là donné à la résidence de la copine à Bruno et de sa jumelle. Cette fois-ci, je n’ai absolument pas besoin de mes parents pour y aller car elles habitent à Beloeil, pratiquement en face de chez moi, de l’autre côté de la rivière Richelieu.

Le père des jumelles est médecin, aussi il a une sacrément grosse maison avec piscine intérieure. Et contrairement à chez Bruno, le sous-sol est grand, haut et terminé, et le système de son quadraphonique rivalise avec la grosse TV moderne à écran géant. Une vingtaine de jeunes dansent et sautent en l’air tandis que sur l’écran y’a David Lee Roth de Van Halen qui gueule JUMP!

Je repère rapidement Sophie et vais lui faire la conversation. Mes yeux parcourent ses jambes durant Legs de ZZ Top. Lorsque commence à jouer Careless Whispers du duo Wham, je m’en empare et l’entraîne sur la piste de danse. Bien qu’elle reste amicale, je sens que quelque chose ne va plus. Elle semble un peu plus froide. Un peu plus distante. D’ailleurs, elle ne me serre pas contre elle comme l’autre fois. Au slow suivant, elle me quitte rapidement et va se jeter dans les bras de Pierre. La musique est trop forte pour que je puisse entendre ce qu’elle lui dit, mais Bruno me rapportera plus tard ses paroles qui furent:

« Danse avec moi! J’veux pas rester pris avec lui toute la soirée. »

Je passe le reste de la soirée à m’emmerder tout seul dans mon coin parce que d’autres gars arrivent mais aucune nouvelle fille. Même si j’essaye bien fort de me faire accroire le contraire, je sais trop bien qu’avec ce dont j’ai l’air, tant que les filles ne sont pas en avantage numérique, je n’ai aucune chance de m’en accrocher une autre.

Plus tard dans la soirée en remontant au rez-de-chaussée dans le but d’aller aux toilettes, je passe devant l’entrée du salon. J’ai la surprise d’y apercevoir Sophie et Pierre sur le fauteuil, en train de s’enlacer, s’embrasser et se faire des attouchements sous les vêtements. Extrêmement surpris de l’attitude de Sophie, je pense:

« Mais…!?  LA SALOPE! »

C’est la frustration qui m’étouffe, et ce beaucoup plus que la jalousie.  Si Sophie ne m’avait pas lancé des signaux contradictoires en me mettant les mains sur ses seins, tout en affirmant simultanément qu’elle n’aime pas les gars vite en affaire, alors ce qu’elle fait avec Pierre en ce moment, ça aurait pu être avec moi il y a deux semaines.  Cette constatation me fait l’effet d’un laxatif industriel concentré.

De toute façon, ça ne change rien au fait que mes parents ont décidé de ne pas tenir compte du fait que j’avais pris la peine de leur préciser que j’allais revenir à la maison par mes propres moyens.  Je n’aurais donc pas tellement eu le temps de me rendre jusque-là avec elle.  Je ne suis allé qu’à deux partys dans ma vie (trois si on compte celui-ci), et les deux fois ils sont venus me chercher contre mon gré, interrompant mon rapprochement avec une fille, me rendant ridicule aux yeux de mes amis.  À un âge où on commence à s’affirmer en tant qu’individu indépendant, ça faisait bien rire les autres, de me voir ainsi encore materné par pôpa-môman.  Et ce que je vois dans ce party, le 3e de ma vie, ne fait rien pour calmer mes frustrations.

Je n’ai plus eu l’occasion de revoir Sophie par la suite. Je ne le savais pas encore à l’époque, mais il n’y a rien de plus instable que les relations entre adolescents. Les amitiés, les couples, les bandes d’amis, tout ça évolue et change à une vitesse folle, et j’allais vivre bien d’autres émois avec bien d’autres gens avant que mon secondaire ne soit fini.  Et aussi d’autres frustrations nées de l’intervention de mes parents dans mes tentatives de vie sociale et amoureuses, mais ça sera un sujet pour une autre fois.

Ce qui est amusant lorsque j’y repense aujourd’hui, c’est de constater que cette expérience entre parfaitement dans ma série Comment le fait d’être un bon gars a ruiné ma vie amoureuse, sociale et sexuelle.  En fait, elle précède de quatre ans la première partie dans lequel j’explique le fait que les soi-disant bons gars ont tellement peur de mal paraitre en brusquant les filles qu’ils sont trop à leur écoute, trop respectueux du moindre signe de leurs limites.  J’avais hélas trop peu d’expérience à l’époque pour savoir que l’on n’a plus besoin de s’accrocher à un NON qu’elle aurait dit dans le passé, si maintenant ses gestes et paroles disaient maintenant clairement un OUI.

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (Conclusion)

Comme on a pu le voir si on a passé à travers le long chapitre précédent, c’est à l’âge de 28 ans que je me suis rendu compte que je faisais fausse route avec toutes mes règles et tous mes beaux principes moraux.  Car dans un monde où personne n’est parfait et irréprochable, je croyais que m’efforcer à l’être allait faire de moi un exemple à suivre.  Hélas, j’étais plutôt celui qui faisait sans cesse prendre conscience aux autres de leurs défauts.  Au lieu de les aider à grandir, je les rabaissais. Dans de telles conditions, pas étonnant que je me retrouvais toujours à l’écart de la société, rejeté par mes pairs.

Et le pire, c’est que mes comportements parfaits et irréprochables, je ne les avais pas parce que c’était naturel chez moi d’agir ainsi, mais bien parce que c’était la bonne façon d’agir.  Par conséquent, me voilà, à 28 ans, sans la moindre idée de ce que je suis vraiment. Je me suis menti à moi-même sur mon propre compte.  Je me suis emprisonné.  En m’en rendant compte, j’ai décidé qu’il était plus que temps que je découvre qui était Steve Requin. Et la seule façon d’y parvenir, c’est de laisser libre cours à mes envies, de me laisser aller à expérimenter.  Bien sûr, ce ne fut pas instantané.  Je me gardais tout de même une petite retenue afin de ne pas tomber dans le piège des extrêmes si bien décrit dans le proverbe trop, c’est comme pas assez. Ça a pris au moins deux ans avant que je puisse dire qu’il y a vraiment eu apprentissage, tout en me permettant de constater des changements que ça m’a apporté dans ma vie.

L’alcool
J’ai commencé à en prendre dans les occasions sociales, les sorties en groupe, les soupers entre amis, et je me suis même saoulé la gueule à quelques reprises. Sur ce dernier point, je dois dire que le fait d’être resté sobre toute ma vie m’a apporté quelques avantages. D’abord, sans jamais avoir bâti de résistance à l’alcool, je saoule vite, alors ça ne coûte pas cher. Une demie bière et je commence à chanter du Elvis. Plus d’une, et tout me rend hilare et joyeux.  Apparemment, comme on dit en Europe, j’ai le vin gai, dans le sens non-sexuel du terme.  Et puisque l’alcool fait perdre les inhibitions et fait ressortir la vraie personnalité, alors ça m’a démontré que je suis une personne positive et heureuse de nature. C’est toujours bon à savoir.

En buvant, j’ai appris que je n’était pas tellement amateur de bière ou de vin.  Trop amer pour mes papilles.  Par contre, le fort, le mousseux, les liqueurs et les cocktails ont majoritairement des goûts qui me sont fort plaisants.  À une époque, j’ai même acheté des bouteilles de rhum pour me faire quelques rhum & coke maison.  Au bout d’un mois je me suis rendu compte que je ne suis pas confortable avec le concept de boire seul.  J’ai donc cessé.  Aujourd’hui, je sais ce que je suis: Un buveur social, modéré, rapide à saouler mais également vite à dégriser.

La drogue
Je n’ai jamais recherché activement à en consommer, mais j’ai accepté de l’expérimenter les trois fois où j’en ai eu l’occasion:

  • La première fois fut lorsque l’on m’a offert de partager un joint de mari à 29 ans. Je n’aime pas fumer la cigarette, j’ai vu que j’aimais encore moins fumer du pot. Il n’y a donc pas eu de suite.
  • Lors d’une soirée entre amis, à 29 ans également, ma coloc de l’époque m’a offert du mush.  Je n’ai pas aimé la façon dont cette drogue faussait ma perception visuelle des distances.  Il n’y a pas eu de suite.
  • Enfin, à 43 ans, l’an dernier, j’ai essayé la cocaïne.  Bien que ce fut une expérience positive à 100%, tout le monde sait très bien que son usage régulier, même à court terme, a des conséquences néfastes sur la santé, les finances et la Justice. Il n’y aura donc jamais de suite, ni pour celle-ci, ni pour quelque autre drogue. Consommer, ce n’est tout simplement pas moi.

Mon comportement avec les autres
Lorsque je vois les gens faire des erreurs ou avoir un mauvais comportement, je ne leur en parle pas, et surtout je ne leur fais plus la morale.  Je comprends qu’il y a mille raisons, allant de leur personnalité naturelle jusqu’à leurs expériences de vie, en passant par leur environnement familial, qui les fait agir ainsi. Si on me demande conseils et commentaires, à ce moment-là je le fais, pour peu que j’ai quelque chose de pertinent à dire sur le sujet.  Sinon, je me tais et j’écoute.  Au pire, je me permet de donner mon avis non-sollicité, mais seulement si je vois que la personne se dirige droit vers une catastrophe grave, ce qui ferait de moi un complice de son malheur d’avoir gardé le silence.

Cependant, ne pouvant pas nier mon naturel à prêcher le « Selon mon expérience de vie, il vaudrait mieux dans telle situation que bla bla bla »  j’ai créé un blog nommé Mes Prétentions de Sagesse. 😉

Mes relations avec les autres
Un truc que je n’avais pas constaté à prime abord, c’est que contrairement à ce que je pensais, je n’étais pas une personne que tout le monde fuit.  Oui, d’accord, que ce soit Daniella, Isabelle, Océane ou d’innombrables autres, on m’a fuit un nombre incalculable de fois.  N’empêche qu’avant de me fuir à cause de mon comportement merdique et ma personnalité jugementale, elles m’avaient d’abord trouvé assez intéressant pour m’approcher.  Maintenant que j’ai cessé d’être chiant, on m’approche toujours, et non seulement je me fais des amis qui ne me fuient pas, on me voit comme un gars cool et je reçois régulièrement des invitations à sortir et/ou faire le party.  C’est d’ailleurs à l’âge de 29 ans que j’ai eu droit à mon tout premier surprise-party d’anniversaire, avec plus d’une trentaine d’amis et connaissances. De toute ma vie jusque-là, jamais je n’avais été apprécié à ce point.

Ma naïveté
Disons que maintenant, je ne prends plus au pied de la lettre tout ce qu’on me dit.  Je comprends que les gens peuvent changer d’idée, tout comme je comprends qu’ils peuvent mentir dans le but de se protéger, tout comme je comprends que parfois ils peuvent donner une fausse raison de (ne pas) vouloir quelque chose, afin de ne pas faire d’histoires.  La preuve de ce dernier cas: en 1998, soit deux ans après mon aventure avec Océane, j’ai fait ce petit dessin qui représente un moment vécu à la fin de la fameuse soirée où elle était venue chez moi.

Ça montre que j’ai fini par comprendre que quand une fille te dit « T’es pas obligé de », ça signifie souvent « Je préférerais que tu t’abstiennes de ».

Parlant de filles:

Mes relations avec les filles
Fini d’être le passif qui espère dans la lâcheté. Maintenant, je suis fonceur.  Lorsqu’une fille me plait, je le lui fait savoir, en gestes et/ou en paroles. Mais attention: Être fonceur ne signifie pas s’imposer de force à l’autre.  Ma mentalité sur le sujet est:  N’attends jamais après son OUI, mais respecte toujours son NON.  Quant à celles qui me draguent, mon acceptation ou mon refus ne se base plus que sur deux choses:

  1. Le niveau de mon désir pour elle.
  2. Ma capacité morale d’assumer ou non les conséquences d’avoir une relation avec elle.

Tout le reste, son âge, sa race, sa religion, son statut de couple, n’entre plus du tout en ligne de compte. Parce que lorsqu’il y a attirance et amour entre deux personnes, elle sauront toutes les deux faire en sorte de modifier leurs situations, histoire d’enlever tout obstacle les empêchant de s’aimer.

Exemple concret: Moi! Vous savez que je suis célibataire depuis décembre 2011, soit depuis la fin de ma relation avec Karine qui a duré 12½ ans.   Eh bien je vous annonce que depuis le 28 juin 2013, je suis en couple avec celle que je considère comme étant mon match parfait. Lorsque je l’ai rencontrée, elle avait déjà un homme en vue depuis quelques temps. Son coeur était donc pris, ou du moins réservé. Mais voilà, nous sommes tellement semblables là où ça compte, tellement compatibles,  qu’il a bien fallu se rendre à l’évidence que nous étions faits l’un pour l’autre, et ce malgré qu’elle a 25 ans et moi 44.  Contrairement à mon aventure avec Océane où nos 9 ans de différence me dérangeait, cette fois je n’ai pas pris ce détail en considération:  Je lui ai fait savoir qu’elle m’intéressait, que je la désirais. Car  contrairement à mon aventure avec Isabelle, le fait qu’elle avait déjà quelqu’un dans son coeur et/ou dans son lit n’avait aucune importance pour moi.

Hélas, devant mes avances, elle a reculé.  J’ai accepté son refus.  Je suis entré dans la friendzone et nous sommes restés bons amis, continuant de nous voir et de passer de bons moments ensemble. Et vous savez quoi? J’aimais tellement l’avoir dans ma vie que je me foutais que ce soit juste en amie, pourvu qu’elle y soit.

Puis, avec le temps, elle a constaté avoir elle-même des sentiments pour moi.  Elle est revenue sur sa décision, a renoncé à l’autre gars, et m’a déclaré son amour.  Eh oui, comme dans mon aventure avec Daniella, j’ai été dé-friendzoné!  ÇA ARRIVE! 😀  Sauf que cette fois-ci, j’ai compris et j’en ai profité.

En tout cas, une chose est sure: Elle n’aurait pas développé ces sentiments de son côté si j’avais agi avec elle comme un loser, un Nice Guy, un soi-disant bon gars, après qu’elle ait refusé mes avances.  Car en effet, après son refus, je ne lui ai exprimé aucune peine, aucune déception, aucune rancoeur, aucun ressentiment face à notre statut d’amis platoniques.  Normal: Je n’en ressentais pas. C’est là que j’ai compris que quand on aime sincèrement une personne, on n’a pas de sentiments négatifs à son sujet lorsque cet amour n’est pas réciproque.  Si on en a, c’est parce qu’il s’agit de possessivité, de jalousie, de dépendance affective, bref, n’importe quoi sauf de l’amour.  Mais là, c’en était!

Depuis, nous vivons tous les deux dans le bonheur parfait, un bonheur dont je nous aurais privé si, comme dans ma période pré-Océane, j’avais pris à sa place la décision comme quoi elle ne peut pas vraiment vouloir de moi, « parce que ça aurait été injuste pour l’autre gars », et à cause de notre différence d’âge. J’ai écouté mon coeur.  J’ai écouté mes envies.  Je me suis écouté moi.  Et surtout, je savais qui était le véritable moi:  Quelqu’un qui ne voulait pas passer à côté de l’opportunité unique de partager sa vie avec la personne qui est (par)faite pour lui.

Maintenant, je ne suis peut-être pas un Bon Gars au comportement parfait et irréprochable.  Mais au moins, j’ai le mérite d’être moi Et vous savez quoi?  Ça me réussit beaucoup plus que d’essayer d’être quelque chose que je ne serai jamais et que, dans le fond, personne ne m’a jamais demandé d’être.

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (5e partie)

Affirmer que les révélations que m’a fait Geneviève m’ont fait remettre en question la façon dont j’ai si scrupuleusement géré ma vie jusque-là, c’est comme dire que l’océan contient beaucoup de litres d’eau:  Vrai, mais beaucoup trop diminutif de la réalité pour décrire l’impact véritable que ça a eu en mon âme et conscience, et ce sur plusieurs sujets.  Des sujets comme:

Qui suis-je? Qu’est-ce que j’en sais de ce qu’est le moi véritable? Je me suis toujours empêché de vivre toutes sortes de trucs. Ça a commencé dans mon adolescence, alors que j’ai refusé d’expérimenter les mêmes choses que tout le monde, et ce pour les mauvaises raisons. L’alcool, la cigarette, la drogue, les bars… Est-ce que je m’en privais parce que je n’aimais pas ça ? Est-ce que je m’en privais parce que ce n’était pas moi, de faire ça ? Non, je m’en privais parce que je voulais bien paraître. Parce que je voulais paraître mieux que les autres. Alors qu’est-ce que j’en sais, si j’aurais aimé ça ou non?

Pourquoi suis-je rejeté, abandonné, mis à part? Je repense à Océane, Isabelle, Daniella, et toutes ces filles que j’ai inconsciemment insultées parce qu’avec mon attitude de bon gars irréprochable, je leur montrais que je  valais mieux qu’elles, en ayant une retenue qu’elles n’avaient pas.  Et en y réfléchissant, je constate que ça ne s’est pas limité qu’aux filles.  Depuis le début de l’adolescence, j’agis de la même façon avec tout le monde au sujet de l’alcool, de la cigarette et mille autres choses. «Bien paraître » … « Paraître mieux que les autres » … Non mais j’étais stupide ou quoi? Comment est-ce que j’ai pu penser que de montrer sans arrêt aux autres qu’ils sont des caves lorsqu’ils agissent selon leurs envies en se livrant à certains plaisirs, ça va me faire bien paraître? Pour des plaisir et des activités, somme toute, assez anodins au bout du compte. « Être un modèle pour les autres. » C’est ça, ouais! Je ne sors pas, je ne drague pas, je ne fume pas, je ne bois pas, je ne baise pas sauf si ça remplis une scrupuleuse liste de conditions… Je ne fais rien de ce qui intéresse les autres. En fait, je ne fais rien tout court. Alors moi, un modèle? Alors que j’étais le plus plate, le plus ennuyant des gars qui existait? Non mais je me prenais pour qui, au juste, de penser que de ne rien faire, ça devait faire de moi un modèle?

Comment peux-tu être un modèle à suivre quand tu ne vas nulle part?

Il y a des points sur lesquels je ne démords pas. Oui, je suis toujours convaincu que la plupart des activités que font les ados ne leur servira plus lorsqu’ils seront adultes. Mais come on, on n’était pas des adultes. On était des ados. On était en plein dans l’âge pour expérimenter. Et moi, le cave, j’ai pensé que je pouvais passer de la phase enfance à la phase adulte sans passer par la phase transitoire de l’adolescence, comme le reste du monde. Et le pire, c’est que je me trouvais super intelligent de faire ça. Bien vous savez quoi? Ça a été au contraire le geste le plus stupide de toute ma vie.

Pourquoi est-ce que je laisse un arbre me cacher la foret? J’ai toujours fait ça, que ce soit dans mon enfance, mon adolescence ou dans ma vie d’adulte. Toujours à tellement porter attention sur le moindre petit détail insignifiant que ça m’empêche de voir tout le reste, tout ce qui m’entoure.  Quand mes amis m’offraient de boire de la bière ou fumer un joint, c’était juste une façon pour exprimer qu’ils m’appréciaient.  Pour eux, tout comme pour le reste de la population, partager est une façon de se rapprocher, de créer des liens. Eh ben moi, j’étais encore et toujours focussé sur le détail comme quoi l’alcool et la mari étaient des intoxicants. À cause de ça, moi, ce que j’ai compris, c’était qu’ils avaient juste envie de me voir saoul ou dopé. J’ai donc gardé mes distances, parce que la seule raison que je pouvais imaginer pourquoi ils feraient ça, c’était pour m’humilier, me causer des problèmes. Pourtant, je le voyais bien que j’étais apprécié de tout le monde. Mais voilà, comme d’habitude, parce que je m’obstinais à ne regarder que le petit détail stupide, je me suis empêché de voir l’image dans son ensemble. J’ai laissé l’arbre me cacher la foret.

Pourquoi est-ce que je cherche toujours le but négatif des choses?  Les gens qui fument ne font pas ça dans le but de développer un cancer. S’ils boivent, ce n’est pas dans le but de devenir alcolos. S’ils fument de la mari, ce n’est pas dans le but de devenir junkies. S’ils baisent sans condoms, ce n’est pas dans le but de pogner des ITS. S’ils font de la vitesse sur les routes, ce n’est pas dans le but de se tuer. C’est sûr que ce sont des risques qui viennent avec ces activités. Mais de là à les accuser comme quoi c’est ça leur but premier, fallait vraiment que je sois un estie de mangeux d’marde. Tant qu’à y être, pourquoi ne pas accuser tous ceux qui mangent de le faire dans le but de devenir obèses morbides? J’veux dire, si c’est si important pour moi d’essayer de faire passer tous les autres pour plus cave que moi, histoire de me faire accroire que je leur suis supérieur, inutile de faire les choses à moitié.

Avec Océane, c’était pareil: Au lieu de voir la grande image, qui était que cette fille me voulait tellement qu’elle était prête à tromper son chum pour moi, que ça aurait pu faire de nous des complices encore plus intimes, et qu’on aurait pu avoir la parfaite combinaison d’amitié et de sexualité, j’ai tout de suite choisi de voir quoi? Que c’était une fille qui voulait tromper son chum. De cette opportunité unique d’approfondir notre relation et notre complicité, j’ai préféré en faire une opportunité de prouver une fois de plus à quel point je suis parfait et irréprochable, moi, en refusant de devenir le complice d’un geste immoral.

Geste immoral… Pfff…  Et puis d’abord, qu’est-ce qui me dit qu’elle n’était pas amoureuse de moi? On s’entendait tellement bien sur tout.  On pouvait jaser pendant des journées complètes sans jamais manquer de sujets de conversation. On aimait faire n’importe quoi ensemble. On avait du fun, on riait, on jasais de nos vies, d’art, de littérature, de poésie, de psychologie, de musique, de cinéma, de philosophie.  Elle me faisait découvrir des choses, et vice-versa.  J’ai rarement eu une relation aussi harmonieuse avec qui que ce soit.  Était-ce donc si difficile pour moi de croire qu’elle ait pu craquer pour moi? Qui sait, elle voulait peut-être juste me tester, voir si elle m’attirait, voir si je l’aimais, voir si on était aussi compatibles sexuellement qu’on l’était dans tous les autres aspects de notre relation, avant de décider si ça valait la peine de casser avec son chum pour sortir avec moi. Peut-être que j’étais son homme idéal, et qu’après moi elle n’aurais jamais cherché autre chose.

Mais non, moi, ce que je voyais, comme d’habitude, c’était le petit détail qui allait me mener à la conclusion la plus négative. Dans ce cas-ci : Qu’elle voulait tromper son chum, donc que c’était une salope infidèle.

Pourquoi est-ce que je vois des salopes partout? Et puis d’abord, quand on y pense, c’est quoi, au juste, une salope? C’est rien de plus qu’une fille qui décide elle-même avec qui elle baise, point final. Si ça se trouve, le mot salope a dû être inventé par des hommes frustrés et jaloux qui voulaient avoir le contrôle sur la sexualité de la femme, mais qui n’avaient aucun autre moyen d’y arriver à part en essayant de leur donner la honte de leurs propres désirs.

Voilà pourquoi ma relation avec Océane s’est terminée de la même façon que le reste de ma vie sociale : Avec moi qui est rejeté et mis à l’écart. Ne vous demandez pas pourquoi j’ai fait si longtemps carrière dans la bande dessinée. Le dessin, c’est une activité solitaire. Si j’ai eu le temps d’apprendre à dessiner si bien, ce n’est certainement pas en passant mes soirées dans les partys et autres activités qui se font socialement.

Pourquoi, à 28 ans, je n’ai encore rien appris de la vie? Que sont-ils devenus, les fumeux, les poteux, les buveux?  Tous ces gens que je trouvais idiots de se livrer à des activités qui, dans le meilleur des cas, ne leur rapporteraient rien? Aux dernières nouvelles, ils ont tous réussi mieux que moi dans la vie. Jusqu’à maintenant, je réagissais toujours à ça de la même façon. J’étais frustré. J’étais révolté. Ce n’était pas de la jalousie. Non, c’était plutôt un sentiment d’injustice. Moi, qui ai toujours agi de façon intelligente et réfléchie, j’étais un loser. Et eux, qui avaient passé leur adolescence à faire des choses immorales et illégales, étaient des winners car jamais ils n’avaient eu à payer pour leurs erreurs de jeunesse.

Mais justement, le voilà, le problème: Ne dit-on pas que les gens apprennent de leurs erreurs? Et pour commettre des erreurs, il faut faire des choses, poser des gestes, expérimenter. Moi, je n’ai jamais rien fait. En ne faisant rien, je n’ai pas fait d’erreurs.  Et en ne faisant pas d’erreurs, je n’ai rien pu apprendre. Pas surprenant que tous les gens de mon âge s’entendent si bien entre eux et pas moi. Juste le fait d’être des trippeux repentis, ça leur fait quelque chose en commun. Quelque chose que moi je n’ai pas avec eux.

Être? Non; ne PAS être! Qu’est-ce que j’en sais, de ce que je suis? J’ai toujours cru être un gars correct, alors qu’en réalité j’étais juste un gars qui ne fait rien d’incorrect. C’est facile de dire que tu ne fais rien de mal quand tu ne fais rien tout court. Je ne suis PAS infidèle, je ne suis PAS méchant, je ne suis PAS violent, je ne suis PAS fumeur, je ne suis PAS alcoolique, je ne suis PAS dépensier, je ne suis PAS accro au jeu… Ok, sur ces points, ce sont de bonnes choses. N’empêche que tout ce que j’ai à dire pour me décrire, ce n’est pas « Je suis ». C’est « Je ne suis PAS », et c’est tout. Fuck, je le comprends, maintenant, pourquoi les filles disent qu’un bon gars, c’est un gars plate, ennuyant. Je ne suis pas un bon gars. Je suis juste un soi-disant bon gars. En réalité, je ne suis pas plus un bon gars que Océane et Isabelle pouvaient être des salopes.

Pourquoi tant de problèmes avec les filles? Parce que je constate soudain que, tandis que je refuse de devenir intime avec des filles bien, je me suis toujours dirigé vers des filles à problèmes, ou bien des filles qui accrochaient à des gars à problèmes, ce qui en revient au même, finalement. Et quand un gars comme moi qui ne fout rien veut bien paraître, il faut que son inaction paraisse mieux que l’action d’un autre. Et pour ça, on a besoin de s’entourer de monde qui agissent mal. Parce que si on s’entoure de monde qui agissent bien, on a l’air de ce qu’on est vraiment : Un cave trop lâche pour oser faire quoi que ce soit dans la vie. C’est pour ça que j’allais toujours vers des filles dont le chum ou bien l’ex étaient des délinquants. Pour montrer à ces filles-là que moi je valais mieux que leurs chums habituels.

Je n’en reviens pas à quel point je ressentais toujours le besoin de prouver quelque chose aux autres. Et tout ça à cause du hasard stupide qui a fait que ma date de naissance faisait de moi le plus jeune à l’école, donc le plus petit, donc le moins développé, le moins bon en sports, le plus reject par les gars et par les filles.  À cause de ça, je tenais à prouver aux autres, mais surtout à moi-même, que ce rejet que je subissais de part et d’autres, ce n’était pas de ma faute.

Pourquoi est-ce que je respecte les non-respectables?  Normal! Comment puis-je prouver que je vaux mieux qu’une personne irrespectueuse, sinon en étant le contraire? Ce qui fait qu’au bout du compte, j’avais exactement le comportement stupide que je dénonçais chez les filles qui négligeaient les bons gars au profit des gars sans allure : Me foutre des gens bien, et respecter ceux qui ne le méritent pas.

Pourquoi ais-je un comportement aussi exagéré? Dans mon désir de paraître mieux que les autres, j’allais sans cesse dans les extrêmes. Je disais tantôt comment je ne faisais rien, de peur de faire des erreurs. Eh bien j’avais oublié un truc: Oui, pour certaines choses, je ne faisais rien. Pour d’autres, par contre, j’en faisais trop. Avec les filles, pendant mon célibat et au début de mes relations, j’étais celui qui ouvre TOUJOURS la porte à la fille, qui est TOUJOURS gentil et souriant quoi qu’il arrive, qui est TOUJOURS compréhensif, qui va TOUJOURS lui tirer sa chaise, qui va TOUJOURS tout lui payer, qui va TOUJOURS lui offrir des fleurs et des cadeaux, qui va TOUJOURS s’occuper d’elle, sans arrêt, 24/7… Tôt ou tard, à moins que la fille soit profiteuse, ça tombe sur les nerfs en calvaire.

Pourquoi est-ce que bon gars = gars hypocrite en amour? C’est comme un truc que j’ai bien dû faire mille fois avec des filles qui m’intéressaient. Pour m’en rapprocher, j’ai utilisé le truc classique des soi-disant bons gars: Je l’ai approché en tant qu’ami, dans l’espoir d’en devenir ami proche pour mieux la connaitre et sortir avec elle un jour. Mais comme tous les bons gars, je ne faisais rien pour que ça arrive. Tout le long de notre relation, je restais à l’écart, je ne lui démontrais aucun intérêt à part de la simple amitié, et quand elle me parlait de gars sur qui elle trippait, je l’encourageais à sortir avec, ou à continuer d’être en couple même si ça va mal avec son chum. Pis moi, le cave, pendant ce temps-là, je m’attendais  à ce qu’elle tombe en amour avec moi alors que je lui donnais zéro raisons pour que ça puisse arriver.  Je voulais que ça vienne d’elle. Il aurait fallu que ce soit elle qui fasse tous les efforts: S’intéresser à moi, m’appeler, me proposer des sorties, me draguer, me baiser, me demander d’être son chum, tout ça parce que j’étais trop passif pour lui offrir le moindre signe d’intérêt, alors que c’était pourtant moi qui était en amour avec elle. Aucune fille ne ferait ça, même pour le gars le plus beau, le plus athlétique et le plus winner qui soit.  Et moi, qui n’était rien de tout ça, j’espérais recevoir un tel traitement de sa part?  Non mais sérieusement, je me prenais pour qui?

Et puis, honnêtement, je me demande si nous autres, les sois-disant bons gars, on ne fais pas exprès pour faire foirer les relations parce qu’on est passif-agressifs dans le fond. Il s’agit qu’une fille nous fasse une toute petite remarque négative sur n’importe quoi pour que l’on exagère dans l’autre sens, non seulement avec elle mais aussi avec toute les autres filles. On va délibérément être trop gentil, trop compréhensif, trop esclave, jusqu’à ce qu’elle devienne exaspérée. Comme ça, on peut enfin, en toute mauvaise foi, crier haut et fort que les filles sont des folles qui ne savent pas ce qu’elles veulent, surtout celle-là à qui j’ai tout donné, pour qui j’ai tout fait. On peut se permettre de dénoncer, preuve à l’appui, qu’elles disent vouloir les bons gars, mais qu’elles vont toujours vers ceux qui ne le sont pas. Ça nous permet de dire que les filles aiment juste chialer contre leur chum, et que c’est pour ça qu’elles choisissent des gars à qui elles savent qu’elles peuvent reprocher des trucs.

Et moi, en parfait hypocrite, je chialais contre ça, mais j’agissais moi-même de cette façon.  D’où Kim, la mère de mes enfants. Avant qu’elle me coince dans la relation en tombant enceinte après avoir lâché la pilule sans me le dire, je le savais parfaitement quel genre de personne elle était. J’en avais eu plusieurs échantillons, les fois où on a joué à casse-reprend-casse-reprend. Pourtant, j’y suis retourné. Ok, c’est elle qui me harcelait pour qu’on reprenne, mais fuck, là, elle ne m’a jamais mis un gun sur la tête pour m’obliger à revenir avec. Mais voilà, quand on ressent le besoin vital de se montrer parfait et irréprochable, sortir avec une fille aussi imparfaite et aussi reprochable qu’elle, ça représentait la possibilité de le prouver plusieurs fois par jour. Mon ego avait besoin de ça.  Plus elle agissais sans allure, plus j’avais plaisir à lui remettre dans sa face le fait qu’elle était sans allure. Je suppose qu’en quelque part, j’essayais de la contrôler avec ça.  Sauf qu’avec elle, ça ne marchait pas, de jouer avec sa culpabilité, puisque Kim n’avait pas honte de son comportement envers moi. Au contraire, elle en était fière. C’était une bitch manipulatrice qui s’assumait parfaitement en tant que telle. Elle s’en est tellement vanté! Je n’aurais jamais imaginé qu’il existait quelque part une fille qui se foutait complètement de bien paraître.

Et j’ai vécu toute cette merde, toute ma vie, dans tous les aspects de ma vie,  tout ça parce que je ressentais le besoin de prouver quelque chose aux autres. À cause de ça, j’ai pris toutes mes décisions, les petites comme les grandes, en fonction des autres. Et regardez-moi aujourd’hui, un gars de 28 ans qui ne connait rien de la vie.  28 ans et je ne sais même pas ce que j’aime ou non. 28 ans et je ne sais pas ce que je suis. 28 ans et je ne sais même pas qui je suis. 28 ans et je ne l’ai jamais su.

À CONCLURE

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (4e partie)

Ceci est la suite de mon histoire avec Océane.

Dès le lendemain, Océane montre des signes évident que quelque chose ne tourne plus rond entre nous. Elle qui était une voisine de pupitre si volubile en espagnol, voilà qu’elle ne m’adresse pas la parole de tout le cours. Et lorsque je risque un début de conversation, le ton de voix qu’elle prend pour ses brèves réponses exprime clairement le fait que je la dérange. Je me risque quand même à lui poser cette question :

MOI: En passant, j’espère que t’as eu le temps de faire ton devoir qui était si urgent hier. Vers quelle heure est-ce que t’es arrivée chez toi ?
OCÉANE: Deux heures.
MOI: DEUX HEURES DU MATIN ? Mais comment ? Même à pied ça n’aurait pas pu te prendre 4 heures pour te rendre chez toi en transférant à Angrignon.
OCÉANE: Je ne suis pas allée chez moi. Je me suis promené dans le Parc Angrignon.
MOI: Tout ce temps là ?
OCÉANE: Oui.

Alors là je ne comprends plus rien. Et son devoir qui était si urgent, alors ? Et moi qui croyais que c’était ma présence qui l’empêchait de le faire.  C’est pour ça que j’ai sacrifié le reste de la soirée. Avoir su… Non, vraiment, je ne la comprends pas.

Avec les jours et les semaines, l’écart entre nous s’élargit. Elle m’évite. Elle ne me regarde pas. Elle ne me parle que si je lui adresse la parole Et là encore ça reste bref. J’ai beau y réfléchir, je ne vois qu’une raison pour ce changement de comportement avec moi : Elle a probablement honte de ses agissements lors de sa soirée chez moi, et s’imagine sûrement que je la prends pour une fille facile. Pauvre petite. Si elle savait que je ne suis pas du genre à juger les gens, que je comprends qu’elle n’était pas dans son état normal, que rien n’a changé pour moi, qu’elle est toujours à mes yeux la même Océane d’avant. Mais je n’ose pas, de peur de la faire s’éloigner davantage.

Le dialogue ne reprendra avec nous que trois semaines plus tard lorsqu’elle verra que je fréquente Salomé en ami.  Le monde cégépien étant petit, elle et Océane se connaissent depuis plus d’un an, même que c’est Salomé qui a présenté à Océane son chum actuel au printemps passé.

Sans savoir que Salomé et moi avons déjà été un couple pendant trois semaines il y a un an, Océane semble s’imaginer qu’il y a un attrait naissant entre elle et moi.  Aussi, Océane recommence soudain à me téléphoner et à me parler comme si de rien n’était. Quoi qu’heureux que les choses reviennent à la normale, je déchante en me rendant compte que la raison principale de son retour vers moi est de s’assurer que je me tiens à l’écart de Salomé. Elle multiplie les conseils et les avertissements, me dit de me méfier de cette fille, et me raconte des anecdotes pas très flatteuses à son sujet. Je me demande s’il n’y a pas un peu de jalousie là-dedans. Pourtant, dans ma p’tite tête encore naïve, Océane n’a pas de raisons logiques d’être jalouse. D’abord, elle a un chum et même si on admet qu’elle ne ressent plus rien pour lui, elle ne m’aime certainement pas puisque avant qu’elle constate la présence de Salomé dans ma vie, elle ne semblait même plus vouloir qu’on reste amis.

Je vérifie certaines de ces histoires auprès des amis de Salomé, qui me confirment ce que je pensais : Le portrait de Salomé tel que dépeint par Océane n’est que mensonge, exagérations, interprétations théoriques et déformations des faits. (Ce n’est que plus tard que je me rendrai compte que, bien qu’elle était innocente de ce qu’Océane l’accusait, Salomé était tout de même une personne de qui il faut se méfier.)

Quant à Salomé, elle m’apprend qu’Océane a mystérieusement recommencé à lui parler, en lui suggérant de se méfier de moi. Elle lui a même raconté sa visite chez moi de l’autre soir, mais en inversant les rôles.  Elle dit que c’est moi qui ai essayé de la séduire malgré le fait qu’elle est en couple, et que j,ai essayé de la retenir chez moi malgré le fait que je savais qu’elle devait partir tôt.

Ce n’était pas la première fois qu’une fille, frustrée que je décline ses offres amoureuses et/ou sexuelles, se venge en racontant notre histoire tout en inversant nos rôles.  Et ça ne sera hélas pas la dernière non plus.

Lors d’un cours d’espagnol, Océane vient s’asseoir près de moi, toute joyeuse, et commence à me faire la conversation via petits bouts de papier. Elle me demande de lui faire sa caricature. Je lui réponds que j’en ai déjà fait une de mémoire chez moi et que je lui donnerai demain dans notre cours d’Écriture Québécoise. Elle me répond :

OCÉANE: Quel cours ?
MOI: Ben, c’est mercredi demain. On a un cours d’Écriture Québécoise.
OCÉANE: Non, la prof nous a dit que le cours était annulé ! Tu ne l’écoutais pas?
MOI: Ben, avec Sandra assise à côté de moi qui me parle tout le temps, j’en manque souvent des bouttes…

Le lendemain, je vais à mon cours d’Anglais et, sans cours d’Écriture Québécoise à aller, je rentre chez moi. Le lendemain matin, jeudi, je rencontre Sandra par hasard au café étudiant. Elle me demande le pourquoi de mon absence au cours d’Écriture Québécoise la veille. Je réponds :

MOI: Quoi ? On avait un cours ?
SANDRA: Ben oui !
MOI:Il n’était pas annulé ?
SANDRA: Ben non !
MOI:La prof n’a pas dit au dernier cours que celui là était annulé ?
SANDRA: Pantoute ! Où c’est qu’t’es allé chercher ça?
MOI: Et… Est-ce que Océane était là ?
SANDRA: Océane ? Ben oui, pourquoi ?

Alors là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder l’Océane ! Qu’est-ce qui lui prend à cette petite bitch de me jouer des tours pareils? Qu’est-ce que je lui ai fait? Dans ma tête, c’est la tempête, la révolte. Je n’accepte pas cette situation. Elle n’a aucune raison de me faire subir ça. Je ne le mérite pas. Je l’ai toujours traité avec respect, mon comportement envers elle a toujours été irréprochable. Et elle me remercie comment ? En me méprisant par des périodiques traitements de silence, elle ment à mon sujet à Salomé, elle me fait rater des cours… C’est quoi son problème au juste?

Les jours qui suivent, Océane m’évite et ne me parle plus. Et c’est ainsi que s’est terminée notre histoire d’amitié, dans mon incompréhension la plus totale.

Quelle fut mon erreur? Mon erreur? MES erreurs, en fait, car j’en ai fait deux grosses :

ERREUR #1 : Traiter avec respect une fille qui n’en a rien à foutre, de mon respect envers elle. Et vous savez comment je l’ai appris ? C’est qu’en confiant ma colère et mon désarroi à une autre de mes amies (et ex, soit Geneviève, ma future coloc de l’enfer) elle m’a donné un petit cours sur la mentalité féminine. Ce fut une expérience aussi révélatrice que choquante :

GENEVIÈVE: Non mais qu’est-ce que tu t’imagines, ti-gars? Tu penses-tu que les filles sont toutes irréprochables ? Qu’elles ne trompent jamais leurs chums ?
MOI: Ben, j’ai toujours lu dans les sondages que les filles n’étaient pas comme ça et qu’elles détestaient les gars qui le sont. Je me suis toujours fié à ça. J’ai tellement lu ce genre d’article pour être sûr de savoir ce que les filles n’aimaient pas chez les gars afin de ne pas avoir ces comportements. J’ai toujours essayé d’être le gars parfait à qui on ne pourrait jamais rien reprocher. C’est pour ça que je n’ai pas sauté sur l’occasion de coucher avec Océane, parce que ça n’aurait pas été correct d’abuser du fait qu’elle était saoule, surtout qu’elle avait un chum.
GENEVIÈVE: Hostie qu’t’es innocent, man ! Laisse-moi t’apprendre une chose : Les sondages, c’est d’la bullshit ! Quand une fille se fait poser la question si elle est du genre à tromper son chum ou non, penses-tu qu’elle va vraiment l’avouer si c’est oui ?
MOI: Ben, les sondages, c’est anonyme, fa que…
GENEVIÈVE: Anonyme ou non, ça n’empêche pas à une fille de vouloir se mentir à elle-même.
MOI: Pourquoi a’ ferait ça ?
GENEVIÈVE: Quand un gars a plusieurs partenaires sexuels, on l’admire, on dit qu’y’est viril, qu’y pogne, que c’t’un séducteur, mais quand c’est une fille, on dit que c’est une salope. Alors pour ne pas avoir l’air d’une salope, que ce soit aux yeux des autres ou à ses yeux à elle, elle va dire que c’est pas son genre. Tu sauras qu’en réalité, les filles sont aussi pires que les gars. On est loin d’être parfaites. Nous autres aussi on a des tentations et nous autres aussi il nous arrive d’y céder.
MOI: Je vois… Mais elle avait bu…
GENEVIÈVE: Justement ! L’alcool, ça ne change pas la personnalité de quelqu’un. Ça aurait plutôt tendance à la faire ressortir, puisque sous l’effet de l’alcool tu perds tes inhibitions, ce qui fait que tu as moins de retenue. Si ta chère Océane voulait que tu la sautes quand elle était saoule, c’est parce même à jeun elle avait envie de toi.

Elle, avoir envie de moi? Malgré le fait qu’elle a déjà un chum?  Avant que Geneviève me pointe cette évidence, jamais je n’aurais pu imaginer que ça puisse être possible. J’ai toujours cru que les seules filles qui pouvaient désirer un gars alors qu’elles sont en relation avec un autre, c’était  les salopes éternellement célibataires qui affichent avec vulgarité et sans pudeur leur vie sexuelle où elles multiplient les partenaires. Océane était tellement une fille bien, l’idée qu’elle puisse me désirer alors qu’elle est en couple ne m’a jamais effleuré l’esprit.

MOI: Bon, admettons qu’elle me voulait.  Mais alors, pourquoi est-ce qu’elle m’a dit devoir partir à neuf heures parce qu’elle avait un devoir urgent si ce n’était pas le cas ? Et ça ne devait pas être le cas si elle s’est promenée ensuite dans l’parc de dix heures le soir jusqu’à deux heures du matin.
GENEVIÈVE: Peut-être que c’était vraiment le cas quand elle est arrivée chez vous, mais les filles aussi ont le droit de changer d’idée, tsé, Crois-moi que si elle avait vraiment voulu partir à neuf heure, elle serait partie à neuf heure. Pis des fois, tsé, quand on a envie d’un gars mais qu’on veut pas que ça paraisse trop, on lui annonce une limite avant de le rencontrer, pour pas qu’y s’doute de rien, ou pour pas qu’y nous dise non, avant qu’on aille eu la chance d’essayer de le séduire.

OMG! C’est comme avec Daniella. Je comprends soudainement pourquoi elle m’a dit qu’elle voulait que j’aille chez elle as a friend.  Elle voulait éviter que je comprenne tout de suite qu’elle avait envie de coucher avec moi.  Et ça lui assurait que je ne m’essayerais pas sur elle si jamais elle changeait d’idée en cours de route.

Shit! Quand je pense que tous les gars se plaignent que dès qu’une fille nous met dans la friendzone, c’est fini, on n’en ressort plus… J’ai vécu la chance unique de me faire DÉ-friendzoner...  Et moi, comme un cave, j’ai choisi d’y rester.  Tout ça parce que j’ai toujours stupidement cru que si une fille est capable de te dire clairement qu’elle te veux en tant qu’ami seulement, alors elle serait également capable de te dire tout aussi clairement qu’elle te veut en tant qu’amoureux et/ou amant.

GENEVIÈVE: Et dis-moi donc…  Ça t’es-tu déjà arrivé que tu ailles chez une fille, que tu t’imagines qu’il se passerait des choses, et que tu repartes de chez elle déçu et frustré parce qu’il ne s’était rien passé ?
MOI: Oui, une coupl’ de fois, pourquoi ?
GENEVIÈVE: Ben dis-moi franchement… T’avais-tu vraiment envie de r’venir chez vous après ça, ou bien t’étais plutôt porté à te promener sans but pour ruminer sur ta frustration?

Cette dernière révélation me frappe comme une brique en plein visage. Je me rends soudain compte à vingt-huit ans que tout ce que je croyais avoir appris sur les filles n’étaient que pur fantasme idéaliste. Tout ce temps perdu à essayer de comprendre les filles, toutes ces années d’effort pour être le gars parfait, tout ça en pure perte.

Ce qui nous amène à ma seconde erreur:

ERREUR #2 : Trop essayer d’être parfait et irréprochable. Le gars sans défauts et sans reproches qui, hier encore, représentait le modèle social idéal suscitant l’admiration, ça n’attire plus aujourd’hui que le mépris. Et pour cause: Dans un monde ou personne n’est parfait, celui qui a un comportement irréprochable ne fait que rappeler aux autres leurs propres défauts. Dans de telles conditions, pas surprenant que je n’ai jamais vraiment eu de vie sociale.  Et les rares fois où j’en ai eu, ça n’a pas duré longtemps.

Océane ne s’est pas sentie respectée par mon refus, elle s’est sentie humiliée. Humiliée comment ? La liste est longue.

  1. En lui montrant que j’avais des principes moraux, je n’ai fait que lui montrer que je valais mieux qu’elle, qui n’en avait pas. Imaginez, c’est elle qui a un chum, et c’est moi qui refuse de le cocufier. Et ce n’est même pas par loyauté envers lui puisque je ne le connais même pas.
  2. Admettons qu’elle pense que je l’ai bullshitée, parce que c’est rare un gars qui a un code d’honneur lui interdisant de profiter d’une fille qui s’offre à lui sexuellement… Alors la seule conclusion à laquelle elle peut arriver, c’est que je me cachais derrière ces excuses parce que je la trouvais repoussante, pas assez belle, pas assez séduisante, pas assez sexy… Pas assez bien pour moi, quoi. Après tout, c’est ce que les filles font pour repousser un gars tout en essayant de ne pas le froisser : Trouver des excuses improbables quoi que possibles.
  3. En s’accrochant à un loser, car seul un loser va s’empêcher d’avoir du fun pour des raisons minimes et insignifiantes.
  4. En lui faisant prendre conscience (de manière erronée en plus) que tout ce qu’elle s’imaginait qu’il y avait entre nous, ou ce qui pouvait y avoir, n’avait jamais été rien d’autre que le fruit de son imagination.
  5. Et quoi d’autre que j’oublie, ou que je ne puisse pas imaginer?

Quand l’autre n’a pas de raison logique de te repousser, mais qu’il le fait quand même, ça peut être très humiliant. Et ça l’est encore plus pour une fille. Quand un gars se fait repousser sexuellement par une fille hétéro, célibataire, en manque, et qui n’a pas l’embarras du choix en frais de partenaires potentiels, c’est frustrant mais c’est normal. L’homme propose, la femme dispose, que dit le proverbe.  C’est comme ça depuis les années 1960. Par contre, quand c’est le gars qui est hétéro, célibataire, en manque sexuel, et qui n’a pas l’embarras du choix en matière de partenaires potentielles, on ne s’attend pas du tout à ce qu’il repousse sexuellement une belle fille qui s’offre à lui. Par conséquent, une fille a de quoi se taper une sérieuse remise en question si ça lui arrive.

Et dans ce temps-là, la solution qui lui est la plus simple pour régler ce problème, c’est de s’éloigner de la source de toute cette remise en question et de ces humiliations: Moi!

C’est comme ce que j’ai vécu avec IsabelleSi elle n’aime pas assez son chum pour lui être fidèle, c’est un problème qui ne concerne qu’elle et lui. Je n’ai pas à décider de lui servir de conscience et lui imposer mon point de vue là-dessus, et encore moins lui faire la morale.

Si j’avais couché avec l’une ou l’autre, chose qu’elles désiraient, nous serions probablement devenus les meilleurs amis du monde par la suite. Peut-être mêmes amants réguliers.  Peut-être même amoureux.  Est-ce que ça aurait été si terrible qu’on le fasse? Je ne dis pas, si elles ne m’avait pas attiré… Mais là, nous avions tous les deux envie l’un de l’autre. Et qui sait, peut-être qu’Océane aurait trouvé dans notre complicité la force de se libérer de ce gars négatif et manipulateur qui la force à rester dans cette relation toxique dont elle ne veut plus.  Au lieu de ça, je l’ai envoyé retourner le rejoindre, la forçant à se résigner au fait qu’une fille comme elle ne pourra jamais espérer pouvoir se trouver mieux qu’un gars comme lui.

Et je réalise soudain avec choc et incrédulité que, en faisant tout pour être un Bon Gars, j’ai trop souvent été au contraire un très mauvais gars pour un grand nombre de filles, en leur causant des problèmes dans leur boulots, leurs vies sociales, leurs vies amoureuses… Et pire encore: En les rabaissant dans leur estime de soi!

La suite.

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (3e partie)

Quatre années se sont écoulées depuis ma mésaventure avec Isabelle l’infidèle et neuf depuis Daniella-l’amie-seulement. J’ai maintenant 28 ans et je suis de retour aux études au Cégep André-Laurendeau.

Cette histoire est au sujet d’une jeune étudiante de 19 ans, que je nommerai ici Océane.  Pour vous donner une référence visuelle, sachez qu’elle ressemble à la fille sur cette photo, à un détail près, qui est le nez.  

Jeudi 19 septembre 1996.  C’est parfois curieux la façon dont deux personnes peuvent se rencontrer. Prenez Océane et moi, par exemple.  Aujourd’hui, ça fait un mois que nous suivons le même cours d’espagnol dans la même classe avec le même prof dans le même cégep.  Et c’est seulement aujourd’hui, presque à la fin de notre quatrième semaine de cégep, que nous nous remarquons pour la première fois.   

C’est que ce jour là, Eduardo, notre prof, a décidé que dorénavant les pupitres et les étudiants seraient disposés en fer à cheval, longeant les murs de la classe, afin qu’il puisse mieux voir tout le monde.  Nous déplaçons donc nos tables en les arrangeant tel que demandé.  Et me voilà, comme le 3/4 des étudiants de la classe, à être assis en direction du mur opposé, tout en étant obligé de maintenir la tête dans un angle de 10 à 30 degrés en direction du prof.  Évidemment, maintenir cette position non-naturelle devient rapidement inconfortable, ce qui fait que nous sommes périodiquement portés à nous remettre la tête droite durant quelques secondes.

Et c’est comme ça que, pour la première fois, Océane et moi allions nous remarquer.

Elle est là, de l’autre côté de la classe, face à moi, assise derrière son pupitre où reposent ses livres et sa petite bouteille d’eau Naya remplie de jus de pomme.  Nos regards se croisent.  Elle me sourit.  Je lui souris en retour. 

Elle est petite, environs 5’2″, mince, et a un très joli visage que deux détails distinguent des autres jolis visages anonymes cégepiens. D’abord, la forme de sa bouche, avec la lèvre supérieure un peu plus épaisse que celle inférieure, et son petit nez cassé.  Ce détail, plutôt que de tout gâcher, semble rendre plus humain et plus accessible un visage qui autrement aurait été trop angélique.  Ses cheveux châtain clair sont naturellement volumineux, du fait qu’ils sont légèrement bouclés, attachés en partie à l’arrière, ce qui lui fait une bouffante queue de cheval qui lui atteint à peine les épaules.   Elle porte une robe paysane du plus pur style années 70.

Bref, elle a un look que mon inconscient associe spontanément à ces filles au caractère d’artistes, libres, naturelles, non-conformistes.  C’est probablement la raison pourquoi elle me plaît instantanément.   

Durant l’heure qui suit, il nous arrive quelques fois de se croiser de nouveau du regard et de se sourire.  Et c’est tout aussi plaisant à chaque fois.

Comme à tous les jeudis, la seconde partie du cours est consacrée à l’oral. Aussi, lorsque Eduardo nous fait sortir de la classe pour que l’on se rende au labo de langues, Océane et moi nous synchronisons chacun de notre côté pour passer la porte au même moment.  Et c’est le plus naturellement du monde que, côte à côte, en sortant de la classe, nous marchons ensemble et que je commence à lui parler.

« Avais-tu des cours d’Espagnol au secondaire? »
« Oui, en 4e et en 5e. » 
« Ah!  Pas moi!  J’avoue que je suis un peu perdu. »
« D’après ce que j’ai vu à date, on recommence par la base, donc à zéro.  Tu devrais t’en tirer sans problèmes. »
« Ah!  Tu me rassures!  Merci! »

Rendus au labo, nous nous installons l’un à côté de l’autre, à des cubicules séparés. Le reste du cours se déroule cependant sans communications entre nous, étant donné que nous avons tous des écouteurs dans lequel on nous passe une version particulièrement soporifique de la chanson Guantanamera. Notre exercice consiste à en retranscrire les paroles, sans s’endormir si possible.

À la fin du cours, nous sortons en tout derniers du lab, et tout en continuant à jaser, nous descendons au rez-de-chaussée, direction la cafétéria.  Nous nous assoyons à table et continuons la conversation.  Et c’est là que j’amène un sujet de base.

« Ha! Ha! Regarde-nous aller. On jase, on jase, mais on ne s’est même pas encore présentés. »

Elle me tend aussitôt la main et serre la mienne.

« Océane Labelle.  Enchantée! »
« Stéphane Johnson, aussi connu sous le nom de Steve Requin.  Je sais pas si tu lis le journal étudiant, mais… »

Elle se montre agréablement surprise.

« Oui!  La page d’humour et bandes dessinées dans le Vox Populi.  C’est toi? »
« Cette année, je l’appelle La Page Requin Roll.  Mais oui, c’est bien moi! »
« Hey, l’an passé, j’aimais tellement tes listes… Ton Top 20. »
« Oui, Le Décompte Requin Roll. »
« J’ai particulièrement aimé celui des éléments que l’on retrouve au temps des fêtes.  Ah, et ta liste de noms de famille composées.  C’est toi qui a créé tout ça? »
« Oui!  J’ai écrit ça en décembre ’95, et ça a paru dans le numéro de Mars ’96. »

Nous avons ainsi parlé durant la demie-heure qui suivit, jusqu’à ce que l’arrivée du cours suivant nous sépare.

Quatre jours plus tard, lundi matin, 23 septembre.  Espagnol est mon premier cour de la semaine.  En m’y rendant, je croise Océane dans les escaliers.  C’est la première fois que l’on se revoit depuis le dernier cours, et nos retrouvailles nous sont très agréables.  Nous nous rendons en classe ensemble.  À peine rentrés, Eduardo nous demande pourquoi nous ne sommes pas retournés en classe après le labo, au dernier cour, comme il avait demandé à tout le monde de faire.   Océane et moi sommes sincèrement surpris.  Ni elle ni moi ne l’avions entendu dire quoi que ce soit sur le sujet.  Je suppose que nous étions trop distraits, chacun ayant l’esprit trop occupé par notre intérêt réciproque.  Cette petite erreur commune nous donne ainsi, dès le départ, une atmosphère de complicité.  Nous voilà partenaires dans le crime, même si le dit crime fut accidentel.

Au fil des jours, l’amitié entre Océane et moi grandit rapidement. Nous nous échangeons nos numéros de téléphone, pratique encore courante en cette époque de début d’internet.  Nous y passons des heures à échanger sur toutes sortes de sujets. Je découvre en cette fille l’âme d’artiste que j’avais instinctivement perçu en elle.  Libre, folle, sensible, passionnée…  Son talent en danse et en musique égale celui que j’ai en texte et en dessin. Tout comme moi mais une année avant, elle a participé à Cégeps en Spectacle dans un numéro que les journalistes présents ne savaient pas trop comment commenter: En gros; tandis que deux gars faisaient un numéro musical, elle était là, sur scène, et pleurait. De vraies larmes. J’aurais bien aimé voir ça.

Avec elle, je me sens sur un pied d’égalité peu importe le sujet que nous abordons. Elle fait preuve d’une grande culture et d’une excellente ouverture d’esprit. Nous nous entendons si bien, c’est comme si nos neuf ans de différence d’âge n’avaient aucune importance. Elle vient même chez moi une fois ou deux, histoire de voir de quoi ont l’air les fameuses résidences étudiantes récemment construites, et dont je fais partie des tous premiers locataires. J’habite en effet aux Résidences André-Laurendeau, un mini bloc appartement de trois étages contenant soixante 1½ conçu pour les étudiants de notre cégep.  Étant le dernier entré, j’occupe le logement le plus haut et le plus éloigné de la porte d’entrée. 

Au bout de trois semaines de fréquentations amicales, je me rend compte qu’Océane commence à m’intéresser au-delà de la simple amitié.  Mais voilà, j’ai été trop déçu par les filles.  Il faut dire que côté relations amoureuse, ma feuille de route n’a rien de glorieux. 

  • Depuis 1991, j’étais dans une relation toxique avec Kim, une fille qui a lâché la pilule sans m’en parler, dans le but (réussi) de tomber enceinte, afin de me coincer dans cette relation par obligations morales et légales.  Ce n’est qu’il y a un an, en septembre 1995, que j’ai réussi  à m’en sortir en les quittant, elle et nos enfants.  J’ai été obligé de retourner vivre chez mes parents, à 27 ans.  Voilà pourquoi j’ai loué une chambre aux résidences étudiantes. 
  • En octobre ’95, je me suis fait approcher par Salomé, cégepienne de 20 ans.  Les deux premières semaines en couple avec elle, tout allait bien.  Elle était gentille, câline, affectueuse.  Ça me faisait du bien.  J’avais besoin de ça, après Kim.  La lune de miel ne dura que deux semaines.  Dès le début de la 3e, elle me fit le traitement de silence, devint froide, m’ignora délibérément, me lança plein de signes de rejets.  C’est qu’elle avait commencé à sortir avec un autre gars plus intéressant à ses yeux.  Plutôt que de casser avec moi, et ainsi passer pour la méchante, elle a choisi d’agir de manière à m’écoeurer de la relation pour que ce soit moi qui le fasse.
  • Quelques semaines plus tard, en décembre ’95, j’ai accepté l’offre de Geneviève, cégépienne de 18 ans, de sortir avec elle.  Elle m’a offert sa virginité, chose que je voyais comme un grand honneur, la preuve d’amour ultime.  Dès le lendemain, son comportement envers moi fit un -180°C.  D’ami gentille et chaleureuse, elle devint mesquine, insultante, rabaissante, carrément méchante.  Ce furent trois semaines particulièrement pénibles. 

Après ces cinq ans d’expériences merdiques, j’ai fini par voir le couple comme n’étant, dans le fond, rien d’autre qu’un contrat d’échanges abusifs: La fille doit accepter de te laisser le passage entre ses cuisses, et en retour tu dois accepter qu’elle te détruise moralement.  Geneviève en est la preuve ultime: Tout allait bien entre nous, jusqu’à la première fois où on a couché ensemble.   Après de telles expériences, je pense que l’on peut comprendre pourquoi je n’ai plus envie de m’engager.  En fait, après Geneviève, je me suis rendu compte que j’avais passé ma vie à être dépendant affectif.  Après avoir compris ça, j’ai totalement cessé de ressentir de l’amour.  Ou du moins, de ce que je croyais qui était de l’amour.  Alors même si j’ai parfois des manques sur le plan sexuel, je suis célibataire depuis presque un an et ça me convient parfaitement.  

L’éventualité d’une intimité possible entre Océane et moi se trouve tuée dans l’oeuf quelques jours plus tard.   Ce matin-là, je reviens de chez mon ex, d’être allé visiter mes enfants.  Je prend un bus en direction du métro Angrignon.  Et c’est là que, par hasard, j’y vois Océane.  Elle est là, endormie, blottie contre un gars qui a son bras passé derrière elle.  Au moment de débarquer, elle me voit et me salue d’un geste et sourire discret.

Plus tard au cégep alors que nous marchons vers notre cours d’Écriture Québécoise, l’autre classe que nous avons en commun, je lui demande si ce gars-là est son chum. Elle répond par l’affirmative. Je trouve étrange qu’en un mois d’amitié, de fréquentation et de discussions, elle ne m’en ait jamais parlé avant.  Mais en voyant qu’elle évite de m’en dire plus sur le sujet, je n’insiste pas.  Nous n’avons plus jamais parlé de lui par la suite. 

Cependant, le fait de le savoir présent dans sa vie simplifiait grandement la mienne.   Ça me débarrassait de la possibilité que nous puissions un jour former un couple,  éventualité qui me déchirait, étant donné mon besoin de rester seul.  Alors pour moi, à partir de là, c’était clair: Puisque Océane était en couple, alors j’étais dans la friendzone.  Et ça me convenait parfaitement.  N’ayant plus à me poser de questions au sujet de notre relation, celle-ci continue donc d’évoluer sur le chemin de la grande amitié.

Jusqu’au jour où…

Ce lundi-là, ayant mal réglé mon réveil la veille, je me lève tard et par conséquent je manque le cours d’espagnol.  Aussi, avant de me rendre à mon cours suivant, je fais un détour en me rendant au casier d’Océane.  Sur la porte, près du cadenas, j’écris à la mine:

« Yo, O! Comme t’as dû le remarquer, j’ai manqué le cours d’espagnol ce matin. Est-ce que tu pourrais passer chez moi ou bien me téléphoner pour me résumer le cours svp. Merci. » 

J’ai signé et je suis parti.

Même jour, le soir venu, 19:00.  Je n’ai pas eu de nouvelles d’Océane de la journée.  Je termine de souper, je fais ma vaisselle mais je laisse refroidir sur la cuisinière la marmite contenant des raviolis.  Puis, je m’installe devant la télé, l’allume et m’apprête à regarder Entertainment Tonight.  Océane entre chez moi en coup de vent, sans cogner, et me dit d’un ton mi-scandalisé mi-amusé:

« Yo, O!? »

Cette entrée en fanfare a failli me donner un arrêt cardiaque, surtout qu’à l’heure qu’il est rendu, je ne m’attendait plus à sa visite. Encore heureux que je sois encore habillé, moi qui d’habitude prends mes aises en me débarrassant de mes pantalons après souper. Comme quoi je devrais verrouiller ma porte, des fois.

« Hein!? »
« Tu m’as appelé YO, O!? »
« Euh… »

Océane semble bien joyeuse et enjouée, mais je sens comme un petit je-ne-sais-quoi de différent en elle. Elle m’a l’air un peu plus joyeuse, plus bubbly que d’habitude. Elle s’assoit à table devant moi et me dit d’un ton quasi autoritaire:

« C’est pas le temps d’écouter la TV.  J’ai faim. »
« Ah? Euh, d’accord! J’éteins la télé et je te sers.  Tu aimes les raviolis farcis à la viande? Il m’en reste tout plein de mon souper de tantôt. »
« Parfait!  Mais je te préviens, il faut que je parte à 21:00, j’ai un important devoir à remettre demain. »
« Ok! »

Je lui sers un plat de pâtes encore chaudes, arrosées de ma recette personnelle de sauce rosée.  Elle décline cependant les ustensiles que je lui offre.   Elle prend un ravioli entre ses doigts.  Elle le porte à sa bouche.  Elle en suce toute la sauce.  Puis elle le mange.  Elle se suce ensuite les doigts, puis elle recommence avec un autre.  D’abord surpris de ses manières à table, je me dis que pourquoi pas, après tout.  Avec une artiste dans l’âme comme elle, il faut s’attendre à ce qu’elle soit non-conventionnelle dans tout.  Elle décline également un verre, buvant au goulot de son éternelle bouteille d’eau Naya, contenant cette fois-ci du jus de raisin.

Après le souper, elle me parle de toutes sortes de choses, me donnant des détails inédits sur des sujets tels que sa musique préférée à son cheminement artistique, de ses relations avec les autres à ses études, de sa famille à cet accident qui l’a envoyé face contre trottoir alors qu’elle était enfant, expliquant son nez cassé.  Rarement a-t-elle été aussi volubile.  Elle m’amuse.  Je l’écoute avec délectation. 

Puis, elle commence à me poser toutes sortes de questions sur des sujets jusque-là inédits entre nous: Si je fume, si je bois, si je prends de la drogue, ou si je l’ai déjà fait par le passé.  Je lui répond que non.  Avec un petit sourire, elle me montre sa bouteille de Naya encore pleine au ¼ de jus. En la pointant du doigt, elle me demande:

« Est-ce que tu sais ce que c’est, ça ? »
« Ben… Du jus de raisin !? »

Pour toute réponse, elle me la tend en me disant de goûter.  Bien que je n’aille jamais vraiment aimé le jus de raisin, je prends la bouteille, la porte à ma bouche, j’en prends une gorgée.  La morsure du liquide dans ma gorge m’étouffe quasiment.

« Que… Que c’est ça ?  Du vin rouge ? »

Elle me répond en souriant.

« Oui! »
« Euh…  Ça veux-tu dire que…  Le jus de pomme dans les cours d’espagnol…? »
« Vin blanc! »

Ainsi, Océane boit à l’école.  Je n’en reviens pas!  Je repose la bouteille.

« Et, euh… Tu fais ça souvent? »
« Quotidiennement! »
« Ok! … As-tu…  Un problème d’alcoolisme, ou kek’chose du genre? »

Elle rit de mes allégations.

« Le vin à petite doses tous les jours est excellent pour le cœur et les artères, tu sais.  Mais ouais, je t’accorde que j’en ai peut-être un p’tit peu abusé, avant d’arriver ici. »

Je comprends mieux son entrée en fanfare dans mon appartement.  Il me semblait aussi qu’Océane était un peu plus calme que ça, d’habitude.  Tandis que j’essaye d’assimiler cette nouvelle information à son sujet, elle me demande:

« Pourquoi est-ce que t’es coincé à ce point là? »
« Euh… En voilà une question.  
Je ne suis pas sûr de comprendre ce que tu veux dire. »
« 
Est-ce que tu t’es déjà regardé agir? »
« Dans le sens de…? »
« Tu es tellement froid avec les autres. »
« Ah bon!?  Comment ça? »
« Depuis le temps que je te connais, jamais je ne t’ai vu toucher les gens, ou bien les prendre dans tes bras. Moi, je suis une personne pour qui le contact est important. Que ce soit avec mes amis de gars ou de fille, on n’a pas peur de se toucher, se prendre par la main, se serrer l’un contre l’autre quand vient le temps de se quitter…  Pourquoi tu ne le fais jamais? »

Je suppose que je peux sembler froid aux yeux d’une personne aussi extravertie.  Mais c’est toujours comme ça que je me suis comporté avec les gens.  Je ne sais pas si c’est à cause que je viens de St-Hilaire, ou si c’est à cause que j’ai été élevé dans les années 70 et 80, ou si c’est une combinaison des deux…  Pour être franc, je me suis toujours senti mal à l’aise de me faire toucher par une fille, sauf si c’est dans un but sexuel et /ou si la fille est ma blonde.  Elle rajoute:

« Toucher, câliner, embrasser, c’est ÇA la normalité. Tu peux pas rester renfermé sur toi-même toute ta vie. Merde, il ne faut pas avoir peur comme ça de montrer ton affection aux autres. »
« Ouais, d’accord, mais il y a un petit détail à ne pas négliger: Mon âge. »
« Quoi, ton âge? »
« Avec les 9, 10 ou 11 ans que j’ai de plus que mes amies cégepiennes, si j’étais un peu plus
colleux avec elles, j’aurais trop l’impression d’être un genre de vieux vicieux. »
« Toi, un vicieux?  Elle est bonne, celle-là!  T’es trop coincé pour l’être!  Ça se voit juste à ton appartement. »
« Comment ça? »
« Juste de la façon même dont c’est rangé.  On le voit, que tu es un gars qui s’impose trop de discipline. Tout est TROP rangé. »

Pour une fois que j’arrive à garder un appartement propre, j’me le fais reprocher maintenant. J’aurai tout entendu.

« Ceci dit, pour ce qui est de l’âge, t’es rendu à combien, déjà? »
« 28! »
« Donc, 28 ans et jamais fumé, saoulé, drogué…  Sors-tu, au moins?  Vas-tu dans les bars?  Est-ce que tu dragues? »
« Non, non, et non! »  

Elle me regarde, l’air découragée.

« Non mais regarde-toi. T’as 28 ans pis t’as pas le moindre souvenir de trips de jeunesse. Qu’est-ce que t’attend pour commencer à vivre? »
« Ben là, rendu à mon âge… »

« FUCK TON ÂGE! »

C’est la première fois qu’elle lève la voix avec moi.  Ça surprend.  Elle rebaisse le volume, mais garde un ton sévère.

« T’es un cégépien!  Tu te tiens avec des jeunes!  Et t’as pas l’air tellement plus vieux que nous autres. Sérieux là, on ne t’en donnerait jamais plus que 21-22. »
« C’est flatteur!  Merci! »
« Chuis sérieuse! Y’est pas trop tard pour toi. Regarde-les, ceux qui ont ton âge… Ils ont tous une carrière et des enfants. S’ils n’ont pas pris le temps de vivre leur jeunesse, c’est trop tard pour eux-autres.  Mais toi…  Toi, t’as une chance unique qu’ils n’auront jamais: T’es redevenu cégépien après dix ans de vie adulte. T’as une seconde chance de tripper.  T’as une deuxième opportunité de te laisser aller, de revivre la jeunesse que t’as pas eue, de vivre enfin à 100%. Tu peux pas laisser ça se perdre comme ça
. »

Que dire, sinon: Touché! 

Vrai, je me suis toujours empêché de vivre toute sortes de trucs dans mon adolescence, mais c’est tout simplement parce que contrairement aux autres jeunes, je réfléchissais avant d’agir. L’alcool, la cigarette, la drogue, les bars, la drague, ce sont toutes des habitudes qu’on essaie tant bien que mal de se départir lorsqu’on est adulte. Dans ce cas là, pourquoi est-ce que je commencerais ? Où serait la logique de vouloir prendre le risque de me créer délibérément une addiction ? S’il est vrai que la majorité de ceux qui ont vécu ces trips n’en sont pas restés accrochés, il y en a tout de même trop pour qui ce fut le cas. Aussi, il m’a toujours semblé logique que la meilleure façon d’arrêter, c’est encore de ne pas commencer. C’est là la façon de penser qui a régi ma vie et jusqu’à maintenant je n’ai pas eu à m’en plaindre.

Ou est-ce que je me trompe?

Qu’en était-il de ma vie sociale adolescente à chaque fois que j’ai exprimé ma façon de penser à mon entourage?  La réponse se trouve dans mon talent en dessin.  Si j’avais été plus populaire, si j’avais passé mes soirées dans les partys et autres activités qui se font en gang, je n’aurais certainement pas eu le temps d’apprendre à aussi bien dessiner. Et que sont devenus tous ces gens que je trouvais idiots de se livrer à des activités qui, dans le meilleur des cas, ne leur rapporteraient rien? Aux dernières nouvelles, ils ont tous réussi mieux que moi dans la vie.

Océane vient de faire quelque chose que personne n’avait réussi à faire avant: mettre le doute dans mon esprit au sujet de mes convictions.  À son regard, j’ai l’impression qu’elle sait parfaitement qu’elle vient de fissurer ma cuirasse.  Souriant légèrement, elle me demande:

« Est-ce que t’es gai? »

Ce n’est pas la première fois qu’une fille me la pose, celle-là, et ça m’irrite toujours autant.  Je veux bien croire qu’en ayant été surtout élevé par ma mère dans une famille presque exclusivement féminine, j’ai dû prendre de leurs manières.  N’empêche que je suis un peu insulté que l’on mette en doute mon hétérosexualité à chaque fois que l’on constate que je ne me jette pas comme un chien en chaleur sur chaque fille qui passe.

« Ben non! »
« Bisexuel, alors? »
« Non, 100% hétéro! »
« Comment tu l’sais? »
« Difficile de se dire bi quand on a juste eu des relations hétéros. »

À ça, Océane réplique:

« Je ne te crois pas! Nous sommes tous bisexuel à un certain degré, puisque nous avons tous eu nos premières expériences de masturbations en commun avec quelqu’un du même âge et du même sexe que nous, fut-il membre de notre famille, ami ou voisin. »

Je ricane un peu de sa théorie.

« Tu sais, en tant qu’enfant unique, seul de mon groupe d’âge dans toute la famille et ayant passé ma vie dans un quartier de St-Hilaire composé presque exclusivement de retraités, je n’ai jamais vécu de trucs semblables, Dieu merci. Les seules fois où j’ai touché un sexe d’homme dans ma vie, c’est le mien, that’s it! »

J’avoue qu’après la remise en question qu’elle vient de me faire vivre au sujet de mes règles de vie, ça me rassure de voir qu’elle puisse se fourvoyer à mon sujet.

Sauf que… Sans que je ne m’en soit rendu compte, Océane venait de donner un tournant sexuel à la conversation.  

Elle enchaîne aussitôt en passant à l’étape tactile.  Elle pose son coude sur la table, tenant son avant-bras bien droit, la paume de la main dirigée vers moi.

« Mets-donc ta main ici, j’aimerais voir quelque chose. »

Amusé, je m’exécute, en me demande bien ce qu’elle va m’inventer cette fois-ci.  Ma paume droite est en contact avec sa gauche.  Le toucher de sa main dans la mienne me semble étrange.  Le manque d’habitude.  

« Pour un gars, tu as une main bien douce, avec un toucher délicat.  Tes doigts sont quand même courts, ils dépassent à peine les miens. »
« C’est parce qu’on est mal ajustés.  Attend! »

De ma main libre, je lui saisis le poignet, histoire de pouvoir bien enligner la base de ma paume avec la sienne.  Avec une voix aussi douce que son regard, elle me dit:

« Est-ce que tu réalises que depuis le temps qu’on se connaît, c’est la première fois que tu me touches? »

Avant qu’elle me dise ça, j’allais relâcher son poignet.  Mais d’entendre ces paroles, ça me donne le réflexe de simplement relâcher mon étreinte, tout en gardant le contact. 

« Tiens, c’est vrai! »

J’avoue que j’aime bien ce qui se passe entre nous en ce moment.  Je la touche.  Ce n’est pas ma blonde.  Ce n’est pas dans un but sexuel.  Et ce n’est pas désagréable.  En fait,  pour la première fois, je suis à l’aise dans cette situation.  Et ceci me porte à faire une nouvelle constatation qui, là encore, bouscule un peu ce que je croyais savoir sur moi-même.   

« Jusqu’à maintenant, toucher une amie-non-blonde-non-amante, ça me mettait mal à l’aise.  Or, je ne ressens pas ce malaise avec Océane.  La seule différence entre elle et les autres, c’est qu’elle m’a fait comprendre qu’elle aime se faire toucher par ses amis.  Ça voudrait dire que contrairement à ce que j’ai toujours cru, ce n’est pas le fait de toucher une fille qui me donne du malaise.  C’est la peur qu’elle ne veuille pas que je la touche.  Ça veut dire qu’en réalité, j’aime toucher.  J’aime le contact physique. »

Cette révélation comme quoi je ne suis ni coincé ni froid de nature, et que je ne fais que garder une distance respectueuse, ça me fait un grand bien moral.  Tandis que nos mains restent en contact, je caresse délicatement son avant-bras du bout de mes doigts. Elle ferme les yeux et ouvre légèrement sa si jolie bouche. Nous sommes bien.  Les minutes passent, dans le silence.  Nous vivons un moment magique auquel ni elle ni moi ne semblons avoir envie de mettre fin. 

Cependant, le mauvais côté d’avoir les yeux fermés, c’est de ne pas voir ce que l’on fait.  Venant pour agripper sa bouteille de Naya, sa main libre l’accroche plutôt, la faisant se renverser sur la table.  Par réflexe, je relâche la main et l’avant bras d’Océane.  Je redresse la bouteille.  Je prend ensuite un mouchoir de ma boite de Kleenex, également sur la table, avec lequel j’essuie le mini-dégât.

Histoire de détendre un peu l’atmosphère, et de minimiser l’importance de l’incident du vin, je lui dis:

« Le vin renversé, ça me rappelle un truc que j’ai vu dans un film hier… La fille renverse volontairement sa flûte de champagne, puis s’est trempé les deux doigts dedans, et les a donné à sucer à son copain. Il l’a fait, et  bientôt ses baisers sont remontés le long de son bras, ils l’a embrassée, et tu devines le reste. »

Je suis moi-même surpris de cette remarque provocatrice que je viens de lui faire.  Provocatrice, mais surtout mensongère.  Enfin, presque.  C’est que le film auquel je faisais référence était Lunes de Fiel.  Et dans la scène, il s’agissait d’une bouteille de crème et non de champagne.  De la crème qu’elle a bu à même le goulot de manière très cochonne dans tous les sens du terme.  Et en effet, ça s’enchaîne avec du sexe.

Océane prend sa bouteille de Naya.  Tout en me regardant, elle renverse du vin sur la table, délibérément, cette fois.  Puis, elle y trempe sa main, et l’approche ensuite de mon visage.

… Et ceci me paralyse totalement.  Physiquement et mentalement.  

À l’époque, je ne m’en rendais pas compte, mais j’étais encore sous l’emprise de plusieurs années de conditionnement négatifs, abusifs, ou qui se basaient sur des mensonges ou des présomptions  erronés.  Et à ce moment-là, sans le savoir, Océane vient de tous me les déclencher.  D’un coup!

Conditionnement 1: Fuir en panique toute fille qui se rapproche de moi. Mon ex, la mère de mes enfants, souffrait de jalousie maladive irraisonnée.  Par exemple, alors que l’on travaillait au Dunkin Donuts, elle m’a lancé violemment une galette de porc gelée derrière la tête.  Mon crime: Une caissière était venue me demander dans combien de temps les munchkins seraient prêt. J’ai fini par développer un monstrueux réflexe de paranoïa au sujet des éléments déclencheurs de la jalousie féminine. Et le pire de ces éléments, c’est me faire approcher directement par une fille, de façon non-sollicitée.  Exactement ce qu’Océane vient de me faire, d’où blocage soudain.

Conditionnement 2: Croire dur comme fer qu’aucune fille en couple n’a envie de voir ailleurs.   En fait, si!  Je le savais bien que ça existait, des filles qui trompaient leur chum: Les salopes.  Or, une salope, c’est une fille délurée, vulgaire dans son apparence et son vocabulaire.  Une définition qui ne décrit en rien Océane.  Par conséquent, les gestes d’Océane entraient en contradiction avec ce qu’elle était à mes yeux, d’où incompréhension.

Conditionnement 3: Écouter scrupuleusement tout ce que les filles disent et tout prendre au pied de la lettre. Océane vient de passer la soirée à me dire que le toucher entre amis, ça ne veut rien dire de sexuel.  Or, son dernier geste est clairement un appel au sexe.  Un geste contredisant toutes ses paroles, d’où incompréhension.

Conditionnement 4: Voir toute marque d’intérêt envers moi comme des moqueries, surtout lorsqu’elles sont aussi claires et fonceuses.  Quand j’étais à l’école secondaire, je n’étais vraiment pas beau.  Aussi, il arrivait parfois que des filles fassent semblant de s’intéresser à moi juste pour se foutre de ma gueule.  L’intérêt que me porte Océane est aussi clair que fonceur, et tellement soudain, d’où incompréhension. 

Conditionnement 5: Avoir été trop souvent testé hypocritement par des filles recherchant le conflit.  Mon ex, la mère de mes enfants, m’a déjà offert un ménage à trois, juste pour me tester, juste pour voir si j’avais envie d’en baiser une autre.  Même décliner l’offre ne l’a pas rassurée sur mon cas.  Et adolescent, des amies de filles m’ont parfois demandé si je les aimais, si j’aimerais sortir avec elles.  Voyant ça comme une proposition, je l’acceptais. … Pour me faire dire aussitôt que ce n’était qu’un test.  Elles voulaient juste savoir si je mentais en me disant ami seulement.  Ça leur donnait un prétexte pour prendre leurs distances avec moi.  Or, passer brusquement d’amie à amante potentielle qui se propose, c’est exactement ce qu’Océane vient de me faire, d’où blocage soudain, trop habitué à ce que ce soit un piège sous forme de test.

Conditionnement 6: Avoir totalement perdu confiance en son instinct et en ses capacité d’interpréter les signes.  Normal.  À force de se faire dire qu’il a mal compris les gestes des autres à son égard, à force de vivre des tests hypocrites, un gars finit par conclure que les gestes ne veulent jamais rien dire, qu’ils ne comportent aucun message. Il cesse alors d’y porter la moindre attention.  Ici, je dis à Océane que j’ai vu qu’une fille qui se trempe les doigts dans le vin, ça amène au sexe.  Elle se trempe aussitôt les doigts dans le vin.  N’importe qui aurait compris qu’il n’y avait pas plus clair comme message.  Hélas, tant qu’existe la moindre ambiguïté, la moindre parcelle infinitésimalement minuscule comme quoi un geste ou une parole puisse avoir une signification anodine, alors c’est la facette anodine qu’il croira. Comme ici, le fait qu’elle me dise que se toucher ne veut rien dire de sexuel, ou le fait qu’elle soit déjà en couple. 

Conditionnement 7: Croire que toute fille sous l’influence de l’alcool devient incapable de savoir si elle veut vraiment coucher avec un gars ou non.  Par conséquent, un gars qui couche avec une fille qui a bu, c’est un violeur.  Et ça, c’est la dernière chose dont je veux avoir l’air, auprès des filles, et auprès de la loi, surtout que je ne le suis pas. 

Que les sept raisonnement derrière ces sept conditionnements soient pertinents ou non, ça ne change rien au fait que je suis profondément conditionné à y réagir.  À y être triggered, comme on dit aujourd’hui.  À 28 ans, ayant passé les quinze dernières années de ma vie à subir tout ceci à répétition, est-ce difficile à comprendre que le geste d’Océane ait pu me paralyser, me mettant dans un état d’incompréhension totale, au bord de la panique?

Aussitôt, mon cerveau passe en mode 100% Logique.  Ce n’est ni une décision volontaire, ni une manière passive-agressive de faire la leçon à Océane.  C’est quelque chose de totalement inconscient et instinctif.  Un genre de réflexe de survie, qui permet de dissiper la panique qui m’envahit.  Aussi, je n’ai plus besoin de me poser de questions.  Puisque Océane est déjà en couple, et puisqu’elle vient de me convaincre que se toucher entre amis n’a rien de sexuel, mon instinct conditionné ne voit qu’une raison pour expliquer pourquoi elle me tend ses doigts avinés: Elle se fout de ma gueule.  Voulant lui montrer que je ne suis pas dupe, je lui prend la main, et d’un nouveau mouchoir, je lui essuie les doigts.

« Je n’aime pas tellement qu’on se moque moi de la sorte. »

Pour toute réponse, elle se remet les doigts dans le vin et revient me les mettre à portée de la bouche.  Son insistance m’irrite quelque peu.

« Océane… À quoi tu joues? »
« Je ne joue pas! » Me murmure t’elle doucement.

Pendant un court instant, je suis troublé.  Je n’ai que 28 ans, après tout.  Je suis encore un jeune producteur de testostérone.  Et celle-ci fait que je peux sentir mon envie d’elle qui monte à toute vitesse, autant dans ma tête que dans mon pantalon.  A t’elle seulement idée à quel point cette façon d’agir peut être dangereuse?  J’opte pour le lui faire savoir.

« Écoute Océane, arrête ça s’il te plait… Tu ne t’en rends peut-être pas compte mais je… Euh… C’est en train de m’allumer, ce que tu fais là. Si tu veux savoir la vérité, j’ai envie de toi en ce moment.  Mais…  J’ai vraiment pas envie de m’engager dans une relation sérieuse. J’voudrais pas t’en faire accroire.  Tu sais, genre, coucher avec toi, pis te dire après coup que j’veux pas être en couple. J’ai pas envie d’abuser de ta confiance.  Et puis… Et puis, t’as déjà un chum, toi, non? »

Elle soupire comme quelqu’un à qui on fait un reproche et que ça la dérange.

« C’est pas mon chum. »
« Mais quand je t’ai posé la question il y a deux semaines… »
« Je sais que je ne passerai pas ma vie avec lui. C’est juste un copain pour moi. »
« Oui mais là, vous êtes un couple, non? »
« Dans sa tête, oui, je suppose qu’on l’est encore…  Mais dans ma tête, ça fait longtemps que c’est non.  J’ai essayé de casser avec lui le mois passé, au téléphone. Tu sais ce qu’il a fait? Il a pris sa ceinture et il a commencé à s’étrangler à l’autre bout de la ligne en me disant que si je ne voulais plus de lui, alors c’en était fini de sa vie. Je me suis sentie obligée de rester avec lui à cause de ça.  Mais pour moi, ça s’est terminé le jour là. »

Je vois!  Intense, le gars.  Ceci dit, l’explication d’Océane fait du sens.  Avec les filles à problèmes avec qui j’ai sorti par le passé, j’ai subi plus souvent qu’à mon tour le chantage pour éviter une rupture.  Ce que me raconte Océane est donc tout à fait crédible.  Il reste quand même un détail qui me dérange.

« M’ouais…  N’empêche que tu as bu un peu trop ce soir, je ne voudrais pas profiter de la situation pour abuser de toi. »
« Chus pas saoule! »
« Ironiquement, une personne saoule dirait ça, puisqu’elle ne serait pas en état de le savoir. »

« Écoute, oui, ok, j’ai bu.  Juste assez pour me détendre, d’accord.  Mais c’est pas comme si j’allais tomber en dessous de la table.  Il m’en faudrait bien plus que ça »
« Peut-être, mais ça ne change rien au fait que pour ton chum, vous sortez ensemble. Je me met à sa place… J’aimerais pas que ma blonde se trouve en compagnie d’un gars qui se foutrait complètement du fait qu’elle ait un chum. Je n’aimerais pas qu’on me le fasse, donc je ne pourrais pas lui faire ça. »

Mes yeux aperçoivent soudain l’heure sur le micro-ondes sur le comptoir derrière elle.  Surpris, je me confond en excuses.

« OH!  Excuse-moi! »
« De quoi? »
« Y’est déjà neuf heures et demie. Désolé!  C’est de ma faute, je n’ai pas vu le temps passer. »

Pour toute réponse, elle referme les yeux et entrouvre la bouche de nouveau.  Je ne comprends pas.

« Mais qu’est-ce que tu fais? Tu m’as dit que tu devais partir à neuf heures pour aller faire ton devoir, que c’est quelque chose d’urgent, à remettre demain matin… »

Elle ne bouge toujours pas.

Pour les vingt minutes qui suivent, me revoilà dans la confusion la plus totale.  Je lui pose des questions.  Je lui rappelle que c’est elle-même qui m’a dit qu’elle devait partir à cette heure là.  Je lui demande ce qu’elle fait.  Je lui demande ce qu’elle attend de moi.  Rien à faire, elle reste là, sans broncher, impassible, passive, offerte.

Qu’est-ce que je peux avoir envie d’elle.  Si seulement elle était célibataire et à jeun. Mais elle n’est ni l’une ni l’autre.  Si je cède à la tentation, je sais que nous risquons de le regretter tous les deux un jour.  Je ne veux pas que, à cause de moi, elle ne puisse pas remettre son important devoir.  Je ne veux pas la forcer à commettre l’adultère.  Je ne veux pas abuser d’elle, ce qui serait le cas vu son état éthylique.  Je ne veux pas que notre amitié soit gâchée à cause d’une histoire de sexe irréfléchi.  Son amitié compte beaucoup trop pour moi pour que je puisse courir ces risques.

Aussi, en toute bonne conscience, je ne vois qu’un seul chemin à suivre.  Dans un suprême effort de volonté, je décide de mettre fin à cette situation trop nébuleuse pour mon confort moral, dans lequel chaque geste envers elle comporte un risque de commettre une erreur.  Je me lève et me dirige vers le placard d’où je tire nos manteaux.  J’enfile le mien.  Je lui tend le sien et dit:

« Viens, je te raccompagne à l’arrêt d’autobus. »

Elle ne bronche toujours pas.

Cette fois, la situation commence à m’exaspérer. C’est vrai, quoi!  Lorsqu’une fille dit NON à un gars, il faut absolument la respecter­  Par contre, lorsque c’est un gars qui le dit à une fille, elle ne le prend pas au sérieux, et il se fait complètement ignorer.  Or, les deux choses que je déteste le plus au monde, c’est ne pas être pris au sérieux, et me faire ignorer.  Aussi, c’est avec un ton légèrement exaspéré que je lui dis:

« S’il te plaît. Océane…  J’ai pas envie de me fâcher après toi. »

En entendant ces paroles, c’est plutôt elle qui se fâche.  Sortant enfin de son mutisme, elle ouvre les yeux, me regarde et dit avec un évident ton de colère dans la voix:

« Je ne me suis jamais imposée à personne. Si tu veux que je m’en aille, t’as juste à me le dire, je vais m’en aller. »
« Hein?  Euh… Mais non voyons, je n’ai jamais voulu que tu partes.  Mais c’est toi qui m’a dit qu’il fallait que tu… »

Elle m’interrompt en me posant une question qui me déroute un peu:

« Pourquoi est-ce que tu m’as fait venir ici, au juste? »
« Ben, pour savoir ce qui s’est passé au cour d’espagnol que j’ai manqué.  Tu t’souviens pas?  C’est ça que j’ai écrit sur ta case. »
« C’est tout? »
« C’est tout! »

On ne pourra jamais me reprocher d’avoir attiré une amie chez moi sous un faux prétexte dans le but de la sauter. Je les respecte trop pour leur tendre ce genre de piège.  

Océane ne dit rien.  Puis, elle se lève, marche jusqu’à son sac d’école, l’ouvre, en retire ses notes de cours et me les donne.

« Tiens, tu me les rendras au prochain cours. »

Je la remercie et lui donne son manteau.  En l’enfilant, elle dit:

« T’es pas obligé de m’accompagner à l’arrêt de bus. »
« Pas de problème, ça va, ça me tente. Et puis, à cette heure ci, tu pourrais l’attendre longtemps. Ça va être moins plate si t’as quelqu’un avec qui parler. »

Je la raccompagne donc à l’arrêt de bus.  En chemin, je ne manque pas de la rassurer en lui disant que si elle avait été célibataire et à jeun, j’aurais été extrêmement heureux d’amener ma relation avec elle au niveau physique.  Je me montre aussi compréhensif que possible.

« Tu sais, tu comptes beaucoup pour moi, et je t’estime beaucoup trop pour te permettre de faire des choses pas correctes à ton chum.  Mais je veux que tu saches que je ne porte pas de jugements contre toi, ok? Tu avais un peu bu, c’est ce qui explique ton écart de conduite.  Mais c’est correct, je comprends. Tu n’as pas à te sentir mal.  Ce sont des choses qui arrivent. »

Elle ne répond rien.  Je suppose qu’elle a honte de son comportement.  Le bus arrive rapidement.  Je lui donne de petits becs sur les joues, et la laisse partir. En regardant le bus s’éloigner et l’amener au métro Angrignon, je me sens fier d’avoir résisté à mes désirs charnels.  En retournant chez moi, je me félicite.

« Quelle chance elle a, cette fille, d’avoir un ami aussi réfléchi et pur que moi.  Ce ne sont pas tous les gars qui auraient su résister à leurs bas instincts comme je viens de le faire.  Je suis heureux d’avoir réussi, par mon abstinence, à sauver notre amitié de la catastrophe dans laquelle elle a bien failli se jeter. »

Je ne faisais pas que le dire.  Je le pensais.  Je le croyais.

Eh oui!

Comment peut-on être encore aussi naïf à 28 ans?

Voici La suite et fin de mon histoire avec Océane.

 

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (2e partie)

Cinq ans se sont écoulés depuis ma mésaventure avec Daniella.  J’ai maintenant 24 ans et j’habite à Montréal, en appartement, seul.  Je travaille comme pâtissier, sur le quart de nuit, dans un Dunkin Donuts.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que le célibat me pèse.  À 24 ans, j’ai une libido qui atteint des sommets inégalés.  Hélas, impossible pour moi d’obtenir le soulagement qui baisserait quelque peu la pression de mes hormones en furie. D’abord, en tant que gars maigre et peu attirant, je n’arrive pas à  trouver une fille voulant être en couple avec moi.  Ensuite, mon salaire aussi maigre que moi ne me permet pas d’en rencontrer une par les moyens classiques qui sont aller dans les bars, m’inscrire à une agence de rencontre, ou bien passer une petite annonce dans un journal. Enfin, nous sommes en 1992, période pré-internet, ce qui signifie que non seulement je n’ai aucune opportunité de rencontrer des inconnues, je n’ai même pas le loisir d’avoir accès à de la porno gratuite, ce qui améliorerait grandement la qualité de mes séances de ménage-à-un. De toutes façons, ce n’est pas comme si j’aurais pu me payer la connexion internet, et encore moins l’ordinateur.

L’avantage de travailler au Dunkin Donuts en tant que pâtissier de nuit, c’est qu’il y a un roulement incessant dans le personnel féminin.  Ce qui est normal quand on y pense. Peu de gens considéreraient comme choix de carrière le fait de servir des clients majoritairement crétins et antisociaux (ce qui décrit bien les BS qui vivent la nuit, surtout ceux qui le font au Dunkin) pour le salaire minimum. Je ne me plaignais pas de la chose, puisque ça faisait que mon stock de blondes potentielles se renouvelait régulièrement.  Hélas, comme j’ai précisé plus haut, je n’ai rien pour faire de moi un gars populaire pour la gent féminine. Côté physique, je suis maigre, faible et pas beau.  Côté finances, une fois tout payé il me reste 9$ par mois. Quant à ma personnalité, eh bien…

En ce beau matin de fin août, peu avant que je termine mon quart de travail, je vois entrer une petite nouvelle dans la cuisine.  Isabelle, de son prénom, avait été embauchée la veille.    Cinq pieds deux, les yeux bleus, blonds cheveux, mince sans pour autant être maigre, son corps est ferme, ses dents sont blanches et droites, et ses seins sont plus volumineux que ceux de la moyenne des filles de sa taille.  Elle travaille de matin, ce qui fait que l’on se voit de trente à quarante-cinq minutes avant mon départ.  C’est suffisant pour apprendre à se connaître quelque peu.

Au bout de deux  mois, Isabelle commence déjà à me faire de petites remarques coquines comme quoi elle me trouve de son goût.  Mais bon, puisqu’elle a déjà un chum, je prends la chose à la blague.  J’ai l’habitude!  Ce n’est pas la première fois qu’une fille me manifeste son sens de l’humour de cette façon.  Depuis aussi loin que mon secondaire I, si une fille est très belle, et qu’elle agit comme si elle est amoureuse folle de moi, et qu’elle le fait seulement lorsqu’on est en public, alors ce n’est jamais autre chose qu’une blague.  Quand tu passes toute ton adolescence à constater que la seule façon pour qu’une belle fille puisse te démontrer de l’intérêt, c’est dans le but de faire rire ses amies, ça ne fait rien de bon pour ton estime de soi.

Je trouve Isabelle intéressante.  Cependant, je suis un soi-disant Bon Gars. Aussi, mes bonnes valeurs morales et mon désir de rester irréprochable me dictent un code de conduite exemplaire, comme en témoignent ces extraits de mon journal personnel de l’époque:

Mercredi 14 octobre 1992: C’est le lancement des mini-donuts au Métropolis.  J’y vois entre autres Isabelle, une sympathique collègue de travail pseudo-vicieuse.  Je me demande parfois si ses jokes de sexe et ses sous-entendus ne sont vraiment que des jokes, ou bien si tout n’est pas vraiment rose dans sa vie de couple.  À moins, tout simplement, qu’elle me trouve de son goût?  Théorie intéressante quoi que improbable, et plutôt que de faire un fou de moi en y croyant, j’ai opté pour la retraite stratégique, c’est à dire que j’ai sacré l’camp du Métropolis alors que le party commençait vraiment.  Ben quoi, elle a un chum, non?

L’idée derrière ma décision de partir tôt du party, c’est que je ne voulais pas prendre le risque de céder à la tentation si jamais elle continuait à me draguer, cette fois en contexte de sortie en gang dans un bar, plutôt qu’en milieu de travail, là où il ne peut rien se passer. Il n’y a peut-être pas grand chose entre Isabelle et moi, mais le peu qu’il y a, j’y tiens.  Je ne veux pas mettre notre amitié en danger en faisant quelque chose qui pourrait tout gâcher.  Et puis, pour les raisons mentionnées quelques paragraphes plus haut, j’ai toujours trouvé difficile à croire qu’une fille belle et intelligente puisse vraiment s’intéresser à moi.  Je préfère être méfiant.

Samedi 24 octobre 1992: C’est bizarre, je sens qu’il pourrait se passer quelque chose entre Isabelle et moi […] Et pourtant, elle aussi a un chum.  Et moi, les filles qui ont un chum, j’y touche PAS!

Je ne peux nier que je ressens de l’attirance pour elle et je crois bien qu’elle le sent malgré ma retenue.  Aussi, le matin du jeudi 29 octobre, je décide de l’inviter à dîner chez moi après son quart de travail.  Nous pourrons parler et ça va me permettre de mieux savoir où est-ce que nous nous situons au juste dans notre relation.  Elle semble ravie de mon invitation et me dit que l’idée de passer du temps avec moi hors du travail lui plaît, mais qu’elle n’est pas sûre de son emploi du temps aujourd’hui.  Le mieux serait que je lui revienne là-dessus le lendemain.  J’accepte!  Hélas, le jour suivant..:

    Vendredi 30 octobre 1992:  À la fin de [mon quart de travail], j’ai espéré en vain de voir Isabelle.  En vain parce qu’elle est arrivée en retard au Dunkin. (Si elle y est allée).  Moi, j’ai sacré l’camp de là à 6:25.  Je me demande…  J’adore sa compagnie et je crois que je peux peut-être oser croire la chose presque réciproque, mais…  ELLE A UN CHUM, BON! Ch’ra aussi ben de l’oublier.  Anyway, la vie m’a montré que quand quelque chose semble trop beau pour être vrai, c’est que c’est trop beau pour être vrai… Et elle, elle est très belle.

Oui, en écrivant ces précédentes lignes dans mon journal, je crois qu’Isabelle est arrivée délibérément en retard au travail afin de me faire faux bond.  Ce ne serait pas la première fois qu’une fille préfère m’éviter plutôt que d’avoir le cran de me refuser en face une proposition, et là encore ce ne sera pas la dernière.  Aussi, c’est avec grande surprise que le lendemain…:

Samedi 31 octobre 1992:  Isabelle est venue dîner chez moi et m’a révélé qu’elle a trompé son chum vendredi soir avec un gars nommé Sébastien.  Je trouve ça quand même épouvantablement frustrant que des gars qui, comme moi, ont des principes qui les empêchent de s’engager avec une fille qui a un chum sont LOSER alors que des vilains garçons comme ce Sébastien se retrouvent avec des perles comme Isabelle.

Avec les années, j’ai fini par comprendre qu’en me racontant cette anecdote (qui était d’ailleurs possiblement fausse), Isabelle me lançait en sous-entendu le message comme quoi le fait qu’elle ait un chum ne devrait pas m’empêcher de répondre positivement aux avances qu’elle me faisait depuis quelques semaines. 

Mais voilà, en tant que soi-disant-Bon-Gars-irréprochable, je ne le voyais pas de cette façon.  Ce que je n’ai pas dis dans mon journal, c’est que cette vantardise de sa part m’a profondément blessé.  Je croyais que cette attirance que l’on avait l’un pour l’autre était exclusive, et que l’on pourrait éventuellement y donner libre cours dès qu’elle se déciderait enfin à quitter son chum actuel qui, manifestement, n’a plus ce qu’il faut pour éveiller son intérêt.  Maintenant qu’elle m’a parlé de son aventure avec ce Sébastien, je réalise que je m’étais fait des idées à son sujet.  Isabelle n’est qu’une infidèle qui ne quittera jamais son chum.  Ce n’est pas ça que je veux d’une relation.  Je me lève de table et la regarde.  D’une voix calme et grave, je lui dis:

MOI: J’peux pas croire que je me suis trompé sur ton compte à ce point-là.  Si ça t’déranges pas, j’aimerais mieux que tu t’en ailles.
ISABELLE: T’es-tu sérieux?
MOI: Oui! Je suis désolé mais dans de telles conditions, je ne peux pas continuer à être ami avec toi.

Complètement abasourdie par mes paroles, sans avoir trop l’air de comprendre ce qui se passe, Isabelle se lève. Je la reconduit à la porte, je la lui ouvre.  Elle s’arrête et me regarde.

ELLE: Mais pourquoi est-ce que tu m’as demandé de venir ici, d’abord?
MOI: Ben, pour diner!?

Elle reste là, immobile pendant quelques secondes, comme si elle avait du mal à comprendre mes mots.  Puis, elle part et je referme doucement derrière elle.  Après avoir verrouillé la porte, je pousse un soupir de déception. J’aurais dû me douter qu’une fille aussi parfaite à tous les points de vue ne pourrait pas vraiment tomber en amour avec un gars comme moi.  Pour ces filles-là, je n’ai pas ce qu’il faut pour être leurs chum, je suis tout juste bon pour tromper leur chums. Et de toutes façons, est-ce que je voudrais être le chum d’une infidèle? Parce qu’il est évident dans ma tête de soi-disant Bon Gars que si elle le tromperait avec moi, alors elle me tromperait avec un autre.

Apparemment, ma réaction l’a affectée plus que je ne l’aurais imaginé parce que plus jamais je ne reverrai Isabelle.  À mon retour au Dunkin, j’apprendrai qu’elle a donné sa démission.

Je me suis rendu compte, quelques années plus tard, que ma réaction digne d’une dramatique théâtrale avait de quoi surprendre. Dire à une fille qui nous attire « Je suis désolé mais dans de telles conditions, je ne peux pas continuer à être ami avec toi », parce que son comportement n’est pas pur et irréprochable à 100%, c’est le genre de chose que l’on peut voir dans les romans, à la télé ou au cinéma. Dans la vraie vie, par contre, on ne s’attend pas à ça, et surtout pas de la part d’un gars de 24 ans, pauvre, maigre, laid, dépendant affectif, en manque de sexe et ayant un boulot minable dans un quartier de BS. Mais quand, comme moi, on a vécu une enfance et une adolescence isolée des autres, alors les romans, la télé et le cinéma sont les seuls endroits où l’on peut apprendre comment se comporter en société et dans nos relations avec les autres.

Alors si en plus on essaye d’avoir le comportement le plus irréprochable possible parce qu’on est un soi-disant bon gars, les rares filles qui s’intéressent à nous n’ont pas fini de se trouver dans des situations aussi aberrantes que celles-là.

Et quand je dis qu’elles n’ont pas fini, c’est que j’avais encore ce comportement à 28 ans.

À SUIVRE

Comment le fait d’être un Bon Gars a ruiné ma vie sociale, amoureuse et sexuelle (1e partie)

Saviez-vous que l’une des raisons pourquoi une bonne partie des soi-disant Bon Gars (alias Nice Guys) ne font vraiment pas de bons amoureux et/ou amants, c’est qu’ils sont trop à l’écoute des filles? Eh oui!  Le tout commence très tôt, à l’adolescence, alors que le garçon vit à répétition la situation semblable :

  • Le garçon n’a rien pour plaire à ce qui sert de standards à une jeune fille de son âge.
  • Le garçon, d’une façon quelconque, démontre son attirance pour la fille.
  • Le garçon ne plait pas à la fille.
  • Les raisons pourquoi le gars ne plait pas à la filles ne sont pas socialement acceptables (Pas beau, pas riche, pas athlétique, etc) ou bien insultantes (Ennuyant, idiot, etc).
  •  Comme tout le monde, la fille tient à éviter le conflit, autant que possible.  Alors, au lieu de lui dire la vraie raison de son rejet, elle lui sert une raison socialement acceptable: Déjà en amour avec un autre, pas de sexe sans être amoureuse, ses parents et sa religion lui empêchent toute relation, etc.
  • Le garçon, qui cherche absolument à plaire et à mettre fin à son célibat un jour, tire une leçon et prend en note mentale ce que lui dit la fille, et ajuste sa mentalité et son comportement envers les filles en se basant là-dessus.

… Mais le problème, c’est que plus il se fait rejeter par des filles qui lui servent diverses raisons socialement et/ou moralement acceptables, et plus le gars est conditionné à croire que les filles dans leur ensemble ont un comportement parfait, comportement parfait qu’elles exigent de la part des garçons.  Et c’est ainsi que le garçon commence sa vie adulte avec une idée erronée de ce que sont les filles, et surtout de ce qu’elles désirent. 

Pendant ce temps-là, les filles prennent de l’âge, de l’expérience de vie et de la maturité.  Leurs standards en choix de garçons cessent d’être influencés par Disney et Jersey Shore [remplacez ce dernier exemple par quelque chose de plus moderne si vous lisez cet article après 2013] et descendent à un niveau normal et réaliste.  On se retrouve donc avec le cas classique du soi-disant Bon Gars qui ne comprends rien aux filles, malgré le fait qu’il est à leur écoute dans le but de justement les comprendre.

Un des trucs qu’il y a de bien d’être un auteur dans l’âme depuis l’adolescence, c’est que j’écris pratiquement tout ce qui m’arrive, et ce depuis toujours.  Et puisque j’ai longtemps été un soi-disant Bon Gars, justement à force de vivre les étapes décrites plus haut, je possède encore des textes de l’époque que l’on peut voir aujourd’hui comme étant un témoignage de ce qui se passe dans leur tête.  En voici un qui décrit une anecdote que j’ai vécu à l’âge de 19 ans:

C’est au Collège Dawson que j’ai rencontré Daniella, petite, menue, délicate et toute mignonne, avec cette voix qui, bien que plus aiguë que la normale, était tout de même mélodieuse.  Elle adorait les bandes dessinées que je faisais, bien qu’elle ne comprenait pas trop puisqu’elle était unilingue anglaise. À chaque fois que l’on se voyait, on se rapprochait de plus en plus l’un de l’autre. Côté musical, elle n’aime qu’un seul groupe et c’est les Beatles. Le jour où elle m’apprend ça, en revenant de Dawson, je passe chez Sam The Record Man et j’achète la compilations THE BEATLES 20 greatest hits. Je les écoute en pensant à elle et en me conditionnant à aimer cette musique, histoire d’avoir un bon point commun avec elle.

Un jour, décidant de mettre à profit mes talents en dessin dans un but purement séducteur, j’ai pris quelques photos d’elle et j’ai fait son portrait en noir et blanc, utilisant encre et mine. Je pousse la chose à mettre le tout dans un cadre sous verre, et je lui donne. Sa réaction est allée bien au-delà de mes espérances. Elle était tellement surprise et ravie que pendant une demi-heure, elle avait les larmes aux yeux et ne cessait de me serrer contre elle en me remerciant, allant jusqu’à me donner tout plein de bisous, et certains sur la bouche. Elle montrait fièrement son portrait à tout l’monde, ne manquant pas de vanter mes mérites.

Puis, elle me dit qu’elle trouvait tellement extraordinaire que j’ai pris le temps de faire ça pour elle alors que nous ne sommes rien d’autres que des amis. Que je suis vraiment un ami extraordinaire.

« Ami » ? M’ouais! Voilà qui me fait déchanter un peu. Malgré tout, dans les jours qui suivent, je lui montre des signes de plus en plus évident de mon attirance pour elle. Malheureusement, elle finit par m’apprendre qu’elle est mariée.  Eh oui !  Comme le faisaient bien des cégépiens dans ce temps là, elle s’était mariée civilement afin d’obtenir de plus gros montant de prêts et bourses d’études. Elle disait bien que le gars n’était rien d’autre qu’un ami et coloc pour elle, et qu’ils divorceront à la fin de leurs études, mais que lui prenait la chose très au sérieux et que tant qu’ils ne seraient pas divorcés il prendrait mal qu’elle ait une autre relation.

Lorsque je lui dis que j’ai été induit en erreur à cause de toutes les fois où elle me touchait, j’apprends que, au cégep, les choses ne sont pas comme je suis habitué. Au cégep, les gens sont plus rapprochés, plus ouverts les uns envers les autres. Ils se touchent et se cajolent, non pas par amour ou désir sexuel mais bien parce qu’ils sont chaleureux. C’est en effet très différent de mon univers. Je ne sais pas si c’est à cause que c’est comme ça dans ce cégep en particulier, ou le fait que je vienne de St-Hilaire où les gens ne se touchent pas si ce n’est pas dans un but intime, mais bon.

Étant de nature naïve, je me suis montré compréhensif… Jusqu’à ce que j’apprenne par mon ami Carl une semaine plus tard qu’elle trippait ben raide sur Benny, guitariste d’un band de garage. Voyant que son mariage qui semblait interdire notre relation n’entrait étrangement pas en ligne de compte quand il s’agissait de Benny, j’ai compris qu’elle n’avait pas été assez honnête pour me dire qu’elle n’était pas intéressée à moi. Ça m’a pas mal frustré sur le coup, mais puisqu’elle restait amicale avec moi, je me suis dit que puisque de ce côté là ça allait, ce serait inutile de gâcher tout.

Me trouver une job de laveur de vaisselle fit que j’ai éventuellement cessé de fréquenter Dawson, et Daniella par la même occasion.

Plusieurs mois plus tard, vers février à 11:30 du soir, le téléphone sonne. C’était Daniella. Surpris mais ravi par son appel, je jase avec, et on parle de tout et de rien, mais surtout de ce que nous avons fait ces derniers mois. Elle m’apprend qu’elle habite seule, qu’elle est divorcée et qu’elle travaille comme bibliothécaire.

Et puis, comme ça, au détour d’une conversation, elle me demande si je voudrais bien aller passer la nuit chez elle. Elle me rajoute «As a friend!». (En tant qu’amis, pour les malenglophonants)   Je lui dis que j’en serais ravi, mais qu’alors il vaut mieux que l’on raccroche car le dernier bus vers Montréal passe dans une vingtaine de minutes. Je prends son adresse en note, je mets le papier dans ma poche, je me prépare en vitesse et je pars.

Daniella habite dans un petit 1½ dans un grand bloc à Montréal près du métro Mc Gill. Il est 1:30 am lorsque je sonne à son appartement. Elle m’ouvre, j’entre et je monte.

Elle m’accueille, toujours aussi mignonne et souriante qu’avant. Or, bien que je la trouve très attirante, il y a longtemps que je me suis fait une raison à son sujet. Anyway, elle a pris la peine de préciser «As a friend!», alors c’est sûr qu’elle ne me voit pas comme étant autre chose qu’un ami.

On parle et jase de toutes sortes d’affaires jusqu’à 4 heures du matin. On se dit qu’il serait peut-être temps de dormir maintenant.

Comme je disais, elle habite dans un 1½, donc tout se trouve dans la même pièce. Son lit double est situé en face du fauteuil du salon. Sans même que je me pose la question, il était très clair dans ma tête que j’allais dormir sur le fauteuil. Aussi, je suis très surpris lorsqu’elle me dit que je peux partager son lit. En fait, je me sens très honoré par cette marque de confiance. Tellement de gars pourraient voir en ça une invitation à s’essayer sexuellement avec elle.  Je suis content qu’elle sait que je ne suis pas comme ça.

Et on se couche. Elle est en chemise de nuit. Moi, Je suis torse nu, sans mes bas, mais j’ai gardé mes pantalons. Nous sommes couchés sur le côté, faisant face tous les deux à la fenêtre, et je suis derrière elle. J’ai un sérieux coup de barre. Aussi, je commence à m’endormir presque immédiatement. Là, elle me dit un truc. Je lui réponds et on échange 2 ou 3 phrases. Puis, je me sens sombrer de nouveau. Là encore, elle me reparle. Elle me fait le coup 2-3 autres fois comme ça. Puis, elle tourne la tête vers moi et me dit :

– Aren’t you gonna kiss me goodnite ?

Un bisou de bonne nuit ? Pourquoi pas. Je me rapproche, je lui donne un bec sur la joue, je lui souhaite bonne nuit et je me recouche. Au moment où je sombre de nouveau dans le sommeil, elle me demande si je veux bien me rapprocher et me serrer contre elle.

Fiou! Heureusement qu’elle m’a déjà fait remarquer que les cégépiens sont calins et chaleureux sans que ça veuille dire quoi que ce soit. Je me rapproche donc et la colle. Je passe mon bras autour de sa taille. Malheureusement, le mental et le physique, c’est deux. Bien que je savais que jamais il ne se passerait quelque chose avec elle, ce contact physique fut suffisant pour me donner une érection (Ben quoi? J’avais dix-neuf ans.  On s’érige à rien à cet âge là.) Un peu gêné, je me décolle doucement le bassin de ses fesses. La dernière chose que je veux, c’est qu’elle se rende compte que Popaul est au garde-à-vous, elle le prendrait sûrement mal. Je lui dis alors bonne nuit et je commence à sombrer dans le sommeil.

Trois ou quatre minutes plus tard, elle se lève en furie et débarque du lit. Surpris et à moitié abruti par le sommeil, je lui demande ce qui ne va pas. D’un ton impatient, elle me dit :

– Why do you think I asked you to come here ?

Oh fuck !  À ses paroles, je comprends que je n’ai pas du tout saisi la raison pour laquelle elle m’a demandé de venir ici. J’en arrive à la seule conclusion logique : Puisqu’elle m’a demandé de venir ici as a friend, j’ai dû accidentellement dire ou faire un geste déplacé qui lui fait penser que je désire plus que ça de sa part, et ça la choque. Je lui bafouille donc mes excuses en chaîne, je lui dis que je suis désolé si j’ai eu un geste déplacé mais je ne m’en étais vraiment pas rendu compte. Je lui demande de bien m’excuser et la rassure que puisqu’elle m’a dit d’être là as a friend seulement, jamais je n’ai eu l’intention d’aller plus loin.

Après m’avoir écouté, elle reste silencieuse. Puis elle me tend les bras. Je l’approche et on s’enlace. Je suis content de voir que peu importe que j’aie pu faire de pas correct, elle semble m’avoir pardonné. Elle relève la tête vers moi.

– Kiss me !

Je lui donne donc un petit bec amical sur le front, pour lui prouver que j’ai bien compris. C’est que ce n’est pas facile, en anglais. Nous, les francophones, selon le genre de baiser, on dit embrasser ou bien donner un bec, ou un bisou. En anglais, il n’y a que le mot kiss. Aussi, je suis fier qu’elle m’ait, par ce test, donné l’occasion de lui montrer que je comprends et respecte parfaitement ses limites.  Elle pousse un long soupir, que je suppose être de soulagement ou de fatigue. Puis elle me lâche et retourne se coucher. Je la suis. Je me couche à côté d’elle, cette fois en lui tournant le dos, pour être certain de lui enlever la peur qu’elle semble avoir comme quoi je la désire sans son consentement. On s’endort sans mot dire.

Le lendemain, du réveil jusqu’à mon départ vers midi, elle m’a fait l’air bête tout le long, évitant de me regarder et de me parler. Plutôt étrange !

Moins d’une semaine plus tard, Carl me rapportait qu’elle racontait dans tout le collège à quel point j’étais un pauvre con vraiment pas déniaisé qui n’est même pas capable de comprendre quand une fille s’offre à lui.

BEN FUCK, LÀ, TSÉ ! Comment voulez-vous que je puisse comprendre ce qu’elle voulait dire si ses paroles entraient en contradiction avec ses gestes ? Non mais ça s’peux-tu !? Les filles sont vraiment des contradictions ambulantes! D’abord ça va se plaindre que les gars n’écoutent pas ce qu’elles leur disent, et ensuite elles gueulent contre eux justement parce qu’ils l’ont fait.  Décidément, je ne comprendrai jamais rien aux filles.

On pourrait être porté à dire que j’étais encore jeune, donc que mon inexpérience de la vie, et surtout des relations interpersonnelles, explique mon erreur et surtout ma naïveté.  Mais là n’est pas le problème.  Il se situe plutôt dans les cinq points suivants:

1 ) Écouter scrupuleusement tout ce que les filles disent et tout prendre au pied de la lettre. C’est que le soi-disant Bon Gars est tellement désespéré de plaire à une fille qu’il va prendre la moindre parcelle d’information au sujet de celle-ci afin de lui plaire, ou du moins de ne pas lui déplaire.  Ici, lorsqu’elle m’a dit d’aller passer la nuit avec elle as a friend, dans ma tête c’était coulé dans l’acier que ça allait être as a friend et absolument rien de plus.  La seule chose qui aurait pu changer mon comportement avec elle, ça aurait été qu’elle me dise en paroles directes et claires qu’elle me voulait en tant que partenaire sexuel.  Et ceci, c’est à cause du point 2 qui est:

2 ) Perdre totalement confiance en son instinct et en ses capacité d’interpréter les signes.  Normal.  À force de se faire dire qu’il a mal compris les gestes des autres à son égard, un gars finit par conclure que les gestes ne veulent jamais rien dire, qu’ils ne comportent aucun message. Il cesse alors d’y porter la moindre attention. Ici, n’importe qui aurait compris que de se faire inviter à venir passer la nuit avec une fille que l’on n’a pas vu depuis quelques mois, se faire inviter à la coller au lit, et surtout se faire demander de l’embrasser, il n’y avait pas plus clair comme message.  Hélas, tant qu’existe la moindre ambiguïté, la moindre parcelle infinitésimalement minuscule comme quoi un geste ou une parole puisse avoir une signification anodine, alors c’est la facette anodine qu’il croira. Comme ici, dans les différentes significations possibles du mot kiss lorsqu’elle me demande de l’embrasser. Et ça, c’est à cause que:

3 ) Il y a de grandes chances que le Soi-disant Bon Gars ait déjà été « testé » par des filles.
Lorsqu’une fille cherche à prendre ses distance avec un gars, mais qu’elle n’arrive pas à trouver une bonne raison de le faire, il arrive parfois qu’elle use de cet hypocrite stratagème: Elle lui demande son avis sur un truc, attend sa réponse, et prétend ensuite qu’en fait, elle lui passait un test.  Elle dit ensuite être tellement en désaccord avec sa réponse qu’elle se voit obligée de mettre de la distance entre eux.   

Par deux fois, avant ma nuit as a friend, il m’est arrivé que des filles avec qui je n’étais qu’ami me demandent si elle me plaisent, si j’aimerais sortir avec elles.  Voyant là une chance d’être en couple, j’attrapais à deux mains la perche qu’elles me tendaient, leur déclarant mon intérêt à être plus qu’amis.  C’est là qu’elles me répondaient de manière sèche et distante quelque chose dans le sens de: « Je vois! C’était juste un test que je te passais. Je voulais voir si tu étais sincère quand tu disais que tu ne ressentais rien de plus que de l’amitié pour moi.  Maintenant, je vois que tu me mentais.  Désolé, mais de savoir que tu m’aimes sans que ce soit réciproque, ça me rend mal à l’aise.  Dans de telles conditions, j’aimerais mieux que l’on cesse de se voir. »  À force de se faire tendre ce genre de piège, un gars finit par développer la phobie suivante:

4 ) Craindre que la fille s’imagine qu’il ne veut d’elle que du sexe.  Voilà pourquoi Il fait tellement d’effort, se conditionne depuis tellement longtemps à s’auto-castrer, afin de devenir le gars parfait… Sauf que dans la tête du soi-disant bon gars, être parfait, ça signifie être le plus irréprochable possible. Ici, oui, Daniella me plaisait, et oui j’espérais toujours que notre relation d’amitié monte au stade d’amoureux et/ou amants. Sauf que, dans ma tête, il était logique de croire que jamais elle ne me donnerait ma chance de le devenir si je ne lui démontre pas d’abord que je sais tenir ma place en tant qu’ami. Donc, que lorsqu’elle me dit quelque chose, je l’écoute!  Je savais par expérience que me montrer des signes d’intérêt, ça pouvait être un test.  Je savais par expérience que me poser des questions, ça pouvait être un test.  Alors la seule chose qui aurait pu me faire passer de simple ami à amoureux et/ou amant, c’eut été qu’elle me l’affirme clairement, directement, en paroles autant qu’en gestes.  

Et enfin, la plus grande erreur de toute, et celle la plus répandue chez les soi-disant Bons Gars:

5 ) Prendre les filles non pas par cas individuel, mais bien dans leur ensemble. C’est exactement ce que mon dernier paragraphe démontre. Dans ma tête, toutes les filles sont semblables, elles s’expriment toutes de la même façon,  et désirent toutes le même comportement parfait et irréprochable de la part des gars. …et dès que l’une d’elle a un comportement qui me semble contradictoire à leurs paroles, alors là elles sont TOUTES des contradictions ambulantes.

Et non, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’était pas un comportement passif-agressif d’un gars qui cherche à se venger des filles en se comportant en gars irréprochable à l’extrême, en poussant la chose à la limite du caricatural, par frustration d’avoir été plusieurs fois rejeté par des excuses bidon.  C’était une sincère tentative de comprendre les filles en leur donnant ce qu’elles veulent. Et c’est de ça que je parle, quand je dis que les soi-disant Bons Gars ne font pas de bons amoureux. Parce que dans leur désir de plaire, ils ont un comportement qui sabote tout.  Mais comme ils sont sincère dans leurs efforts et leur incompréhension, il leur est impossible de s’en rendre compte, et ainsi de changer.

 Et le plus grand problème avec un comportement acquis au cours de plusieurs années de conditionnement, c’est que ça reste en soi longtemps. Ici, j’avais 19 ans.  Me croiriez-vous si je vous disais que j’étais tout aussi naïf à 24 ans?

À SUIVRE