Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (7e partie)

Je descends du bus qui me ramène près des résidences étudiantes où j’habite. Cet après-midi de printemps 1997 a beau être ensoleillé, mon humeur est sombre.  Mon âme est imprégnée d’une frustration sans bornes. Toutes mes pensées vont dans le même sens, soit la constatation que la société fonctionne sur des standards aberrants, dans lesquels le respect ne va qu’aux salauds, les récompenses ne vont qu’aux fauteurs de trouble, tandis que les gens irréprochables ne reçoivent que mépris, et que les bons gars se font toujours rejeter.  Je viens d’en avoir la preuve flagrante: Durant les trois dernières semaines, pour autant que le boss le sache, Allen a laissé son désir de vengeance le pousser à gâcher toute la réserve de brioches, à lui mentir au sujet de mon dossier judiciaire, à entrainer la serveuse à lui mentir au sujet de mon diplôme, et à lui causer pour près de $700.00 en pure pertes.  Et qui est-ce que le boss a flanqué à la porte pour ça? Moi, contre qui il n’a aucune preuve d’avoir quoi que ce soit à reprocher.

Depuis le début de cette (més)aventure, j’utilise le method acting popularisé dans les années 50 par mes idoles du moment, Dean et Brando: Sans pour autant croire moi-même à mes propre mensonges, je sais très bien que je n’arriverai à convaincre personne de ma sincérité si je n’agis pas comme si c’était vrai.  Voilà pourquoi je vis à plein la réalité de cette situation, et que je ressens les émotions de rage et de frustration qui viennent avec.  Techniquement, Allen n’est pas vraiment coupable de tout ça, puisque ce sont les fruits de mes propres manigances.  N’empêche que ça, ils ne le savent pas, alors du point de vue du boss, il est indéniable que je suis innocent et que Allen est coupable. Donc, c’est tout comme. Par conséquent, le fait que ce soit moi et non lui qui ai été renvoyé, c’est inacceptable. C’est un congédiement abusif!  Ou, ce que dans le jargon légal on appelle un congédiement sans cause juste et suffisante.

… Et si c’est un congédiement abusif, ça vaut dire que je suis dans mon droit de déposer plainte.  À peine suis-je entré chez moi, je m’empare du téléphone et appuie sur le zéro.  Je demande, reçois et prends en note le numéro de la Commission des Normes du Travail du Québec.

Tandis que je compose leur numéro, j’ai comme un doute sur le bien fondé de ce que je m’apprête à faire.  Est-ce que je ne vais pas un peu trop loin avec toute cette histoire?  Est-ce que le patron du Dunkin mérite vraiment de se retrouver avec une poursuite judiciaire de ma part alors que, dans le fond, il n’a jamais eu rien à voir dans ma guerre contre Allen?  Ma frustration a tôt fait de balayer ces considérations.  D’abord en me répétant que c’est exactement ce que je devrais faire si la situation était réelle.  Et puis, j’ai réussi à pousser Allen à démontrer de ses véritables traits de caractères négatifs,  tels le fait qu’il provoque les employés avec son arrogance, qu’il est prêt à faire n’importe quoi pour mettre les autres dans le trouble, qu’il n’hésite pas à mentir, et qu’il devient potentiellement violent dès qu’il est frustré.  Ça aurait dû compter pour quelque chose.  Hélas, le boss a choisi de prendre le parti d’Allen.  Il a choisi d’approuver ses agissements immoraux et illégaux, et par conséquent d’en devenir le complice.  C’était à lui de ne pas le faire.  Il n’aura personne d’autre que lui-même à blâmer pour les problèmes que ses mauvais choix lui auront rapportés.

L’employé de la Commission me dit deux choses qui s’avèrent décevantes. La première: Si c’est vrai qu’Allen m’a fait des menaces de voies de faits, ce n’est pas un cas de normes du travail mais bien de Justice.  Si je veux intenter quoi que ce soit contre lui, il faudrait que ce soit en Cour.  Hélas, même si ce fut devant témoin, le témoin en question est également celui contre qui je cherche à porter plainte aux Normes du Travail.  Il serait donc très étonnant qu’il coopère en disant la vérité contre Allen pour me rendre service.

Ensuite, si je dépose plainte contre le boss, il y aura enquête, sauf que mes dires seront très difficile à prouver.  Ce sera un cas de ma parole contre la sienne.  Et même si je gagne, oui, il devra payer une amende.  … Sauf que ce n’est pas à moi qu’il devra la verser, mais bien aux Normes du Travail.  Eh oui, c’est moi qui a tout subi, et c’est eux qui s’emparent de toute compensation qui devrait moralement me revenir.  Tout ce qu’ils peuvent faire pour moi, c’est forcer le patron à me reprendre à son emploi.

Le problème, c’est que je ne veux pas retourner travailler là.  Je n’ai jamais voulu travailler là.  Je le dis depuis le début, que je considère que de travailler dans un Dunkin, ça équivaut pour moi à une régression morale, sociale et intellectuelle, et que je n’y étais que parce que je n’avais pas le choix, parce que j’attendais mieux.  Je raccroche, totalement désabusé, déçu de ce système impuissant à m’aider à obtenir justice.

Pour me consoler, je décide qu’il est temps que je cesse de faire comme si.  Je  me dis qu’au moins, puisque tout n’était que manigances de ma part, je ne suis pas vraiment victime.  Qu’au moins, j’ai réussi à démontrer à Allen et au boss que leurs positions ne les rendaient pas intouchables.  Et que si quelqu’un comme moi, un petit moins que rien à leurs yeux, a réussi à leur causer des ennuis moraux, financiers et matériels pendant trois semaines, sans qu’ils puissent prouver quoi que ce soit contre moi, c’est qu’au bout du compte, ce sont eux, les losers.  Et puis, j’étais trop bien pour cet endroit.  Il est évident qu’une place qui se complait à n’accueillir que délinquants, incultes, inéduqués et criminels, ça se retrouve désemparé face à quelqu’un comme moi, honnête, intelligent, diplômé.  Je vaux beaucoup mieux qu’eux, employés tout comme patrons.

… Ou du moins, c’est ce que j’essaye très fort de me convaincre moi-même.  Hélas, tout mes efforts pour m’en faire accroire ne peuvent tout à fait taire ma conscience qui connait la vérité.  Et cette vérité, c’est que, peu importe comment je retourne la situation afin de me faire bien paraître, ça ne change rien aux faits.  Et ces faits sont:

Allen ne s’est jamais trompé dans sa commande. C’est moi qui suis allé dans son bureau lui voler une feuille de commande et qui l’a refaite en y mettant délibérément une erreur.  S’il a fallu que je fabrique moi-même de toute pièce une preuve de son incompétence, c’est bien la preuve qu’au contraire il n’a jamais été incompétent à son travail.

Ce n’est pas Allen qui a choisi de gâcher la réserve de brioches afin de me faire paraitre mal aux yeux du boss. C’est l’inverse, parce que c’est moi qui voulait tirer profit de démolir sa réputation. Une des définitions du vol, c’est de prendre quelque chose qui ne nous appartient pas et l’enlever à son propriétaire légitime pour notre propre profit.  Dans cette optique, ce que j’ai fait avec les brioches, c’est du vol.

Et la partie la plus difficile à reconnaitre pour mon orgueil: Ça signifie qu’Allen avait raison à mon sujet, depuis le début, lorsqu’il a dit que si je m’obstinais à lui mentir à ce point-là pour quelque chose d’aussi anodin que se laver les mains, alors j’avais ce qu’il faut pour être un voleur.  J’ai beau me défendre en me disant que c’est son attitude qui m’a provoqué, qui m’a poussé à faire de ses paroles une prophétie auto-réalisatrice, n’empêche que je ne l’aurais pas fait si je n’avais pas eu en moi le potentiel d’en être un.

Lorsque quelqu’un est trop loser pour accumuler les réussites, il compense en se montrant le plus irréprochable possible.  Pour ces gens-là, le pire affront que tu puisse leur faire, c’est d’avoir raison en leur faisant un reproche.  C’est mon cas!  Pour mon Ego, me faire reprocher par Allen de ne pas m’être lavé les mains alors que j’avais vraiment négligé de me laver les mains, c’était un crime de sa part.  Un crime qui demandait les pires punitions.  Un crime qui justifie de  faire passer Allen pour un incompétent, qui justifie que je falsifie sa feuille de commande, qui justifie que je gâche toute la réserve de brioches, qui justifie de mettre en péril sa relation avec le patron, qui justifie de brouiller sa relation avec son amante, qui justifie de manipuler le boss à lui faire perdre son emploi, qui justifie que notre boss se retrouve à être celui qui doit assumer les coûts des dommages collatéraux de cette guerre que je m’acharnais à mener contre Allen, et non l’inverse. Qui justifie même que je cause des problèmes au Dunkin pouvant obliger le boss à fermer boutique, et à donner un casier judiciaire à Allen qui le suivra toute sa vie.  Tout ça parce qu’il a commis le crime d’avoir eu raison en disant que je ne me suis pas lavé les mains. C’est dire à quel point mon sens de l’auto-importance pouvait être démesuré.

Et la plus grande ironie, c’est que j »ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen pour un incompétent alors que c’était moi l’incompétent.  J’ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen pour un hypocrite alors que c’était moi l’hypocrite. J’ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen pour la source de conflit alors que c’était moi la source de conflit.  J’ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen comme étant celui qui a causé pour $700.00 de pertes au commerce, alors que c’était moi qui a causé ces pertes.  J’ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen pour un harceleur alors que c’était moi les harcelait, autant Allen que le boss, même si c’était de façon aussi subtile que détournée.  Et surtout, j’ai mis beaucoup d’efforts à faire passer Allen pour un menteur alors que c’était moi le menteur.

D’accord, sur ce dernier point, oui, Allen a menti, lorsqu’il m’a dit qu’il avait vérifié mon diplôme auprès de la commission scolaire.  Mais voilà, son mensonge était un coup de bluff dans le but de sauver le commerce.  Tandis que dans mon cas, mes mensonges étaient dans le but d’y causer des problèmes.  On peut donc comprendre pourquoi le seul et unique mensonge d’Allen était plus acceptable que tous les miens.

Les bullies, ces grosses brutes lâches, s’attaquent toujours aux innocents plus petits et plus faibles qu’eux.  Mais moi, en m’attaquant à Allen, l’assistant gérant, le Warrior de la crise d’Oka, le gros musclé à forte personnalité devant qui tout le monde s’écrase, je tirais grande vanité à être un justicier fort et courageux. Mais dans les faits, cette aventure m’a plutôt mis à jour ma propre lâcheté.  Parce qu’au lieu d’affronter Allen moi-même, j’ai préféré manipuler son supérieur hiérarchique à le punir.  Et puisqu’il n’avait aucune raison de le faire, je lui en ai fabriqué, des raisons, en m’arrangeant pour lui faire perdre de l’argent.  C’est ça que je considère comme étant de la justice?

Et ça, ça veut dire que le patron a eu raison de me renvoyer. Parce que dans les faits, le seul et unique coupable, c’est moi.  Ça n’a jamais été Allen ni personne d’autre. Dans de telles conditions, comment est-ce que je peux encore affirmer que je vaux mieux que tous les criminels inéduqués à son emploi?  Aucun d’entre eux n’a jamais réussi à lui créer autant de problèmes et à lui coûter autant d’argent que moi.

D’accord, Allen est arrogant.  Mais depuis quand est-ce un crime? Si j’avais mis autant d’efforts dans mon travail que j’en ai mis dans ma tentative de saboter le sien, j’aurais probablement pu monter en grade par mes propres mérites.  Il n’y a pas de mal à tenter de se faire valoir.  Sauf que, quand la seule façon que l’on choisit pour le faire, ce n’est pas en se montrant meilleur que les autres mais bien en tentant de prouver par tous les moyens que les autres sont pires que soi, ça en dit long sur ce que l’on vaut vraiment à nos propres yeux.  Je suppose que, histoire de compenser ou par réflexe de survie, plus notre estime de soi est basse, et plus on veut se prouver le contraire à chaque occasion qui passe.  Ça expliquerait pourquoi j’attachais une importance aussi capitale au fait que je ne voulais pas qu’Allen me prenne en défaut d’incompétence, même quand cette incompétence était une chose aussi anodine qu’un lavage de mains.

Et depuis quand est-ce que mon but est de monter en grade au Dunkin?  Je n’ai jamais voulu la place d’Allen.  Je voulais juste qu’il la perde.  Pas vraiment les meilleures motivations pour réussir dans la vie.

C’est ce que j’appelle le paradoxe du soi-disant bon gars.  C’est ne pas hésiter à poser les gestes les plus négatifs, commettre les actes les plus aberrants, les plus malhonnêtes, les plus cruels, dans le but de démontrer aux autres à quel point l’on est parfait, irréprochable et bon.

Ce qui démontre que, dans le fond, que ce soit en société comme au travail, en amitié comme en amour, le pire des gars qui soit, c’est trop souvent le soi-disant bon gars.

Et voilà pourquoi j’ai si longtemps fait comme si ces trois mois de ma vie ne s’étaient jamais produit. Parce que, durant cette courte période de mon existence, tout ce que j’ai fait, c’est démontrer ma vraie nature, soit susceptible, orgueilleux, prétentieux, menteur, hypocrite, revanchard, lâche, manipulateur, voleur, comploteur, fomenteur, et surtout égocentrique à la limite du sociopathe. C’est une chose de changer pour le mieux, c’en est une autre de reconnaître que l’on a d’abord été aussi pire.

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (6e partie)

Bien que je suis surpris de m’être ainsi fait prendre, j’arrive néanmoins à improviser à mon patron une explication logique pour tout:

MOI: Au sujet de la feuille de production, c’est tout simple: Je l’ai gardée au cas où on me demanderait des explications, puisque j’avais quelques difficultés à croire que Allen voulait vraiment quinze douzaines de brioches.  Pour ce qui est de la question si j’ai ou non un dossier judiciaire, j’ai déjà travaillé à trois autres Dunkins avant celui-ci.  Puisque le staff a toujours été majoritairement composé de délinquants et de repris de justice, j’ai l’habitude que les gérants me posent la question. C’était donc normal que je m’attende à ce que vous me la posiez, et que je sache quoi vous répondre.  Enfin, pour ce qui est de mon diplôme, c’est tout simplement parce que je n’ai jamais pris la peine d’enlever de mon sac les documents et les CV que je trainais avec moi quand je me cherchais une job, voilà tout!

Le boss me regarde, pas tellement l’air convaincu.

BOSS: T’as toujours réponse à tout, toi, hm?
MOI: Ben là, les faits sont les faits.  Qu’est-ce que je suis supposé vous répondre d’autre?
BOSS: Qu’est-ce que t’es venu faire ici, au juste?

M’être fait mettre en accusation me donne le réflexe de vouloir avoir l’air le plus innocent possible, ce qui influence grandement mes réponses dans la suite de la conversation.

 MOI: Ben, c’est vous qui m’avez convoqué dans votre bureau.
BOSS: Ne me fais pas parler pour rien.  Tu l’sais ce que je veux dire.  Pourquoi t’es ici?
MOI: Ben, c’est vous qui cherchiez un pâtissier, non?
BOSS: Oui! Mais tu pouvais faire application n’importe où.  C’est quoi ton but d’être ici?
MOI: Ben, comme tout l’monde: Pour avoir un salaire, parce que ça prend de l’argent pour payer un loyer pis se nourrir.  C’est pourtant simple.

Le patron ne semble pas dupe de mes faux airs de naïveté, même que ça l’énerve.  Je ne lâche pas mon bout pour autant.

BOSS: Bon, si tu continues à vouloir me faire perdre mon temps à niaiser…
MOI: Ben là, qu’est-ce que vous voulez que je vous réponde? C’est sûr que je pourrais vous dire un truc dans le style de: « Je suis venu travailler dans un Dunkin Donuts parce que mon but dans la vie est de contribuer au monde de la pâtisserie en produisant les meilleurs beignes possibles. »  Je pourrais! Mais ça, ça va sonner aussi faux que si je répondais « Je suis perfectionniste » à la question « Nomme-moi ton pire défaut. »  Parce que soyons franc: Du monde dont le plan de carrière va se limiter à être pâtissier dans un Dunkin, moi personnellement, j’en ai jamais rencontré.  Comprenez-moi, je n’ai rien contre cette job-là! La preuve, c’est que ceci est le 4e Dunkin dans lequel j’ai travaillé.  Alors la seule autre chose que je peux répondre à votre question, c’est « Si je suis venu travailler dans un Dunkin Donuts, c’est parce que j’ai de l’expérience en tant que pâtissier au Dunkin Donuts! »  Si ça ne vous suffit pas, alors pour être parfaitement honnête, je ne sais vraiment pas quoi vous dire de plus pour vous satisfaire.

Avoir l’air innocent en répondant tout sauf ce que la personne veut savoir, il n’y a rien de mieux pour faire passer son interlocuteur pour une personne floue, déraisonnable, voire paranoïaque.  Voyant que le sujet a frappé un cul-de-sac de mon côté, le boss précise sa pensée.

BOSS: Ces dernières semaines, à chaque fois qu’il y a eu un problème dans mon commerce, tu y étais toujours mêlé. Tu comprendras que c’est normal que je me me demande pourquoi.

Une occasion de m’expliquer et ainsi de reporter toute la faute sur Allen et sa personnalité de merde?  Je ne demande pas mieux.  Je lui raconte donc l’incident du savon dans les détails.

MOI: … Et c’est après ça qu’il a commencé à me faire l’air bête, ce qui fait que le lendemain il refusait de me parler quand je lui ai demandé des précisions au sujet du nombre de brioches qu’il m’a demandé de faire.  Et c’est à cause de ça que le stock de brioches a été perdu.  Mais comme il est trop orgueilleux pour reconnaitre quand il est dans l’erreur, il essaye de se revenger.  Il essaye de me causer des problèmes en essayant de vous faire accroire que j’ai un dossier judiciaire, ce qui est faux.  Et puisque c’est faux, il passe pour le menteur qu’il est.  Et puisque son orgueil ne le prends pas, il essaye de vous conter une autre menterie, soit que j’aurais falsifié mon diplôme.
BOSS: Non, justement! Le diplôme, ce n’est pas lui.

Cette réponse était prévisible, aussi l’ais-je prévue.

MOI: Ah non? C’est pas lui qui a essayé de vous faire croire ça? C’est qui d’abord?
BOSS: C’est pas important!
MOI: Ben moi, la seule autre personne que je peux voir qui aurait fait ça, c’est la caissière.  J’veux dire, tout l’monde sait qu’ils couchent ensemble. S’ils sont amants, c’est évident qu’elle dirait n’importe quoi pour l’aider dans ses manigances contre moi.  En tout cas, si vous voulez pas me dire c’est qui, libre à vous.  Mais si c’est vraiment elle, alors on ne peut vraiment pas dire que c’est crédible comme source, puisque c’est la blonde de celui qui ment pour me causer du tort.

Ce n’est pas par hasard si c’est à elle que j’ai choisi de raconter mon histoire de faux diplôme.  Autant il me fallait une personne qui aurait une bonne raison de vouloir me dénoncer au gérant et à son assistant, autant il fallait que cette personne ait une crédibilité que l’on puisse aisément démolir.  Grâce à sa situation d’amante d’Allen, cette fille possédait ces deux critères.

MOI: Donc, dans le fond, le problème que l’on a ici, c’est un assistant-gérant qui est tellement arrogant et orgueilleux qu’il ne peut pas s’empêcher de tout faire pour me créer des problèmes, incluant mentir, ce qui non seulement va a l’encontre de la politique d’emploi ici, ça vous cause des problèmes à vous.  Vous comptez faire quoi avec ça?

Et voilà comment on prends le contrôle de la situation!  En une seule tirade, je passe de suspect qui a à répondre de ses actes, à celui qui est dans son droit de demander des compte. J’ai apporté tellement d’arguments pertinents que le boss n’a pas le choix: Ou bien il est d’accord avec moi, ou bien il passe pour un cave.  La preuve que je l’ai déstabilisé dans sa mauvaise foi, c’est qu’au lieu de me donner une réponse, il pose une question.

BOSS: Tu suggères quoi, là? Que je le mette à la porte et que je te mette à sa place?

Encore dans ma naïve vingtaine, je crois bêtement que son offre est sincère.  J’attrape à deux mains la perche que je crois qu’il me tend.

MOI: Pourquoi pas? Je ne peux certainement pas faire pire que lui a fait ces dernières semaines.

Le boss détourne la tête avec un sourire, comme si je venais de dire une connerie.

BOSS: Est-ce que tu sais faire de la comptabilité?
MOI: Non, mais j’apprends vite.
BOSS: Le simple fait que tu me dises ça démontre que tu n’y connais rien.  Ça prends des années d’études et un diplôme en comptabilité avant de pouvoir s’occuper des finances d’un commerce.  Allen il l’a, lui, ce diplôme.

Bon! Je ne m’attendais pas à ça.  Il revient à la charge.

BOSS: Sinon, est-ce que tu as un véhicule?
MOI: Non!
BOSS: Parce que Allen en a un, lui, et ça lui permet d’aller chercher du stock pour la cuisine quand y’en manque.  As-tu ton permis de conduire, au moins?
MOI: Oui!
BOSS: Un classe 3?
MOI: Non, un classe 5.
BOSS: Ça, ça veut dire que tu ne peux pas conduire le camion de la compagnie.  Autrement dit, tu ne pourras jamais faire de livraisons.  Allen, il peut, lui!

Il est difficile pour mon orgueil de devoir admettre qu’Allen puisse m’être supérieur dans tant de domaines, ce qui le rend plus indispensable que moi dans ce travail.  J’essaye donc de miner son utilité en me basant sur autre chose.

MOI: Et tout ça, ça lui donne le droit d’être arrogant avec les employés, comme il l’a été avec moi avec l’histoire du savon?
BOSS: Il faisait uniquement sa job.  C’est à lui de vérifier si les employés respectent les règles d’hygiène.
MOI: Ouais, les règles d’hygiène qu’il ne respecte même pas lui-même, puisqu’il ne se les avait pas lavées, ses mains, lui.
BOSS: Il n’avait pas à le faire. Allen n’est pas pâtissier, c’est l’assistant gérant. Son travail ne l’amène pas à préparer et manipuler la nourriture, lui.

Oups! Je n’y avais pas pensé, à celle-là!

MOI: Je veux bien croire, mais il n’avait pas d’affaire à essayer de me prendre en défaut en faisant son p’tit baveux avec moi.  Pensez-vous vraiment que c’est une bonne idée, de se mettre les employés à dos avec ses airs supérieurs et son attitude qui fait chier le peuple?

Le boss frappe son bureau, comme si j’avais dit exactement la chose qu’il attendait.

BOSS: OUI, justement! Tu l’as dit toi-même: Au Dunkin, les employés sont majoritairement des délinquants et des repris de justice.  Et crois-moi, ça fait assez longtemps que j’en emploie pour savoir que c’est pas le genre de monde avec qui ils faut rester courtois.  Eux-autres, la politesses, ils voient ça comme une faiblesse.  Il faut leur montrer dès le départ c’est qui les patrons ici, et surtout il faut leur montrer qu’on les a à l’oeil.  Comme ça ils restent à leur place, on évite de se faire mentir, on évite les infractions et on évite les vols. Ce qu’Allen t’as dit et la manière qu’il l’a fait, c’était parfaitement justifié.

Je vois! Les gérants se tiennent entre eux. Très bien alors, frappons donc là où ça fait le plus mal: Dans la poche.  Ou du moins, le portefeuille.

MOI: Et le fait qu’il frustre contre moi de lui avoir démontré que j’étais irréprochable, et que ça le pousse à faire une série de gaffes et à vous dire des menteries à mon sujet, c’est justifié ça aussi?  Combien est-ce que ça vous a coûté, à date, cette guerre qu’il s’acharne à me faire?
BOSS: Je suis content que tu me le demandes. Il y a la perte des brioches qui m’a coûté une beurrée, et là je parle juste du produit brut et non de ce que j’ai perdu en ventes.  Rajoutons l’enquête que j’ai fait faire sur toi à la SQ, qui s’est avérée négative.  Et oui, Allen a insisté pour que j’essaye ensuite auprès de la GRC, au point où il m’a offert de la payer lui-même. Tu peux imaginer sa réaction quand j’ai reçu leur rapport hier, qui était négatif lui aussi.

Je comprends maintenant l’insistance d’Allen à faire comme si je n’étais pas là hier. L’humiliation de voir qu’il se trompait encore une fois à mon sujet, le fait que ça lui a coûté de l’argent, ça a fait qu’il a décidé de ne tout simplement plus s’occuper de moi.  Mais puisque c’est un orgueilleux, il a poussé la chose à l’extrême, en faisant comme si je n’existais pas. Avoir su que c’était pour ça, je n’aurais pas poussé le bouchon encore plus loin avec mon plan de faux diplôme.

BOSS: Fa que, si tu veux le savoir, les dommages collatéraux de votre petite gueguerre se montent à quasiment sept cent dollars.  Et si je parle de dommages collatéraux, c’est parce que celui qui a à payer les pots cassés, ce n’est ni toi ni lui. C’est moi!

En 1997, le salaire minimum au Québec était $6.80. Alors pour connaître le montant des pertes du Dunkin en argent d’aujourd’hui, multipliez le salaire minimum actuel par 100.

MOI: Ben là, regardez, vous avez pu voir vous-même qu’à chaque fois, ces dépenses-là étaient dues à ses erreurs à lui ou à ses menteries à lui.  C’est quand même pas moi qui l’invente. Je ne peux pas non plus dire que c’est moi le responsable alors que je suis innocent depuis le début.

J’ai beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi il semble tant tenir à garder à son emploi une personne que je ne cesse de démontrer, preuve à l’appui, comme étant une source de problèmes, aussi bien parmi les employés que de façon budgétaire.

BOSS: Oh, c’est vrai qu’à première vue, tout t’innocente tout le temps, toi.  En apparences, tu n’es jamais responsable de rien.  Eh bien c’est quand même bizarre, parce que, tu vois, ça fait sept ans qu’Allen travaille pour moi, dont cinq à être mon assistant…  Et jamais, JAMAIS, en ces sept années où je l’ai eu en tant qu’ami et gérant, je n’ai eu le moindre problème avec lui. Mais depuis que tu es là, tout de suite la marde pogne, et tout de suite il agit comme jamais il n’a agi de sa vie.  Bizarre, non? 

AMI?  … Je réalise que de mon point de vue en tant qu’employé relativement nouveau, je n’avais pas vraiment idée de ce que pouvait être leur relation, ni à quel niveau elle se situait, ni depuis combien de temps.  Aussi, je pige dans cette information mon prochain argument, histoire de le déstabiliser.

BOSS: Ah, ok!  Vous êtes amis.  Fa que, c’est pour ça que vous essayez de blâmer la victime plutôt que l’agresseur!?
BOSS:  
Non, mais je pense que t’es assez intelligent pour comprendre à quel point c’est difficile pour moi de croire que tu n’y as jamais été pour rien.

Je ne sais pas du tout quoi répondre à ça. J’essaye néanmoins d’insister sur la carte du c’est-pas-moi-c’est-lui.

MOI: Et même en admettant que ce serait le cas, bien que ça ne l’est pas… Il reste que, à la base, je n’ai jamais rien fait de mal, et que c’est lui, en cherchant à me faire du trouble à moi, qui vous en a causé à vous.
BOSS: Ça ne change rien au fait que, que tu le provoques ou non, vous deux ensemble, c’est un mélange explosif. Tu es la nitro, il est la glycérine.  Sauf que moi, non seulement je n’ai pas à payer pour les dégâts causés par vos explosions, c’est de la glycérine que j’ai besoin, pas de la nitro.

Réalisant ce qu’il est en train de me dire, je prends un air désemparé.  Et cette fois, mon sentiment est bien réel.

MOI: Êtes-vous en train de me dire que c’est moi que vous voulez de renvoyer? Alors que c’est lui qui cause le trouble?
BOSS: Depuis que tu es ici, tu ne travailles pas pour moi, tu travailles contre moi.  Lui, il tient mes employés à l’oeil, il fait ma comptabilité et s’occupe de toutes sortes de choses que tu ne serais jamais capable de faire.  Et avant ton arrivée, il faisait son travail de façon impeccable.  Il me faisait sauver de l’argent au lieu de m’en faire perdre. Toi, tu brasse la marde pour faire ressortir des problèmes, sans jamais m’apporter de solutions. Lui, il applique la solution avant même que les problèmes arrivent. Il me serait difficile de trouver quelqu’un qui sache faire tout ça aussi bien que lui.  Tandis que toi, tu es un simple pâtissier qu’on peut aisément remplacer par n’importe qui.  Alors si je suis obligé de me débarrasser de l’un de vous deux, je pense que tu comprendras pourquoi ça ne pourrait pas être lui.

Alors c’est comme ça que ça se passe?  Peu importe ce que j’amène comme preuves comme quoi Allen est un incompétent, peu importe ce que je fais pour mettre à jour sa personnalité merdique, peu importe comment je le pousse à montrer à quel point c’est un violent et un dangereux, on préfère se débarrasser du dénonciateur de problèmes plutôt que de la source des problèmes?  Cette situation fait monter en moi une amertume qui peut s’entendre dans ma réponse.

MOI: C’est ça! Et vous allez me remplacer par autre délinquant repris de justice, je suppose!?
BOSS: Au moins, avec eux, on sait à quoi s’en tenir. Et ils ont beau être délinquants et repris de justice, y’en a aucun à date qui m’a coûté $700.00 en pure perte.
MOI: Comme ça, ça ne vous dérange pas d’engager des gens qui ont un dossier judiciaire?  Pourtant, vous étiez prêt à me renvoyer si j’en avais eu un.
BOSS: J’ai jamais dit que j’avais quelque chose contre ça.  Tout ce que j’ai dit, c’est que je n’acceptais pas les menteurs, point final.
MOI: Ouais, sauf quand le menteur c’est Allen.

Cette dernière remarque pique quelque peu le boss, qui hausse le ton.

BOSS: Tu sais quoi? Tu as beau te plaindre comme quoi Allen me cause du trouble, Allen est impoli, Allen a une personnalité de marde, Allen c’t’un ci, Allen c’t’un ça…  Mais est-ce tu t’entends parler?  Depuis qu’on jase, là, pas une seule fois je ne t’ai entendu dire quoi que ce soit pour essayer de sauver ta job. Tout ce que tu dis, toutes tes réponses, toutes tes tournures de phrases, c’est toujours rien que pour démontrer que j’ai mauvaise foi, que je suis un menteur, un hypocrite, un visage à deux faces…

Sachant que tout avenir que j’ai pu avoir à ce travail est maintenant compromis pour de bon, je ne vois plus pourquoi je m’empêcherais de lui répondre une bassesse particulièrement mesquine.  Je hausse les épaules, et avec la voix la plus neutre possible, je lui dit:

MOI: Ben là, si le chapeau vous fait…

Le boss ne dit rien.  Il fait une moue et se contente de hocher la tête, exprimant qu’il vient de comprendre qu’il a royalement perdu son temps avec moi à essayer de dialoguer.  Me montrant de la main la direction de la porte, il conclut en disant:

BOSS: Cette conversation, ainsi que ton emploi ici, sont terminés.

Je sors du bureau puis du commerce, et je pars sans regarder en arrière, le coeur plein de rage, de frustration et de sentiment d’injustice.

À CONCLURE.

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (5e partie)

Au Québec, il existe une expression qui dit: « Ça a l’air arrangé avec le gars des vues! »  L’origine de cette phrase remonte probablement aux années 50 alors que les québécois étaient ignorants et peu scolarisés, ce qui avait des répercutions sur leur vocabulaire.  Ainsi, au lieu de dire « Je vais au cinéma voir un film », ils disaient « J’m’en va au théâtre voir une vue! »  Et lorsque dans ces films il y avait une situation invraisemblable ou bien un effet spécial visuel, ils exprimaient leur incrédulité en concluant que ce n’était qu’un trucage réalisé par quelqu’un de l’équipe de tournage. Ils disaient alors: « C’est arrangé avec le gars des vues! »

De nos jours, cette expression est surtout utilisée pour décrire une situation que l’on considère comme étant trop louche pour être honnête.  On n’a aucune façon de pouvoir le prouver, mais on a le fort sentiment que les choses ne sont pas vraiment telles qu’elles en ont l’air.

Cette mise au point étant faite, reprenons le récit:

Comme je m’y attendais, ça n’a pas trainé.  Une heure à peine après le début de mon quart de travail, le grand boss sort de son bureau et vient me rejoindre alors que je prépare les biscuits.

BOSS: Juste une p’tite question comme ça…  Quand tu as rempli le formulaire d’application pour travailler ici, tu as répondu que tu n’avais pas de dossier judiciaire. Est-ce que c’était vrai?

Eh voilà!  Comme prévu, Allen-le-tarla est allé bavasser au boss.  Par conséquent, sa question était prévisible, et de ce fait ma réponse est préparée d’avance. C’est avec entrain que je la lui cite.

MOI: Totalement vrai. Si vous m’croyez pas, je vous autorise à faire une enquête à mon sujet auprès de la SQ et de la GRC. Et je vais même vous proposer un deal: Je suis tellement sûr que mon dossier est vierge que s’il ne l’est pas, vous pourrez me renvoyer sur le champs et je vous permet de garder ma dernière paye et mon 4% pour vous rembourser les frais de l’enquête.  C’est vous dire à quel point j’ai pas peur que vous le vérifiez. Fa que, si vous voulez perdre de l’argent là-dessus, c’est votre choix.  Ça vous va?

Je suppose que le boss ne s’attendait pas à une telle avalanche de bonne volonté et de confiance en soi car il fait de grands yeux surpris et se contente de me dire « Euh… Ok! » avant de me saluer et de partir.  Il y a une raison pourquoi j’ai composé une réponse trop grosse pour avoir l’air d’être autre chose que du bluff: Parce que j’espère qu’il va tomber dans mon piège en relevant mon défi et en payant le gros prix pour s’offrir l’enquête.  Ça lui fera une dépense inutile de plus à mettre sur la faute d’Allen qui sera allé lui raconter un mensonge dans le but de me faire du tort.

Oui, je le reconnais, je peux avoir l’air d’un enfoiré d’agir ainsi, mais je ne peux pas m’en empêcher.  Ceci est la première fois que je manipule quelqu’un, et ce qui rend la chose si grisante c’est que cette personne c’est Allen.  Allen qui a décidé d’être mon ennemi en choisissant de me causer des problèmes à mon travail.  Et non seulement il ne se rend même pas compte que c’est moi qui tire ses ficelles, il est totalement aveugle au fait que je le pousse à se faire du tort lui-même.  Tout ce temps où il pense m’avoir, en fait c’est moi qui le tiens dans ma poigne. Et dès qu’il s’en rendra compte, c’est qu’il sera alors trop tard.  Le mal sera fait. Un mal fait par lui et lui seul.

Je devrais probablement avoir honte. Mais si ce n’est pas le cas, c’est parce que je me sens totalement justifié d’agir ainsi.  Après tout, si ce gars-là ne cherchait pas sans cesse à me prendre en défaut pour me faire du tort, alors il ne poserait pas ces gestes, et n’aurait donc pas à en subir les conséquences.  Mais s’il préfère agir en trou d’cul parce qu’il a une personnalité de merde, alors je m’en lave les mains au Irish Spring.  Ce qui lui arrivera par la suite, il l’aura mérité.

Deux semaines passent et je n’ai aucune idée si le boss a vraiment payé pour faire enquête sur moi ou non.  Allen, lui, continue d’agir envers moi de la façon la plus neutre possible. Au début de la troisième semaine par contre, nouveau changement de comportement: Il m’ignore totalement.  Même qu’à deux reprises, alors que je m’adresse à lui, il feint de ne pas m’entendre et passe tout droit sans me regarder.  Non seulement je trouve ça un peu louche, son manque de tact et de politesse me donne envie de lui redonner une petite leçon.  Dès qu’il est parti chez lui, je passe le reste de mon quart de travail à me demander comment est-ce que je pourrais bien le manipuler à essayer encore de me causer du trouble en se basant sur des choses que je puisse aisément prouver comme étant un autre mensonge de sa part.  le problème, c’est qu’il doit probablement se méfier de moi comme la peste.  Le simple fait qu’il ignore délibérément ma présence  risque de rendre la chose difficile.  Mais bon, j’y vois un défi, et je me fais un plaisir de le relever.

En moins d’une heure, j’ai trouvé le plan parfait.

Le lendemain, au travail, lors de ma pause, je fais un truc que je ne fais jamais d’habitude: Je vais en avant, demander une tasse de café à la caissière, et je commence à lui jaser de choses et d’autres.  Après un moment, j’amène la conversation vers le sujet des études. Elle me dit  qu’elle fait des démarches afin de retourner au cégep.  C’est le moment de mettre en branle ce que j’appelle Opération Désinformation.

MOI: Ah, je t’envie! J’aurais ben aimé ça, aller au cégep.  Malheureusement, j’ai même pas fini mon secondaire.
ELLE: Ah non?
MOI: Eh non!  Mais c’est pas grave, ça fait deux ans que j’ai trouvé le moyen parfait pour faire accroire que j’ai mon secondaire 5.
ELLE: Ah!?
MOI: Tout ce que j’ai eu à faire, c’est d’emprunter son diplôme à un de mes amis pis d’aller en faire une photocopie.
ELLE: T’as un ami qui a le même nom que toi?
MOI: Non, mais c’est pas grave, parce que chus un gars brillant. T’check ben c’que j’ai fait: Sur la photocopie de son diplôme, j’ai découpé et collé une bande de papier blanc sur son nom, sur lequel j’ai ensuite écrit mon nom à moi.  Après ça, tout ce que j’ai eu à  faire, c’est photocopier la photocopie, et voilà: Un diplôme d’études secondaire à mon nom.
ELLE: Mais là, ça doit bien paraitre, que c’est une photocopie.
MOI: Évidemment! Mais personne ne va envoyer son vrai diplôme avec son CV quand il se cherche une job.  Il envoie toujours une photocopie.

De nos jours, avec la paranoïa reliée au vol d’identité, ça ne se fait plus.  Mais il était courant à l’époque qu’un curriculum vitae contienne le numéro d’assurance sociale, le numéro d’assurance maladie et une copie du diplôme affichant notre code permanent au Ministère de l’Éducation.

MOI: Et tu sais pas la meilleure: Mon ami, c’est un espagnol qui s’appelle Silvio Johannès.  Tu sais-tu c’que ça veut dire?
ELLE: Non!
MOI: Ça veut dire que son code permanent commence par JOHS, exactement comme le mien.  Comme ça, j’ai pas eu besoin de le modifier, et personne ne peut voir, en se fiant aux premières lettres, que ce n’est pas vraiment mon code.

Et maintenant, la phrase sur laquelle repose tout le succès de mon plan:

MOI: En tout cas, il ne l’ont pas vu ici quand j’ai fait application.

Sur ce, je regarde l’horloge au mur, déclare que ma pause est finie, et je retourne a la cuisine, à passer les heures suivantes à terminer mon quart de travail.

Voyez-vous, la raison pourquoi je suis allé dire tout ça à la caissière est fort simple: Selon les rumeurs, il semblerait que cette caissière est l’amante d’Allen. Et puisque cette rumeur vient d’Allen lui-même car il ne pouvait pas s’empêcher de s’en vanter, j’en conclus que la source est fiable.  S’ils sont vraiment amants, logiquement, il lui a parlé de moi et des problèmes que je lui ai causé au travail. Il est également logique de croire qu’elle ira assez vite lui répète ce que je viens de dire au sujet de mon diplôme.  Et Allen, dans son prévisible besoin vital de me causer des problème, ne pourra pas s’empêcher d’aller raconter ça au grand boss.  Mais lorsque ce dernier me confrontera à ce sujet, je serai prêt.

Je suppose que les choses se passent exactement telles que je l’ai prévu, car encore une fois, le lendemain, au moment où je rentre travailler, me voilà encore une autre fois convoqué au bureau du grand boss.  Cette fois encore, Allen est là, à ses côtés.  Et cette fois-ci, il semblerait que je ne suis plus invisible à ses yeux.

ALLEN: On a fait une petite recherche à ton sujet.  On a appris que le diplôme que tu nous a donné dans ton CV est un faux.

Je prends mon plus crédible air décourage et je pousse un soupir.

MOI: Franchement, Allen, est-ce que ça t’a fait chier à ce point-là, que j’avais vraiment un savon pour me laver les mains il y a trois semaines, pour que tu t’acharnes comme ça à dire des menteries à mon sujet?
ALLEN: Essaye pas de changer le sujet, ça pognera pas.  On l’sait que ton diplôme est faux.  J’ai vérifié auprès de la commission scolaire, pis le code permanent c’est même pas le tiens. C’est celui d’un italien qui s’appelle Sylvain kek,chose.

Wow! Juste Wow!  Non seulement Allen n’est même pas capable de retenir ses (faux) faits correctement, ce bluff minable prouve définitivement qu’il est lui-même un menteur. Et il est tellement loser qu’il n,est même pas capable de le faire de façon crédible. Décidément, cet Allen est la plus belle crème d’abruti qu’il m’ait été donné de rencontrer. C’est quasiment en ayant pitié de lui que j’ouvre mon sac à dos et que j’en tire mon VRAI diplôme d’études secondaires, que je dépose sur le bureau du boss.

MOI: Dites-moi donc en quoi est-ce que mon diplôme est un faux? C’est bien du papier à filigrane, c’est bien l’étampe du ministère de l’éducation, il porte bien le sceau en relief de la polyvalente où j’ai étudié.  Pensez-vous vraiment que  j’aurais été capable de falsifier un document pareil?

Les deux hommes me regardent, l’air à la fois atterrés mais néanmoins sévère.

MOI: Allez-y, comparez-le avec celui que je vous ai photocopié avec mon CV. Vous verrez bien que c’est exactement le même, incluant mon code permanent.

Je pose mon regard sur Allen.

MOI: Ce qui en revient à dire que quand tu m’as dit que tu avais vérifié auprès de la commission scolaire, c’était encore une autre de tes belles menteries.  Comme celle où tu disais que j’aurais supposément un dossier judiciaire.  Comme celle où tu disais que tu ne m’aurais jamais écrit de faire quinze douzaine de brioches.  C’est bizarre… Tu m’disais pas justement, y’a pas longtemps, que les menteurs, on ne les gardait pas à l’emploi ici? À moins, bien sûr, que ça aussi c’était une autre de tes menteries.

Fou de rage, Allen explose. Il s’approche de moi en gueulant à plein poumons comme quoi il en a plein le cul de mes manigances et de mon petit air de frais chié d’innocent qui mérite juste de recevoir son poing sur la gueule et son pied au cul pour que j’arrête de les faire chier.  Il est tellement parti que j’ai l’impression qu’il va vraiment me frapper.  En panique, le boss se lève, lui met les mains sur les épaules et lui dit de se calmer.

BOSS: Écoute Allen… Il te reste juste deux heures.  Prends-donc le reste de ta journée, ok?

Calmé mais fulminant, Allen s’exécute.  Il part et ferme la porte sans même la claquer.

MOI: Et c’est à un violent comme ça que vous donnez le poste d’assistant gérant? Menaces de voies de faits, et ce devant témoin. Y’en a qui n’ont pas peur de perdre leur job, et leur liberté. Y’a des lois contre ça!
BOSS: Bon, t’as-tu fini, là?

Le ton exaspéré avec lequel le patron me parle me surprend.

BOSS: T’as-tu fini de nous prendre pour des imbéciles?
MOI: Euh… Pardon?
BOSS: Quand on t’accuse de ruiner les douze douzaines de brioches que j’ai en stock, par miracle, tu as la feuille de commande dans ton sac pour prouver que c’est pas de ta faute. En quel honneur est-ce que tu es parti chez toi avec la feuille de commande la veille? En onze ans à être gérant ici, j’ai jamais vu un seul pâtissier faire ça, moi.

Oops! Je ne sais vraiment pas quoi répondre à ça. Il poursuit:

BOSS: Ensuite, que quelqu’un ait un dossier judiciaire ou non, qu’il essaye de le cacher ou non, il va toujours être surpris de se faire demander s’il en a un. Mais toi, tu me réponds du tac au tac, exactement comme si tu le savais que j’allais te le demander. Comment est-ce que quelqu’un qui n’a pas de dossier peut-il à ce point-là s’attendre à se faire poser cette question?
MOI:
BOSS: Et surtout, SURTOUT, répond à cette question si tu en est capable: Quel gars de 28 ans va trainer son diplôme d’études secondaire dans son sac à dos, pour l’avoir à portée de la main exactement au moment où il en a besoin pour s’innocenter, comme si c’était courant de se faire accuser d’avoir falsifié son diplôme? Tu m’excuseras, là, mais ça a pas mal l’air arrangé avec le gars des vues, ton affaire.

Malaise!  Ça a l’air que j’ai pensé à tout, sauf au fait que penser à tout à ce point-là, c’était beaucoup trop louche pour être honnête.

À SUIVRE

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (4e partie)

La semaine s’est terminée sans incident notable, à part pour le fait que Allen a radicalement changé sa façon de s’adresser à moi.  Ou bien il évite de me parler, ou bien il se contente d’être bref, précis et courtois, en me parlant sur un ton tout à fait monotone.  Je suppose que le gérant l’a sermonné sur sa façon de s’adresser à moi, puisque c’est officiellement la raison pour laquelle j’ai « accidentellement » gâché un mois de production de brioches.  Le fait que je l’ai humilié quatre fois cette semaine, la première avec le savon, la seconde en faisant accroire qu’il s’était trompé dans la commande, la troisième en dénonçant son attitude de p’tit frais chié au boss, et la quatrième en faisant passer cette attitude comme étant la seule responsable du gâchis des brioches, ça doit être une torture pour un gars aussi orgueilleux que lui.  Lui qui aime tant se la jouer avec ses airs supérieur, ça doit le ronger solide d’être obligé de me montrer du respect de la sorte.  J’en savoure chaque seconde.

La semaine suivante, comme d’habitude, j’arrive un quart d’heure en avance.  J’entre déposer mon sac dans mon casier, puis je me dirige vers la porte de côté, celle qui mène près des toilettes des clients et des téléphones publics.  Je glisse ma carte d’appel dans la fente d’un appareil et compose le numéro de mon ex.  (Je ne me souviens plus ce que je voulais lui demander, mais ça n’a aucune importance dans ce récit.)  Elle ne répond pas.  Au moment où je viens pour raccrocher, mon regard se pose bêtement sur la porte entrouverte de la cuisine.  Par terre, dans l’espace qu’il y a entre la base de la porte et le plancher, j’aperçois distinctement les souliers d’Allen.

Je n’arrive pas à le croire.  Cet enfoiré m’espionne. Incroyable! Quel manque de maturité.  Non mais sérieux, là, il essaye de faire quoi, au juste? Me surprendre à dire des choses compromettantes sur moi-même à mon interlocuteur?  Pour ensuite les utiliser contre moi auprès du boss?  Comme si j’étais aussi stupide.  Décidément, il ne cesse pas de me sous-estimer.  Il mériterait bien que je lui donne une autre leçon, tiens!

Une nouvelle idée diabolique me vient à l’esprit.  Et pourquoi ne pas lui donner ce qu’il veut de moi, soit des informations compromettantes.  Mais voilà, puisqu’il ne sait pas que je l’ai repéré, il ne sait pas que je suis en parfait contrôle de ce que je m’apprête à dire.   Faisant semblant que j’ai obtenu ma communication, j’improvise à haute voix ce qui suit:

MOI: Salut, l’grand! … Ha ha, très bien merci, pis toi? … Sérieux? … haha, cool! … Bah, pas grand chose, là j’travaille dans un Dunkin depuis un mois et demi. … Beeen oui! … Si j’ai quoi? …  Ha! J’leurs ai pas dit ça, tu penses ben.  … Ah oui, c’est sûr qu’ils m’ont demandé si j’avais un dossier judiciaire.  J’leurs ai menti en pleine face, j’ai dit non!  … Ben non, tsé, c’est pas comme s’ils se donnaient la peine de vérifier.  J’veux dire, l’enquête, c’est pas gratuit, hein?  C’t’évident qu’ils ne la font pas, surtout au roulement de personnel qu’il y a dans une job bas-de-gamme comme celle-là. S’il fallait qu’ils fassent ça avec tout l’monde qui passent icite, ça leur coûterait une fortune. … Haha, mets-en, oui, surtout avec la raison pour laquelle je l’ai, c’te dossier-là.  … Mais r’garde, j’commence dans 3-4 minutes, fa que j’appelais juste pour te suggerer qu’on se voit cette semaine si t’as l,temps. … Ah, oui, ça m’irait c’te jour-là.  … Ok! … Ok! … Ok!  … C’est beau, bye.

Et je raccroche en prenant bien soin de le faire bruyamment.  Aussitôt, les souliers disparaissent de sous la porte.  Un sourire se dessine sur mon visage tandis que je me rends compte de ce que je viens de faire.   Pour la première fois de ma vie, je réalise que quand on prend la peine d’observer les gens, on arrive à se rendre compte que selon leur personnalité, certains stimuli vont les pousser à avoir certains comportements dans certaines situations. Une fois qu’on a compris ça, on peut arriver à manipuler n’importe qui à faire n’importe quoi.  Et dans ce cas précis, je suis en train de manipuler Allen à aller diffuser au patron une information totalement fausse à mon sujet.  Non seulement il va le pousser à payer cher pour une enquête qui se révélera négative, il va passer pour un pauvre hypocrite faiseur de trouble, prêt à inventer n’importe quoi juste pour essayer de me causer des problèmes.

… Sauf qu’en faisant ça, les problèmes, c’est à lui-même qu’il va se les causer.

À SUIVRE

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (3e partie)

Le lendemain dans la journée, comme je m’en doutais, avant même que j’aille travailler, le téléphone sonne plusieurs fois chez moi.  L’afficheur me montre que c’est le Dunkin.  Ce doit être Allen, sinon le grand patron lui-même, pour me demander des comptes.  Aussi je ne répond même pas.  Je préfère attendre au moment où je retournerai travailler pour leur servir de face mon explication préfabriquée.  Ça va laisser à Allen et au boss toute la journée pour se faire des idées.  Ils n’en tomberont que de plus haut.  Surtout Allen.

14:00, j’arrive au Dunkin.  Comme prévu, à peine ais-je mis les pieds dans la place que la caissière me dit d’aller dans le bureau du boss, où Allen m’attend également.  J’y entre et je salue les deux hommes.

MOI: Bonjour! Vous vouliez me voir?
BOSS: Veux-tu bien me dire qu’est-ce qui t’as pris hier?
MOI: Ce qui m’as pris hier?
BOSS: Pour les brioches! La quantité que tu as fait cuire! T’es devenu fou ou quoi?

Voilà le moment de faire valoir mes dons d’acteur. Je me donne un air légèrement gêné et répond:

MOI: Ouain, je sais! La quantité… J’ai bien essayé de faire le nombre que Allen m’a demandé de faire, mais c’est quand même pas d’ma faute si j’en ai manqué.

Pendant deux secondes, ils n’ont pas trop l’air de comprendre ce que j’essaye de dire.

ALLEN: Heille, tu m’niaises-tu, kôlisse! J’t’ai jamais demandé de faire cuire tout notre stock de brioches. Tu t’rends-tu comptes de ce que tu viens de nous coûter?

Tsss… De nous coûter. Il se prends vraiment pour le patron.

MOI: Euh… J’comprends pas! Pourtant, j’ai fait exactement ce que tu m’as demandé, soit 15 douzaines. C’est pas d’ma faute si y’en avait pas assez en stock pour…
ALLEN: Non mais t’es cave en tabarnak! J’t’ai jamais demandé 15 douzaines. Depuis l’temps qu’tu travailles icite, tu l’sais pas encore, que quand l’chiffre est entouré, c’est des unités pis pas des douzaines, crisse d’épais!?
MOI: Ben oui je l’sais. C’est pour ça que j’ai fait des douzaines: Parce que les chiffres n’étaient pas entourés.
ALLEN: Heille, niaise-moé pas! On n’en fait jamais par douzaines, des brioches. Voir si j’aurais oublié d’en entourer les chiffres.
MOI: C’est pourtant c’que t’as fait.
ALLEN: Ah ouain? Elle est où, la feuille de commande? Montre-nous là, pour voir si j’ai vraiment fait ça.

Ça y est, le fruit est mur. C’est le moment de le faire tomber. J’enlève mon sac à dos et l’ouvre. J’y tire ma fausse feuille de commande et la remet directement au grand boss. Voilà le moment de vérité. Que l’un d’eux reconnaisse que ce n’est pas vraiment l’écriture d’Allen et mon plan tombe à l’eau. Mes craintes s’estompent vite en voyant qu’ils n’y voient que du feu. de toutes façons, ils sont trop concentrés sur la colonne des brioches pour regarder ailleurs, colonne dont les chiffres ne sont nullement entourés.

BOSS: Allen…?
ALLEN: Non!? Hostie, non! Ça s’peut pas!?
MOI: Alors? C’est des unités?  Ou alors c’est bien des douzaines qu’il m’a commandé?

Allen m’a tout l’air d’être envahi d’un sentiment que je décrirais comme étant un mélange de panique, d’incrédulité et d’incompréhension.

ALLEN: Non, ça s’peut pas! J’me rappelle parfaitement d’avoir entouré ces chiffres-là hier.
MOI: Ben là, franchement, J’ai quand même pas effacé les cercles, j’pense que ça paraitrait à l’oeil nu.

Les deux hommes, réagissant à mon commentaire, scrutent attentivement la feuille. Mais on voit bien qu’ils n’y trouvent pas la moindre trace. Allen tente de s’en tirer en me faisant partager le blâme de façon totalement farfelue.

ALLEN: Ben là, c’était à toé de penser avec ta tête. On n’en fait jamais, des brioches par douzaines.
BOSS: En effet! T’aurais dû comprendre qu’il y avait une erreur.
MOI: Ah? Parce que ça n’arrive jamais que l’on reçoive une commande spéciale? Comme le mois dernier, où on s’est fait commander vingt douzaines de muffins pour une conférence?
BOSS: Mais enfin, t’as pas pensé à vérifier auprès d’Allen pour voir si la commande était exacte?

Je suis tellement heureux que le boss me pose cette question que je l’embrasserais. Enfin, presque! C’est avec une grande joie, que je m’efforce de cacher, que je lui répond:

MOI: J’ai essayé! Quand j’ai vu la feuille, chuis allé voir Allen pour lui en parler.

Je peux voir le visage d’Allen blêmir. Il se doute bien de ce que je vais dire.

MOI: … J’ai à peine eu le temps de lui dire que j’avais une question au sujet des brioches, qu’il m’a répondu, et je cite: « La feuille est claire, y’a rien à discuter, fais ta job! »

Les deux hommes restent silencieux. Le boss me regarde avec insistance, sans trop avoir l’air de savoir s’il devrait me croire ou non. Aussi, je rajoute:

MOI: Si vous m’croyez pas, demandez à la caissière.  Il m’a dit ça drette devant elle.

Le boss tourne légèrement la tête vers un Allen envahi par la malaise. J’en profite pour y aller pour le coup de grâce:

MOI: Pis quand les livreurs son arrivés, il s’est permis de me rajouter: « Quand j’écris de quoi sur la feuille de commande, c’est parce que je sais de quoi je parle. J’la connais ma job, MOI! »  Qu’est-ce que je suis supposé faire dans ce temps-là, à part suivre sa commande?

Le boss ramène son regard vers la feuille. Après un soupir, il ne trouve rien d’autre à dire que:

BOSS: … Ouain!

Satisfait, je considère que le moment est venu pour que moi aussi je puisse à mon tout demander des comptes.

MOI: Fa que, Allen…  Comme ça, c’est moi qui est cave en tabarnak, ici? C’est moi le crisse d’épais?

Le boss, considérant probablement plus acceptable que son gérant humilie un simple employé plutôt que l’inverse, il intervient d’une voix calme qui reste cependant troublée, en me disant:

BOSS: C’est bon, tu peux aller commencer ton travail.
MOI: Merci!

Je sors du bureau du boss avec un euphorisant sentiment de victoire. Mon plan a réussi sur toute la ligne. J’ai réussi à humilier cet imbécile prétentieux et à le rabaisser aux yeux du grand patron. Et mieux encore: J’ai réussi à lui coller une étiquette d’incompétent de façon tellement parfaite qu’Allen lui-même n’a d’autre choix que d’y croire et de le reconnaitre.  Et la meilleure, c’est que même si Allen suggérais au boss la théorie comme quoi j’aurais refaite la feuille en imitant son écriture, personne ne va le prendre au sérieux.  Ce genre de chose, ce sont des trucs que l’on voit à la télé, au cinéma, dans les romans et les bandes dessinées.  Mais dans la vraie vie, personne ne va jamais se donner la peine de faire quelque chose de si élaboré. Y penser, d’accord, mais le faire pour de vrai? C’est trop poussé pour être crédible.  Et c’est justement ça, ma force: Je pose des gestes qui non seulement assurent ma victoire, ils sont trop caricaturaux pour que l’on m’en croit véritablement coupable. Mon sentiment de winner-isme est indescriptible.  Je me dis à moi-même:

MOI: Tiens, mon estie!  C’est tout ce que tu  mérites, avec ta personnalité de merde.  Que ce soit une leçon: Quand tu vas écoeurer un requin, vient pas brailler après ça si tu te fais mordre.

Maintenant, les choses devraient aller mieux. Pour autant qu’Allen en reste là, bien entendu.

À SUIVRE

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (2e partie)

Je travaille sur l’horaire de soir, c’est à dire de 14 :00 à 22 :00. Allen, lui, qui travaille de jour, part généralement vers 16 :00. Comme d’habitude, en rentrant au Dunkin, je trouve mon ordre de travail du jour sur ma table. Sur celui-ci se trouve la liste des pâtisseries que j’aurai à faire, et en quelle quantité. Mon attention est attirée sur la colonne des brioches, en particulier celle au citron. Je sais qu’il ne reste plus de gélatine au citron depuis la veille. Or, Allen me demande de lui en faire cinq.  Puisqu’il est en avant, à donner quelques instructions à la caissière. Je prends donc ma feuille et je vais le rejoindre afin de lui signaler l’erreur.

MOI : S’cuse, c’t’au sujet des brioches, je…

Sans même se retourner, Allen me répond sur un ton brusque et sec.

ALLEN : La feuille est claire, y’a rien à discuter, fais ta job!

Je me doutais bien qu’il pouvait être encore quelque peu frustré de la façon dont je l’ai humilié la veille.  N’empêche que je ne m’attendais pas à une réponse aussi brusque. Sous le choc, je vire de bord sans mot dire et retourne dans la cuisine.

En posant ma feuille sur ma table de travail, je repasse dans ma tête la scène qui vient de se produire. Sa façon de me parler m’a choqué, voire insulté. Je considère qu’il n’avait pas à me parler de la sorte. C’est un manque flagrant de politesse. Ce qui me console, c’est qu’au moins, quand demain le patron se demandera pourquoi il n’y a pas de brioche au citron, je pourrai lui dire que c’est Allen qui n’a pas vérifié s’il restait de la gelée de citron avant de m’écrire d’en faire. Et je me ferai un plaisir de lui répéter les paroles exactes d’Allen lorsque je lui dirai que j’ai essayé d’aller lui en parler.

Mon bel espoir de vengeance passive-agressive s’effrite en moins de dix minutes, alors que je vois des livreurs entrer avec quelques boites de produits congelés et réfrigérés : De la pâte à biscuits, de la garniture aux fruits pour les beignes fourrés… et de la gelée de citron pour les brioches.  Allen entre dans la cuisine. Voyant que je regarde les livreurs amener les boites, il me dit d’un ton hautain et prétentieux :

ALLEN : Ça répond à ta question? Quand j’écris de quoi sur la feuille de commande, c’est parce que je sais de quoi je parle. J’la connais ma job, moi!

Puis il part ouvrir aux livreurs la porte de la pièce réfrigérée et celle congelée.  J’ai beau faire semblant de rien, intérieurement je sens mon sang bouillir de frustration.  Ces deux choses qu’il m’a dit depuis que je suis rentré me donnent la forte impression qu’il m’a tendu un piège, ou du moins qu’il avait planifié son coup.  C’est comme s’il avait prévu que je saurais qu’il n’y avait plus de gelée de citron, que j’allais remarquer qu’il m’avait quand même commandé des brioches au citron, et que j’allais lui poser la question à ce sujet, et que je le ferais avant que les livreurs passent, lui laissant tout le loisir de me rabaisser de la sorte.  J’ai beau trouver que c’est chercher loin, j’ai beau croire que c’est quasi-impossible à planifier,  je ne peux m’enlever de la tête qu’il m’a tendu un piège.  Et que j’ai foncé dedans la tête baissée. Et surtout, et c’est là que réside la partie qui est la plus insultante de cette situation, ça veut dire qu’à ses yeux, je suis prévisible. De la part d’un détestable prétentieux que je considère comme étant mon inférieur intellectuel, il ne peut pas y avoir plus grande injure.

Et le pire là-dedans, c’est que la seule raison pourquoi il se permet encore une fois traiter d’incompétent en sous-entendu, c’est justement parce que j’ai été assez compétent pour constater que l’absence de la gelée de citron allait m’empêcher de faire les brioches.  Sa manoeuvre pour me discréditer était donc totalement gratuite.  Je ne méritais pas ça.  Ça me frustre tellement que je me jure que ce coup de cochon, il ne l’emportera pas au paradis. Je ne sais pas encore comment, mais une chose est sûre, il va me payer ça.  Je n’ai qu’un seul désir en tête, un seul sentiment, un seul but: Vengeance!

À ce moment-là, depuis aussi longtemps que je m’en souvienne, j’ai toujours été un féroce partisan du principe de la vengeance.  Or, pour moi, une bonne vengeance ne peut pas être synonyme de n’importe quoi.  Pour me satisfaire moralement, celle-ci doit être exercée dans le domaine par lequel l’agresseur a commis le geste fautif. C’est le principe de la loi du Talion, soit œil pour œil, dent pour dent. Dans ce cas-ci, tout ce qu’Allen m’a fait subir, c’était dans le but d’essayer de démontrer que je suis un incompétent à mon travail. L’idéal serait donc que je puisse prouver de façon irréfutable que ce serait plutôt lui l’incompétent. Mais voilà, comment? Tout à l’heure, j’avais le plan parfait, qui aurait consisté à montrer au patron que Allen s’était trompé dans sa commande. Si seulement les livreurs ne s’étaient pas présentés, ça aurait pu fonctionner. J’observe la colonne de commande des brioches, non sans une certaine frustration de voir que ce plan-là n’est plus viable.

Soudain, une idée diabolique me traverse l’esprit. Un coup d’œil rapide du côté des pièces réfrigérées me permet de constater qu’Allen est en train de régler la paperasse des commandes avec les livreurs. Je quitte donc mon poste, je me dirige vers le bureau d’Allen. Sans que personne ne me vois, j’y entre, je repère rapidement la pile de feuille de commande, je m’en prends une et je retourne aussitôt à ma table de travail.  Je dissimule la feuille sous la table, et j’attends patiemment tout en riant d’avance de mon idée.  J’ai la délicieuse impression que je suis un génie du mal.  Je m’en roulerais la moustache si j’en avais une.

Quelques heures plus tard, alors que la majorité de mes collègues sont partis et qu’il ne reste plus que moi dans la cuisine, je met mon plan a exécution.

Tout d’abord, il faut que je vous explique une chose: Sur les feuilles de commandes, lorsqu’il y a un chiffre d’inscrit, comme 1, 2, 3, etc, il s’agit de douzaines. Donc: 1 = Une douzaine, 2 =deux douzaines, 3 = trois douzaines, etc.  Cependant, si le chiffre est entouré d’un cercle, alors il s’agit d’unités: 1 encerclé = un, 2 encerclé = deux, 3 encerclé = trois, etc.  Ainsi, la commande de brioches au citron est un 5 encerclé, c’est à dire de cinq brioches.  Mon plan, dont le but est de faire passer Allen pour un incompétent, est très simple: transformer, dans la commande de brioches, les unités en douzaines, provoquant ainsi un épouvantable gaspillage de nourriture, ce qui lui passera sur le dos.

J’avais d’abord pensé à simplement effacer les cercles sur la feuille de commande originale, mais ça aurait laissé des traces visibles à l’oeil nu.  Voilà pourquoi je suis allé voler une feuille de commande vierge dans le bureau d’Allen: Je planifie de refaire sa feuille de commande en imitant son écriture, en omettant de refaire les cercles autour des chiffres de commande des brioches.  Pour ce faire, j’utilise ma grande maitrise du dessin.  J’ai passé ma vie à imiter des styles de dessin afin de faire des parodies de BD.  Et qu’est-ce que l’écriture, après tout, si ce n’est qu’une forme simplifiée de dessin!?

Après quelques minutes, je compare ma feuille avec celle que m’as préparé Allen.  Mon imitation est parfaite, à ceci près qu’au lieu de 3 brioches à la pomme, 3 au raisin, 4 à la fraise et 5 au citron, soit 15 brioches en tout, ça dit maintenant 15 douzaines… Pour un total de 180, soit au-delà de ce que l’on a en stock.

Pauvre Allen! Il ne sait pas ce qui l’attend.  Et il ne le saura pas avant mon retour au travail demain.

 

À SUIVRE

Les dommages collatéraux de l’auto-importance démesurée (1e partie)

L’histoire qui va suivre, je crois bien que c’est la première fois que je la raconte. Il faut dire que mon orgueil m’a quelque peu poussé à faire comme si ces événements ne s’étaient jamais produits.

Janvier 1997. J’ai 28 ans. Il y a quelques mois, j’ai reçu un avis du cégep comme quoi je n’étais pas accepté pour la session printemps 97. Sans école, je ne peux plus compter sur la bourse étudiante pour me faire vivre. J’ai beau occuper le poste de superviseur des résidences étudiantes, tout ce que ça me rapporte est le téléphone gratuit et une réduction de coût du loyer. J’ai besoin d’un boulot, et vu l’urgence de ma situation je ne peux pas me permettre d’être sélectif. Je me vois donc contraint d’aller dans la seule branche où j’ai de l’expérience : Pâtissier au Dunkin Donuts.

Être de retour au Dunkin après trois ans est pour moi une expérience humiliante, puisque je considère que je vaux mieux que ça. La raison de mon snobisme est simple : Dans les trois Dunkins où j’ai travaillé par le passé, mes collègues pâtissiers entraient tous dans l’une, sinon plusieurs, des catégories suivantes :

  • Repris de justice.
  • Crétins ne possédant rarement plus qu’un secondaire III.
  • Drogués.
  • Saoulons.
  • BS qui ne travaillaient que six mois pendant la saison froide, de façon à avoir tout juste les semaines de travail requises pour se remettre au chômage les six mois de belles saisons.

Étant retourné aux études justement dans le but d’échapper à ce genre de boulot, y revenir ne fait que me rappeler mon échec, me souligner à quel point je suis un minable, me montrer à quel point toute tentative pour améliorer mon sort ne sera jamais pour moi qu’une perte de temps et d’argent. Ça n’a beau n’être qu’une impression qui se montrera erronée avec les années, n’empêche qu’à ce moment-là, j’y crois. Et ça, ça joue sur mon humeur quelque chose de négatif.

À 26 ans, Allen, de son nom, est l’assistant gérant de mon Dunkin, ce qui fait de lui mon supérieur immédiat.  Il représente à ce moment-là tout ce que l’on appellera quelques années plus tard un douchebag. Il est beau, grand, athlétique, et il porte la moustache, ce qui est encore acceptable à cette époque. Il conduit une grosse bagnole de macho dans lequel il s’est bricolé un système de son qui vaut quasiment plus cher que le char lui-même, et ne sort jamais sans la balle de calibre .22 qu’il porte au cou en guise de pendentif. Allen est à demi-Iroquois, vit sur une réserve, et il ne manque jamais de se vanter à qui veut l’entendre qu’il était en première ligne du côté des indiens lors de la crise d’Oka. C’est là qu’il attire l’attention de son interlocuteur sur son pendentif.

ALLEN : C’te balle-là, mon homme, c’est la première que j’ai mis dans mon fusil quand j’étais aux barricades. Comme j’ai pas eu la chance de la tirer, j’m’en suis fait un collier en souvenirs.

À chaque fois qu’il engage une nouvelle pâtissière ou une nouvelle caissière, Allen la choisit en fonction de sa beauté et de son célibat, histoire d’essayer ensuite de les draguer. Quand ça marche, la fille est assurée d’avoir ses fins de semaines de libre en même temps que lui, puisqu’en plus c’est Allen qui s’occupe des horaires.  Autant il se montre charmant avec les filles, autant il se montre chiant avec les gars. Son truc, c’est de toujours essayer de nous prendre en défaut. Au début, ça pouvait passer. C’était majoritairement des questions du genre « As-tu fait tel truc? As-tu oublié tel autre truc? »… Rien que des questions relatives à la qualité du travail. Mais un après-midi du mois de mars, voilà qu’il décide de me prendre comme cible, et ce d’une façon qui démontre parfaitement toute la chianteur de sa personnalité.

Alors que je suis affairé à mélanger 55 lbs de pâte à beignets avec le mélangeur géant, il se rapproche de moi et me demande :

ALLEN : Tu t’es-tu lavé les mains avant de commencer ton shift?

Eh non, je ne m’étais pas lavé les mains.  J’aimerais bien dire qu’il s’agit d’un oubli, mais en vérité il s’agissait de simple négligence. Mais voilà, histoire d’éviter de me faire sermonner par ce grand fendant chiant, je choisis de lui mentir en répondant:

MOI : Oui!
ALLEN : Ah ouain?
MOI : Oui!
ALLEN : Sérieux là? Tu t’es lavé les mains avant de travailler?
MOI : Ben oui!
ALLEN : T’es sûr-sûr-sûr certain, là, tu t’es vraiment lavé les mains?

Bien que je le sais fatiguant, je trouves qu’il insiste un peu plus lourdement que d’habitude. En fait, il a l’air de s’y acharner comme quelqu’un qui connait la vérité. Mais voilà, logiquement, comment aurait-il pu le savoir? Arrivant à la conclusion qu’il essaye juste de m’avoir en bluffant, j’insiste avec calme comme quoi que…

MOI : Oui!
ALLEN : T’es vraiment sûr, certain, positif à 100% que tu t’es lavé les mains pour de vrai, là, avec du savon?
MOI : Sûr, certain, positif à 100%.

Avec un petit sourire triomphant, il s’accote sur le malaxeur et me regarde en disant :

ALLEN : Ben c’est bizarre, ça, parce qu’y’en a pu, de savon, dans la distributrice, depuis hier soir. Fa que, vas-y: Explique-moé donc comment t’as pu faire pour te laver les mains avec du savon puisque y’en a pas, de savon? Hm?

Pendant un court instant, je sens monter en moi le malaise que l’on ressent de s’être fait prendre en flagrant délit de mensonge. Puis, un truc me revient en mémoire, qui me calme instantanément. Il se trouve que, par un très heureux hasard, j’ai justement un demi pain de savon Irish Spring dans mon sac. Je l’avais amené avec moi lorsque je suis allé à la piscine municipale avec mon ex deux semaines plus tôt, et ma nature négligente a fait que je ne l’ai pas encore enlevé de mon sac.

Le fait qu’une de mes négligence est sauvée par une autre négligence me fait sourire.  Et dire qu’il y a encore des abrutis pour affirmer que deux négatifs ne font pas un positif. Je vois en ce hasard un signe du destin comme quoi une main divine vient de me donner la tâche de rabattre ce grand fendant prétentieux. Et cette tâche, c’est avec grande joie que je l’accepte.

MOI : Parce que, voyant hier que, justement, on allait manquer de savon, j’ai pris la peine de m’en amener un.

Incrédule, Allen éclate quasiment de rire dans ma face.

ALLEN : T’essayes-tu vraiment de me faire accrère que tu t’es amené un savon icite?
MOI : J’essaye pas de te faire accroire quoi que ce soit. Tu m’as posé une question, et j’y ai répondu. Libre à toi de me croire ou non.

J’ai fait exprès pour lui donner cette dernière réponse sur un ton snob, quasi méprisant, dans le but de le provoquer. À cet hameçon, il mord à pleines dents.

ALLEN : Ok! Pis là yé où, ton fameux savon?
MOI : C’est vrai qu’y’est fameux, c’est du Irish Spring.
ALLEN : Ben montre-moé lé, ton fameux savon Irish Spring.

En arrêtant la machine, je me tourne vers lui et je le regarde avec un air au visage et un ton de voix qui évoque le fait que j’ai l’impression de m’adresser à un attardé mental.

MOI : Ok… Parce que tu veux vraiment voir mon savon? Sérieux, là?
ALLEN : Que c’est qu’y’a? Ça te poses-tu un problème? Si c’est vrai que t’as un savon, tu devrais pas avoir de troubles à pouvoir me le montrer.
MOI : Voir mon savon… Bah, si tu y tiens. À chacun ses buts dans la vie, je suppose.

Si mes insinuations ont de l’effet sur lui, c’est de le convaincre encore plus que j’essaye de m’en tirer, donc qu’il a raison de ne pas me croire. Je me dirige vers les casiers des employés, suivi de près par Allen qui savoure déjà son triomphe, sûr qu’il est de pouvoir me prendre en flagrant délit de lui mentir.

ALLEN : Tsé, les menteurs icite, on garde pas ça longtemps parmi nos employés. Quand un gars est capable de mentir dans nos faces de façon aussi insistante pour un simple lavage de main, imagine comment y peut nous mentir pour des affaires pas mal plus graves. Tsé, genre, des vols, par exemple.

Mentir comme quoi je me suis lavé les mains ferait de moi un voleur? Wow! Du sophisme à l’état pur. Pour toute réponse, je me contente de prendre mon sac et de l’ouvrir. J’y plonge la main et je fouille quelques secondes. Puis, toujours avec calme, j’en tire la savonnette verte que je lui brandis au visage.

MOI : Tiens! Le v’là, mon savon.  Content, là?

Allen a beau essayer de se donner un air impassible, son silence démontre clairement qu’il ne s’attendait vraiment pas à ce que je lui en produise un pour de vrai.  Aussi, je profite de l’occasion pour me payer sa tête. Je remets ma main dans mon sac et y sort quelques autres items.

MOI : Pis? Y’a-tu d’autres choses que tu veux voir? Mes caleçons, peut-être? Tiens, les v’là. Ah, pis tiens, j’ai un bas sale ici. Y’é beau, hein? Tu veux-tu voir l’autre, ou ben ça va aller comme ça?

Quelque peu piqué dans son orgueil de voir qu’il a fait tout ce cirque alors qu’il était (apparemment) dans l’erreur, Allen pousse une dernière tentative de me discréditer. Hélas pour lui, même s’il tombe dans le vrai,  j’ai l’esprit vif et la réponse cinglante.

ALLEN : Ouain ben ton savon, là… J’trouve qu’y’avait l’air pas mal sec.
MOI : Ben là, franchement, c’est évident je l’ai essuyé pour qu’il sèche avant de le remettre dans mon sac. Penses-tu vraiment que j’mettrais un savon humide dans mon sac avec mon linge pis mes paperasses? Hein, qu’est-ce t’en penses, Sherlock?

Allen reste silencieux quelque secondes, son ego ayant quelques problèmes à (di)gérer le fait que je viens de le ridiculiser en beauté. Aussi, c’est avec une mauvaise foi carabinée qu’il répond :

ALLEN : Ouain! On va dire!

« On va dire »?  Il a là, dans sa face, la preuve que je ne lui mentait pas en disant que j’avais un savon dans mon sac.  Et lui, au lieu de le reconnaitre, il répond « On va dire »?  Tandis qu’il tourne les talons et repart dans la cuisine. Je lui emboite le pas.  Je devrais être satisfait de cette victoire morale fort satisfaisante.  Sauf que sa dernière réplique m’a fortement déplu.  Déjà que Je déteste les gens méprisant, quand ils font en plus preuve de mauvaise foi, ça m’enrage.  ça me donne juste envie de pousser le bouchon encore plus loin pour le faire chier.

MOI :  Pis toi, ton savon, y’é où? À moins que tu me dises que TOI, tu ne te les a pas lavées, tes mains!?

Piqué au vif, il se retourne promptement et me répond avec un ton élevé qui ne cache en rien sa frustration et sa colère.

ALLEN : Heille, pour qui tu t’prends, toé, kôlisse!?

Quoi de mieux dans ce temps-là, pour prouver encore plus que je vaux mieux que lui, que de lui répondre avec calme et logique:

MOI : Moi? Ben, je me prends pour un gars qui a passé les dix dernières minutes à me faire dire à quel point se laver les mains c’est important quand on travaille ici. Pourquoi? J’devrais-tu me prendre pour autre chose?
ALLEN : Chus ton boss, ok!?  Fa que j’ai pas de compte à te rendre.

Sur ce, il tourne les talons et quitte la cuisine, furieux.  Quant à moi, c’est avec un sentiment de triomphe que je retourne à mon malaxeur.  Depuis le temps qu’il nous fait chier avec son attitude de fendant, je crois bien être le premier à lui avoir tenu tête, et surtout le premier à pouvoir se vanter d’avoir eu le dessus sur lui.  En tout cas, j’ai bien l’impression qu’il a eu sa leçon et qu’il va agir autrement avec moi désormais.

À SUIVRE