Prosper, un collègue, travaille jusqu’à 16 :00. Ce jour-là, au lieu de partir chez lui, il est allé au poste de travail de Carolane, qui elle travaille jusqu’à 17 :00. Et je ne sais pas au juste comment la discussion s’est rendue là, mais Prosper a commencé à lui expliquer qu’il ne comprend pas pourquoi La Firme prend le risque d’embaucher des jeunes femmes.
Par exemple, Carolane étant une jeune femme fraîchement sortie de l’université, il est évident qu’elle va un jour trouver mari, fonder une famille, et voudra s’occuper de ses enfants. Donc, La Firme s’expose au risque qu’elle quitte le travail, ou du moins qu’ils aient à lui payer un congé de maternité. Autrement dit, La Firme devra lui verser un salaire pour un travail qu’elle ne fera pas. Dans de telles conditions, il est beaucoup plus avantageux pour La Firme d’embaucher des hommes.
Carolane lui répond alors que ce qu’il dit là, ce ne sont que des fausses valeurs artificielles crées par la société. Et surtout, ce sont des valeurs dépassées, du moins au Canada où nous sommes. Mais il n’en démordait pas.
« Ce n’est pas une question de valeurs. C’est biologique. C’est la nature qui veut ça! »
Et même lorsqu’elle lui répondait que bien des femmes de carrière n’ont aucune intention d’avoir des enfants, il continuait de lui dire que oui, d’accord, peut-être qu’elle est convaincue maintenant qu’elle n’en veut pas. Mais ça ne veut pas dire qu’elle ne changera jamais d’idée.
« Pour l’instant, tu es jeune et tu penses à ta carrière et à ta liberté. C’est normal que tu t’imagines que tu ne voudras jamais d’enfants. Mais le jour où tu vas rencontrer un homme, que vous allez être vraiment amoureux, et que ça va être le bon, c’est évident que vous voudrez fonder une famille. C’est biologique. C’est la nature qui veut ça! »
Peu importe l’argument qu’elle lui donnait, il revenait toujours à la charge, ne démordant pas du fait qu’il se basait sur des faits aussi (bio)logiques que sociaux.

À ses yeux, non seulement La Firme perd son temps et perdra son argent à embaucher une femme, Carolane a également perdu temps et argent à poursuivre ses études.
« À quoi ils vont te servir, tes diplômes, dans ta cuisine, à t’occuper de tes enfants? »
Leur discussion a même attiré l’attention de deux de leurs voisins de table, qui se sont mêlés à la conversation, multipliant par trois le nombre d’employés qui n’étaient plus concentrés sur leur travail. À un moment donné, l’un d’eux essaye de m’y entrainer en me demandant :
« Imagine que tu es patron. À compétence égale, qui est-ce que tu embaucherais? Une femme, qui risque de partir un jour pour maternité, ou un homme? »
J’ai répondu que puisque je ne serai jamais patron, je ne perds pas mon temps à discuter inutilement sur des trucs qui n’arriveront jamais. Leur discussion a donc continué entre eux.
La raison pour laquelle je n’ai pas voulu y prendre part, c’est qu’il y a des sujets pour lesquels peu importe ce que tu dis, tu vas te faire condamner pour ton étroitesse d’esprit. Par exemple, il y a quelques années, j’ai écrit un billet intitulé Ingrid, cinq jours parmi les loups, qui remonte à l’époque où je travaillais à La Boite. Une superbe jeune femme avait rejoint notre département. Cette semaine-là, six des dix-sept hommes du bureau négligeaient le travail pour aller lui parler. Et il y en a même un qui a utilisé illégalement le poste de travail de la réceptionniste pour trouver l’adresse d’Ingrid pour se pointer chez elle sans y avoir été invité. Au bout d’une semaine, n’en pouvant plus, elle a démissionné.
Imaginez le dilemme du patron, maintenant : S’il embauche une femme, ça va distraire les hommes, ce qui fait que la performance de La Boite va tomber en chute libre. Et la Boite va s’exposer à des plaintes pour harcèlement en milieu de travail.
Évidemment, blâmer une femme pour le comportement immoral des hommes, ça ne se fait pas. Alors le patron devra payer pour embaucher des gens pour monter des ateliers de prévention. Il devra y envoyer tous ses employés masculin pendant une heure ou deux. Employés à qui il devra payer cette heure ou deux. Et non seulement ça ne garantit pas que ces hommes vont suivre ces règlements, chaque nouvel employé mâle à partir de ce point n’aura pas passé par cet atelier, il y a donc risque que lui refasse ces comportements contre lesquels il n’a pas été prévenu.
Ou bien, pour s’éviter tous ces ennuis et toutes ces dépenses, il prend la solution la plus simple : Il n’embauche que des hommes. Mais en faisant ça, il est automatiquement sexiste, il s’expose à des plaintes aux Normes du Travail, ce qui signifie enquêtes, réprimandes, amendes, et mauvaise réputation. Voilà ce que je voulais dire, en parlant de situations pour laquelle quoi que l’on fasse, on perd. Et voilà pourquoi j’évite comme la peste ce genre de sujets.
Mais ce soir-là, en revenant chez moi, en y repensant, j’ai trouvé la réponse parfaite à cette question :
On ne verra jamais une femme (et encore moins six femmes en même temps) quitter son poste de travail pour aller draguer un collègue, l’empêchant lui aussi de travailler. On ne verra jamais une femme harceler un nouvel employé jusque chez lui. Et surtout, on ne verra jamais une femme aller au poste de travail d’un homme pour passer plus d’une heure à essayer de le convaincre que sa place n’est pas au travail, mais bien chez lui, à se marier et faire des enfants. Ce comportement est exclusivement masculin. Et c’est ce comportement masculin qui cause tous les problèmes au travail mentionnés plus haut.
Alors à compétence égale, qui est-ce que j’embaucherais entre un homme ou une femme si j’étais patron? La femme, à tout coup, sans la moindre hésitation.
Parce que, d’après ce que j’ai pu constater par moi-même au cours des années, il doit bien y avoir cent fois plus de harcèlement masculin (sexuel ou non) en milieu de travail que de congés de maternité.