Le jour où tout a basculé. (1 de 4)

Jeudi 15 février 2018, 06 :30 am. 
Hier, ma fille ainée est partie en Belgique pour un voyage de cinq semaines.  Elle m’a laissé son auto.

Je m’apprête à sortir de chez moi pour aller travailler.  Je mets mon manteau d’hiver.  D’habitude, je mets mon sac à dos, qui contient mon lunch, mes gants, du linge de rechange et plusieurs cahiers de notes.  Mais  ce matin, je m’en vais prendre place sur un siège de conducteur, alors je garde mon sac à la main.

Je sors dans le corridor commun.  Je verrouille la porte.  Je descends les marches.  Puis, je sors dehors.  Je pose un pied sur la première marche. 

Au moment où je lève l’autre pied, je glisse sur la fine couche de verglas invisible qui recouvre l’escalier. Mon corps bascule.  Mon dos percute le coin de la marche du haut avec tellement de violence que je me fracture la 5e vertèbre, juste entre les omoplates.

Tandis que mon corps couché glisse les huit marches, je suis envahi d’une douleur telle que je n’ai jamais vécu avant.  Je constate avec horreur que je ne respire plus.  Ma poitrine, ma cage thoracique, mes poumons, refusent de bouger. 

Je sais très bien que sans respirer, j’en ai pour quelques secondes avant que le manque d’oxygène me fasse perdre conscience.  Aussi, arrivé en bas des marches, d’un suprême effort qui ne fait qu’amplifier ma douleur, je me redresse sur les genoux.  Mon hurlement de douleur n’est qu’interne, car aucun son ne sort de ma gorge. Je me laisse tomber sur le côté, sur le  banc de neige molle.  Envahi par la nausée, je tourne mon visage vers le bas, la bouche ouverte, histoire de ne pas mourir étouffé si jamais je vomis pendant que je suis inconscient. 

Couché là, paralysé par la douleur, l’inconscience que j’appréhendais n’arrive pas.  Je recommence à respirer par petits coups.  La nausée s’estompe.  La douleur reste.  J’entends des pas pressés qui se rapprochent.  C’est un passant qui m’a vu tomber.  Il s’adresse à moi :

« Êtes-vous correct?  Attendez, j’vais vous aider à vous relever. »

Je panique!  La dernière chose que je veux, c’est que ma blessure s’aggrave parce qu’une personne bien intentionnée me déplace alors que je dois rester immobile.  Toujours incapable de parler, je lui fais violemment signe que non de mon bras libre.  Il n’insiste pas.  

J’essaye de parler.  D’une voix faible, cependant audible, j’arrive à lui dire que non, je préfère rester ici, attendre que la douleur passe, avant de tenter de me relever.  Je vais même lui dire que je ne crois pas m’être brisé quoi que ce soit, j’ai juste besoin de quelques minutes pour que le mal passe.  Il insiste un peu, mais je le rassure qu’il peut me laisser là.  S’il y a de quoi, j’ai mon cellulaire de travail sur moi, je peux appeler ma colocataire, l’ambulance, peu importe, ça va aller.  Il me quitte, non sans me souhaiter bonne chance.

Je reste là, immobile, cinq à dix minutes, tandis que la douleur diminue peu à peu. Je repense à ce qui vient de se passer.  À comment ça s’est passé.  À pourquoi ça s’est passé. Point par point.

  • En cette saison, il fait encore nuit à cette heure-ci. 
  • Il n’y a aucun lampadaire en face de chez moi. 
  • Cette nuit, il a légèrement verglacé. 
  • Un verglas que je ne pouvais pas voir, étant donné qu’il fait nuit et qu’il n’y a aucun lampadaire.
  • D’habitude, je tiens la rampe d’escalier, ce qui m’aurait empêché de tomber.  Mais cette fois ma main tenait mon sac. 
  • D’habitude, je porte mon sac bien rembourré à mon dos, ce qui aurait protégé mes vertèbres.  Mais cette fois je l’avais à la main.
  • Ces deux derniers points, c’est parce que j’avais l’auto de ma fille.

C’est la combinaison de ces sept circonstances, dont quatre inhabituelles, qui se sont enlignées à la perfection de manière à rendre cet accident aussi imprévisible qu’inévitable.  

J’essaye de me redresser, mais la douleur devient trop intense.  J’ai besoin d’aide.  Je prends le cellulaire et j’appelle Flavie qui, chez nous, dans sa chambre dort.  Au bout de quatre sonneries, je tombe sur sa boite vocale.  Je rappelle plusieurs fois.  Même scénario.  Elle ne se réveille pas. 

Sans autre choix, je me redresse péniblement sous une douleur terrible.  Je prends mon sac à dos et je grimpe précautionneusement les marches verglacées, à quatre pattes, tout en tenant fermement la rampe.  J’entre chez moi.  Je vais au salon et je m’étends péniblement sur le fauteuil.  J’y reste durant une vingtaine de minutes.  Réalisant que malgré le temps qui passe, la douleur ne diminue pas, j’appelle au travail, pour leur signaler mon absence.  La première en un an et demi de travail là.  Je passe la journée couché.

Ce n’est que le lendemain, alors que je suis de nouveau assez fort pour me déplacer, que je me rends à l’hôpital.  Vu ma blessure, je passe en priorité et tout se fait très vite.  Et c’est là que les rayons X montrent la gravité de mon état.  Vertèbre T5 fracturée.  Un coup à paralyser un homme, à le rendre paraplégique pour le restant de ses jours.  Moi qui bénéficie d’une si forte densité osseuse que mon poids dépasse de 20 à 25 lbs quiconque ayant un physique similaire au mien, moi qui croyais mon squelette incassable puisque je ne me suis jamais brisé un seul os de ma vie, ça m’a donné un choc.

Et en même temps, c’est probablement grâce à cette densité osseuse exceptionnelle que je m’en tirerai, après quelques mois de convalescence, sans la moindre séquelle.

Si j’avais eu un travail de bureau, j’aurais pu recommencer à travailler le lundi suivant.  Mais je suis concierge.  Un travail très physique.  Je dois donc cesser le boulot, jusqu’à ce que je m’en remette.  Or, m’en remettre, ça peut prendre de trois à six mois.  Peut-être même huit. 

Voilà qui risque de me poser un problème financier.  Ce n’est pas un accident de travail, donc pas de CSST.  De plus, je n’ai pas d’assurance collective au boulot.  On m’explique alors que, pour peu que j’amène un papier du médecin, je peux demander du chômage de congé de maladie. 

Au bureau du chômage, on me dit que l’on va me verser l’équivalent de 51% de mon salaire actuel.  Et avec mes contributions passées au régime d’assurance chômage, j’ai droit à quinze semaines, soit trois mois et trois semaines. 

Bon! Voyons les choses du bon côté.

  • Je suis économe, alors 51% de mon salaire, + l’apport de Flavie pour la moitié des dépenses, ça va garder mes finances stables.
  • Je me demandais justement si j’arriverais à terminer mon album de BD à temps pour le Festival de BD de Québec qui se tient la première semaine d’avril.   Sans travailler, voilà qui règle la question.
  • Surtout que, constates-je, la position assise est ce qui est de plus confortable pour moi. Alors pour ce qui est de dessiner, tout est Ok.
  • Avoir été bien portant, je n’aurais pu être au Festival de BD que la fin de semaine. Maintenant, je peux y être les cinq jours.
  • On ne se le cachera pas, plus de trois mois et demi de congé payé, ça se prend bien, quand même.
  • Dont les cinq premières semaines en possession d’un véhicule, celui de ma fille.

Si ce n’était de la douleur terrible et omniprésente que même les antidouleurs n’arrivent pas à tout à fait maitriser, ce serait parfait.

Enfin, « parfait », c’est un bien grand mot.  Quand, à 49 ans, on a besoin de nos parents pour faire l’épicerie car on ne peut même plus soulever un sac d’emplettes.  Ou quand on est obligé de laisser toutes les tâches du ménage à notre coloc car on ne peut même plus manœuvrer un balai ou faire la vaisselle…  Disons que c’est difficile pour l’orgueil.

Et ce n’est pas tout.  Terminé, le jogging.  Fini, le gym.  Et ce pour au moins un an.  Moi qui travaille fort depuis un an et demi de manière à être dans ma meilleure forme physique pour mes 50 ans qui arriveront en juillet, c’est un peu dur sur le moral.

Mais bon, tout ce qui ne me tue pas ne fait que me rendre plus déterminé à rattraper le coup par la suite.  Il faut juste que je prenne mon mal en patience. 

D’abord, m’en remettre.  Ensuite, m’y remettre.

À SUIVRE

3 réflexions au sujet de « Le jour où tout a basculé. (1 de 4) »

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