Lorsque l’on ressent le besoin vital et éternel de s’occuper de son enfant, la base est de ne jamais le voir comme étant autre chose qu’un enfant. Avec les années, j’ai constaté que tel était le cas de mes deux parents. À ceci près qu’au sujet de ma mère, ça semble être quelque chose d’inné Tandis que pour mon père, ce serait plutôt un comportement acquis. Mais dans un cas comme dans l’autre, effectivement, c’est en gardant son enfant à l’état d’enfant qu’on l’empêche d’entrer dans la vie adulte. Aujourd’hui, parmi les nombreuses expériences à ce sujet qu’ils m’ont fait subir, j’en ai choisi deux, un par parent. Commençons avec ma mère.
J’ai 17 ans et je suis avec ma mère au restaurant Fleur-de-Lys du magasin Zellers des Galeries Saint-Hyacinthe. Ayant donné notre commande à la serveuse, je me lève de table.
« Je reviens, je vais aux toilettes. »
Petit détail à préciser ici : Je n’ai jamais su pourquoi, mais dans ma famille le mot québécois « péteux » a toujours été employé pour désigner le pénis plutôt que le fessier. Aussi, ma mère me répond:
« Fait bien attention pour pas accoter ton péteux sur le bord de la toilette, pour pas pogner de maladies. »
Je la regarde, presque en état aberration devant cette précaution qu’elle me suggère. Ce n’est pas la première fois que je l’entends me dire ça. C’est juste que je ne m’attendais pas à me la faire servir encore à mon âge.
« Euh… Maman? J’ai 17 ans. Je fais cinq pied huit. J’ai ma taille d’adulte. La bol m’arrive en bas des genoux. Il faudrait que je me mette à genoux pour que ça puisse accoter dessus. Et encore! »
C’était la première fois que je constatais que pour ma mère, je ne grandissais pas. Même si ses yeux le voyaient bien, que j’étais arrivé à ma pleine croissance, et même si elle le savait que j’étais six pouces plus grand qu’elle, et sept pouce plus grand que mon père, dans sa tête, j’étais toujours un enfant. Et elle interagissait avec moi comme tel, comme si elle tentait de nous convaincre tous les deux que tel était toujours le cas. Comme si elle niait cette réalité.
Ça aurait pu être une simple erreur. Qui n’en a jamais fait en parlant? Il n’y a pas de quoi virer parano et voir des théories de conspirations dans un simple lapsus. Et en effet, une simple erreur sans signification, c’est ce que j’ai cru à ce moment-là. Malgré le fait qu’il devait bien s’être écoulé plus de douze ans depuis la dernière fois que ma grandeur ait nécessité un tel conseil, j’ai naïvement cru que c’était juste par force de l’habitude. Mais si ce fut la dernière fois qu’elle me l’a dit, son comportement général envers moi n’a jamais changé.
Et maintenant, mon père.
J’ai 20 ans et je me cherche du travail. Dans le journal local L’œil Régional, je trouve une petite annonce d’un endroit qui embauche. Ça n’existe plus maintenant, mais c’était un entrepôt de viande congelée située en bas de la côte Fortier à St-Hilaire. Alors que le salaire minimum est 5$ de l’heure, ils en paient $6.15.
Je saute sur mon vélo et je m’apprête à partir. Mon père, encore sur le BS, est à la maison. Il me demande où je vais. Je lui explique que cet endroit embauche et que je vais y faire application. Il m’offre d’aller m’y reconduire. Je le remercie mais je décline, je suis parfaitement capable d’y aller par mes propres moyens. Il insiste, me disant que c’est loin, qu’il fait froid, que ça va aller plus vite, etc. Devant son insistance, je suis bien obligé d’accepter.
Il m’y reconduit en auto. Il se stationne devant la porte. Je débarque. À ma grande surprise, je le vois débarquer aussi. Je lui demande :
« Pourquoi tu débarques? »
« Moi aussi je me cherche une job. Y’en ont peut-être pour moi aussi. »
Et le voilà qui me suit. J’ouvre la porte et entre. J’arrive vers le patron qui est assis derrière son bureau. Il me demande :
« Est-ce que je peux vous aider? »
Sans me laisser le temps de répondre, mon père lui dit :
« Oui, mon ti-gars, y se cherche une job. Est-ce que vous en auriez une pour lui? »
Le patron m’a regardé comme si j’étais un attardé mental. Et c’est normal. De quoi d’autre est-ce que je pouvais avoir l’air, face à lui? J’étais là, un grand gars de 20 ans, et j’ai mon pôpa avec moi qui vient parler à ma place, pour lui demander une job à ma place, comme si j’étais trop imbécile, à 20 ans, pour être capable de parler pour moi-même.
Et le fait qu’il se cherchait lui-même un emploi, pour justifier le fait qu’il m’a suivi? Bidon! Jamais il ne s’est porté candidat. Il s’est juste contenté de m’infantiliser aux yeux de la direction.
Est-ce que j’ai eu la job? Évidemment que non!
Parce qu’en obtenant cet emploi, j’aurais commencé à être indépendant d’eux financièrement. Ça aurait été la première étape vers mon émancipation. Et à l’époque, je ne me doutais pas que ça allait à l’encontre de leur désir le plus cher. Celui de toujours rester des parents qui s’occupent de leur enfant.
Voilà pourquoi ma mère mettait ses efforts dans le but de me garder enfant à mes propres yeux. Tandis que mon père mettait les siens afin de me garder enfant aux yeux des autres.
À SUIVRE