Mon père a toujours été expert dans l’art de réparer ce qui n’est pas brisé. Ou, plus réaliste, l’art de saboter ce qui fonctionnait bien jusque-là. Son but: Me mettre dans une situation intenable, dans laquelle il vient me sauver.
J’ai 25 ans et j’aménage dans un 4½ au rez-de-chaussée sur la rue Verdun à Verdun. L’appartement contient deux grandes fenêtres de six pieds de large par cinq pieds de haut, qui donnent directement sur la rue. L’une est au salon, et l’autre est dans la chambre à coucher. Les deux dames âgées qui habitaient ici avant moi ont occupé l’appartement pendant vingt ans. En quittant, elles m’ont laissé les deux énormes stores à rouleau opaque qui masquent les fenêtres.
Mes parents sont là et m’aident à déménager. Alors que l’on installe mon lit et mes meubles dans la chambre, mon père observe les pentures qui retiennent le store. Il dit :
« Ça va péter, ça! »
« Quoi donc? », que je demande.
« Les vis sont ben qu’trop petites. Ça tiendra pas! »
Je regarde la penture. Elle est parfaitement collée au mur. Je regarde les vis. Elles sont parfaitement enfoncées dans le mur, sans la moindre trace de tension ou de faiblesse. Je dis :
« Elles sont ben correctes. »
« Un gros store de même, c’est pesant. Ça tiendra pas. »
« Ça a bien tenu pendant vingt ans. Laisse faire! »
« Des p’tites vis de même, ça vaut pas d’la marde. Ça pourra pas tenir un gros store pesant comme ça. Attend! J’en ai, des vraies bonnes vis à plâtre, moé! »
« Mais non! Touche pas à ça! Il est correct, le store je te dis qu’il a tenu là sans bouger pendant les vingt ans que les deux vieilles madames vivaient ici avant moi. »
N’en faisant qu’à sa tête, il installe l’escabeau, décroche le store de ses pentures. Puis, il va chercher ses outils. Après avoir dévissé la penture, il sort de son coffre à outils une grosse vis métallique dentelée de ce modèle.
L’année précédente, j’ai eu à poser deux de ces vis sur le mur d’un ami. Les instructions sur la boite sont claires. Tout d’abord, il faut la planter délicatement avec un marteau, jusqu’à ce que toute la pointe plate disparaisse dans le mur. Ensuite, à l’aide d’un tournevis, tourner délicatement à la main, afin de l’enfoncer doucement dans la plaque de plâtre, sans rien briser.
Aussi, c’est avec horreur que je vois mon père installer la vis au bout de sa perceuse électrique, et presser le tout fortement sur le mur. Je lui dis que ce n’est pas comme ça que l’on pose ce genre de vis. Ma remarque le pique au vif dans son orgueil de menuisier.
« Heille, calice! C’est pas toé qui va m’apprendre comment poser une vis. »
Sur ce, il enfonce la gâchette de la perceuse. Aussitôt, la vis tourne à vitesse folle et des morceaux de plâtres volent au quatre vents. Là où était la penture se trouve maintenant dans le mur un trou gros comme le poing. Mon père reste hébété quelques secondes. Puis, il dit :
« Christ! C’est pas solide icite! »
N’ayant pas avec lui son plâtre ni ses outils à plâtrer, il me dit qu’il repassera le lendemain, un dimanche, pour m’arranger ça. Ce qu’il fit en effet. Or, il fallait laisser au plâtre le temps de sécher avant de tenter de poser de nouveau vis et penture. Et la semaine, il travaillait à temps plein.
Ce qui signifie que les huit premières nuits que j’ai passé à cet appartement, c’était avec la lumière des lampadaires de la rue qui m’arrivaient directement dans les yeux. Et avec les passants qui, du trottoir, pouvaient me voir dormir, pour peu qu’ils étirent le cou dans ma direction.
Tout ça parce qu’il ressentait tellement le besoin de me rendre dépendant de ses services, qu’il a insisté pour réparer quelque chose qui n’était pas défectueux.
Dans le même ordre d’idées. Mon père a exercé deux métiers dans sa vie: cuisinier et menuisier. Savez vous pourquoi j’ai quatre marteaux chez moi? Parce que, en tant que menuisier de la famille, mon père ne pouvait pas s’imaginer que quelqu’un d’autre que lui puisse posséder un marteau. Et surtout pas moi. Alors à chaque fois qu’il s’adonnait à en voir un chez moi, il croyait automatiquement que c’était un des siens que j’avais emprunté sans le lui dire, et il partait avec. Et moi, à chercher en vain mon marteau lorsque j’en avais besoin, je devais me résigner à l’idée de l’avoir égaré, même si je ne voyais aucune raison logique pour expliquer sa disparition, et je devais aller m’en racheter un autre. Jusqu’au jour où, à 46 ans, je constate que trois de mes anciens marteaux étaient chez lui. Avec les années, j’ai constaté que ça ne se limitait pas qu’aux marteaux. À quelques rares exception près, j’ai retrouvé chez lui chaque outil qui a disparu de chez moi de mes 20 à 46 ans.
Du reste, essayer d’acheter un outil au Canadian Tire ou au BMR en sa présence, c’était un exercice pénible. Il s’emparait carrément de l’outil dans mon panier, voire dans mes mains, pour le remettre en rayon, en me disant à chaque coup:
« T’as pas besoin de ça. J’en ai déjà à la maison! »
Oui, sauf que MOI, je n’en ai pas. Mais voilà, avoir mes propres outils, ça signifie ne pas avoir besoin de lui pour mes menus travaux. Chose qui va à l’encontre de son désir de s’imposer chez moi et dans ma vie, dans ce rôle qu’il se donne de bon parent qui vole au secours de son enfant dans le besoin. Un besoin qui n’existerait pas sans ses interventions malvenues.
Et je ne vous raconte pas tous les mets qu’il a gâchés en intervenant de manière non-sollicités parce que, en tant que chef cuisinier, seul lui sait cuisiner. L’exemple le plus récent, arrivé au printemps dernier: J’avais acheté un paquet de ces côtes levées St-Hubert en sauce, tendres et délicieuses, qui ne demandent que 20 minutes au four. Il a ouvert le paquet. Il a rincé les côtes dans l’évier pour en enlever toute la sauce. Il a mis les côtes au four pendant une heure et demie. Et il a passé le repas à se plaindre comme quoi St-Hubert vendait de la semelle de botte qui ne goûte rien. Et il n’a pas manqué, comme il le fait à chaque fois que j’ai le malheur de manger quoi que ce soit qui ne vient pas de lui, de me rappeler que j’aurais eu droit à un bon repas, si seulement c’était lui qui l’avait préparé de A à Z.
Et comme pour les billets précédents, ce ne sont que quelques exemples parmi les trop nombreuses fois où il m’a fait subir semblables situations pendant les trente-trois ans qui se sont écoulées depuis la première fois que je suis parti de chez eux pour commencer ma vie adulte.
À SUIVRE
Je ne veux pas être méchant, mais ton père est un imbécile. J’ai lu beaucoup de tes anciens posts et aussi un roman qui raconte ta jeunesse, il est la définition même de « personne toxique » en plus d’être un pure moron. Je ne sais pas comment tu as fait pour le tolérer aussi longtemps. Personnellement, j’ai rejeté mes parents pour des motifs similaires aux tiens alors que j’avais 35 ans.
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Tu n’es pas méchant. Ce n’est que la triste vérité. Et en effet, mon seul regret, c’est de ne pas avoir coupé les ponts avec mes parents au moins trente ans plus tôt.
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Pour être fair, il est quand même difficile de rejeter ses parents, et ce même si c’est des morons toxiques. Ça demande une certaine force psychologique que peu de gens ont réellement. En ce sens, bravo de l’avoir fait! Vaut mieux tard que jamais!
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