Je parle souvent de gens qui ont de la difficulté dans leurs relations interpersonnelles. Plusieurs facteurs peuvent causer ces problèmes. L’un d’eux est trop souvent le fait qu’ils insistent pour entretenir des relations amicales et amoureuses avec des gens avec qui ils sont très clairement incompatibles. Laissez-moi vous raconter une expérience personnelle qui remonte à l’automne 2003, et dont le dénouement va probablement vous surprendre.
J’avais alors 35 ans. J’étais allé à un petit party entre amis. Par petit, je parle ici d’environs dix personnes. Parmi les invités, il y avait cette fille de 19 ans. Elle venait de terminer le cégep et commençait l’université. Ses sujets favoris étaient le cinéma classique, la littérature et la philosophie. Elle était belle, grande, mince, portait plusieurs couches de vêtements longs et ajustés avec un foulard au cou. Elle avait de beaux grands yeux bleus et de courts cheveux blonds avec une longue mèche rose qui lui passait en diagonale sur le front. Juste par son regard et sa façon de se tenir, elle dégageait une aura qui exprimait un aplomb, une certaine classe et un inébranlable sentiment de confiance en soi. On voyait que c’était le genre de fille qui a une personnalité forte, qui sait s’exprimer et qui n’hésite jamais à le faire. Le genre que, quand tu la regardes, il te vient généralement un mot en tête: Snob!
Sur ce dernier point, je faisais probablement erreur. La preuve : C’est elle qui est venue me parler. Quoique… c’est peut-être justement le fait qu’elle est venue me parler à moi plutôt qu’aux gars de son âge présent au party qui démontrait son snobisme. Après tout, j’étais de 16 ans son ainé, cinéaste amateur, dessinateur et auteur régulièrement publié. Et même si ce n’était que dans Summum et Safarir, j’étais quelqu’un qui vit de son art. Chez les étudiants-artistes, ça inspire une certaine crédibilité. Mais bon, là n’est pas le sujet du billet.
Elle vient donc briser la glace en me demandant depuis combien de temps je connaissais les hôtes du party et dans quelles circonstances je les avait rencontrés. Je lui raconte que c’était à la première d’un film au Cinéma du Parc, lors de la réception post-projection. Je lui parle de mes propres expériences dans ces domaines: Films underground au New Jersey, acting et scénarisation, et le fait que j’étais moi-même auteur. Elle me dit qu’elle sait que je travaille pour Safarir. Je suppose que ce sont nos amis communs qui le lui ont dit. Et c’est là qu’elle commence à me donner son avis au sujet du Safarir d’octobre 2002, un spécial Halloween avec Ozzy Osbourne en couverture, qui se trouve à être le numéro dans lequel j’ai écrit et/ou réalisé le plus de pages durant mes sept ans à leur emploi.
Depuis le temps, je ne me souviens plus trop en détail de ce qu’elle m’a dit ce soir-là. Ce dont je me rappelle cependant, c’est que tous ses commentaires avaient une chose en commun : Aucun n’était positif. Et chaque commentaire venait avec une longue explication du comment et du pourquoi que mes écrits suçaient des bites de cheval. J’étais malgré tout très ouvert à ses commentaires. Mes réponses le montraient bien. Elles étaient toutes dites avec calme et politesse, et allaient dans le style de :
- Vraiment ?
- Hum, c’est possible.
- Tiens!? C’est pourtant vrai!
- Ah, ben tu vois, au départ, la seule vision que j’avais de la chose, c’était que…
- Je n’avais pas vu ça sous cet angle-là. Ça se tient!
Je ne faisais pas que répondre. J’alimentais la conversation. Au bout d’une heure à discuter ainsi, son visage originalement sévère se détend et elle me sourit de plus en plus. Elle me confesse qu’elle me trouve désarmant. En fait, elle est agréablement surprise. Elle se serait attendue à l’une de ces trois réactions de ma part :
- Que je sois sur la défensive en me sentant personnellement attaqué.
- Que je sois renfermé en disant Ben oui, ben oui!, sans pour autant lui accorder de la crédibilité.
- Que je sois sur la justificative, c’est à dire me justifier contre tous les points qu’elle apportait au lieu d’y voir de la pertinence.
Je lui explique donc que j’ai réalisé il y a longtemps que quand j’ai une idée très claire en tête et que je la traduis en texte, il m’est difficile de voir si cette idée est aussi claire pour ceux qui en prennent connaissance pour la première fois en le lisant. Et c’est la raison pour laquelle je suis ouvert aux commentaires, quels qu’ils soient. Parce que si le lecteur n’a pas compris mon message, je considère que ce n’est pas le lecteur qui est cave, mais plutôt que c’est moi qui n’a pas été capable de m’exprimer clairement. Ça signifie que je n’ai pas fait mon travail correctement. Et ça, je n’arriverai jamais à l’améliorer si je n’écoute pas ce que les autres ont à en dire. Elle m’a trouvé admirable d’être aussi ouvert d’esprit.
Au fil de la soirée, nous avons été quelquefois interrompus et séparés lorsque d’autres personnes sont venues nous faire la conversation. Puis, quand vint le temps pour elle de partir, l’un des gars présent lui a demandé son adresse courriel Hotmail / MSN. (En 2003 il n’y avait ni Facebook ni Skype ni texto via cellulaire.) Elle le lui a écrit sur un bout de papier. Puis, se tournant vers moi, papier et crayon à la main, elle me demande :
« Le veux-tu? »
« Non! »
À ma réponse, elle a littéralement figé sous la surprise. Que dis-je ; sous le choc! Je suppose que jamais un gars ne lui avait dit non avant. Et elle devait s’en attendre encore moins de la part d’un homme qui a passé la soirée à se montrer ouvert à sa vision des choses.
Or, l’ouverture d’esprit n’exclut pas la capacité de faire la différence entre un commentaire constructif et une critique sans pertinence. D’accord, ses arguments ne manquaient pas d’une certaine logique qui apportait une justification à ses points. Le problème, c’est que cette justification se basait sur la conviction que son opinion personnelle était le reflet de l’opinion de la population universelle. Ou plus clairement : Il ne lui est jamais venu en tête que des textes et des bandes dessinées traitant de sujets actuels et populaires chez les adolescents ne s’adressaient pas nécessairement à une universitaire de 19 ans fervente de cinéma vintage, de littérature classique et de philosophie. Elle n’a jamais compris que Safarir s’adressait à ses lecteurs et non à ses propres auteurs, donc que ce serait idiot que moi, un homme cultivé dans la mi-trentaine, j’aille y traiter de sujets ne pouvant plaire qu’aux hommes cultivés dans la mi-trentaine. Elle avait pourtant l’intelligence et la logique requise pour s’en rendre compte. Hélas, son premier réflexe a plutôt été d’utiliser son intelligence et sa logique afin de déprécier mon travail plutôt que de le mettre en contexte. Juste sur ce point, ça en dit long sur sa personnalité. Et ça n’en dit rien de bon.
J’ai appris il y a longtemps que des personnes de ce genre-là, tu ne peux rien leur apprendre. Autant ils prétendent que tous ceux qui refusent de les écouter font preuve de mauvaise foi, autant ils refusent de reconnaître qu’ils puissent être eux-mêmes dans l’erreur. Ça fait ses premiers pas dans l’âge adulte et ça croit avoir tout vu, tout vécu, et ça se pense imprégné de sagesse infaillible. Voilà pourquoi, au lieu de perdre mon temps à lui expliquer les points du paragraphe précédent, points qui auraient dû lui être évidents si elle avait eu la sagesse qu’elle prétendait détenir, j’ai préféré ne pas m’obstiner, ne pas la frustrer, et ainsi ne pas apporter une mauvaise ambiance dans le party. Mais de là à vouloir garder le contact au-delà de cette soirée, la marge est large. Voilà pourquoi j’ai décliné son offre.
Après 2-3 secondes de silence dans lequel elle me regarde avec de grands yeux incrédules démontrant qu’elle n’arrive pas à comprendre ce qui se passe, elle me dit :
« Sérieux? »
« Ben là, r’garde… T’as passé la soirée à m’expliquer pourquoi tu n’aimes rien de ce que je fais. Pourquoi est-ce que tu voudrais garder le contact avec un gars comme ça? »
« J’t’ai-tu frustré? »
« Non! Chuis pas fâché, j’t’haïs pas, j’ai rien contre toi. C’est juste qu’on ne vit pas dans le même monde, toi et moi. Je ne dis pas que l’un de nos monde est meilleur ou pire que l’autre. Je dis juste qu’on n’a rien en commun, voilà tout. »
Plus haut dans ce texte, je disais que vous alliez être surpris du dénouement de cette anecdote. Vous vous attendiez probablement à ce que je vous raconte que j’avais dit oui, et que j’avais ensuite vécu une relation misérable avec elle par la suite. Eh bien non! Parce que je n’ai pas eu besoin de la vivre, cette relation, pour savoir que ça allait s’enligner dans cette voie. C’était l’évidence-même. Parlant d’évidence: Sérieux là, tu ne peux pas passer la soirée à démolir tout ce que fait un gars et t’attendre ensuite à ce qu’il en redemande. À moins que le gars soit désespéré. Dans ce temps là, il peut être motivé à garder le contact parce que…
A) Il n’a pas d’amis. C’est pas mon cas, j’en ai. Ce sont ou bien des amis avec qui j’ai plein de points en commun, ou bien des amis totalement différents de moi mais avec qui il y a un respect mutuel, et ce même si nos points de vues divergent sur certains sujets.
B) Il n’a pas de blonde. J’ai ai déjà une. Et même si j’étais célibataire, jamais je n’irais vers le genre de fille qui passe sa première rencontre avec moi à se donner comme mission de prouver systématiquement mon inaptitude.
C) Il n’a pas de vie sexuelle. J’ai ai une. Et même si elle s’était limités à des séances de pilotage manuel, une fille qui exprime clairement qu’elle n’aime rien de ce que je fais, personnellement je ne vois rien de bandant là-dedans.
Alors pourquoi est-ce que j’irais m’accrocher à quelqu’un avec qui je suis clairement incompatible? Pourquoi est-ce que je voudrais me soumettre à une relation qui ne s’enlignait à n’être rien d’autre qu’abusive. Une relation dans laquelle elle n’aurait jamais été satisfaite. Une relation dans lequel elle aurait sans cesse tenté de détruire tout ce qui me constituait afin de le remplacer par des choses qui n’auraient pas été moi.
Il n’y a pas qu’en amour que s’applique le proverbe mieux vaut être seul que mal accompagné. Personne n’a besoin d’une relation de ce genre-là dans sa vie. Ni en amitié, ni en amour.
Bonjour,
Je crois que cette fille avait simplement la grosse tête, et qu’elle en cherchait une autre pour rabaisser ce qu’elle estimait n’être que de la sous-littérature (en rapport à ses centres d’intérêt jugés supérieurs), quelqu’un qu’elle avait peu de chance de trouver parmi les gens de son âge. Rien de très extraordinaire à mon sens. C’est de la part de quelqu’un qui a souvent eu la tentation de la grosse tête (peut-être pas 8624 fois, encore que…) pour avoir la sensation d’exister. Et aussi pour avoir récemment échangé par mail avec une femme croisée sur un site de rencontre pendant un mois dans le style « qu’est-ce qu’on est bien entre intellos dans ce monde de brutes » à 400 km de distance, pas désespéré mais non quelle idée). Cependant, il y a bien des grosses têtes qui ne l’ont pas pour autant.
En tout cas, félicitations pour ce blog pour le moins instructif (et addictif à certains moments).
J’aimeJ’aime
Tiens!? un autre qui vient de constater le répétitif 8624. 😀
J’aimeJ’aime
Ah zut « se blog » la gaffe, plus possible de revenir en arrière…
J’aimeJ’aime
Mais si! regarde!
corrigé par magie
J’aimeJ’aime