Harceler pour se victimiser

Croisez un conflictuodépendant avec une personne qui fait  dans la victimisation, et vous aurez cet hybride: Une personne qui cherche par tous les moyens à prouver qu’il est la victime incessante des agissements d’une autre.  Mais puisqu’il est trop lâche pour dénoncer ses vrais agresseurs (s’il en a), alors il prend pour cible une personne sans histoire.  Il va alors harceler sans cesse sa cible d’accusations aussi mensongères que farfelues dans ce but.  Bref: Harceler une personne en se plaignant mensongèrement d’être harcelé par la personne que l’on harcèle.  Eh oui, ça existe.  Et j‘ai eu autrefois la malchance d’avoir un voisin exactement de ce genre-là.  

Mai 1996. J’habite avec Kim, la mère de mes enfants, dans un duplex.  Nous habitons le rez-de-chaussée et avons droit à la cour arrière.  Le second et unique autre logement, situé au-dessus de nous, est vaquant depuis que Linda (Voir la série Camping chez Roger) est partie sans laisser d’adresse l’automne dernier. 

Par un bel après-midi de printemps, la place vient de se trouver un locataire. C’est un gars que j’estime à 20-22 ans. Grand, mince, arbore de très long cheveux blonds frisés jusqu’à la moitié du dos, moustache, jeans sales, cigarette à la gueule, T-shirt Metallica.  En bon voisin conciliant, je suis allé lui ouvrir les grilles pour lui permettre de stationner le camion de déménagement dans la cour, qu’il puisse aménager via l’escalier droit qui mène à son balcon arrière. Dès que le camion fut parti,  je suis sorti fermer la grille et la verrouiller.  Puis, constatant qu’il ne reste aucune trace de ce déménagement dans notre cour, je suis rentré.

Un quart d’heure plus tard, le nouveau voisin est descendu chez nous, cogner à notre porte.  On lui ouvre.  Il nous demande si les déménageurs n’avaient pas laissé de son stock dans notre cour, par hasard. On lui répond que non, sinon on l’aurait vu.

« Ça, ça veut dire que quelqu’un m’a volé une coupl’ de boites! »

Il nous raconte alors que les boites qui ont mystérieusement disparu contenaient ses plus précieuses possessions.  Et ce n’est pas tout: Les déménageurs ont fait exprès de manipuler les autres boites de manière à casser ses choses fragiles. Comme preuve, il nous montre un bol cassé, qu’il a pris soin de descendre avec lui afin de nous le montrer

Sa plainte n’était pas formulée avec une voix fâchée de quelqu’un légitimement irrité de s’être fait vandaliser et voler ses possessions.  C’était plutôt avec un ton presque enfantin, qui faisait « Pauvre de petit moi, le monde y’é donc ben méchant. »  Mais bon, croyant là un légitime problème de déménagement, j’ai cru que l’incident serait isolé. Je me trompais! 

On ne peut pas dire que c’était un voisin bruyant. Ça non! Jamais on n’entendait de chez lui de musique ni télé ni bruit quelconque.  Plus tranquille qu’une souris, qu’il était. Mais comme ce rongeur, il a su vite montrer son côté vermine. 

Un jour alors que nous étions dans la cour arrière, Kim, les enfants et moi, il est descendu nous rejoindre.  Il nous a questionné sur la personne qui habitait là avant lui. On lui parle de Linda, sans préciser pour autant depuis quand elle est partie. Il nous raconte alors comment, la nuit dernière, un gars louche se serait supposément introduit dans la cour, serait monté jusque chez lui, et aurait commencé à épier dans l’appartement par toutes les fenêtres donnant sur le balcon.  Puis, surpris par le nouveau voisin, il se serait enfui  à toutes jambes.

Kim et moi n’avons rien répliqué, mais on trouvait cette histoire un peu étrange.  D’abord, la cour arrière est protégée par une clôture fermée et cadenassée.  Je veux bien croire que ça s’escalade, mais tout de même.   Ensuite, oui, Linda avait bien des amis, mais aucun d’eux n’était du genre petit ratoureux hypocrite.   Enfin, fallait-il que ce rôdeur soit en retard dans les nouvelles, puisque ça faisait huit mois que Linda était partie.  Bref, c’était un cas d’histoire possible, mais ça demeurait très improbable.

Une fin d’après-midi, je suis seul à la maison avec bébé que je nourris à la bouteille, tandis que Kim est allé visiter ses parents avec notre fils aîné.  Je suis au salon, sur le divan, à regarder la télé, tout en tenant bébé dans mes bras.  Ça cogne à la porte.  Je me lève pour répondre, tout en continuant de tenir bébé.  C’est le gars d’en haut.

« T’as-tu bientôt fini tes travaux de rénovations? »

Je ne comprends pas de quoi il parle. Il me dit alors qu’il y a quelqu’un qui s’amuse à cogner sur les murs à grands coups de marteau depuis une bonne demie-heure. Et puisque je suis son seul voisin, ça ne peut être que moi.  Et il en rajoute une couche.  Pas seulement une, d’ailleurs:

  • 2e couche: « Ça frappait tellement fort que les murs en ont tremblés. » 
  • 3e couche: « Ça bougeait tellement que l’horloge de ma cuisine s’est décrochée du mur. » 
  • 4e couche: « L’horloge étant accrochée après un clou a grosse tête, donc qu’il fallait que ça cogne vraiment fort pour que l’horloge s’en décroche. » 
  • 5e couche:  « L’horloge, en tombant par terre, s’est cassée. »  
  • 6e couche: « Cette horloge, c’était le seul souvenir qui me restait de mon père. »
  • 7e couche:  Il me la montre.  Car oui, tout comme avec le bol brisé, il l’a apportée comme preuve. 

Cette horloge a le verre (en plastique) brisé en miettes.  Or, j’ai assez souvent échappé mes propres horloges pour savoir que ça prend bien plus qu’une simple chute par terre pour faire ça.  L’égratigner, d’accord.  Le fissurer, passe toujours. Mais pour détruire à ce point-là le plastique qui le recouvre, faut vraiment faire exprès et y mettre de l’effort.  Aussi, voyant que son histoire n’est que bullshit de A à Z, je lui répond calmement. 

« Ok! Ben premièrement je n’ai pas de marteau.  Deuxièmement je suis en train de nourrir bébé, comme tu peux le voir dans mes bras.  Troisièmement, si les murs avaient tremblés de la façon dont tu le dis, je pense que non seulement je m’en serais rendu compte, mais j’aurais moi aussi entendu des coups. »

Toujours avec son air de chien battu, il me répond: 

« T’es-tu en train de me traiter de menteur? » 

là, je commençais à en avoir un peu ras le bol de son complexe de persécution.  Évitant le piège que constitue sa question, je lui répond la chose la plus neutre que je puisse dire dans ce cas là: 

« Non, je suis juste en train de dire que je ne sais pas d’où les coups sur tes murs peuvent venir, mais il est impossible que ça vienne d’ici.  Fa que, bonne chance dans ton enquête, tu m’excuseras mais là je dois aller préparer le souper parce que ma femme et notre fils ainé reviennent tantôt. » 

Et, du pied, je lui referme doucement la porte au nez, sans lui laisser la chance de répliquer une nouvelle jérémiade. 

Une semaine plus tard, par un bel après-midi, ça cogne à la porte. Kim ouvre.  Un grand homme en uniforme se présente.. 

« Bonjour madame. Germain Sheperd, agent de la SPCA. On a reçu un appel comme quoi vous avez maltraité et tué un chat. » 

Kim et moi on se regarde sans comprendre.  On lui parle de nos deux chats, qui sont en superbe santé.  On les lui montre même, alors qu’ils font la sieste sur le lit.  Il peut voir qu’ils sont bien nourris, propres, calmes et en confiance.  Bref, loin d’être des animaux maltraités.  Il nous précise que l’appel qu’il a reçu parlait d’un chat tué dans la cour arrière. On ne comprends pas, nous étions nous-mêmes dans cette même cour il n’y a pas un quart d’heure de ça.  S’il y avait eu un cadavre de chat, on l’aurait certainement vu.  Mais bon, nous sortons tous les trois.

… Pour y voir, au beau milieu du terrain, un chat blanc, couché sur le côté, face à nous, comme s’il se reposait.  

Incompréhension totale de la part de Kim et moi.  Mais d’où est-ce qu’il sort, celui-là?  Surtout que c’était la toute première fois que Kim et moi voyions ce matou dans le quartier.  En s’approchant, on ne peut que constater qu’il ne respire pas.  Je le touche.  Il est raide.  Je lui soulève une patte.  Son corps complet se déplace, figé.  Il s’agit donc bien d’un cadavre. 

Le monsieur de la SPCA semble bien nous croire, comme quoi nous ignorons tout de ce chat.  Aussi, aucune accusation ne sera portée contre nous.  Il met la carcasse du maton dans un sac et repart avec. 

Une fois l’agent parti, on ne peut s’empêcher de se questionner.  C’est que de la façon dont notre cour est clôturée, oui, d’accord, un passant dans la ruelle aurait pu le voir le chat couché là.  Mais puisque l’animal tournait le dos à la ruelle, impossible pour un passant de voir qu’il était mort.  Il avait l’air tout bonnement endormi.  Ensuite, à l’époque, personne n’avait de cellulaire.  Alors même un passant, croyant le chat mort, n’aurait pas pu nous dénoncer.  Encore eut-il fallu que cette personne quitte la ruelle, contourne la rue transversale, aille sur notre rue et trouve notre numéro de porte exact.  Ça reste donc très improbable, surtout pour un chat qui n’a l’air qu’endormi.

Regardez cette carte de Montréal:  

Il est impossible qu’un chat soit entré dans ma cour, y meurt subitement, qu’un passant voit le chat, devine qu’il soit mort, trouve notre adresse, trouve un téléphone public dans ce quartier résidentiel, (époque pré-tout-l’monde-a-un-cell), trouve le numéro de la SPCA dans l’annuaire (époque pré-internet), les appelle, leur explique le problème, que la SPCA remplisse un  rapport, envoie un agent, et que celui-ci ait le temps de faire tout le trajet à partir des bureaux de la SPCA jusqu’à chez nous, dans les quinze dernières minutes.  Impossible! 

Seule une personne ayant accès à la cour, que dis-je, au chat lui-même, pouvait savoir qu’il était mort.  Cette plainte contre nous à la SPCA ne pouvait donc provenir de personne d’autre que notre voisin d’en haut, qui est justement très bien placé pour connaitre notre adresse.  Et puisqu’il est impossible que le temps entre le présumé meurtre du chat sur notre terrain et la visite de l’agent se fasse en un quart d’heure, la théorie la plus plausible pour cet incident est la suivante: Le voisin d’en haut était déjà en possession de ce cadavre de chat. (Allez savoir comment.)  Il a décidé de nous en faire endosser la mort.  Il a donc porté plainte à la SPCA il y a au moins une heure ou deux, sinon plus.  Puis, pour éviter que l’on trouve le cadavre du chat dans notre cour et que l’on s’en débarrasse avant l’arrivée de l’agent, il aurait épié à sa fenêtre l’arrivée de celui-ci.  À l’arrivée de l’agent, tandis que nous étions à l’avant, occupé à lui répondre, le voisin se serait dirigé à l’arrière pour lancer, de son balcon, le cadavre du chat dans la cour.

Ça a beau sonner comme de la parano, n’empêche que ça reste la seule explication possible.  Nous réalisons avec horreur que notre voisin direct semble posséder les symptômes d’un schizophrène, sinon un psychopathe.  S’il est capable d’en arriver à de telles extrémités dans le but de nous faire passer pour de mauvais propriétaires d’animaux domestiques, on n’ose penser ce qu’il fera le jour où il aura l’idée d’essayer de prouver que nous sommes de mauvais parents.  Avec lui ici, nos enfants ne sont plus en sécurité.  Surtout qu’il est impossible de porter plainte contre lui à la police à ce point-ci, puisque c’est le genre de situation dans laquelle il est impossible de prouver quoi que ce soit, avant qu’une tragédie n’arrive.

Heureusement, cet incident de voisinage fut le dernier.  Non pas parce qu’il a cessé, mais bien parce que nous étions à quelques jours du 1er juillet.  Kim et les enfants partaient vivre en HLM, tandis que moi j’allais emménager aux Résidences du Cégep André-Laurendeau. 

Je ne saurai donc jamais à quoi d’autre nous avons échappé de la part de ce voisin, et c’est probablement pour le mieux.  Parce que quand une personne choisit de te harceler dans le but de prouver qu’il est ta victime, aucun geste n’est trop tordu à ses yeux pour arriver à ses fins.

3 réflexions au sujet de « Harceler pour se victimiser »

  1. C’est fou…
    Heureusement que vous soyez parti à ce moment la. J’ose même pas imaginer si il avait commencé à porter des accusations envers les enfants ou votre rôle de parents…
    Ca fait peur de savoir que n’importe qui peut être comme ça…

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  2. J’imagine que beaucoup auraient du mal à croire une telle histoire tant elle ressemble à un scénario de film. Et pourtant, « life is unrealistic ».
    Quant à l’histoire du chat, je me souviens d’un chat mort sur l’herbe à côté d’un trottoir que je croisais en revenant du travail. Ce passage était pourtant fréquenté et l’animal bien en évidence, et malgré cela il est resté là une quinzaine de jours avant que quelqu’un se préoccupe de l’enlever. Alors un passant voyant un chat mort dans la cours arrière d’un immeuble…

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