Il y a des gens qui sont moins prédisposés que les autres à certaines activités physiques. Ce fut mon cas pour mes 42 premières années de vie au sujet de la course à pied, autant côté vitesse que côté endurance. Et ce qui n’a pas aidé quand j’allais à l’école, c’est que mon anniversaire est le 21 juillet, soit exactement au milieu des vacances d’été. Alors que la majorité finissaient leur année scolaire un an plus vieux, moi je gardais le même âge tout le long de l’année scolaire. Ça signifie que j’étais toujours le plus jeune. Et à une période de vie où quelques mois peuvent faire toute la différence dans ta croissance, j’étais, par conséquent, un des moins développé physiquement. J’ai donc toujours été, sans exception, le dernier en gym, et ce de la première année au primaire jusqu’en 5e secondaire.
Et au secondaire, à un âge où les apparences comptent, être le plus petit, le plus maigre, le moins bon en sports, le plus faible, ça te rapporte zéro vie sociale. Aucun gars ne veut de ça comme partenaire dans quelconque activité sportive, ni dans sa gang d’amis. Aucune fille ne veut de ça comme chum. La seule attention que l’on attire, c’est celle des abuseurs qui ont besoin d’une cible facile pour pouvoir se sentir supérieur sur au moins une personne, histoire de pouvoir mieux vivre avec leurs propres complexes. Et quand le monde te traite comme de la merde lorsqu’ils sont enfant et adolescents, c’est une habitude qu’ils ne perdent pas une fois rendus adulte. C’est comme ça qu’ils ont été élevés, donc c’est profondément ancré dans leur personnalité. Si seulement j’avais commencé l’école un an en retard, aucun de ces problèmes ne se seraient manifesté. J’aurais été à égalité avec les autres et j’aurais vécu les mêmes choses que les autres, au lieu d’être toujours mis de côté.
Les imbéciles vont dire qu’il ne faut attacher aucune importance à ce genre de choses, parce que l’apparence, les sports, les amourettes d’ados, plus rien de tout ça n’a guère d’importance lorsque l’on arrive à l’âge adulte. La raison pourquoi je dis que c’est un raisonnement d’imbéciles, c’est que quand tu n’as pas appris à socialiser durant cette importante période de ta vie, tu est alors socialement handicapé une fois rendu adulte. Tu n’es ni à l’aise d’aller vers les autres, ni à l’aise lorsque les autres viennent à toi. Et tôt ou tard, ça sabote toutes tes relations les unes après les autres, furent-elles amicales, amoureuses ou professionnelles. Et si,comme ce fut mon cas, la solitude te fait lire beaucoup, voir beaucoup de films, regarder beaucoup de télé, alors les romans, la télé et le cinéma sont les seuls endroits où l’on peut apprendre comment se comporter en société et dans nos relations avec les autres. Et ça, c’est loin de représenter une réalité dans laquelle tout est ambigu et où personne n’est parfait. Pas étonnant que l’on me trouve aussi chiant, à toujours exiger des autres un comportement irréprochable et des situations claires.
Il suffit parfois de si peu de choses pour faire la différence entre une vie sociale réussie et une perdue d’avance. De toutes façons, être un an en retard n’aurait pas fait de moi un athlète. J’aurais juste été moins handicapé socialement dans mes rapports avec les autres, voilà tout. Le reste, c’est génétique. Tu ne peut pas être un athlète quand tu descends d’une famille de maigrichons sédentaires. Et pourtant, je peux dire que la nature a été généreuse avec moi. Avec une mère faisant 5’2’’ et un père de 5’1’’, c’est un miracle que je sois monté à 5’8″.
Mais je m’égare dans mes trop longues explications, comme d’habitude. Passons au vrai sujet de ce billet:
Vous vous souvenez de tous ces billets que j’écrivais au sujet de mon entrainement il y a un an et un tiers? À l’âge de 42 ans, j’ai décidé d’attaquer mon plus grand obstacle, mon fail le plus tenace : La course à pied. Comme ça, en plein hiver, avec une des saisons froides les plus enneigées que l’on a pu avoir au 21e siècle, je m’y suis mis avec détermination. Le 4 décembre 2010, je ne pouvais courir que des segments de 200 mètres avant de m’arrêter, épuisé, à bout de souffle. Il y a un an, le 4 avril 2011, une fois la neige disparue, je pouvais courir non-stop sur 5 km.
Pour la première fois de ma vie, j’avais un but athlétique, et pour la première fois de ma vie, ce but était réalisable : Pouvoir courir le marathon de Montréal, une course d’endurance de 42 km. Et surtout, en ayant ce but, je prouvais une fois pour toutes ce que j’avais passé ma vie à dire : Quand mon succès ou mon échec dépend des autres, peu importe l’effort que je vais y mettre, si l’autre décide que je vais échouer, y’a rien à faire, j’échoue. Mais quand je ne dépend de personne d’autre que de moi-même, je ne peux que réussir.
Eh bien la vie, le hasard, la génétique et le destin ont décidé de me prouver que j’étais dans l’erreur. Moi qui n’a jamais eu de problèmes au pieds, juste au seul et unique moment de ma vie où courir le marathon est mon but, j’ai développé, comme l’a inscrit le podiatre dans mon dossier, une fasciite plantaire aiguë aux deux pieds. Douleurs constantes. Repos obligatoire. Limiter mes déplacements. Plusieurs longs mois d’exercices et de thérapie. Et oublier la course à pied pendant 6 mois si j’ai une job de bureau, 12 mois si j’ai un travail physique, à condition d’avoir des pieds normaux.
…Mais comme je m’en doutais, le podiatre a confirmé le contraire. J’ai les deux pieds croches, et une jambe dont l’angle de déploiement est de plusieurs degrés trop vers l’extérieur. Bref, de la façon sont fait mes pieds, mes jambes, mes articulations de genoux, je ne suis pas fait pour courir longtemps sur une surface dure et plane. Je ne pourrai donc jamais devenir un marathonien.
Et voilà pourquoi, en plein hiver, pendant quatre mois, j’ai pu me faire accroire le contraire: La neige dans lequel je courais était une surface molle et tout sauf plane. La neige écrasée sous mes pas prenait automatiquement la forme requise pour mon confort en s’adaptant à mes pieds. C’est ainsi que, pendant quatre mois, j’ai pu améliorer ma résistance, ma force et mon cardio… Résistance, force et cardio sans laquelle je n’aurais pas réussi à courir si longtemps sur une surface plane dès que la neige à fondu, et par conséquent je ne me serais pas handicapé des deux pieds pour la vie, ni n’aurais-je eu à débourser $850.00 de traitements et d’orthèses.
Bref, tout ce que j’ai réussi à faire en améliorant cet aspect de mon physique, c’est de me permettre de le rendre pire que jamais, et ce pour le reste de mes jours.
Et vous savez quoi? Ça m’a quelque peu dérangé, mais pas outre-mesure. Suite à ma réaction, ou en fait à mon manque de réaction, je me suis demandé si c’était du positivisme ou du je-m’en-foutisme-né-de-l’habitude-que-tout-aille-toujours-mal-anyway. Parce que en effet, comme disent les anglos, je réalise que mon attitude face à ce nouveau sabotage de mes projets, sabotage qui détruit ma conviction comme quoi un projet qui ne dépend de personne d’autre que de moi-même ne peux que réussir, c’est I’m just rolling with it! Je ne suis pas déprimé. Je ne suis pas en colère. Je ne suis pas frustré. Je ne tombe même pas dans le réflexe piège de me dire que plus jamais je ne ferai de projets puisque rien ne fonctionne jamais pour moi au bout du compte. Non! Je fais juste m’adapter à ma nouvelle situation. Et si jele fais, ce n’est pas par conviction que c’est la meilleure chose à faire, ou bien par résignation. Non, je le fais tout naturellement. Et c’est ça qui me surprend. Parce que dans les apparences, on pourrait croire que je m’en fous, ou bien que j’étais tellement convaincu d’être un loser que cet échec supplémentaire n’avait rien pour me surprendre. Il est vrai que des circonstances extraordinaires qui viennent saboter mes projets en ciblant exactement le seul et unique élément que ça prend pour tout faire foirer, c’est pas mal la routine habituelle pour moi.
Je suppose que d’une certaine façon, j’évolue. Il est vrai qu’il y plusieurs années, mon problème de base, c’était la crainte de passer pour quelqu’un qui recherche les situations avec le plus grand potentiel pour l’échec. C’est la raison pourquoi, pendant quelques années, j’avais une page web intitulée La Zone Requin dans laquelle j’écrivais les anecdotes négatives de ma vie en expliquant les circonstances des malheurs et des échecs qui m’empoisonnaient l’existence.
Et puis, apparemment, il vient un jour où on cesse de s’en faire avec l’image que l’on peut projeter aux autres. Par conséquent, on cesse de s’en faire avec ce qui nous fait obstacle. On en apprend quelque chose s’il y a quelque chose à apprendre, on en tire une leçon s’il y a une leçon à tirer, et on roule avec le coup en attendant que l’élan meurt, pour ensuite pouvoir s’en relever.
Je suppose que ce jour est arrivé pour moi. I’m not even mad. I’m just rollin’ with it!
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