Il y a des batailles qu’on ne peut juste pas gagner.

La limite était de 100. Je faisais du 122. Puisque je connaissais le chemin, je n’utilisais pas le GPS. Celui-ci n’a donc pas pu me dire « Il y a un radar mobile sur votre route. »

Girophares dans le miroir.
Rangement sur l’acottement.
Sortir le permis de conduire.
Réception de la contravention.

POLICIER : « L’excès de vitesse monte à $120. Plus la contribution de $40. Pour un total de $160. Vous avez trente jours pour payer ou contester.
MOI : « Euh… C’est quoi, ça, « contribution »? Les frais de traitement du dossier ? »
POLICIER : « Non ! C’est un montant qui va à un refuge pour femmes victimes de violence conjugale. »
MOI : « Hein !? Mais je n’ai jamais été violent envers une femme. Pourquoi est-ce que vous me collez une amende pour ça? »
POLICIER : « Ce n’est pas une amende. C’est un don ! Ça vient avec les amendes d’excès de vitesse. »
MOI : « Un don ? D’accord ! Est-ce que je peux avoir un reçu, pour que je puisse le déclarer aux impôts? »
POLICIER : « Ce n’est pas ce genre de don, monsieur. »

S’il y a une chose que je suis incapable d’endurer, c’est bien la bullshit. Je prends soin de rester calme et poli alors que j’ajoute d’une voix totalememnt neutre :

MOI : « C’est vrai ! Un don, c’est volontaire. Et je n’ai jamais autorisé que l’on me charge ce $40. »
POLICIER : « C’est standard avec les amendes d’excès de vitesse. »
MOI : « Je suis bien désolé. Oui, je vais payer le $120, parce que j’ai vraiment fait un excès de vitesse. Mais il n’est pas question que je paie $40 pour un crime que je n’ai jamais commis. Ce que vous me faites là, c’est abusif. »
POLICIER : « Vous avez quelque chose contre les femmes, Monsieur ? »

Ok, wow ! Ou bien j’accepte de payer une amende pour un crime que je n’ai pas commis, ou bien je suis un misogyne. Il rajoute :

POLICIER : « De toute façon, si vous ne payez pas l’amende en totalité, vous allez vous retrouver avec des frais à payer, en plus du $40. »
MOI : « Donc, ce que vous me dites, c’est que si je n’accepte pas vos abus, vous allez me faire subir encore plus d’abus. »

Ayant son sous-entendu de misogynie en travers de la gorge, je décide de le lui rendre, alors que j’ajoute :

MOI : « Comme le font les hommes qui abusent des femmes, finalement. »

Le policier me regarde, silencieux. Son regard est lourd, intense. Je ne sais pas si ma dernière phrase le prend au dépourvu, ou bien s’il applique sur moi une technique psychologique d’intimidation. Mais ça dure un bon huit secondes. Je décide de couper la tension en haussant les épaules tout en prenant mon air interrogateur le plus innocent, alors que je demande :

MOI : « Non ? »
POLICIER : « Comme je vous ai dit ! Vous avez trente jours pour payer ou bien contester. Vous trouverez l’adresse du site web derrière le ticket. Bonne journée ! »

Et il retourne dans son véhicule, me laissant là avec mon billet dans les mains.

Rendu chez moi, je me rend sur le site. J’entre le numéro de mon billet. Tout y est: Mon nom, mon adresse, mon véhicule, sa plaque, les détails de ma contravention, et le montant à payer. Et là, j’ai le choix : Payer ou contester. Je clique sur Contester.

Sur ce, 404 PAGE NOT FOUND. Je clique pour revenir en arrière. Là, c’est « Une erreur empêche la page de télécharger. Veuillez revenir plus tard. » Je me demande si c’est bien un hasard, ou si c’est encore une arnaque pour nous empêcher de contester.

Pour la fluidité de la narration, je vous fais grâce de tout ce que j’ai eu à faire pendant les quatre jours qui ont suivi. Mais j’ai fini par pouvoir parler à quelqu’un au téléphone.

POLICIER : « Donc, vous voulez contester une contravention ? »
MOI : « Non ! Juste une partie. La contribution de $40. »
POLICIER : « La contribution, c’est un montant qui va à un refuge pour femmes victimes de violence conjugale. »
MOI : « Oui, je comprends. Mais je n’ai jamais été violent envers une femme. Je n’ai donc pas à recevoir une amende pour ça. »
POLICIER : « Ce n’est pas une amende. C’est un don ! »
MOI : « Un don, c’est volontaire, et ça vient avec un reçu pour les impôts. Vous ne donnez pas de reçu, et je n’ai jamais autorisé que l’on me charge ce $40. Alors désolé, mais m’obliger à payer pour un crime que je n’ai jamais commis, ce n’est pas un don, c’est un abus. »
POLICIER : « Vous avez quelque chose contre les femmes, Monsieur ? »

Ok, wow ! On voit que les étudiants de Nicolet ont tous appris le même texte par coeur, Heureusement, ces cinq derniers jours à ruminer là-dessus m’ont donné le temps d’étoffer ma réponse.

MOI : « Au contraire ! J’ai tellement rien contre les femmes, que je n’en ai jamais abusé une seule de toute ma vie. Vous pouvez vérifier vous-même, puisque vous avez accès à mon dossier judiciaire. Il n’y a donc aucune raison, ni morale ni légale, de me faire payer pour quelque chose que je n’ai jamais fait. »
POLICIER : « La contribution, c’est standard avec les amendes d’excès de vitesse. On ne peut pas fragmenter le paiement. Ou bien vous le payez en entier, ou pas du tout. Mais dans ce dernier cas, il y aura des conséquences. C’est la loi ! »
MOI : « C’est la Loi. Mais est-ce qu’on peut vraiment parler de justice, ici ? »
POLICIER : « Écoutez ! Si vous voulez contester la Loi et le Code Civil, vous avez toujours le loisir d’embaucher un avocat qui va vous représenter dans votre cause contre la Couronne. Alors, que vous payez ou que vous intentiez une poursuite, c’est à vous que revient la décision finale. Bonne journée. »

Je n’ai pas eu à réfléchir longtemps pour savoir que si ma cause a de bonnes chance d’être une victoire légale, elle équivaudra en revanche à un suicide social. La contribution obligatoire sur les constats d’infraction, c’est dans tout le système légal du Québec. Il est évident que si je m’y attaque, ça ne passera pas inaperçu. Les médias vont s’empresser de rapporter cette saga judiciaire avec le gars qui poursuit le Gouvernement car il refuse de faire un don pour les refuges de femmes victmes de violence conjugale. Il n’en faudra pas plus pour que l’on m’associe automatiquement à Marc Lépine, aux incels comme Elliot Rodger, où à ces misogynes de Mâles Aphas autoproclamés. J’aurai beau m’expliquer et répéter 8624 fois que, peu importe s’il s’agit de femmes victimes de violence, d’immigrants victimes de racisme ou d’enfants victimes de prédateurs, il reste que je n’ai commis aucun de ces crimes. Je n’ai donc pas à payer pour ceux-ci. Faites-donc payer Gilbert Rozon, puisque LUI est déjà reconnu devant la Justice pour de nombreux crimes contre les femmes. Ajustez l’amende à la mesure de ses crimes, et vous pourrez vous bâtir dix nouveaux refuges pour femmes en détresse.

Mais je sais bien que peu importe ce que je dirai, rien n’y fera. Mon nom sera démonisé dans la culture populaire. Et Internet n’oublie jamais. J’aurai à subir ça jusqu’à mes 121 ans.

C’est comme je disais. Ou bien j’accepte leurs abus. Ou bien ils me feront subir d’encore pires abus. Comme le font les hommes qui abusent des femmes, finalement. J’ai donc fermé ma gueule, et je suis allé payer ma contravention en entier. Et, quelle surprise, le site a parfaitement fonctionné cette fois. Éventuellement, j’ai fini par trouver le moyen de ne plus jamais avoir à subir ce genre d’abus. Et c’est une solution toute simple : je ne fais plus d’excès de vitesse.

Quand je sais que j’ai raison, je suis têtu comme pas un. Mais quand mon entêtement ne donne rien de bon, je n’ai d’autre choix que de tirer la leçon que j’ai à en tirer, et de lâcher prise.

Parce qu’il y a des batailles qu’on ne peut juste pas gagner.

3 réflexions au sujet de « Il y a des batailles qu’on ne peut juste pas gagner. »

  1. J’ai eu une contravention pour une autre infraction (à pied) il y a quelques années et je ne m’étais pas posé la question sur la contribution. C’était assez difficile de retrouver la logique derrière cette pratique qui date de 2002, mais j’ai trouvé ceci. Le but semblait être de renflouer les coffres pour les fonds d’aide aux victimes d’actes criminels. Taux fixe de 10$ en 2002, mais en 2015 ils ont changé pour un taux variable…

    https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/commissions/ci-36-2/journal-debats/CI-021204.html

    Ils utilisent le mot contribution, don, mais concrètement ça revient au concept des « suramendes compensatoires ». Ça par contre, je n’arrive pas à trouver la logique historique derrière la pratique, mais vite comme ça, on dirait que c’est quelque chose « Les gens qui commettent des infractions vont par la bande financer des programmes sociaux ».

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    • Exactement! On profite du fait que tu es coupable d’un truc pour te faire payer pour autre chose.

      Je me rappelle aussi d’une loi d’il y a quelques années, je ne sais pas si elle est toujours en vigueur aujourd’hui. Si tu reçois un constat pour une infraction commise à vélo, alors tu as des points d’inaptitudes sur… ton permis de conduire !? Alors que de 1, cette infraction n’a jamais été commise en auto. Mais surtout, de 2, il n’existe pas de permis pour conduire un vélo.

      Lorsque la loi est abusive, elle n’a plus de Justice que le nom.

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