L’importance d’être observateur

Avez-vous déjà constaté que nos (arrières-) grands-parents s’habillent et se coiffent toujours comme lorsqu’ils étaient adolescents? C’est quelque chose que je constatais déjà lorsque j’étais adolescents, dans les années 80. Je n’ai jamais su si c’était par habitude, parce qu’ils ne se sont pas rendus compte que la mode changeait, ou si c’était en ayant l’impression (erronée) que ça continuait de leur donner une apparence jeune. N’empêche que, peu importe la raison, beaucoup de gens de chaque génération ont tendance à garder leur look de jeunesse. 

Ce qui nous amène à cette anecdote qui remonte à l’automne de 1995. 

J’ai 27 ans et je suis de retour aux études, au Cégep. La semaine de la rentrée, je suis allé au local du journal étudiant, le Vox Populi, afin de soumettre ma candidature comme illustrateur. Deux semaines plus tard, on m’offrait le poste de rédacteur en chef sans même que je m’y porte candidat. Il semblerait que mes idées pour améliorer le journal et attirer une plus grande participation des lecteurs ont impressionné le staff. 

… Mais pas aussi impressionnés qu’ils le seront un mois plus tard alors que je ferai de nouveau preuve de mon sens de l’observation en matière de look et de modes.

Le local du Vox se trouve au fond du café étudiant, le Café Inn. Ce jour-là, je demande à Geneviève, notre photographe, d’aller prendre une photos des jeunes au Café. Je lui demande de laisser un grand espace libre en haut de l’image. Cet espace doit recevoir le gros titre « LE DÉCROCHAGE SCOLAIRE. Qui sera la prochaine victime? » Je dessinerai ensuite et collerai moi-même sur la photo les quatre petites cases-à-textes-et-à-bras que vous y voyez ici :

Après 27 ans passées dans mes archives, la première case a perdu son bras.

C’est en observant la photo que je constate un détail qui détonne du reste. Ce gars-là porte du linge et une coiffure qui ont vingt-cinq ans de retard sur la mode de 1995.

Les cheveux séparés sur le côté, je n’avais pas vu ça depuis la télésérie Mannix (1967-1975)

En général, les profs ne vont jamais au Café Inn. Alors qui était ce bonhomme dans la quarantaine avancée et qu’est-ce qu’il pouvait donc bien faire dans un café étudiant de cégep?

En plus d’être situé au fond du Café-Inn, le local du Vox est pourvu d’une fenêtre qui nous permet d’y voir. Dans les jours qui ont suivi, ça m’a permis de constater le manège quotidien de cet homme. À tous les jours, il s’introduisait au Cégep par la porte de la cafétéria, celle qui n’a pas de gardien. Il entrait au Café Inn. Il prenait un café. Et il s’assoyait là, en retrait, et il passait deux ou trois heures à ne rien faire d’autre que de regarder les filles.

Au bout d’une semaine, j’étais convaincu qu’il n’était pas un prof, et encore moins un étudiant. J’ai brièvement pensé qu’il pouvait être parent avec un/e des étudiant/e. Mais son manque d’interaction avec qui que ce soit m’a vite convaincu du contraire. Il n’avait rien à faire ici. 

Un avant-midi, je l’attend. Dès que je le vois entrer, je pars aussitôt aux bureaux de la direction, leur faire part de mes observations, photo à l’appui. Ils me demandent :

« Êtes-vous sûr que ce n’est pas un prof ? »
« Positif ! Il a l’air d’habiter sur la rue derrière le cégep. »

Une adjointe de la direction a aussitôt demandé au gardien à l’entrée de nous accompagner. Je les ai amenés jusqu’au monsieur louche, toujours à sa table avec son café. Ils lui ont demandé qui il était et ce qu’il faisait là. Ce n’est qu’après cinq secondes de silence embarrassé qu’il a répondu prendre un café. Ils ont posé de nouveau la question. Et comme de fait, ce n’était pas un prof. C’était un BS qui n’avait rien d’autre à faire de ses journées que de venir ici reluquer des filles de 17-20 ans.

Ils lui ont bien fait comprendre qu’il est illégal de se trouver au cégep si on n’est ni prof ni étudiant ni employé. La sécurité l’a raccompagné jusqu’à la sortie, en l’avertissant bien que si on le revoit encore ici, cette fois ce sera la police qui s’occuperont de son cas.

On ne le reverra au cégep que la semaine suivante. Mais cette fois, ce sera en photo de couverture du Vox Populi de novembre ’95. Mais sinon, en personne, on ne l’y reverra plus.

Sous le regard désapprobateur de Lupin le chat.

Peut-être que son but était sinistre, et peut-être pas. Peut-être que les choses seraient allées plus loin, et peut-être pas. Le fait est qu’il n’avait juste pas à être là. Et que grâce à mon sens de l’observation, qui sait, peut-être ai-je évité à l’une de ces filles de se faire suivre jusque chez elle.

D’où l’importance d’avoir un bon sens de l’observation au sujet de ce qui nous entoure. Et de se méfier de toute situation qui puisse nous sembler anormale. 

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