Sans filtre et sans emploi

Vous savez, ces gens qui se vantent de ne pas avoir de filtres ? Ceux qui ne manquent jamais une occasion d’envoyer des paroles agressives et insultantes, et qui justifient leur impolitesse sous l’excuse de « ne dire rien d’autre que la vérité » afin d’exercer leur « droit à la liberté d’expression » ? C’est une personne de ce genre là dont il sera questions aujourd’hui.

Hier, 7 heure du mat’, nous avions une nouvelle à entrainer au travail. Eva, trentaine avancée, grande mince rouquine. Eva est sur mon équipe. Linda, ma partenaire de travail, me demande si je veux lui montrer le travail, ou si je préfère la lui laisser. Je décline, avouant que je suis un bien piètre professeur. Pas de problème, Linda se fera un plaisir de s’en charger.

Vers 10 heures, alors que je termine de m’occuper d’une résidente alitée, Eva entre dans la chambre et me demande.

« Tu travaille pour une agence? »
« Oui! »
« Laquelle? »
« Placement Québec Santé »
« Ah! C’est celle qui paye le moins. C’est quoi ton salaire? »

« Euh… !? »

Déjà que c’est un tabou social de discuter de nos revenus, c’est encore plus effronté de demander ça à la 3e phrase de la toute première conversation que l’on a avec un inconnu.

« Désolé, on ne discute jamais de nos salaire entre collègues. »
« En tout cas, mon agence paie bien mieux. Je sais que je fais beaucoup plus d’argent que toi. »

Ayant fini de ramasser mes affaires, je sors de la chambre en lui disant que c’est tant mieux pour elle. Alors que je dévale le corridor d’un pas ferme, mon air irrité n’échappe pas à mon collègue Lucien.

« Hey, Stef ? Ça va pas ? »
« Ah ! C’est l’autre, là, la nouvelle. Imagine-toi donc qu’elle vient de me demander de lui dire mon salaire. »
« Hein ? Toé aussi ? »

Lucien m’entraine dans la cuisine où Linda discute avec deux préposées et une aide de service. Il leur dit:

« Hey ! Devinez quoi? Stef vient de se faire demander c’est quoi son salaire, par Eva. »

Les filles réagissent aussitôt, choquées et scandalisées.

« Hein ? »
« Pas sérieux ? »
« Non mais c’est quoi son problème, à c’te Guerda-là ? »

Linda me dit que lorsqu’elle a présenté Eva à Cybèle, l’aide de service, Eva a tout de go répondu :

« Les aides de service, ça ne sert à rien. Ça fait toujours semblant de travailler. »

Pendant l’entrainement, Eva a dit à Linda qu’elle voit bien que cette dernière n’est pas faite pour être préposée aux bénéficiaires. Elle devrait plutôt faire du Tik Tok ou du OnlyFans. Lucien a droit aux mêmes questions que moi. Et Monica s’est fait rabaisser de choisir délibérément, et je cite, « D’habiter un coin aussi minable que la Gaspésie. Ce n’est pas comme si c’était seulement une obligation pour l’emploi. »

Et là, je me suis rendu compte de ce que nous étions en train de faire. On se plaignait. Et comme je l’ai dit dans un billet récent: Ne te plaint jamais, mais n’hésite jamais à porter plainte.

Je me suis donc dirigé vers le bureau de la patronne. Mais elle n’y était pas. j’y suis retourné plus tard, en vain. La quatrième fois, j’ai opté pour lui écrire une note. Je lui raconté l’essentiel de ce que vous venez de lire ici. Et je conclus sur le fait qu’Eva met une mauvaise ambiance au travail, et que nous ne l’apprécions pas.

À 15h, alors que je m’apprête à partir, la patronne vient me rejoindre.

« Oui, Stéphane, j’ai lu ta note. »
« Bien! Vous pouvez vérifier auprès de Lucien, Cybè… »
« Pas besoin, je te crois sur parole. Je voulais juste te dire que tu as bien fait de m’en parler. parce que moi, une attitude comme la sienne, je n’accepte pas ça. Je vais appeler son agence et vous ne la reverrez plus jamais ici. »

Elle se vantait d’être sans filtres. Eh bien maintenant elle pourra aussi se vanter d’être sans emploi.

Elle nous traitait comme si nous étions des trous du cul. Elle avait juste oublié que la fonction première d’un trou du cul, c’est d’expulser la merde.

Laissez un commentaire